Texte intégral
J.-M. Aphatie-. Avant de parler de l'actualité, évoquons l'Histoire. Il y a vingt ans, c'était le 3 décembre 1983, la "Marche des Beurs" réunissait 100.000 personnes à Paris. On y voyait le signe du début de l'intégration dans la République de ces jeunes Français issus de l'immigration. Vous-même, avec quelques autres à l'époque, vous avez créé "SOS Racisme" pour faciliter ce mouvement. Vingt ans après, vous parleriez d'échec ?
- "Non. Je ne parlerais pas d'échec et je ne dirais pas que tout ça n'a pas servi. Je crois que malheureusement, comme toujours d'ailleurs, l'Histoire a peut-être été un peu plus lente que nos espoirs, mais en même temps les choses ont bougé. Et ce qui me plaît aujourd'hui, c'est de lire par exemple que le porte-parole de la "Marche des Beurs" dit "dans cette marche, on a découvert une autre France, et on a notre place dans la société française". Alors, tout n'est pas parfait, tout n'est pas rose ; il y a aujourd'hui encore beaucoup de problèmes dans nos cités..."
Mais l'intégration n'a pas vraiment marché. P. de Bousquet de Florian, qui est le directeur de la DST, évoquait la semaine dernière "la montée du salafisme" - je le cite, c'est un courant radical musulman - dans les banlieues françaises. Vous êtes élu de l'Essonne, vous êtes élu de ces banlieues, ce sont des réalités que vous constatez ?
- "Oui, il y a aujourd'hui des quartiers qui sont devenus parfois des ghettos. Et parce qu'ils sont devenus des ghettos, il y a la tentation du fondamentalisme religieux, qui cohabite souvent d'ailleurs avec une certaine délinquance. Mais en même temps, ce qui me semble aujourd'hui très positif, c'est que commencent à apparaître des héros positifs. C'est-à-dire qu'il commence à y avoir des hauts-fonctionnaires, des responsables d'entreprises, qui s'appellent Nasser, qui s'appellent Mohamed, et qui sont autant de nouveaux Français qui apportent de l'énergie nouvelle à la société. Ce ne sont donc pas simplement de bons footballeurs ou de bons artistes, quelles que soient les qualités de Zidane ou de Djamel."
Vous partagez l'envie de N. Sarkozy de "faire la promotion" de ces personnalités issues de l'immigration dans la haute fonction publique ?
- "Oui mais moi je ne parle pas de préfets musulmans. Je ne ramène pas ces gens-là à leur religion. Je les ramène à leurs qualités et je leur donne la possibilité, par une action volontaire, d'avoir toute leur place dans la République."
On a entendu dans le journal de 7h30 de P. Cohen, M.-G. Buffet dire : "Nous ne quémandons pas des postes au Parti socialiste". Les Verts sont d'accord avec vous pour conclure un accord pour les élections régionales. Et les communistes ont l'impression d'être laissés de côté. C'est un changement historique, un changement d'alliance historique ?
- "Non, parce que le courant communiste a sa place dans la gauche. Maintenant, le courant communiste doit, je crois, réfléchir à la manière dont il veut contribuer à la victoire de la gauche. Mais ce n'est pas parce qu'il va prononcer le mot "révolution" à toutes les phrases que pour autant il va apporter quelque chose. Pour moi, la question essentielle c'est de se rassembler, c'est de se retrouver."
"Mais pas sur n'importe quoi", dit M.-G. Buffet...
- "Pas sur n'importe quoi. Elle a raison, mais elle devrait savoir - je pense qu'elle ne peut pas ne pas le savoir - qu'en ce moment nous discutons avec ses représentants. Et que par exemple l'accord qui a été fait avec les Verts a été le fruit de trois mois de discussions de groupes de travail. On a parlé transports, on a parlé éducation, on a parlé logement. Et c'est parce que nous étions d'accord sur le programme qu'on a pu après discuter des places. Donc je n'aime pas quand les responsables politiques commencent à jouer le basisme ! Parce que ça veut dire qu'ils ne jouent plus leur rôle de responsables politiques. Nous discutons avec les communistes, pour qu'ils aient leur place, nous discutons du programme, ils ont toute leur place, et je crois qu'ils auraient tort de se considérer comme extérieurs. Et puis je vais vous dire une chose : même Besancenot ne parle plus de "révolution" ! Donc je pense que M.-G. Buffet devrait en tirer certaines conclusions."
Elle vous a un peu énervé, M.-G. Buffet, ce matin ?!
- "Non. Si vous voulez, remplir la Mutualité pour dire "on va faire la Révolution", j'ai déjà donné ! Et je sais faire, et nous savons tous faire. Ce que je voudrais savoir aujourd'hui, c'est quel est l'apport du courant communiste à la construction de la gauche, pour qu'elle représente une alternative. Et je dis à toutes les militantes et à tous les militants communistes qu'ils ont leur place. Dans mon département, les militants communistes me disent qu'il veulent continuer à travailler ensemble, comme on le fait dans les municipalités, comme on l'a fait à la région. J'ai travaillé avec les vice-présidents communistes à la région Ile-de-France. On a bien travaillé ensemble. On a échangé, on a discuté, on n'était pas forcément d'accord, mais il y avait un état d'esprit parfait entre nous, et qui nous a permis de tenir, alors qu'on n'avait même pas la majorité. C'est ça qu'il faut continuer. C'est pas dans la surenchère !"
