Texte intégral
Messieurs les Ministres,
Messieurs les Gouverneurs,
Mesdames, Messieurs,
C'est avec beaucoup de plaisir que je vous rencontre à nouveau au côté de Dominique Strauss-Kahn dans ce cadre des réunions biannuelles de la zone franc. Cette rencontre est toujours, pour la France et ses partenaires africains, l'occasion d'échanger ouvertement nos analyses et nos points de vue.
Le paysage politique et économique ne cesse de se modifier. Les développements récents méritent une concertation approfondie entre nous et illustrent bien l'utilité et l'importance de nos échanges.
Permettez-moi d'ores et déjà, à la suite de Dominique Strauss-Kahn, de me féliciter de l'engagement pris au mois de juillet dernier par l'Union européenne de soutenir les mécanismes de la zone franc au sein de la zone euro et, à travers cela, de promouvoir la stabilité de vos économies.
Pour la France, qui a fait le choix de l'Europe il y a presque quarante ans et celui d'une monnaie unique au cours de cette décennie, cet arrimage européen des pays africains de la zone franc décidé par les Quinze est un acte symbolique et politique fort. Il permet de relier une double constante de l'action de la France : assurer notre sécurité et notre prospérité économique en construisant en commun notre avenir économique avec l'Europe tout en restant solidaire des efforts engagés par les pays de la zone franc pour leur propre développement économique. Nous sommes heureux que nos partenaires européens s'engagent à nos côtés afin de garantir une solidarité monétaire. Parce que cette solidarité constitue bien l'un des fondements de votre développement économique.
J'ai évoqué les évolutions récentes. Je souhaiterais retenir deux faits significatifs, qu'il nous faut resituer dans le contexte de notre coopération.
1) Tout d'abord l'interdépendance au niveau mondial. L'approfondissement de la crise asiatique, le déclenchement d'une crise financière en Russie et le risque de contagion au niveau mondial suscitent des interrogations sur les perspectives à court terme de vos économies, auxquelles nous devons répondre ensemble.
2) Le second changement concerne vos échanges avec l'Europe, c'est-à-dire les négociations pour le renouvellement de la Convention de Lomé qui sont maintenant ouvertes. Elles constituent un moment privilégié pour concevoir vos politiques de développement au sein du groupe ACP et pour élaborer l'avenir de vos relations économiques et commerciales avec l'Union européenne.
1 - Lors de notre précédente réunion, nous avions commencé à évoquer la crise macro-économique et financière qui frappait plusieurs pays du sud-est asiatique et ses effets sur la zone franc. Nous avions pu ainsi constaté que, depuis le réaménageant monétaire de janvier 1994, les pays de la zone franc avaient évolué dans un environnement globalement favorable grâce à une demande mondiale soutenue, une bonne tenue des cours des principales matières premières et l'absence de grande tourmente sur les marchés des changes, en particulier le rapport entre franc français et dollar américain. Cette conjoncture favorable avait accompagné le retour à la croissance, qui fut significative et selon les sous-régions, au-dessus, voire largement supérieure, à l'accroissement démographique.
Force est de constater que l'environnement international favorable s'est dégradé au cours de l'année 1998 avec pour prémisse la chute des cours du pétrole fin 1997, puis la crise asiatique et ses développements successifs.
Cette détérioration de la conjoncture internationale peut jouer de trois façons un effet négatif sur vos économies.
- D'une part, la baisse des cours des matières premières reflète les conditions de l'approvisionnement du marché et les déséquilibres entre offre et demande ;
- d'autre part, la baisse du dollar par rapport à l'euro affecte vos recettes d'exportation des matières premières ainsi que votre compétitivité par rapport à vos voisins plus liés au dollar.
- Enfin, le tassement de la croissance mondiale touche toutes les zones et ne peut que réduire le volume de la demande internationale s'adressant aux pays de la zone franc.
A ce ralentissement conjoncturel viennent s'ajouter des conditions climatiques difficiles depuis un an. Celles-ci ont eu un impact direct sur les campagnes agricoles mais aussi sur l'activité industrielle pour ceux d'entre vous qui dépendent d'installations hydroélectriques pour leur approvisionnement énergétique.
J'observe enfin, que les secousses politiques que peut subir malheureusement votre zone influencent l'activité économique. Souhaitons à cet égard que le dialogue entre les parties en conflit puisse permettre un prompt rétablissement de la stabilité politique en Guinée-Bissao et le retour au fonctionnement normal de l'administration.
Il nous faudra continuer à quantifier les effets de cet environnement externe et, parfois intérieur défavorable sur la croissance.
