Tribune de M. Alain Madelin, président de Démocratie libérale, dans "Le Figaro" du 25 février 2000, sur l'émergence des idées libérales à l'époque de la mondialisation et sur le refus de l'"ultra-gauche" de reconnaître l'économie de marché, intitulé "Lettre ouverte aux orphelins du marxisme perdu".

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Même si cela dérange, c'est un fait : les idées libérales s'imposent partout avec la mondialisation.
Le 20ème siècle a été le siècle du pouvoir, de l'autorité et de la hiérarchie, avec le modèle industriel taylorien, le siècle des Etats nations qui se faisaient la guerre, le siècle du tout politique jusqu'aux idéologies totalitaires. Et les idées dominantes ont été tout naturellement celles de la confiance en l'Etat, celles du dirigisme, du socialisme et du marxisme.
Avec le 21ème siècle s'ouvre un nouveau monde, une nouvelle économie. Il n'y a pas de tour de contrôle à Internet. Et tout naturellement les idées libérales, celle de la confiance dans la personne et dans sa responsabilité, s'affirment comme les idées dominantes de ce nouveau monde.Tony Blair s'est converti. Gherardt Schroeder succombe. Lionel Jospin freine les évolutions nécessaires, avec pour tout projet " combattre les excès du libéralisme ".
Il n'existe pas, du moins pas encore, de pensée alternative au idées libérales. Dur dur pour les orphelins du dirigisme, du socialisme, du marxisme perdu. Faute d'alternative, ils dénoncent, ils organisent la résistance. La résistance à la dictature. En Chine, à Cuba, en Corée du Nord, en Afrique, au Soudan ? Ne cherchez plus. La nouvelle dictature des peuples, Viviane Forrester l'a rencontré, c'est la dictature du libéralisme. Son dernier livre, " Une étrange dictature ", qui fait suite à " l'horreur économique ", constitue un étonnant catalogue de clichés reçus. L'extrémisme du vocabulaire, la charge affective des mots utilisés - " l'horreur " " la cruauté " " le génocide ", " la dérégulation anarchique ", " les fusions ogresses ", " les spéculations criminelles ", " la frénésie cynique " sont là pour compenser le vide de l'analyse ou de la proposition. Qu'importe, puisqu'il ne s'agit pas de promettre des lendemains qui chantent mais d'annoncer des lendemains qui vont déchanter.
Pour nos nouveaux Cassandre, il est clair que le monde qui vient c'est toujours moins d'emplois et plus de pauvreté.
L'ultra gauche n'en démort pas : le libéralisme, c'est le chômage. Même si les faits viennent démentir les descriptions apocalyptiques d'hier sur la fin du travail. Même si la nouvelle économie ramène aujourd'hui le plein emploi et ce, d'autant plus vite que les pays appliquent une politique libérale.
La démonstration a le mérite de la simplicité : c'est la faute au profit aujourd'hui incompatible avec l'emploi, et qui s'obtient, c'est évident, en supprimant des emplois. Bon sang, mais c'est bien sûr ! En supprimant tout les emplois on pourrait maximiser tous les profits.
Les preuves sont là.
La preuve par Paddington. Le déraillement en Angleterre de Paddington, fin 1999, c'est la faute au libéralisme, puisque l'entreprise venait d'être privatisée. Elémentaire ma chère Viviane. Et les morts de la gare de Lyon en Juin 1998, c'est la faute à pas de chance, puisque la SNCF est un service public.
La preuve par Michelin. Quand Michelin licencie, les cours de bourse augmentent. Fera-t-on observer que la bourse reflète le jugement porté sur l'avenir de l'entreprise, et si les cours de bourse montent parfois lorsque certaines entreprises améliorent leur compétitivité en licenciant, l'inverse est aussi vrai. Au surplus, la bourse valorise tout aussi bien des entreprises qui embauchent à tour de bras, n'ont fait encore aucun bénéfice, mais semblent promises à un bel avenir.
Compétitivité ? vous avez dit compétitivité. Justement voilà l'ennemi. A quoi sert la compétitivité ? Tout simplement à offrir des voitures plus commodes, plus confortables et à un prix plus bas; à permettre à des jeunes ou moins jeunes de voyager plus loin et moins cher grâce à la concurrence dans les transports aériens. C'est même une loi de l'économie, ni de gauche, ni de droite, une loi qui ne se vote pas au parlement. Une loi du progrès qui conduit à chercher toujours à produire mieux, plus vite et moins cher.
Au catalogue des clichés reçus ont trouve, à côté de la fin du travail, bien entendu, la vieille rengaine marxiste que l'on croyait disparue sur la paupérisation absolue. Certes la pauvreté existe, elle est même choquante dans les pays riches et dramatique dans les pays les moins avancés. Mais le libre échange et la mondialisation sont perçus partout dans le monde comme des chances de développement, de prospérité et de paix. Et le refus de l'ouverture, - comme c'est le cas en Algérie, en Corée du Nord, au Burundi ou au Rwanda- comme le plus sûr moyen d'enfermer les peuples dans la pauvreté. Au surplus, ce que la grande majorité des pays les moins avancés reproche aux pays les plus riches aujourd'hui, c'est bien leur protectionnisme.
