Texte intégral
Je remercie, chacune et chacun d'entre vous, d'être venu à ce rendez-vous de la fraternité. C'est un merci sincère. Vous êtes tous impliqués dans des organisations qui vous prennent du temps et de l'engagement et donc, j'apprécie beaucoup que vous vous soyez ainsi rassemblés pour cette première journée de la fraternité. Vous le savez, chaque année, il revient au Premier ministre l'honneur de choisir le thème qui sera consacré Grande cause nationale sur un certain nombre de propositions faites par des associations. Nous avons choisi, pour l'année 2004, de lancer ce thème de la fraternité, non pas pour faire de l'année 2004 l'année de la fraternité, mais pour faire de l'année 2004 le début d'une grande mobilisation, durable, sur et pour la fraternité.
De nombreuses personnalités reconnues du monde associatif et de l'action publique se sont associées à cette détermination pour le thème de la fraternité qui exprime, pour nous tous, un engagement fort, une sorte de philosophie de l'engagement. La fraternité est en effet une acceptation philosophique, une acceptation religieuse. Elle est aussi - nous l'oublions trop souvent - le troisième pilier de notre devise républicaine. La liberté et l'égalité sont des valeurs que nous avons "jardinées" - comme dirait M. Serre - mais la fraternité, nous l'avons laissée porteuse d'un contenu d'extrême générosité, mais au fond, sur le terrain républicain, assez peu travaillée. Et je pense que c'est l'occasion, pour nous, de réfléchir et d'enrichir la fraternité qui n'est pas une simple déclinaison de la solidarité. L'absurdité serait d'opposer solidarité et fraternité. Il faut, évidemment, les rapprocher parce que la fraternité enrichit la solidarité ; elle est fondée sur la reconnaissance par tout un chacun de sa propre fragilité ; elle invite à s'ouvrir à l'autre dans la perspective d'une écoute réciproque.
La fraternité, c'est J.-L. Sanchez qui est porteur, en tant que président de l'association de la grande cause nationale de la fraternité qui le dit - c'est le passage de la solidarité par délégation à la solidarité par implication. C'est cette idée d'engagement qui est très forte et je voudrais dire combien ce choix de la responsabilité et de la sociabilité est très important aujourd'hui et sera de plus en plus important dans les années à venir. Ce qui me frappe, en tant que Premier ministre, quand je vois les agriculteurs, quand je vois les médecins et leurs malades, quand je vois les enseignants et leurs élèves, quand je vois les ingénieurs et leurs constructions, je vois beaucoup de science, beaucoup de connaissances, mais aussi, évidemment - et nous l'avons tous en mémoire - beaucoup de fragilité, beaucoup d'inquiétude, parce que les mouvements sont là ; la rapidité des mutations est extrême. On voit bien que la seule réponse à la mutation, c'est le lien social, c'est la main dans la main. Et c'est la seule façon de ne pas avoir peur de ce qui bouge. Or, le monde bouge ; il bouge très très vite : la Chine s'est éveillée, l'Inde bouleverse des idées que nous avions installées dans notre culture. On a Bombay et Bangalore qui existent à l'intérieur de l'Inde : on voit bien, dans toutes ces mutations, que le monde bouge à une grande vitesse. Notre société française bouge elle aussi, et elle bougera encore. C'est pour cela qu'elle a besoin de fraternité : parce qu'au fond, on ne peut bien bouger que si l'on bouge ensemble. Il y a cette exigence d'implication qui concerne l'ensemble de la société et l'ensemble des liens qui doivent être renforcés. Parce que, finalement, le lien religieux, le lien syndical, le lien de la société, quelquefois même le lien familial, toutes ces formes de solidarité, de voisinage, se sont, dans les temps, quelque peu érodés. Même si la dynamique associative est venue là combler des repères qui échappaient un peu à la vie quotidienne, on sent qu'on a besoin de renforcer ces liens et de faire de la fraternité une valeur non pas exceptionnelle, inaccessible, mais une valeur pratiquée, accessible. C'est, je crois, l'objectif qui est le nôtre dans ces initiatives, de ces petits geste de fraternité, non pas des grands traités - il en faut, des grands traités ; il faut des grandes convictions ; il le faut, tout cela - mais il faut cette pratique de la fraternité qui est, simplement, quelquefois, un geste, un regard, une volonté de tenir compte de l'autre, de prendre l'autre en soi et ainsi, répondre à tous ceux que la vie isole.