Mais, il ne faut surtout pas céder au découragement. Bien au contraire, il nous appartient de définir ensemble les moyens de limiter l'effet de contagion aux économies de la zone franc, de lutter contre des anticipations excessives - en particulier contre les économies en développement - mais aussi injustifiées et de rappeler les efforts entrepris pour redresser vos économies depuis plusieurs années.
Les pays de la zone franc ont été jusqu'à maintenant à l'abri des grands mouvements spéculatifs internationaux et il n'y a pas de danger direct de véritable crise financière. Notre rôle est maintenant je crois, de convaincre les opérateurs privés, à l'intérieur et à l'extérieur de la zone, les médias et tous ceux qui sont susceptibles d'influer sur les anticipations qu'une conjoncture extérieure défavorable ne sauraient les dissuader de percevoir favorablement l'avenir de vos économies.
Il nous faut en particulier insister sur de nombreux facteurs positifs, qui doivent permettre à vos économies de maintenir une croissance élevée. Je citerai en particulier :
- la poursuite des réformes que vous avez initiées, visant notamment à stimuler le secteur privé mais aussi à accroître l'épargne et l'investissement publics ; j'ajouterai que la consolidation des réformes engagées en matière de gestion économique et de sécurité judiciaire doit renforcer la confiance des opérations privées ;
- l'approfondissement de l'intégration régionale, avec la mise en place progressive de marchés communs autorisant une libre circulation des hommes, des capitaux, des produits et des services. Comment ne pas se réjouir à ce titre de l'ouverture il y a quelques jours seulement à Abidjan de la Bourse régionale des valeurs mobilières de l'UEMOA, premier exemple de bourse transnationale dans le monde ? Souhaitons que son développement puisse servir de modèle non seulement auprès des pays partenaires en Afrique centrale mais aussi dans d'autres régions du continent ;
- les efforts actuellement entrepris pour stimuler l'investissement, lequel, à côté de la consommation intérieure et des exportations, doit devenir un moteur de la croissance. A cet égard, l'ouverture prochaine du site Internet "Investir en zone franc" sera une étape importante, un instrument moderne permettant désormais de faire connaître, notamment auprès des investisseurs, les atouts de la zone franc ; je reviendrai sur ce projet au cours de cette journée ;
- l'existence surtout d'une monnaie commune et stable, jouissant d'un taux de change fixe, aujourd'hui avec la monnaie française et, dans quelques mois, avec la monnaie unique européenne. A cet sujet, comment ne pas observer que les pays membres de l'Union européenne ont été relativement épargnés par les récents troubles financiers, ce qui s'explique notamment par les choix monétaires qu'ils viennent d'effectuer ? Comme le soulignait Dominique Strauss-Kahn, l'euro apparaît progressivement comme une monnaie de référence et constitue un facteur de stabilité au sein de marchés de capitaux volatiles. Cette stabilité devrait rassurer, je l'espère, nombre de vos opérateurs qui doutaient - à tort - de l'avenir de la zone franc au sein d'un espace élargi à l'euro.
Au-delà de ce lien à travers nos accords monétaires et de son appui à la poursuite des réformes, la France, à travers notamment sa politique de coopération, continuera à vous soutenir, en particulier si la conjoncture s'avère défavorable. Au cours des derniers mois, nous sommes venus en aide aux pays victimes d'inondations ou d'une sécheresse excessive. Je pense par exemple au financement de projets permettant de mieux assurer les besoins en électricité au Bénin et au Togo. C'est ainsi que dans quelques jours, nous réunirons ensemble plus de 300 investisseurs en vue de promouvoir les atouts de votre zone. Or cette journée constituera en fait le coup d'envoi à de nombreuses autres initiatives.
Nous souhaitons aussi mieux nous adapter à l'avenir à vos besoins en expertise économique et financière. Je vous ai déjà entretenu des grandes lignes de la réforme de la politique de coopération que nous avons engagée depuis le début de l'année. Elle doit également permettre l'évolution du contenu et des modalités d'intervention de l'aide française. Pour ce qui vous concerne plus directement, elle doit se traduire notamment dans les appuis qui sont apportés aux administrations économiques et financières de vos pays par le ministère des Affaires étrangères, chargé maintenant de la Coopération en liaison avec le ministère des Finances.
Si vos performances économiques peuvent être fragilisées par les mouvements de la conjoncture internationale, elles continuent ici et là à être soumises à des facteurs plus structurels comme le poids de la dette et la difficulté persistante à encadrer les dépenses publiques. Par ailleurs, les évolutions institutionnelles en cours en Afrique sub-saharienne, liées à la priorité accordée à la sécurité juridique et judiciaire, à l'intégration régionale, ou à la décentralisation dessinent de nouveaux enjeux. Les administrations économiques et financières se situent naturellement au confluent de ces transformations et doivent être directement impliquées dans l'accompagnement de ces évolutions qui modifient considérablement les relations entre les administrations, les sociétés et les Etats. Nous souhaitons à l'avenir mettre en oeuvre avec vous des programmes qui s'intègrent mieux à ce cadre de référence.
