Texte intégral
Monsieur le Premier Ministre, cher Pierre Messmer
Monsieur le Député-maire du Vème arrondissement de Paris,
Mesdames et messieurs les élus,
Mesdames et messieurs,
Je dois tout d'abord vous dire combien je suis heureuse de vous voir cet après-midi si nombreux à avoir répondu à notre invitation, afin de rendre hommage à ce grand Français que fut Félix Eboué, haut-fonctionnaire, né en Guyane et compagnon du Général de Gaulle, décédé il y a tout juste 60 ans. Je suis à la fois fière et honorée de présider le lancement de manifestations dont le sens profond est chargé d'émotion.
Cet hommage je l'ai souhaité le plus complet. Il s'inscrit dans la politique d'action culturelle que je mène en tant que ministre de l'Outre-mer afin de faire mieux connaître et apprécier de tous nos compatriotes l'apport essentiel de l'outre-mer à la Nation.
Je viens de découvrir la magnifique exposition réalisée par le Centre des Archives d'Outre-Mer d'Aix-en-Provence. Qu'il me soit permis de remercier tout d'abord ceux qui ont contribué à sa réalisation : les commissaires généraux, Madame Martine Cornede et Monsieur François Chauvin, la commissaire scientifique, Isabelle Dion et les membres du comité scientifique : Mesdames Hélène D'almeida-Topor, Françoise Lemaire-Thabouillot, Josette Rivallain, Hélène Servant, Dominique Taffin, Messieurs René Belenus, Hubert Bonin, Jean-Paul Cointet, Jacques Fremeaux et Marc Michel.
Merci aussi à Jean Tiberi de nous offrir ces espaces magnifiques, à deux pas du Panthéon, où depuis 1949 repose Félix Eboue. Je me réjouis également des partenariats qui rendent cet événement possible. En particulier, le concours essentiel que nous apporte l'Agence française de développement; héritière de la Caisse Centrale de la France Libre, elle rejoint à travers cet hommage à Eboué les deux piliers de son action présente, servir le progrès économique de la France d'Outre-Mer et soutenir le développement, notamment en Afrique francophone.
Je salue également la société française d'histoire d'Outre-Mer qui porte le colloque que nous ouvrirons demain à l'ENA.
La mémoire de Félix Eboue est célébrée dès les lendemains de la Libération. Une place particulière lui est réservée parmi les Français libres de la première heure. Eboue entre dans l'histoire pour avoir eu en août 1940 la hardiesse de rallier le Tchad à la France libre, pour avoir dit non à la soumission ce qui lui a valu d'être condamné à mort par le régime de Vichy.
Peu connu du public avant ces événements, Félix Eboue est tout à la fois un homme de son temps et un personnage hors du commun. C'est un pur produit de la République ; petit-fils d'esclave, il s'élève par le mérite et se dévoue à l'intérêt commun. Fort de ses convictions philosophiques et politiques, il aborde avec humanisme la structure coloniale, s'employant à la faire évoluer. Parfois en butte à des déceptions de carrière ou à de virulentes oppositions, Eboue sait aussi susciter l'attachement de ses collaborateurs et l'adulation des populations. Félix Eboue incarne tout à la fois la volonté, l'esprit de résistance et l'aspiration au renouveau. Dans les jugements portés sur lui, trois mots reviennent toujours, trois mots qui, selon ses contemporains, le dépeignent très exactement : calme, pondération et bonté. Qualité que tous reconnaissent à celui que l'un de ses collaborateurs les plus proches, le martiniquais André Bayardelle, décrit comme un " géant massif, au jugement fin et à l'esprit droit ".
L'hommage que nous lui rendons, il nous faut le replacer aujourd'hui dans le contexte historique d'événements désormais lointains mais qui doivent demeurer présents dans nos mémoires et dans nos curs.
Après l'effondrement des armées de la République, en juin 1940, c'est autour du général de Gaulle que se dresse la résistance, symbole de l'honneur. Ses compagnons refusent d'accepter la défaite. Et c'est outre-mer, que la France libre trouve sa légitimité.
Ce qui unit les premiers Français libres, c'est le refus d'abdiquer. Les ralliements au général de Gaulle, depuis le Pacifique et le Tchad jusqu'aux Antilles et les combats légendaires de Koufra, Mourzouk, Bir-Hakeim ou du Fezzan, fondent cette nouvelle épopée.
