Texte intégral
Comment expliquez-vous que les Français s'intéressent si peu à cette élection ?
C'est un phénomène assez général dans tous les pays de l'Union, mais je ne crois pas que ce soit le signe d'un désintérêt pour la construction européenne. Les Français ont plutôt un regard positif sur l'Europe. Ils ont conscience que c'est là que se joue l'avenir. L'euroscepticisme n'est pas aussi profond qu'on le dit parfois. Le problème est peut-être que nous n'avons pas su expliquer assez que le Parlement européen a de véritables pouvoirs, qu'il codécide, avec le Conseil des ministres, les lois européennes qui s'appliquent ensuite chez nous.
Philippe de Villiers, lui, le dit. Il ajoute même que le Parlement français risque de devenir une sorte de conseil régional.
Philippe de Villiers se trompe ou nous trompe. Pour la première fois, nous avons un projet de Constitution européenne qui renforce considérablement le rôle des Parlements nationaux. Il crée en particulier une procédure d'alerte qui pourra être utilisée lorsque l'Union empiétera sur les compétences des Etats. Désormais, les parlements nationaux seront saisis en amont, avant que les conseils des ministres européens se soient prononcés sur des textes. Ils diront "stop", ce n'est pas à l'Union de s'en occuper. Et, le cas échéant, ils pourront même saisir directement la Cour de justice européenne pour mettre un terme à ces empiétements.
Les Français ne craignent-ils pas de voir leur modèle social remis en cause ?
Il faut rétablir la vérité dans ce domaine. L'Europe ne doit pas s'occuper de tout. Dans notre vision, elle ne doit pas en particulier absorber les compétences des Etats en matière de protection sociale et légiférer sur notre Sécurité sociale, notre assurance-maladie et nos retraites. C'est une prérogative nationale.
Qu'entendez-vous dans ces conditions par "Europe sociale" ?
Pour nous, l'Europe sociale, c'est d'abord et avant tout l'Europe de l'emploi. C'est une vision de la société qui concilie les principes de liberté et de responsabilité sans quoi il n'y a pas création de richesses et l'exigence de solidarité et de partage sans quoi il n'y a pas de cohésion sociale. C'est pourquoi nous ne nous reconnaissons pas dans l'intégrisme du tout libéral, du tout monétaire ou de la concurrence pure et parfaite. Nous avons fait, avec Nicolas Sarkozy, des propositions concrètes pour tendre vers un meilleur équilibre et soutenir la croissance et l'emploi. Je constate qu'aujourd'hui le grand pays proposé comme modèle libéral, c'est les Etats-Unis. Or, il n'existe pas de pays plus interventionniste que les Etats-Unis. Ils interviennent par les droits de douanes, des subventions agricoles déguisées ou des crédits militaires massifs. Il ne faut pas que l'Europe ait de complexes.
Est-ce que vous comprenez que les Français aient peur des délocalisations, surtout avec l'Europe à vingt-cinq ?
Il est difficile d'arriver à convaincre les Français qu'il n'y a pas de fatalité dans ce domaine. J'ai passé la campagne à répéter que l'élargissement, c'est 75 millions de consommateurs supplémentaires. Ce sont des vitamines pour l'Europe. Les parts de marché de la France dans les pays d'Europe centrale et orientale sont de 5% alors que celles de l'Allemagne atteignent plus de 20%. Si on se bat, si on est bon, si on est compétitif, on peut conquérir des parts de marché c'est-à-dire des emplois supplémentaires.
L'éventuelle adhésion de la Turquie n'effraie-t-elle pas elle aussi les Français ?