Et Dieu sait si on voit cet isolement se développer et si on voit cette exigence de solidarité et de fraternité, dans une société qui se croit une société de l'information et de la communication et qui, malgré les progrès de l'information et de la communication, développe la solitude et l'isolement. Je pense que notre pays doit regarder ces difficultés en face. Si on veut résoudre une difficulté, il faut d'abord la regarder en face. C'est pour cela que nous avons décidé, par exemple, sur des sujets aussi difficiles que l'antisémitisme ou le racisme, de ne pas les nier et de ne pas tourner le dos aux problèmes. Le problème est là et nous devons le traiter et le regarder en face, pour nous y attaquer. Je pense à cet isolement, ce renoncement, cette défaite de l'humanité qu'est le suicide d'une certaine manière. Quand on voit le suicide chez les jeunes aujourd'hui qui est la première cause de décès chez les jeunes Français âgés de 15 ans à 34 ans, on ne peut pas penser que notre société peut être fière de sa générosité et de son combat contre l'isolement, contre la solitude, contre la désespérance. Face à cette situation, qui touche aussi d'ailleurs les personnes âgées, puisque nous sommes à un niveau européen qui est quasiment un niveau record sur le suicide des personnes âgées, on voit bien que sur des critères de cette ampleur, notre regard sur la société doit être un regard approfondi, au scanner, pour qu'on mesure bien combien la société peut être brutale et combien la solitude est violente. C'est, je crois, un élément très important, de notre regard et de l'exigence de fraternité : parce que la solitude, ce n'est pas une distance, ce n'est pas un éloignement, ce n'est pas une seule indifférence, c'est une brutalité, c'est une agression, c'est une violence. C'est pour cela qu'elle appelle un engagement et qu'elle appelle l'attitude que nous devons développer en tant que principe d'action publique.
C'est pour cela que ce devoir de fraternité est un devoir qu'il nous faut assumer dans toutes les parties de l'action publique et privée, société civile et pouvoirs publics, et qu'il faut, pour nous, enrichir cette approche pour qu'elle ne soit pas seulement technique, redistributive, procédurale, quantitative, mais par une approche qui soit aussi, humaniste, responsable, et en un mot, fraternelle. C'est une ligne qui va nous obliger et qui doit nous rendre très attentifs à l'action et aux initiatives des associations. Je crois beaucoup à la valeur de la proximité et je pense que ce que vous faites pour la fraternité, avec des partenaires comme les conseils municipaux, comme les villes, comme bien évidemment les associations, comme ce que vous avez engagé avec Paris, Lyon, Marseille, Bordeaux, Toulouse, Lille, Saint-Denis, Valenciennes, Le Havre, Troyes, toutes ces chartes municipales de la fraternité, s'inscrivent dans le réel. La fraternité doit - et elle est, évidemment, dans le spirituel - être dans le réel. Notre action, ici, de responsable des pouvoirs publics, c'est d'inscrire la fraternité dans le réel et donc de pouvoir l'inscrire dans notre contrat social et notamment dans la capacité que nous aurons à renforcer toutes les formes de lien et à participer à un certain nombre d'initiatives qui décloisonnent la société et qui, notamment, renforcent le lien inter-générations, qui est un lien structurant de notre vie sociale et qui sera d'autant plus structurant que nous assistons, avec joie, à l'allongement de la vie. L'allongement de la vie nous pose un grand nombre de questions qu'il nous faut résoudre. Mais il ne faut pas considérer cela comme forcément comme un malheur, une difficulté, un problème. L'allongement de la vie, nous le voulons, nous l'avons voulu et la médecine, et l'hygiène et tout ce que nous faisons pour qu'une petite sur deux qui naît aujourd'hui vive jusqu'à cent ans, c'est une bonne nouvelle, à condition naturellement que nous adaptions la société à cette nouvelle donne, pour les retraites, pour la santé, pour la formation, pour tout ce qui est le lien social et notamment le fait que maintenant, les pouvoirs publics doivent traiter la place dans la société, simultanément, de quatre générations. Ce qui, naturellement, impose d'autres organisations que celles que nous avions l'habitude de vivre.