Tout ne va pas très bien au Parti socialiste. Le journal Libération publie ce matin un entretien avec F. Hollande, qui semble avoir du mal à s'imposer comme le patron de son parti. C'est le Nouvel Observateur du 20 novembre dernier qui rapportait ce mot d'A. Montebourg : "Mais où est donc passé Flamby" ? C'est le surnom donné par des responsables socialistes à F. Hollande, précisait l'hebdomadaire, à cause de son manque de fermeté. F. Hollande manque de fermeté ? "Flamby", l'appellent ses opposants ?
- "Je pense qu'A. Montebourg, comme d'autres, devraient savoir que c'est par le Parti socialiste qu'ils sont ce qu'ils sont, c'est-à-dire députés de la République. Et qu'on a besoin du Parti socialiste, et qu'on a besoin d'un parti qui soit uni et rassemblé. Et que quand on commence à critiquer son parti et à faire des bons mots, ça peut peut-être faire des effets de salle, mais ça ne fait pas avancer la gauche..."
Un parti a besoin d'un chef. Est-ce que le Parti socialiste a un chef aujourd'hui ?
- "Il a un chef, qui a été élu par les militantes et les militants. Et il y a aujourd'hui une difficulté que nous assumons, qui est le système présidentiel, qui pèse, avec des délais qui sont raccourcis. Cela veut dire qu'on est déjà dans la pré-présidentielle. Mais je crois ce que dit F. Hollande ce matin qui est très important - et il le dit à tous ceux qui ont des prétentions - : il faut d'abord commencer par travailler, avec et dans le Parti socialiste."
Vous pensez à D. Strauss-Kahn et L. Fabius, déjà candidats pour 2007 ?
- "Je ne pense à personne en particulier."
Oh, si, si, si !
- "Evidemment !"
Pourquoi vous ne le dites pas ?
- "Mais parce que le porte-parole du Parti socialiste va se garder de désigner l'un ou l'autre. Il va dire à tout le monde : nous sommes dans la même famille, et aujourd'hui, il faut travailler. Et surtout - je crois que c'est ce qui est important, je le constatais hier dans une réunion publique que je tenais dans la banlieue parisienne -, ce que nous demandent les gens, ce n'est pas d'avoir des candidats ; ce qu'ils nous demandent c'est d'avoir des idées, c'est-à-dire d'avoir une politique alternative à la droite. C'est à ça qu'il faut travailler ! Et j'ai à peu près la certitude maintenant, c'est la leçon du 21 avril, que nos concitoyens sont beaucoup plus intelligents qu'on ne le croit. Donc ce n'est pas de la posture qui les fera évoluer. C'est sur le fond : comment on répond aux défis qui nous sont posés, en matière d'éducation, en matière de logement, en matière d'emploi. C'est sur ces questions-là que le Parti socialiste doit travailler. Et toutes ses personnalités doivent produire des idées. Elles sont les bienvenues pour cette réflexion qui est nécessaire et aussi, parce qu'on est dans ce moment-là, pour la confrontation. L'agenda de la gauche, ce n'est pas 2007 ! L'agenda de la gauche, c'est 2004. C'est ce que dit le premier secrétaire, c'est son rôle : nous conduire à la victoire, et conduire la gauche à la victoire pour que, dès 2004, les régions soient un rempart contre la politique de la droite."
On a beaucoup parlé de l'oreille de J. Chirac ces dernières semaines et d'un éventuel appareil auditif qui s'y trouverait. Qu'avez-vous pensé de ce qui a été dit là-dessus?
- "Je vais vous dire une chose : j'ai appris - et je m'y tiens - à respecter les fonctions politiques. Et je ne participe pas à ces jeux qui consistent à brocarder telle ou telle personne. Je veux dire que le président de la République, à son âge, ait un problème auditif ? Et alors ? C'est normal ! Qu'il l'ait caché..."
La santé du Président, son état physique, c'est en dehors du champ de la démocratie ou c'est dans le champ de la démocratie ?
- "Qu'il l'ait caché, peut-être parce que pour des raisons de coquetterie, il n'a pas voulu l'avoué, c'est autre chose. Mais je n'ai pas l'impression que ça porte atteinte aux capacités du Président. En tous les cas, peut-être que cela porte atteinte à une chose : c'est qu'il n'entend pas peut-être assez les souffrances du pays aujourd'hui. Et ça, ça me pose problème."
Celle-là, il ne fallait pas la louper !
- "Non, il ne fallait pas la louper. On peut le faire quand même de temps en temps !"
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 3 décembre 2003