C'est un sujet très difficile sur lequel, je le reconnais, j'ai évolué. Aujourd'hui, je pense que si l'on souhaite faire de l'Europe un acteur politique à part entière, capable de conduire sa politique étrangère et sa politique de défense, en partenaire mais pas en vassal des Etats-Unis, il faut une cohérence entre les pays de l'Union. Il faut que l'Union ait des frontières. Si on accepte la Turquie, pourquoi pas ensuite le Maroc ou Israël, qui sont également candidats ? On dériverait alors vers la vision anglo-saxonne d'une Europe transformée en vaste supermarché, de Vancouver à Vladivostok, comme le disait naguère James Baker. La deuxième raison qui m'a fait évoluer, c'est qu'en démocratie, on ne peut pas complètement négliger l'avis du peuple qui, majoritairement, ne veut pas de l'adhésion de la Turquie à l'Europe. Ce qui n'exclut pas un partenariat privilégié avec elle, bien au contraire.
Seriez-vous favorable à un référendum sur l'adhésion de la Turquie ?
La question ne se posera pas dans les cinq ans qui viennent.
Une nouvelle offensive a été déclenchée par les partisans d'une référence aux valeurs chrétiennes dans la Constitution européenne. Qu'en pensez-vous ?
Nier que ces valeurs chrétiennes font partie de notre héritage reviendrait à nier qu'il fait jour à midi. La Convention européenne a trouvé un compromis qui fait référence aux valeurs "spirituelles, religieuses et humanistes" de l'Europe. La sagesse serait d'en rester là. Ceux qui veulent à toute force inscrire cette référence au christianisme dans les textes fondamentaux européens ont une préoccupation que je ne peux pas partager : ils veulent d'une certaine façon remettre en cause la laïcité. Cela, pour moi, n'est pas négociable. La laïcité est d'ailleurs un débat que nous avons également avec l'Islam intégriste, qui mélange le temporel et le spirituel.
Les déclarations des candidats à votre succession à la présidence de l'UMP n'ont-elles pas contribué à occulter les véritables enjeux des européennes ?
En politique, comme partout où il y a du pouvoir, il y a des rivalités de personnes. Mon seul objectif, dans les semaines qui viennent, c'est de rassembler. Je crois que je n'y arrive pas trop mal. Ma fidélité à Jacques Chirac reste indéfectible. Je travaille en confiance avec Jean-Pierre Raffarin et ses ministres comme on l'a vu récemment. Ma succession n'est pas encore ouverte. C'est pour ça que j'ai été un peu amusé par la précipitation de certains il y a quinze jours, trois semaines. Je crois que cela s'est calmé d'ailleurs. Espérons que ça va durer. La raison finit parfois par triompher. J'ai dit que je partirais à la mi-juillet, c'est donc à cette date que le processus électoral sera engagé au sein de l'UMP et là, que le meilleur gagne ! Je n'ai pas de champion.
Comment expliquez-vous la valse-hésitation du PS entre une campagne sur "l'Europe sociale" et l'appel au vote-sanction contre le gouvernement ?
L'Europe sociale des socialistes, c'est de la poudre aux yeux ! L'extension des 35 heures à l'ensemble de l'Union, c'est irréaliste ! Il n'y a d'ailleurs pas un autre parti socialiste européen qui la propose. Les socialistes ont fait les glorieux au lendemain des élections régionales. Mais, entre les rivalités personnelles, qui atteignent chez eux un degré très sophistiqué, et leurs divisions sur l'Europe, ils sont aujourd'hui un peu paumés. Le slogan du vote sanction fait réchauffé et n'a pas l'air de prendre. Il faut dire que le gouvernement a rectifié le tir, à juste titre à mon avis, sur certaines réformes mal comprises. Mais sur l'essentiel nous n'avons pas courbé l'échine. Nous sommes prêts à défendre nos convictions, et au premier chef l'indispensable réforme de l'assurance-maladie. Les socialistes, eux, n'ont rien à proposer. Ils se retrouvent de ce fait un peu courts.
Que pensez-vous de la décision de François Bayrou de créer un groupe de centre gauche au Parlement européen ?
Au Parlement européen, il y a aura une majorité et une minorité. François Bayrou commet une très mauvaise action pour des raisons purement politiciennes en fracturant l'unité du PPE. C'est étrange qu'un démocrate-chrétien comme lui quitte le parti créé par sa famille politique pour former un groupuscule en s'alliant avec le centre-gauche pour défendre des thèses fédéralistes!
