Déclaration de Mme Noëlle Lenoir, ministre déléguée aux affaires européennes, sur le rôle de la France dans l'élargissement de l'Union européenne et l'avenir de sa coopération bilatérale avec les futurs Etats membres, Paris, le 16 juillet 2003.

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Circonstance : Session plénière des Journées du Réseau français de coopération et d'action culturelle à l'étranger, le 16 juillet 2003 à Paris

Texte intégral

Mesdames,
Messieurs,
L'Europe et la France sont à la veille d'un grand événement. C'est à l'automne que se tiendra, au Parlement français, le débat sur la ratification du Traité d'élargissement. Et, le 1er mai 2004, n'en doutons pas, dix nouveaux Etats rejoindront donc la famille européenne (les trois Etats baltes, la Pologne, la Hongrie, la Slovaquie, la République tchèque, la Slovénie, Malte et Chypre). Ce processus d'élargissement est d'ailleurs déjà largement en voie de finalisation puisque Chypre a ratifié ce traité la semaine dernière et que les premières ratifications chez nos partenaires déjà membres ont déjà eu lieu, notamment en Allemagne.
Cet élargissement est une échéance fondamentale car elle implique une refondation des institutions européennes. Ce fut l'objet du travail réalisé de manière magistrale par la Convention sur l'avenir de l'Europe présidée par Valéry Giscard d'Estaing. L'Europe réunifiée connaît ainsi, grâce à la future constitution dont elle doit se doter en 2005, un nouveau départ.
Mais cet élargissement est aussi une échéance fondamentale pour nos relations bilatérales avec l'ensemble des Etats concernés. Il ne s'agit plus en effet seulement d'entretenir des liens diplomatiques avec ces pays. Nous devons être conscients que nous sommes en train de construire avec eux notre destin commun. Pour cela, il nous faut mieux connaître ces nouveaux membres de la famille européenne, leurs dirigeants, leur société civile, et échanger avec eux nos modes de pensée et d'organisation. C'est là, en tant qu'acteurs du réseau français de coopération, que vous êtes appelés à jouer un rôle absolument déterminant. C'est pourquoi j'ai choisi, après l'exposé si brillant de Dominique de Villepin, de centrer mon propos sur votre rôle spécifique dans la réussite de l'élargissement.
Car, aujourd'hui, ce que je veux vous dire, est que la réalisation de l'élargissement, le 1er mai 2004, ne met pas fin à notre travail dont le bilan jusqu'ici est spectaculaire. Il faut continuer à jeter les fondations d'un élargissement réussi par notre coopération bilatérale qui doit, pour cela, s'articuler étroitement avec ce que fait l'Europe, c'est-à-dire aussi nous-mêmes.
Après avoir abordé les raisons du succès de nos actions en Europe ces dernières années je tracerai avec vous la trame des priorités de notre coopération avec les pays de l'élargissement au cours des prochaines années.
Depuis dix ans, la France a su contribuer à préparer l'adhésion à l'Union européenne des futurs Etats membres.
Le soutien aux efforts déployés par les pays de l'Europe centrale et orientale pour préparer leur adhésion à l'Union européenne a constitué, naturellement, le cur de notre coopération bilatérale avec ces pays. La mise à niveau de leurs capacités, notamment administratives, est en effet pour nous "la priorité des priorités", tant au niveau bilatéral qu'au niveau européen.
Je souhaite rendre hommage, d'abord, à notre action bilatérale. A compter de 1998, la coopération culturelle et technique française dans les dix pays candidats a permis le renforcement de leurs capacités administratives, la formation de leurs cadres et l'adaptation à l'acquis communautaire de leurs législations et de leurs réglementations. La reprise intégrale de l'acquis est une tâche immense, mais absolument essentielle. Car l'adhésion de ces Etats ne devrait pas se faire "au rabais". A défaut, c'est tout l'édifice européen qui s'en trouverait fragilisé.
