Déclaration de M. Hamlaoui Mekachera, ministre délégué aux anciens combattants, sur la bataille de la Marne de septembre 1914 et la mort au combat de Charles Péguy, à Mondement-la-Bataille, le 5 septembre 2004.

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Circonstance : Cérémonie commémorant le quatre-vingt-dixième anniversaire de la première Bataille de la Marne, au Mémorial de Mondement Montgivroux, le 5 septembre 2004

Texte intégral

Madame le Ministre,
Monsieur le Préfet,
Mesdames et Messieurs les membres du corps diplomatique,
Mesdames et Messieurs les parlementaires et les élus,
Madame le Maire,
Monsieur le Président du Conseil général,
Messieurs les officiers généraux,
Monsieur le Président de l'association " Mondement 1914 ",
Mesdames et Messieurs les présidents d'associations patriotiques,
Mesdames et Messieurs,
Ici-même, dans les premiers jours de septembre 1914, sur ces terres jadis foulées par les plus grandes armées de l'Histoire, aux portes de notre capitale, s'est joué " le salut du pays ".
90 années ont passé. Elles n'atténuent pas l'éclat de la Victoire de la Marne. Pour toujours, elle est gravée dans les mémoires pour ce qu'elle fût :
une des plus grandes batailles de l'Histoire de l'Europe,
un des succès militaires les plus décisifs de l'Histoire de France,
une page fondatrice de l'Histoire de la République.
Aujourd'hui, au nom du Gouvernement, au nom des Françaises et des Français, je suis venu rendre l'hommage qui leur est dû aux soldats victorieux de ces grandes journées, aux chefs illustres qui les menèrent à la victoire, aux Alliés qui furent à nos côtés.
Avec respect et reconnaissance, je m'incline devant la mémoire des combattants - Français, Britanniques et Belges - qui tombèrent au champ d'honneur, en si grand nombre, pour sauver notre Patrie.
En cette journée du souvenir, nos pensées se tournent naturellement aussi vers les soldats allemands. Ils servaient leur patrie. Ils se sont battus dans l'honneur. Leurs pertes furent impressionnantes.
90 années ont passé. Nous avons fait nôtre l'idée de Paul Valéry " qu'une guerre entre Européens est une guerre civile ".
La réconciliation exemplaire de la France et de l'Allemagne, la réunification irrévocable de l'Europe sont des acquis dont on mesure, singulièrement sur les champs de bataille, l'extraordinaire portée historique.
Car, en cette fin de l'été 1914, l'affrontement entre Européens est sans merci. La haine et la peur de l'autre atteignent leurs paroxysmes.
Mais, ne l'oublions pas, pour la France, c'est alors rien moins que l'unité de la Nation, l'intégrité du territoire et la survie de la République qui sont en jeu.
Commémorant cette bataille, le général de Gaulle eût ces mots : " si la guerre sanctionne impitoyablement les déficiences et les défaillances, elle ne ménage pas le succès à la valeur et à la vertu. Ce fut la fortune de la France que son armée, demeurée solide en dépit du revers initial, eût alors à sa tête un chef qui ne perdit point l'équilibre ".
Oui, nous le savons tous, après un mois de guerre, comme en 1870, l'ennemi progresse de façon apparemment irrésistible. Le Gouvernement a dû quitter Paris. Les combattants français et alliés subissent des pertes indénombrables. La France parait, une nouvelle fois, submergée.
Pourtant, dans l'adversité la plus cruelle, Joffre tient bon. Pourtant, devant la déroute annoncée, Poincaré, le Gouvernement, et les institutions de la République demeurent fermes et la Nation soudée dans " l'Union sacrée ". Pourtant, malgré la puissance redoutable du feu ennemi et l'épuisement, les soldats restent organisés et déterminés.
C'est alors que la fortune - c'est bien le mot - la fortune sourit à la France. C'est alors que se produit le " miracle de la Marne ".
Comment qualifier autrement la décision de Von Molkte de modifier in extremis son dispositif. C'est le génie de Joffre et de Galliéni de saisir et d'exploiter l'erreur de l'adversaire. C'est la force et la valeur inoubliables des combattants de renverser le destin. Car, voilà l'armée de la République, accablée mais résolue, voilà l'armée de la République courageuse, loyale, disciplinée qui repart à l'assaut.