Je voudrais dire combien il nous faut aussi renforcer tout ce qui provoque, génère, développe et soutient l'engagement bénévole et le don qui caractérise cette démarche de fraternité. Je pense que c'est un point très important : la fraternité sans bénévolat, c'est quelque chose qui serait bancal ; Donc nous avons - je le mesure bien - la nécessité d'un travail sur ce sujet et je veux saluer ceux des douze millions de nos concitoyens qui sont engagés dans des démarches bénévoles au sein des 700 000 associations qui tissent notre lien social. C'est une puissance incroyable. Donc, la fraternité est là ; le bénévolat est là. Mais, à nous, naturellement, de nous adapter aussi aux mutations. Parce que le bénévolat est aussi soumis à des mutations rapides qui, naturellement, portent atteinte à sa pérennité si nous n'adaptons pas nos systèmes à ce que doit être le bénévolat dans les secteurs qui sont les secteurs importants de la fraternité. Quand je vois la répartition, je vois que les loisirs et l'animation ont une place importante dans le bénévolat mais que pour la Santé et l'Education, les services sociaux, là c'est un peu plus difficile. Il nous faut donc stimuler les initiatives aussi dans ces domaines, et développer le bénévolat - avec des initiatives comme celles par exemple qu'un certain nombre de pays ont pris je pense à l'idée italienne de banque du temps -, un certain nombre d'initiatives qui sont prises par nos partenaires européens pour développer le bénévolat en fonction des goûts des compétences et la disponibilité de chacun pour participer à cette dynamique. L'Etat dans ce domaine doit, en effet, s'engager et vous attendez de nous des initiatives concrètes, au-delà des discours, je le sais, vous le dites régulièrement. Donc je suis tout à fait conscient de ce que vous attendez de nous. La réponse, je pense, doit se trouver dans le soutien de l'Etat au volontariat. C'est, je pense, dans le soutien à la vie associative pour faire face à ce " baby boom " associatif qui est un phénomène positif de la société française. Mais il nous faut accompagner, renforcer, développer le volontariat qui est au cur des valeurs qui fondent notre société. Le volontariat renforce la cohésion sociale. Evidemment, il permet souvent d'être cette première ligne de front auprès des personnes les plus vulnérables. Dès mon arrivée en 2002, j'ai souhaité que soit enfin mis en uvre le service civil de cohésion sociale et de solidarité, qui avait été prévu par la loi réformant le service national. Puis mon Gouvernement a présenté un projet de loi relatif au volontariat international. Il offrirait un statut légal aux volontaires qui partent à l'étranger. C'est un sujet parmi d'autre, mais c'est un sujet important l'aide au développement faisant parti des valeurs universelles que la France défend. Il faut que nous adaptions aussi notre organisation sociale à cette mission de l'aide au développement, en favorisant le volontariat et en donnant un statut qui permette de libérer l'énergie associative.
Mais le volontariat ne doit pas se substituer à l'emploi rémunéré. En revanche, il doit devenir un facteur de développement qui permet de donner une impulsion au bénévolat. Donc, c'est un sujet qui est très difficile parce que si on remplace le bénévolat par un statut proche du salarié, à ce moment on rentre dans des difficultés de compréhension. Je ne remets pas en cause le statut de salarié au sein des associations, puisque les associations emploient aujourd'hui beaucoup de personnes, et c'est une bonne chose. Mais une chose est d'avoir une association organisée, surtout avec une bonne gouvernance et une bonne gestion et tout cela ne se fait pas dans l'amateurisme et dans l'improvisation, mais naturellement cela nécessite d'avoir cette articulation entre le salarié et le bénévole. Je souhaite que nous puissions donc faciliter cet engagement aujourd'hui des volontaires qui veulent consacrer toute leur énergie à la vie associative et qu'on puisse les aider sous différentes formes. Je pense qu'un des sujets sur lesquels nous pouvons avancer très rapidement c'est la validation des acquis d'expérience. La VAE, c'est un élément très important pour donner à des personnes qui ont une activité bénévole, qui ont une expérience qualifiée, pour que cette expérience puisse leur servir dans leur parcours professionnel, dans leur parcours personnel. C'est un élément important et je crois qu'il convient de promouvoir l'image des volontaires dans notre société. C'est un des éléments importants en valorisant la qualification personnelle qui est obtenue par le volontariat.