(Source http://www.u-m-p.org, le 7 juin 2004)
C'est un phénomène assez général dans tous les pays de l'Union, mais je ne crois pas que ce soit le signe d'un désintérêt pour la construction européenne. Les Français ont plutôt un regard positif sur l'Europe. Ils ont conscience que c'est là que se joue l'avenir. L'euroscepticisme n'est pas aussi profond qu'on le dit parfois. Le problème est peut-être que nous n'avons pas su expliquer assez que le Parlement européen a de véritables pouvoirs, qu'il codécide, avec le Conseil des ministres, les lois européennes qui s'appliquent ensuite chez nous.
Philippe de Villiers, lui, le dit. Il ajoute même que le Parlement français risque de devenir une sorte de conseil régional.
Philippe de Villiers se trompe ou nous trompe. Pour la première fois, nous avons un projet de Constitution européenne qui renforce considérablement le rôle des Parlements nationaux. Il crée en particulier une procédure d'alerte qui pourra être utilisée lorsque l'Union empiétera sur les compétences des Etats. Désormais, les parlements nationaux seront saisis en amont, avant que les conseils des ministres européens se soient prononcés sur des textes. Ils diront "stop", ce n'est pas à l'Union de s'en occuper. Et, le cas échéant, ils pourront même saisir directement la Cour de justice européenne pour mettre un terme à ces empiétements.
Les Français ne craignent-ils pas de voir leur modèle social remis en cause ?
Il faut rétablir la vérité dans ce domaine. L'Europe ne doit pas s'occuper de tout. Dans notre vision, elle ne doit pas en particulier absorber les compétences des Etats en matière de protection sociale et légiférer sur notre Sécurité sociale, notre assurance-maladie et nos retraites. C'est une prérogative nationale.
Qu'entendez-vous dans ces conditions par "Europe sociale" ?
Pour nous, l'Europe sociale, c'est d'abord et avant tout l'Europe de l'emploi. C'est une vision de la société qui concilie les principes de liberté et de responsabilité sans quoi il n'y a pas création de richesses et l'exigence de solidarité et de partage sans quoi il n'y a pas de cohésion sociale. C'est pourquoi nous ne nous reconnaissons pas dans l'intégrisme du tout libéral, du tout monétaire ou de la concurrence pure et parfaite. Nous avons fait, avec Nicolas Sarkozy, des propositions concrètes pour tendre vers un meilleur équilibre et soutenir la croissance et l'emploi. Je constate qu'aujourd'hui le grand pays proposé comme modèle libéral, c'est les Etats-Unis. Or, il n'existe pas de pays plus interventionniste que les Etats-Unis. Ils interviennent par les droits de douanes, des subventions agricoles déguisées ou des crédits militaires massifs. Il ne faut pas que l'Europe ait de complexes.
Est-ce que vous comprenez que les Français aient peur des délocalisations, surtout avec l'Europe à vingt-cinq ?
Il est difficile d'arriver à convaincre les Français qu'il n'y a pas de fatalité dans ce domaine. J'ai passé la campagne à répéter que l'élargissement, c'est 75 millions de consommateurs supplémentaires. Ce sont des vitamines pour l'Europe. Les parts de marché de la France dans les pays d'Europe centrale et orientale sont de 5% alors que celles de l'Allemagne atteignent plus de 20%. Si on se bat, si on est bon, si on est compétitif, on peut conquérir des parts de marché c'est-à-dire des emplois supplémentaires.
L'éventuelle adhésion de la Turquie n'effraie-t-elle pas elle aussi les Français ?
C'est un sujet très difficile sur lequel, je le reconnais, j'ai évolué. Aujourd'hui, je pense que si l'on souhaite faire de l'Europe un acteur politique à part entière, capable de conduire sa politique étrangère et sa politique de défense, en partenaire mais pas en vassal des Etats-Unis, il faut une cohérence entre les pays de l'Union. Il faut que l'Union ait des frontières. Si on accepte la Turquie, pourquoi pas ensuite le Maroc ou Israël, qui sont également candidats ? On dériverait alors vers la vision anglo-saxonne d'une Europe transformée en vaste supermarché, de Vancouver à Vladivostok, comme le disait naguère James Baker. La deuxième raison qui m'a fait évoluer, c'est qu'en démocratie, on ne peut pas complètement négliger l'avis du peuple qui, majoritairement, ne veut pas de l'adhésion de la Turquie à l'Europe. Ce qui n'exclut pas un partenariat privilégié avec elle, bien au contraire.