La mobilisation est totale. C'est en ces instants mémorables que les légendaires " taxis de la Marne " entrent dans l'imaginaire national.
Menées par des noms appelés à rester dans l'Histoire, Foch, Franchey d'Esperey, Langle de Cary, Sarrail, Maunoury, sans omettre le général French et le roi Albert Ier, nos armées repoussent leur ennemi.
Le 10 septembre 1914, la victoire est avérée.
Le front est définitivement éloigné.
Reims, Chalons et Verdun sont sauvés. Paris est préservé.
Pour leur bravoure et leur abnégation, pour avoir vaincu au moment le plus crucial, les combattants de la Marne ont acquis la gratitude indéfectible des Français et une gloire éternelle.
Une gloire à la mesure du coût humain terrifiant de ces quelques jours d'affrontement. Le " miracle ", rendu possible par des années d'effort national, par la mobilisation de l'outre-mer français et par la qualité du commandement, le " miracle " vit tomber au champ d'honneur 25 000 combattants français et alliés.
A leur sacrifice, joignons celui de leurs frères d'armes russes. Ils ont toute leur part dans la victoire. En Prusse-orientale, malgré les revers, leur vaillance a imposé au commandement allemand la dispersion de ses meilleures forces sur deux fronts.
90 années ont passé. Nous connaissons tous l'enchaînement des événements. La France sauvée, mais la guerre qui s'installe sur son sol, dans la durée et dans l'horreur. Les tranchées, la Somme, les Dardanelles, Verdun, les offensives meurtrières de 1917 avant le choc final de l'été 1918 et le 11 novembre. Plus de 8 millions de morts, dont 1 300 000 Français, les disparus, les blessés, les gazés, les mutilés, les veuves, les orphelins...
La " Grande Guerre " a bouleversé l'Europe et le monde. Ni les régimes politiques, ni les équilibres diplomatiques, ni l'économie, ni-même la société n'en sont sortis indemnes. Nous ne pouvons oublier qu'elle sema les germes de la Seconde Guerre mondiale et de son cortège infini de malheurs.
Mesdames et Messieurs, voici 90 ans, jour pour jour, le 5 septembre 1914, vers cinq heures et demie, à la veille de la bataille de la Marne, au milieu de ses hommes du 276ème régiment d'infanterie, tombait au champ d'honneur, " mort pour la France ", le lieutenant de réserve Charles Péguy.
Après cette cérémonie, je me rendrai sur sa tombe pour m'incliner, comme il se doit, devant sa mémoire.
De cet intellectuel aux multiples talents, de ce grand poète, républicain et patriote, de cet homme libre, retenons ces mots, qui prennent en ce jour une gravité particulière, je le cite : " la liberté, c'est un système de courage ".
Courage de défendre nos institutions et nos valeurs républicaines comme il le fit et comme ce fut heureusement fait, ici, sur la Marne, voici près d'un siècle.
Courage de se lever quand l'essentiel est en cause, comme ce fut héroïquement fait, voici soixante ans pour nous libérer du joug nazi. L'exceptionnelle ferveur populaire qui entoure les commémorations du " 60ème anniversaire " atteste, me semble-t-il, de la fidélité des Français aux hommes et aux femmes courageux qui se levèrent pour notre liberté.
Courage aussi de savoir briser l'enchaînement de la haine et d'oser la paix. Courage de ces hommes d'État visionnaires qui comprirent que notre liberté passait par la réconciliation et l'unité de l'Europe.
Je salue les représentants et les détachements militaires de tous les pays, alliés ou belligérants des deux batailles de la Marne, réunis pour rendre un même hommage aux morts et pour témoigner ainsi de leur détermination à défendre la liberté et à construire ensemble la paix.
Le courage et la liberté : des valeurs qui sont au coeur de la victoire de la Marne et qui demeurent, plus que jamais, d'une totale actualité.
Honneur aux combattants de la Marne !
Honneur au Maréchal Joffre !
Vive la France !
(Source http://www.defense.gouv.fr,le 9 septembre 2004)