Que signifie tout cela ?
- Il faut d'abord accompagner le renforcement de la cohésion de l'Etat et de ses administrations, car cet Etat reste l'acteur "pivot" qui facilite et organise les nouveaux modes de gestion,
- il faut aussi développer une capacité de gestion à moyen terme des économies ;
- mais aussi renforcer la confiance des entrepreneurs en donnant plus de clarté, plus de stabilité aux politiques suivies grâce à une amélioration constante de l'environnement juridique, judiciaire, fiscal et réglementaire des entreprises. Le soutien français aux programmes de restructuration bancaire, à la mise en place de l'OHADA, de la CIMA, de la CIPRES, d'AFRISTAT marque la nécessaire prise en compte de cette priorité au sein de la zone franc. L'indispensable soutien financier de ces institutions par les Etats ne doit pas faire défaut ; les engagements financiers doivent être tenus.
Il faut inscrire enfin la formation des hommes dans ce processus de changement et de modernisation des services.
Le soutien que nous exprimons à travers la coopération bilatérale se traduit aussi dans notre action multilatérale. La coopération française reste évidemment disposée à contribuer au succès de vos discussions avec les institutions de Bretton Woods, qu'il s'agisse d'accéder aux facilités d'ajustement structurel ou aux facilités compensatoires. Cela signifie un effort de cohérence encore accru entre nos appuis économiques et financiers et le contenu même de ces programmes. Plus généralement, il est important de veiller en cette période d'instabilité économique et financière à ce que tous les pays sur tous les continents soient traités sur un pied d'égalité. Enfin, c'est animé du même esprit que nous agirons à Bruxelles auprès de la Commission européenne.
2 - Je voudrais aborder brièvement à ce stade le renouvellement de la Convention de Lomé. Il peut et doit jouer un rôle que j'espère décisif dans la meilleure insertion de vos économies à l'économie mondiale.
Ceux d'entre vous qui étaient présents, hier à Bruxelles, pour l'ouverture des négociations entre l'Union européenne et les pays ACP sur le futur de la Convention de Lomé ont pu entendre que le contenu du nouveau partenariat proposé par l'Union européenne privilégie le renforcement du dialogue politique, la lutte contre la pauvreté, l'intégration régionale, l'ouverture à la société civile et la différenciation de l'aide selon les besoins et le niveau de développement. Sur le plan commercial, il prévoit à terme et grâce à des mesures d'accompagnement adaptées, une libéralisation des échanges entre l'Union européenne et les pays ACP.
J'aurai l'occasion de revenir cet après-midi sur ce sujet auquel j'attache la plus grande importance, d'autant plus que le contenu du mandat qui vous est proposé doit beaucoup aux efforts de la France.
Mais je soulignerai d'ores et déjà que, profondément renouvelée, cette proposition pour un nouveau partenariat contient, je crois, en puissance les germes d'une réponse au défi de votre intégration à l'économie mondiale. La France, en tant que premier contributeur de l'aide aux pays ACP, voudrait être à votre écoute pour répondre à vos interrogations et, comme nous nous y sommes efforcés lors des discussions sur le mandat européen, elle peut au cours de la négociation se faire l'écho de vos propres objectifs. Mais je souhaite également que nous puissions mener un exercice réciproque, pour que, chacun de son côté, la France au sein de l'Europe, les pays africains de la zone franc au sein du groupe ACP, nous puissions convaincre qu'une convention renouvelée et ambitieuse, gardant ce que j'appellerai l'"esprit de Lomé" est possible et souhaitable.
Les 12 et 13 octobre prochains, nous nous retrouverons pour les rencontres "Investir en zone franc" ici au Centre de conférences Pierre Mendès France. "Gouverner, c'est choisir" avait dit cette grande figure politique en opposition aux atermoiements de la IVème République. Le désordre économique et financier qui n'est pas loin aujourd'hui de se profiler au sein de l'économie mondiale me ferait plutôt dire dans ce contexte que "gouverner, c'est convaincre". Convaincre les opérateurs extérieurs, en particulier français et européens, que les turbulences financières actuelles ne sauraient remettre fondamentalement en cause les fondements de la croissance soutenue de vos économies. Convaincre que les grands équilibres se restaurent progressivement, que la démocratie et l'Etat de droit, la transparence économique et financière, progressent dans vos pays. Convaincre enfin que vous avez la volonté politique de vous engager sans faille dans une action durable pour le développement économique et le mieux être des peuples qu'il nous revient de gouverner.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 3 octobre 2001)