Notre politique est donc cohérente : demander le respect de l'acquis d'abord, aider ensuite à le respecter. Cette politique est d'ailleurs dans notre propre intérêt car, ce faisant, nos ambassades ont l'occasion de promouvoir notre langue et notre culture, et du même coup notre vision de la diversité européenne : une diversité culturelle et linguistique que la France est du reste heureuse d'avoir fait inscrire comme objectif de l'Union européenne dans le projet de Constitution européenne.
Pour défendre ainsi la diversité culturelle en Europe, nous avons utilisé un instrument que vous connaissez bien, le COCOP. Profondément réformé, ce fonds a vu sa compétence étendue à tous les domaines de coopération, y compris culturels, linguistiques, universitaires et audiovisuels. Doté au cours des dernières années de près de 30 M euros à destination de la coopération avec les dix PECO, il a pu y financer plusieurs centaines de projets, des projets administratifs indispensables à la reprise effective de l'acquis, mais aussi des projets dans les domaines de la culture, de l'éducation, de la science et des médias. Toutes ces actions s'articulaient autour d'un thème commun : diffuser les principes de base de la construction européenne et expliquer les opportunités de mise en réseau que l'Europe offre aux nouveaux membres.
Au-delà de ces projets, nos ambassades, nos établissements culturels, nos centres, instituts et alliances ont concentré leurs propres actions sur la préparation de l'élargissement de l'Union. Je souhaite rendre ici hommage à tous nos services qui ont su s'organiser en vue de cette échéance si majeure.
Ainsi, les cours de français ont-ils été opportunément ciblés vers ceux qui représenteront leurs pays auprès des institutions européennes. Deux structures ont été spécialement créées à cet effet : le Centre européen de langue française à Bruxelles et, au sein du ministère, le Fonds d'intervention pédagogique. Dans certains pays, comme les Etats baltes, des programmes spécifiques ont été élaborés en collaboration avec les gouvernements, pour diffuser l'apprentissage de notre langue à l'ensemble de la fonction publique. Ce sont des centaines de diplomates qui sont ainsi devenus francophones. Une même orientation européenne a été donnée à nos programmes de bourses dans les pays d'Europe centrale et orientale, aux cycles de conférences, aux programmes d'actions de recherche intégrées, ainsi qu'aux filières francophones ouvertes dans les universités d'Europe centrale et baltes. A titre d'exemple, des diplômes inter-universitaires d'affaires européennes et de droit européen sont en cours de création dans les universités de Lettonie et de Lituanie.
Mais vous ne me contredirez pas si je souligne que cet effort national n'a de sens que s'il est relayé par une action déterminée au niveau européen.
Car il faut être clair : l'avenir du français se joue aujourd'hui en Europe. Effectivement, il ne servirait à rien de mener à bien des programmes de formation au français si, dans le même temps, nous laissions l'anglais s'imposer comme langue unique à Bruxelles, voire à Luxembourg ou à Strasbourg. Comment, en effet, pouvoir prétendre sauvegarder le statut international de la langue française, si se confirme son érosion au sein des institutions européennes ? A cet égard, je me réjouis d'avoir obtenu la prise en compte du plurilinguisme dans la réforme du statut des fonctionnaires européens qui doit entrer en vigueur avant le 1er mai 2004. Au terme de longues négociations qui m'ont amené à rencontrer plusieurs fois le commissaire Neil Kinnock et des représentants de la présidence grecque, la décision a été prise de faire figurer le plurilinguisme parmi les exigences du statut de la fonction publique communautaire. Comment ? Eh bien, désormais, la possibilité de progresser dans l'échelle hiérarchique sera directement conditionnée à la maîtrise d'une deuxième langue étrangère. En d'autres termes, il faudra être en mesure d'utiliser trois langues pour obtenir une promotion comme fonctionnaire communautaire. Nous avons ainsi imposé une réelle obligation de plurilinguisme dans l'Union européenne qui s'avère exemplaire par rapport à d'autres organisations internationales.
Quant aux instruments proprement dits de coopération européens, nous avons su les mettre à profit. Je tiens à rendre hommage à tous ceux qui ont su inciter nos administrations à participer aux Jumelages organisés par le programme PHARE dont l'utilité n'est plus à démontrer. Ainsi, sur plus de 700 jumelages lancés dans les pays candidats depuis 1998, un quart environ a été confié à la France en qualité de chef de file, ce qui place notre pays en deuxième position après l'Allemagne (près d'un tiers des jumelages). Par ce biais, ce sont plus de 100 conseillers "pré-adhésion" français qui ont aidé les administrations des pays candidats à intégrer l'acquis communautaire.