Je souhaite que la création de ce statut de volontaire nous offre aussi l'opportunité d'engager de véritables programmes de volontariat autour de certains objectifs prioritaires. Je pense que nous ne pouvons pas tout faire. Nous n'avons pas les moyens financiers pour être présents partout de manière très significative et si nous voulons être significatifs, il faut que nous puissions hiérarchiser nos objectifs. C'est pour cela que je crois que la lutte contre l'exclusion et un certain nombre de priorités comme celle de la lutte contre le handicap, contre la précarité matérielle, contre le vieillissement et un certain nombre de sujet qui doivent être prioritaires, je crois que nous devons, au cours cette année, identifier les sujets, puis organiser une mobilisation autour de grands programmes de volontariat sur des objectifs identifiés comme la lutte contre l'exclusion. Je pense qu'ainsi on s'inscrira d'ailleurs dans le programme des Nations Unies qui, depuis 1985, a décrété cette Journée internationale des volontaires, qui a lieu le 5 décembre, et qui nous permet ainsi d'avoir une sorte d'approche internationale, et une validation internationale et une validation notamment au nom des Nations Unies qui, vous le savez, pour nous, sont la source du droit international et doivent l'être toujours davantage. Donc, d'inscrire nos programmes de volontariat dans cette perspective, cela leur donne de la force, notamment quand il s'agit d'actions à l'étranger. Cela donne cette labellisation internationale dont nous avons besoin.
C'est pour cela que ce statut, et c'est J.-F. Lamour qui anime les travaux sur cette question au titre de ministre, certes, de la Jeunesse et des Sports, mais de la Vie associative aussi, avec N. Olin qui travaille au sein du ministère de la Cohésion sociale pour ces questions liées à l'intégration et à tout ce qui lutte contre l'exclusion. Nous voulons bâtir ces programmes thématiques de volontariat, mettre des moyens sur ces programmes, et organiser, avec les associations qui participent aux programmes, la logique de mobilisation financière et matérielle.
Au fond, de ce point de vue-là, nous pourrons procéder comme on procède souvent au niveau européen, par une sorte d'appels d'offres à projets. On a un grand projet de volontariat, les associations mobilisées sur ce projet y participent, et on peut mettre un dispositif de gestion de ce projet et d'évaluation de ce projet. Il faut qu'il soit pluriannuel, parce que les questions d'annuités budgétaires font souffrir les associations. Nous le savons, elles font souffrir tous les services de l'Etat. Il ne vous a pas échappé que les discussions budgétaires étaient quelquefois sportives. Elles le sont, parce que naturellement nous sommes dans un système d'annuités budgétaires qui font que nous avons évidemment des difficultés pour construire des programmes pluriannuels. Or, de toute façon, ce type d'actions ne peut être que pluriannuel pour intégrer le temps dans l'action qui est engagée.
Voilà comment nous pourrions répondre à cette mobilisation : à la fois avec le concours des collectivités territoriales, mais aussi à la fois avec le concours des grands ministères qui sont mobilisés, je pense notamment au ministère de l'Education nationale, qui doit être un partenaire décisif de cette action. Voilà comment nous pourrions, pendant cette année 2004, mettre les bases d'une action publique en faveur d'une fraternité concrète, partagée, dans la vie réelle, ce qui est notre objectif. Je crois que c'est, au fond, le bonheur de l'action publique ; c'est assez peu courant, finalement, de trouver une cohérence entre une pensée et une action. C'est, je pense, ce qui anime beaucoup d'entre vous. Mais je crois que là est la vraie vérité de l'action publique - qu'elle soit publique, menée par des associations, ou qu'elle soit publique, menée par des services publics, parce que l'intérêt général, l'Etat n'en a pas le monopole. L'intérêt général, il est porté par de nombreux acteurs. Et, finalement, l'intérêt général s'exprime avec force, et avec quelquefois bonheur. Il n'est pas interdit d'avoir du bonheur dans l'action - je vois sur vos visages que vous en avez beaucoup, à l'image de Soeur Emmanuelle - ce bonheur qu'on retrouve dans l'action, mais qu'on ne retrouve que si on sent une cohérence entre une idée et une action. Et c'est cela, je crois, qui peut être fort dans l'année de la fraternité : c'est que l'action, souvent, est plus petite que nous, mais l'idée, elle, est plus grande que nous. Et, finalement, nous trouvons notre place entre l'idée et l'action, et c'est ce sur quoi il peut y avoir peut-être pour nous tous un peu de bonheur à trouver. Je vous remercie.