Ce renouveau vient de ce que l'on appelait alors l'Empire français. L'occupation par l'ennemi de ces territoires aurait pu mettre en péril la cause alliée. La présence de sous-marins nazis à Douala, Pointe-noire ou Dakar aurait fait peser une menace intolérable sur la route du Cap. Au contraire, les points d'appui stratégiques offerts aux Alliés en Afrique ont pour les démocraties une influence décisive sur la conduite de la bataille.
De même que la résistance intérieure, la France libre développe dans les territoires qui lui sont ralliés, un esprit, une âme.
En dépit des diversités d'origines, de cultures, de langues et de croyances, en dépit des négligences, des incohérences, des erreurs, voire même des injustices de l'ancienne politique coloniale, la France combattante exalte ce qu'il y a de plus profond, une histoire, une conception de l'homme et de la vie, un humanisme qui animent populations et combattants. Leur sacrifice personnel bâtit la richesse collective que constitue l'idéal républicain.
Les populations d'outre-mer apportent alors le témoignage suprême de leur appartenance consciente à cet idéal en venant défendre la République au péril de leur vie, comme cela avait déjà été le cas en 1914-18.
Il y a quelques mois lors d'un déplacement officiel, dans la Meuse, je me suis rendue à la nécropole de Douaumont pour honorer la mémoire de tous ceux qui ont donné leur vie pour la France et plus particulièrement nos compatriotes d'outre-mer tombés en 1916 : parmi les tombes, on lit toutes les populations d'outre-mer.
Après juin 1940, l'engagement des populations d'outre-mer a, peut-être, plus de mérite encore puisqu'alors la France apparaît non plus avec son appareil de puissance et de richesse mais seulement avec son âme incarnée dans le général de Gaulle et la Résistance. Après le Général de Gaulle, Eboué est probablement la figure la plus attachante de la France libre, celle que dès l'époque, les journaux et les magazines du monde entier ne cessent de populariser .
Avec Eboué, que soient tout particulièrement honorés ceux qui, en dépit des désastres, alors que la France était abattue et sans force, gardèrent confiance. L'élan qui les a conduit se poursuit dans les solidarités d'aujourd'hui.
C'est pourquoi, vous le savez, tous mes déplacements comme ministre de l'Outre-Mer, dans nos départements et collectivités, commencent par un temps de recueillement au monument aux morts. Ce n'est pas dans un souci de protocole, mais pour célébrer la mémoire de ceux qui, souvent sans connaître au préalable la France métropolitaine, ont quitté leurs foyers pour libérer la Patrie et sauver la liberté.
Il y a deux mois, le Président de la République et le Premier ministre m'avaient demandé de présider l'une des cérémonies nationales de commémoration du 60ème anniversaire du débarquement de Provence, cette seconde vague libératrice lancée sur les côtes de France, après le débarquement du 6 juin 1944, en Normandie. C'était l'occasion de rappeler que sur 350 000 militaires alliés alors engagés, 260 000 sont français, grâce à l'Empire. Le nom de Félix Eboue, Gouverneur général de l'Afrique Equatoriale Française, est indissolublement lié à l'envol qui porte alors les Français libres du lac Tchad jusqu'au Rhin et au Danube.
Comme Ministre de l'Outre-Mer, je me dois de rappeler l'effort accompli par les originaires de nos actuels départements et collectivités d'outre-mer pour la libération du territoire national : c'est que l'attachement qui unit ces terres à la Nation française est ancien, solide, confiant, loyal et constructeur. Il s'est forgé sur les bancs de l'école, dans les valeurs républicaines et dans les liens du sang.
La grande figure d'Eboué nous le rappelle encore aujourd'hui.
Mais Félix Eboue, c'est aussi l'homme du renouveau que constitue en 1944, la conférence de Brazzaville. Déjà, secrétaire général de la Martinique puis gouverneur de la Guadeloupe, il avait été l'homme des réformes, d'une approche politique et sociale du développement économique et humain de ces îles.
Fort de sa profonde expérience Félix Eboue avait, dès les premières années de la France Libre, pressenti les évolutions inéluctables.