Seriez-vous favorable à un référendum sur l'adhésion de la Turquie ?
La question ne se posera pas dans les cinq ans qui viennent.
Une nouvelle offensive a été déclenchée par les partisans d'une référence aux valeurs chrétiennes dans la Constitution européenne. Qu'en pensez-vous ?
Nier que ces valeurs chrétiennes font partie de notre héritage reviendrait à nier qu'il fait jour à midi. La Convention européenne a trouvé un compromis qui fait référence aux valeurs "spirituelles, religieuses et humanistes" de l'Europe. La sagesse serait d'en rester là. Ceux qui veulent à toute force inscrire cette référence au christianisme dans les textes fondamentaux européens ont une préoccupation que je ne peux pas partager : ils veulent d'une certaine façon remettre en cause la laïcité. Cela, pour moi, n'est pas négociable. La laïcité est d'ailleurs un débat que nous avons également avec l'Islam intégriste, qui mélange le temporel et le spirituel.
Les déclarations des candidats à votre succession à la présidence de l'UMP n'ont-elles pas contribué à occulter les véritables enjeux des européennes ?
En politique, comme partout où il y a du pouvoir, il y a des rivalités de personnes. Mon seul objectif, dans les semaines qui viennent, c'est de rassembler. Je crois que je n'y arrive pas trop mal. Ma fidélité à Jacques Chirac reste indéfectible. Je travaille en confiance avec Jean-Pierre Raffarin et ses ministres comme on l'a vu récemment. Ma succession n'est pas encore ouverte. C'est pour ça que j'ai été un peu amusé par la précipitation de certains il y a quinze jours, trois semaines. Je crois que cela s'est calmé d'ailleurs. Espérons que ça va durer. La raison finit parfois par triompher. J'ai dit que je partirais à la mi-juillet, c'est donc à cette date que le processus électoral sera engagé au sein de l'UMP et là, que le meilleur gagne ! Je n'ai pas de champion.
Comment expliquez-vous la valse-hésitation du PS entre une campagne sur "l'Europe sociale" et l'appel au vote-sanction contre le gouvernement ?
L'Europe sociale des socialistes, c'est de la poudre aux yeux ! L'extension des 35 heures à l'ensemble de l'Union, c'est irréaliste ! Il n'y a d'ailleurs pas un autre parti socialiste européen qui la propose. Les socialistes ont fait les glorieux au lendemain des élections régionales. Mais, entre les rivalités personnelles, qui atteignent chez eux un degré très sophistiqué, et leurs divisions sur l'Europe, ils sont aujourd'hui un peu paumés. Le slogan du vote sanction fait réchauffé et n'a pas l'air de prendre. Il faut dire que le gouvernement a rectifié le tir, à juste titre à mon avis, sur certaines réformes mal comprises. Mais sur l'essentiel nous n'avons pas courbé l'échine. Nous sommes prêts à défendre nos convictions, et au premier chef l'indispensable réforme de l'assurance-maladie. Les socialistes, eux, n'ont rien à proposer. Ils se retrouvent de ce fait un peu courts.
Que pensez-vous de la décision de François Bayrou de créer un groupe de centre gauche au Parlement européen ?
Au Parlement européen, il y a aura une majorité et une minorité. François Bayrou commet une très mauvaise action pour des raisons purement politiciennes en fracturant l'unité du PPE. C'est étrange qu'un démocrate-chrétien comme lui quitte le parti créé par sa famille politique pour former un groupuscule en s'alliant avec le centre-gauche pour défendre des thèses fédéralistes!
(Source http://www.u-m-p.org, le 7 juin 2004)