Dire qu'aux Etats Unis il existe 35 millions d'américains qui vivent au dessous du seuil de pauvreté n'est en rien une preuve du retour du paupérisme. C'est ignorer que ce seuil de pauvreté est réévalué régulièrement puisqu'il est calculé sur la moitié du revenu médian. C'est oublier aussi qu'un américain sur deux vivant en dessous de ce seuil s'en sort au bout d'un an et près de 3 sur 4 au bout de deux ans. Car la pire des injustices ce n'est pas tant d'être pauvre à un moment de sa vie que de le rester et de transmettre cette pauverté à ses enfants, comme c'est trop souvent le cas en France; et le moins que l'on puisse dire, n'en déplaise à l'ultra gauche, c'est que la France est loin de pratiquer cette politique " ultra libérale " tant décriée, comme en témoigne le records des prélévements publics, des dépenses publiques ou des règlementations.
L'économie de marché n'est pas tout. Soit. Les libéraux ne disent pas autre chose. La pensée libérale ce n'est pas le prima de l'économie, fut-elle de marché mais le prima du Droit et de la Justice. Un ordre social fondé sur les droits individuels, sur la confiance dans la liberté de la personne et sa responsabilité. Mais il y a un certain anachronisme de la part de l'ultra-gauche à rejetter l'économie de marché quand partout dans le monde les pays qui ont expérimentés d'autres voies plaçent aujourd'hui leur confiance dans l'économie de marché. Et si l'ultra gauche refuse l'économie de marché, qu'elle dise par quoi elle la remplace ! Préfère-t-on l'économie de perte à l'économie de profit ? L'économie étatisée à l'économie libre ? Le douteux modèle de l'économie mixte ? Ne cherchez pas de propositions alternatives, il n'y en a pas.
Sauf que, à défaut d'alternative, il existe heureusement le modèle du secteur public. Ne cherchez pas à objecter que d'autres pays comme l'Allemagne où l'on n'est pas moins bien transporté, soigné ou éduqué, dépensent moins et mieux l'argent des contribuables que la France. Non. Le secteur public a toutes les vertus, il échappe à la concurrence, à la loi du profit; ses déficits sont des bénéfices. Il n' a pas vocation à maigrir, comme le proposent les libéraux, si cruels, mais à se développer. Et si, notre enseignement public ne fonctionne pas, s'il déclasse, s'il organise l'apartheid - l'observation de Viviane Forrester est exacte- c'est bien sûr la faute aux libéraux ! CQFD
Il est vrai que les libéraux ne peuvent être que décontenancés par de tels arguments et de tels adversaires. Quand l'ultragauche fait dans le simplisme, l'image et l'adverbe, les libéraux cherchent à apporter des réponses complexes à un monde complexe. Ils cherchent à raisonner, à démontrer, quand l'ultragauche fustige. A répondre sur le même terrain, à utiliser les mêmes armes, il serait facile de faire l'amalgame entre cette ultragauche et les tenants de la Corée du Nord ou du régime de Fidel Castro; de rendre l'ultra gauche complice des gaspillages de l'argent public, partisane de l'argent roi des vampires de l'affaire du sang contaminé. Facile aussi de dire qu'étant responsables de l'échec de l'OMC, ces pseudo défenseurs des pauvres sont en réalités des défenseurs farouches de l'égoïsme protectionniste des pays riches. D'avancer encore qu'il est criminel de soutenir un Etat qui, en s'enrichissant grace au monopole sur le tabac, est de facto responsable du cancer; Sans parler de ceux qui, bien installés dans les beaux quartiers dénoncent avec hypocrisie les exigences sécuritaires des quartiers populaires.
Je ne suis pas sur qu'à suivre l'ultra gauche dans cette voie là pour rétablir un combat à armes égales on contribue vraiment à enrichir le débat politique.
Alors il faut répondre. Mais il faut aussi expliquer et comprendre le pourquoi d'une telle contestation. Il y a sans doute comme la nostalgie du tout politique, du pouvoir autoritaire d'hier dans la vieille société, dans la vielle économie, et peut être même aussi des vieilles idéologies totalitaires.Ceux qui se sont toujours trompés sur tout. Sur la vraie nature du régime soviétique, sur le Vietnam, le Cambodge, sur Cuba, sur la croissance zero, sur la fin du travail, sur les nationalistations, sur les vertus de l'économie mixte... se retrouvent aujourd'hui au retour d'âge à communier l'horreur du libéralisme, sorte d'auto justification de leurs erreurs passées.
Comme l'a bien noté Jean-François Revel dans la Grande Parade, " essais sur la survie de l'utopie socialiste ", " Marteler à tout instant des imprécations contre les " ravages du libéralisme ", c'est une façon subreptice d'insinuer : " voyez, le communisme, ce n'était pas si mal que ça, mis à par quelques déviations contre nature ". Cependant, l'antilibéralisme a d'autres fonctions que la justification d'un passé injustifiable, des fonction plus concrêtes : conjurer deux peurs présentes en chacun de nous, la peur de la concurrence et la peur des responsabilités ". Pas étonnant si la France où les compagnons de route du communisme ont été plus nombreux et sont sans doute médiatiquement plus influents, devient la capitale internationale de cet anti-libéralisme primaire. La Grande Parade. Un excellent livre. Une bouffée d'air pur. A lire d'urgence.
Alain MADELIN
Président Démocratie Libérale
(source http://www.demlib.com, le 28 février 2000)