(source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 27 mai 2004)
De nombreuses personnalités reconnues du monde associatif et de l'action publique se sont associées à cette détermination pour le thème de la fraternité qui exprime, pour nous tous, un engagement fort, une sorte de philosophie de l'engagement. La fraternité est en effet une acceptation philosophique, une acceptation religieuse. Elle est aussi - nous l'oublions trop souvent - le troisième pilier de notre devise républicaine. La liberté et l'égalité sont des valeurs que nous avons "jardinées" - comme dirait M. Serre - mais la fraternité, nous l'avons laissée porteuse d'un contenu d'extrême générosité, mais au fond, sur le terrain républicain, assez peu travaillée. Et je pense que c'est l'occasion, pour nous, de réfléchir et d'enrichir la fraternité qui n'est pas une simple déclinaison de la solidarité. L'absurdité serait d'opposer solidarité et fraternité. Il faut, évidemment, les rapprocher parce que la fraternité enrichit la solidarité ; elle est fondée sur la reconnaissance par tout un chacun de sa propre fragilité ; elle invite à s'ouvrir à l'autre dans la perspective d'une écoute réciproque.
La fraternité, c'est J.-L. Sanchez qui est porteur, en tant que président de l'association de la grande cause nationale de la fraternité qui le dit - c'est le passage de la solidarité par délégation à la solidarité par implication. C'est cette idée d'engagement qui est très forte et je voudrais dire combien ce choix de la responsabilité et de la sociabilité est très important aujourd'hui et sera de plus en plus important dans les années à venir. Ce qui me frappe, en tant que Premier ministre, quand je vois les agriculteurs, quand je vois les médecins et leurs malades, quand je vois les enseignants et leurs élèves, quand je vois les ingénieurs et leurs constructions, je vois beaucoup de science, beaucoup de connaissances, mais aussi, évidemment - et nous l'avons tous en mémoire - beaucoup de fragilité, beaucoup d'inquiétude, parce que les mouvements sont là ; la rapidité des mutations est extrême. On voit bien que la seule réponse à la mutation, c'est le lien social, c'est la main dans la main. Et c'est la seule façon de ne pas avoir peur de ce qui bouge. Or, le monde bouge ; il bouge très très vite : la Chine s'est éveillée, l'Inde bouleverse des idées que nous avions installées dans notre culture. On a Bombay et Bangalore qui existent à l'intérieur de l'Inde : on voit bien, dans toutes ces mutations, que le monde bouge à une grande vitesse. Notre société française bouge elle aussi, et elle bougera encore. C'est pour cela qu'elle a besoin de fraternité : parce qu'au fond, on ne peut bien bouger que si l'on bouge ensemble. Il y a cette exigence d'implication qui concerne l'ensemble de la société et l'ensemble des liens qui doivent être renforcés. Parce que, finalement, le lien religieux, le lien syndical, le lien de la société, quelquefois même le lien familial, toutes ces formes de solidarité, de voisinage, se sont, dans les temps, quelque peu érodés. Même si la dynamique associative est venue là combler des repères qui échappaient un peu à la vie quotidienne, on sent qu'on a besoin de renforcer ces liens et de faire de la fraternité une valeur non pas exceptionnelle, inaccessible, mais une valeur pratiquée, accessible. C'est, je crois, l'objectif qui est le nôtre dans ces initiatives, de ces petits geste de fraternité, non pas des grands traités - il en faut, des grands traités ; il faut des grandes convictions ; il le faut, tout cela - mais il faut cette pratique de la fraternité qui est, simplement, quelquefois, un geste, un regard, une volonté de tenir compte de l'autre, de prendre l'autre en soi et ainsi, répondre à tous ceux que la vie isole.