Dans tous les domaines : l'agriculture, la recherche, les finances publiques, l'environnement, ou encore le renforcement des capacités administratives, notre apport a été, je n'hésite pas à le dire, décisif. Il était en effet nécessaire d'aider les nouveaux membres à accélérer, comme ils l'ont fait, le rythme des réformes à mettre en uvre pour préparer leur adhésion à l'Union.
Voilà le bilan de notre coopération en Europe. Dix ans après le Conseil européen de Copenhague qui, en décembre 1993, lançait le processus d'élargissement, il y a tout lieu d'en être fier. Je souhaite en remercier, personnellement ici, tant les responsables et collaborateurs de nos services de coopération en ambassades ici présents, que les autres administrations françaises qui ont amélioré la professionnalisation de notre action de coopération internationale en Europe.
Après l'élargissement, comment la France peut-elle envisager sa coopération dans les pays d'Europe centrale et orientale ?
Quelle doit être, après le 1er mai 2004, la stratégie de notre coopération à l'égard des nouveaux membres ? Quelles marques devons-nous imprimer à notre action auprès de nos actuels et futurs partenaires européens ? Je souhaite vous faire part de mes priorités pour les années à venir.
Il faut accompagner l'entrée des nouveaux membres pour parachever la réussite de l'élargissement.
Il faut d'abord continuer à favoriser l'intégration des nouveaux membres, notamment là où des clauses transitoires leur ont été octroyées et où l'acquis communautaire reste encore à reprendre. Mais surtout, il importe d'éviter que les nouveaux membres ne relâchent leur effort, et que nous mêmes nous reposions sur nos lauriers.
L'Union européenne, vous le savez, compte apporter une "facilité de transition", d'un montant global de 380 M euros, pour les années 2004 à 2006. Certes, c'est beaucoup moins que le budget des instruments de pré-adhésion des années précédentes, dont PHARE. Toutefois, n'oublions pas que cette aide se combinera avec les importants fonds structurels que ces pays vont recevoir dès 2004. Notre mission urgente est donc d'encourager les administrations françaises à participer à ces programmes.
Je suis convaincue qu'il est temps pour ce faire de réformer nos instruments de coopération bilatérale. Dans ce but, le COCOP sera remplacé, à compter du 1er janvier 2004, par un dispositif déconcentré qui permettra aux ambassades d'agir au plus près des besoins grâce à une gestion directe des moyens. L'objectif est de rendre les modalités de la coopération bilatérale plus souples et plus flexibles, c'est-à-dire plus réactives. Ce faisant, je vous appelle néanmoins à garder le cap, c'est-à-dire à articuler toujours plus étroitement vos projets avec les programmes européens. Notre feuille de route est claire, il faut :
- élever le niveau d'adaptation des administrations de nos futurs partenaires,
- former de nouvelles générations de fonctionnaires destinés à rejoindre les institutions européennes,
- augmenter les capacités de gestion des collectivités locales de nos nouveaux partenaires qui devront absorber les fonds structurels qui leur sont consentis,
- favoriser la recherche et le développement technologique sans lesquels l'Europe ne pourrait prétendre à devenir, à terme, la première économie de la connaissance au plan mondial. Sans parler de satisfaire l'exigence de mobilité des chercheurs dont je fais, pour ma part, un impératif catégorique de notre action pour l'Europe.
Il nous faut maintenir un soutien élevé à nos amis roumains et bulgares et aux autres dont l'adhésion ne sera pas immédiate.
Le programme PHARE ne disparaît pas après 2004. Il reste au contraire doté de crédits considérables : 1,2 milliard d'euros pour la Bulgarie, 2,8 milliards d'euros pour la Roumanie et 1 milliard d'euros pour la Turquie, pour des jumelages à venir.