Et Dieu sait si on voit cet isolement se développer et si on voit cette exigence de solidarité et de fraternité, dans une société qui se croit une société de l'information et de la communication et qui, malgré les progrès de l'information et de la communication, développe la solitude et l'isolement. Je pense que notre pays doit regarder ces difficultés en face. Si on veut résoudre une difficulté, il faut d'abord la regarder en face. C'est pour cela que nous avons décidé, par exemple, sur des sujets aussi difficiles que l'antisémitisme ou le racisme, de ne pas les nier et de ne pas tourner le dos aux problèmes. Le problème est là et nous devons le traiter et le regarder en face, pour nous y attaquer. Je pense à cet isolement, ce renoncement, cette défaite de l'humanité qu'est le suicide d'une certaine manière. Quand on voit le suicide chez les jeunes aujourd'hui qui est la première cause de décès chez les jeunes Français âgés de 15 ans à 34 ans, on ne peut pas penser que notre société peut être fière de sa générosité et de son combat contre l'isolement, contre la solitude, contre la désespérance. Face à cette situation, qui touche aussi d'ailleurs les personnes âgées, puisque nous sommes à un niveau européen qui est quasiment un niveau record sur le suicide des personnes âgées, on voit bien que sur des critères de cette ampleur, notre regard sur la société doit être un regard approfondi, au scanner, pour qu'on mesure bien combien la société peut être brutale et combien la solitude est violente. C'est, je crois, un élément très important, de notre regard et de l'exigence de fraternité : parce que la solitude, ce n'est pas une distance, ce n'est pas un éloignement, ce n'est pas une seule indifférence, c'est une brutalité, c'est une agression, c'est une violence. C'est pour cela qu'elle appelle un engagement et qu'elle appelle l'attitude que nous devons développer en tant que principe d'action publique.
C'est pour cela que ce devoir de fraternité est un devoir qu'il nous faut assumer dans toutes les parties de l'action publique et privée, société civile et pouvoirs publics, et qu'il faut, pour nous, enrichir cette approche pour qu'elle ne soit pas seulement technique, redistributive, procédurale, quantitative, mais par une approche qui soit aussi, humaniste, responsable, et en un mot, fraternelle. C'est une ligne qui va nous obliger et qui doit nous rendre très attentifs à l'action et aux initiatives des associations. Je crois beaucoup à la valeur de la proximité et je pense que ce que vous faites pour la fraternité, avec des partenaires comme les conseils municipaux, comme les villes, comme bien évidemment les associations, comme ce que vous avez engagé avec Paris, Lyon, Marseille, Bordeaux, Toulouse, Lille, Saint-Denis, Valenciennes, Le Havre, Troyes, toutes ces chartes municipales de la fraternité, s'inscrivent dans le réel. La fraternité doit - et elle est, évidemment, dans le spirituel - être dans le réel. Notre action, ici, de responsable des pouvoirs publics, c'est d'inscrire la fraternité dans le réel et donc de pouvoir l'inscrire dans notre contrat social et notamment dans la capacité que nous aurons à renforcer toutes les formes de lien et à participer à un certain nombre d'initiatives qui décloisonnent la société et qui, notamment, renforcent le lien inter-générations, qui est un lien structurant de notre vie sociale et qui sera d'autant plus structurant que nous assistons, avec joie, à l'allongement de la vie. L'allongement de la vie nous pose un grand nombre de questions qu'il nous faut résoudre. Mais il ne faut pas considérer cela comme forcément comme un malheur, une difficulté, un problème. L'allongement de la vie, nous le voulons, nous l'avons voulu et la médecine, et l'hygiène et tout ce que nous faisons pour qu'une petite sur deux qui naît aujourd'hui vive jusqu'à cent ans, c'est une bonne nouvelle, à condition naturellement que nous adaptions la société à cette nouvelle donne, pour les retraites, pour la santé, pour la formation, pour tout ce qui est le lien social et notamment le fait que maintenant, les pouvoirs publics doivent traiter la place dans la société, simultanément, de quatre générations. Ce qui, naturellement, impose d'autres organisations que celles que nous avions l'habitude de vivre.
Je voudrais dire combien il nous faut aussi renforcer tout ce qui provoque, génère, développe et soutient l'engagement bénévole et le don qui caractérise cette démarche de fraternité. Je pense que c'est un point très important : la fraternité sans bénévolat, c'est quelque chose qui serait bancal ; Donc nous avons - je le mesure bien - la nécessité d'un travail sur ce sujet et je veux saluer ceux des douze millions de nos concitoyens qui sont engagés dans des démarches bénévoles au sein des 700 000 associations qui tissent notre lien social. C'est une puissance incroyable. Donc, la fraternité est là ; le bénévolat est là. Mais, à nous, naturellement, de nous adapter aussi aux mutations. Parce que le bénévolat est aussi soumis à des mutations rapides qui, naturellement, portent atteinte à sa pérennité si nous n'adaptons pas nos systèmes à ce que doit être le bénévolat dans les secteurs qui sont les secteurs importants de la fraternité. Quand je vois la répartition, je vois que les loisirs et l'animation ont une place importante dans le bénévolat mais que pour la Santé et l'Education, les services sociaux, là c'est un peu plus difficile. Il nous faut donc stimuler les initiatives aussi dans ces domaines, et développer le bénévolat - avec des initiatives comme celles par exemple qu'un certain nombre de pays ont pris je pense à l'idée italienne de banque du temps -, un certain nombre d'initiatives qui sont prises par nos partenaires européens pour développer le bénévolat en fonction des goûts des compétences et la disponibilité de chacun pour participer à cette dynamique. L'Etat dans ce domaine doit, en effet, s'engager et vous attendez de nous des initiatives concrètes, au-delà des discours, je le sais, vous le dites régulièrement. Donc je suis tout à fait conscient de ce que vous attendez de nous. La réponse, je pense, doit se trouver dans le soutien de l'Etat au volontariat. C'est, je pense, dans le soutien à la vie associative pour faire face à ce " baby boom " associatif qui est un phénomène positif de la société française. Mais il nous faut accompagner, renforcer, développer le volontariat qui est au cur des valeurs qui fondent notre société. Le volontariat renforce la cohésion sociale. Evidemment, il permet souvent d'être cette première ligne de front auprès des personnes les plus vulnérables. Dès mon arrivée en 2002, j'ai souhaité que soit enfin mis en uvre le service civil de cohésion sociale et de solidarité, qui avait été prévu par la loi réformant le service national. Puis mon Gouvernement a présenté un projet de loi relatif au volontariat international. Il offrirait un statut légal aux volontaires qui partent à l'étranger. C'est un sujet parmi d'autre, mais c'est un sujet important l'aide au développement faisant parti des valeurs universelles que la France défend. Il faut que nous adaptions aussi notre organisation sociale à cette mission de l'aide au développement, en favorisant le volontariat et en donnant un statut qui permette de libérer l'énergie associative.
Mais le volontariat ne doit pas se substituer à l'emploi rémunéré. En revanche, il doit devenir un facteur de développement qui permet de donner une impulsion au bénévolat. Donc, c'est un sujet qui est très difficile parce que si on remplace le bénévolat par un statut proche du salarié, à ce moment on rentre dans des difficultés de compréhension. Je ne remets pas en cause le statut de salarié au sein des associations, puisque les associations emploient aujourd'hui beaucoup de personnes, et c'est une bonne chose. Mais une chose est d'avoir une association organisée, surtout avec une bonne gouvernance et une bonne gestion et tout cela ne se fait pas dans l'amateurisme et dans l'improvisation, mais naturellement cela nécessite d'avoir cette articulation entre le salarié et le bénévole. Je souhaite que nous puissions donc faciliter cet engagement aujourd'hui des volontaires qui veulent consacrer toute leur énergie à la vie associative et qu'on puisse les aider sous différentes formes. Je pense qu'un des sujets sur lesquels nous pouvons avancer très rapidement c'est la validation des acquis d'expérience. La VAE, c'est un élément très important pour donner à des personnes qui ont une activité bénévole, qui ont une expérience qualifiée, pour que cette expérience puisse leur servir dans leur parcours professionnel, dans leur parcours personnel. C'est un élément important et je crois qu'il convient de promouvoir l'image des volontaires dans notre société. C'est un des éléments importants en valorisant la qualification personnelle qui est obtenue par le volontariat.