Compte tenu des liens qui unissent la France à la Bulgarie et à la Roumanie, nous avons dans cette perspective une carte maîtresse à jouer. Nous l'avons d'ores et déjà utilisé, par exemple en nommant un conseiller auprès du Premier ministre roumain lequel vient en outre de faire appel, comme "Conseiller justice", à Pierre Truche, ancien premier président de la Cour de cassation. Nous allons incessamment désigner un conseiller technique au cabinet du Premier ministre de Bulgarie. Ces conseillers assistent les gouvernements dans leurs négociations d'adhésion, ce qui est d'importance majeure pour nos liens futurs avec ces pays au sein de l'Union.
En Turquie nous envisageons également la réorientation de notre coopération, dans la ligne des travaux de la dernière commission mixte franco-turque.
Quant aux pays des Balkans, qualifiés de candidats potentiels, dont la Croatie qui, elle, s'est officiellement déclarée candidate, ils méritent toute notre attention. Le chemin sera long pour eux d'ici à leur adhésion, très long. Mais notre devoir est de veiller attentivement à la consolidation de leurs démocraties si fragiles.
Je n'oublie pas enfin, nos nouveaux voisins de l'Est et du Sud de l'Europe. L'adhésion n'est certes pas pour eux une perspective. Mais notre coopération avec ces Etats n'en doit pas moins s'inspirer de ce qui a si bien marché dans le processus d'élargissement. Ainsi, les jumelages entre administrations se développent avec la Russie et vont voir le jour avec les pays méditerranéens. Cela correspond à notre souhait.
Il est une troisième priorité à laquelle je souhaite vous sensibiliser tout particulièrement : la coopération décentralisée.
La décentralisation est le complément obligé de l'intégration européenne. Les sociétés civiles de nos pays ne peuvent comprendre l'Europe si celle-ci ne s'inscrit pas, en effet, sur le terrain. Or, l'Europe concrète passe par la coopération décentralisée. Je suis toujours impressionnée de constater, lors de mes déplacements au titre des "Rencontres pour l'Europe" dans les différentes régions de France, à quel point les collectivités locales sont des acteurs dynamiques de la coopération bilatérale. Oh, combien de jumelages entre villes et régions ont-ils été à la clé du rapprochement entre les peuples de l'Europe ! Combien d'échanges culturels, ou d'échanges de jeunes stagiaires ont pu tracer la voie de coopérations plus étroites encore au plan économique ou politique !
De plus, et c'est un atout, les collectivités locales ont souvent acquis un savoir-faire dans la gestion des fonds structurels, qui s'ajoute à leur compétence traditionnelle en matière de gestion des services publics. L'expertise des acteurs locaux peut être un modèle pour nos partenaires et nous aider, par ailleurs, à mieux faire comprendre le modèle social européen que la France entend défendre.
Notre action à cet égard n'est d'ailleurs pas sans succès : ainsi, le projet de Constitution européenne inclut une base juridique permettant à l'Europe d'assurer les principes fondamentaux de l'organisation des services publics.
J'ajoute que je me félicite de ce que le Premier ministre ait accepté de nommer un parlementaire en mission à mes côtés pour effectuer un bilan, mais surtout pour formuler des propositions pour renforcer la coopération décentralisée avec les pays de l'élargissement. Ce parlementaire, Michel Hunault, député de Loire-Atlantique, est bien entendu ouvert aux suggestions que vous lui ferez et qui enrichiront le travail d'enquête approfondi qu'il a entamé ces dernières semaines.
En guise de conclusion, je voudrais attirer votre attention sur les changements à l'uvre qui amènent à modifier notre façon d'agir et de nous situer en Europe. De même qu'il n'y a plus de grandes différences entre les politiques européennes et les politiques nationales internes qui forment souvent un tout, de même faut-il éloigner de nous l'idée d'une séparation tranchée entre le bilatéral et la coopération européenne. Doublement citoyens de votre pays et de l'Union européenne, vous êtes également des militants de l'influence française en Europe et de l'intégration de l'idée européenne en France.
Je vous en remercie car c'est ainsi que l'on donne sens à cette aventure inédite, largement initiée par la France, qu'est la construction européenne
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 juillet 2003)