Je souhaite que la création de ce statut de volontaire nous offre aussi l'opportunité d'engager de véritables programmes de volontariat autour de certains objectifs prioritaires. Je pense que nous ne pouvons pas tout faire. Nous n'avons pas les moyens financiers pour être présents partout de manière très significative et si nous voulons être significatifs, il faut que nous puissions hiérarchiser nos objectifs. C'est pour cela que je crois que la lutte contre l'exclusion et un certain nombre de priorités comme celle de la lutte contre le handicap, contre la précarité matérielle, contre le vieillissement et un certain nombre de sujet qui doivent être prioritaires, je crois que nous devons, au cours cette année, identifier les sujets, puis organiser une mobilisation autour de grands programmes de volontariat sur des objectifs identifiés comme la lutte contre l'exclusion. Je pense qu'ainsi on s'inscrira d'ailleurs dans le programme des Nations Unies qui, depuis 1985, a décrété cette Journée internationale des volontaires, qui a lieu le 5 décembre, et qui nous permet ainsi d'avoir une sorte d'approche internationale, et une validation internationale et une validation notamment au nom des Nations Unies qui, vous le savez, pour nous, sont la source du droit international et doivent l'être toujours davantage. Donc, d'inscrire nos programmes de volontariat dans cette perspective, cela leur donne de la force, notamment quand il s'agit d'actions à l'étranger. Cela donne cette labellisation internationale dont nous avons besoin.
C'est pour cela que ce statut, et c'est J.-F. Lamour qui anime les travaux sur cette question au titre de ministre, certes, de la Jeunesse et des Sports, mais de la Vie associative aussi, avec N. Olin qui travaille au sein du ministère de la Cohésion sociale pour ces questions liées à l'intégration et à tout ce qui lutte contre l'exclusion. Nous voulons bâtir ces programmes thématiques de volontariat, mettre des moyens sur ces programmes, et organiser, avec les associations qui participent aux programmes, la logique de mobilisation financière et matérielle.
Au fond, de ce point de vue-là, nous pourrons procéder comme on procède souvent au niveau européen, par une sorte d'appels d'offres à projets. On a un grand projet de volontariat, les associations mobilisées sur ce projet y participent, et on peut mettre un dispositif de gestion de ce projet et d'évaluation de ce projet. Il faut qu'il soit pluriannuel, parce que les questions d'annuités budgétaires font souffrir les associations. Nous le savons, elles font souffrir tous les services de l'Etat. Il ne vous a pas échappé que les discussions budgétaires étaient quelquefois sportives. Elles le sont, parce que naturellement nous sommes dans un système d'annuités budgétaires qui font que nous avons évidemment des difficultés pour construire des programmes pluriannuels. Or, de toute façon, ce type d'actions ne peut être que pluriannuel pour intégrer le temps dans l'action qui est engagée.
Voilà comment nous pourrions répondre à cette mobilisation : à la fois avec le concours des collectivités territoriales, mais aussi à la fois avec le concours des grands ministères qui sont mobilisés, je pense notamment au ministère de l'Education nationale, qui doit être un partenaire décisif de cette action. Voilà comment nous pourrions, pendant cette année 2004, mettre les bases d'une action publique en faveur d'une fraternité concrète, partagée, dans la vie réelle, ce qui est notre objectif. Je crois que c'est, au fond, le bonheur de l'action publique ; c'est assez peu courant, finalement, de trouver une cohérence entre une pensée et une action. C'est, je pense, ce qui anime beaucoup d'entre vous. Mais je crois que là est la vraie vérité de l'action publique - qu'elle soit publique, menée par des associations, ou qu'elle soit publique, menée par des services publics, parce que l'intérêt général, l'Etat n'en a pas le monopole. L'intérêt général, il est porté par de nombreux acteurs. Et, finalement, l'intérêt général s'exprime avec force, et avec quelquefois bonheur. Il n'est pas interdit d'avoir du bonheur dans l'action - je vois sur vos visages que vous en avez beaucoup, à l'image de Soeur Emmanuelle - ce bonheur qu'on retrouve dans l'action, mais qu'on ne retrouve que si on sent une cohérence entre une idée et une action. Et c'est cela, je crois, qui peut être fort dans l'année de la fraternité : c'est que l'action, souvent, est plus petite que nous, mais l'idée, elle, est plus grande que nous. Et, finalement, nous trouvons notre place entre l'idée et l'action, et c'est ce sur quoi il peut y avoir peut-être pour nous tous un peu de bonheur à trouver. Je vous remercie.
(source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 27 mai 2004)