Réunie début 1944, la conférence de Brazzaville prend en compte la dette de gratitude envers les populations des territoires ralliés qui contribuent à l'effort militaire. Elle met sur pied un programme de recommandations tendant à leur donner une personnalité politique et économique distincte : assemblées représentatives, décentralisation administrative, élection des députés, développement économique, politique sociale, éducation
Il faut regretter que la IVème République ait dilapidé trop vite le message de promesse et d'espoir de Brazzaville. On peut, avec Henri Laurentie, compagnon de la Libération et l'un de ses plus fidèles collaborateurs, estimer qu'une seule personne aurait permis de tenir tête : " c'était Eboué ". Il ajoute : " La fatalité voulut qu'il mourût au mois de mai 1944 (). La disparition d'Eboué fait notre malheur, notre grand malheur. Lui seul, gaulliste, mais issu de la Troisième République, lié avec tant d'hommes du régime antérieur, se refusant pourtant à toute compromission, et gardant pour règle les servitudes et l'honneur du métier, politique et non politicien, ennemi de la démagogie comme de l'abus d'autorité, nègre enfin, et capable par là même d'impressionner le contradicteur, de l'amener à écouter les leçons de son expérience et à faire droit à son bon sens, lui seul, Eboué, aurait pu expliquer ce que l'on eût préféré ne pas comprendre, imposer ce que l'on s'efforcerait de ne pas admettre ".
Reste que dans la mémoire collective, Brazzaville et ses suites ouvrent de nouvelles perspectives aux relations entre la France et ce qui deviendra la Francophonie. D'ailleurs, apparus outre-mer en ces temps troublés, de nouveaux organismes se consacrent au développement telle la Caisse centrale de la France libre, aujourd'hui l'AFD ou encore à la recherche scientifique, d'ailleurs encouragée par la résistance intérieure tel l'ORSTOM, devenu l'Institut de recherche pour le développement (IRD).
Aujourd'hui encore, le souvenir de l'engagement de nos compatriotes d'outre-mer pour la libération de la France est en effet un élément essentiel du lien affectif qui unit leurs départements et collectivités à la Patrie.
C'est pourquoi, j'ai souhaité donner un retentissement tout particulier à l'hommage rendu à Félix Eboue, mort sans connaître la victoire, épuisé par son engagement total dans la lutte pour la liberté.
Pour la France, la mort d'Eboué, est une perte sévère.
Mais, ainsi que le déclare René Pleven, " ceux qui, comme Eboué, s'en vont avant la délivrance de la Patrie, sont morts pour elle ". Le gouverneur général Eboué, Compagnon de la Libération, est le premier des chefs de l'Empire français a avoir osé dire " non " à la résignation et au déshonneur. Félix Eboué ne cessa de servir son pays que pour mourir, Félix Eboué est bien mort pour la France.
La mémoire de cet homme d'exception est de nature à nous rassembler tous dans un sentiment de fierté de notre histoire autour d'un personnage éminent de la République que son entrée au Panthéon a consacré parmi les grands hommes.
Ainsi que l'écrivait le général de Gaulle, " cet homme d'intelligence, de cur, ce Noir ardemment français, ce philosophe humaniste répugnait de tout son être à la soumission de la France et au triomphe du racisme nazi (). Félix Éboué, grand Français, grand Africain, est mort à force de servir. Mais voici qu'il est entré dans le génie même de la France ".
Les hommes de la trempe d'Éboué, les compagnons de la France libre, les soldats de la France combattante se sont engagés pour la défense d'une culture large, généreuse qui élève les consciences, exalte le sentiment de dignité humaine, qui ignore les préjugés.
L'hommage rendu à l'occasion du 60ème anniversaire de la disparition de Félix Eboue se doit de mettre en lumière, notamment auprès des jeunes générations, son rôle historique et, plus largement, de souligner l'implication essentielle et durable de tous ceux qui, originaires de la France d'Outre-mer, constituent bien le sel de la Nation.
(Source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 15 octobre 2004)
Monsieur le Député-maire du Vème arrondissement de Paris,
Mesdames et messieurs les élus,
Mesdames et messieurs,
Je dois tout d'abord vous dire combien je suis heureuse de vous voir cet après-midi si nombreux à avoir répondu à notre invitation, afin de rendre hommage à ce grand Français que fut Félix Eboué, haut-fonctionnaire, né en Guyane et compagnon du Général de Gaulle, décédé il y a tout juste 60 ans. Je suis à la fois fière et honorée de présider le lancement de manifestations dont le sens profond est chargé d'émotion.
Cet hommage je l'ai souhaité le plus complet. Il s'inscrit dans la politique d'action culturelle que je mène en tant que ministre de l'Outre-mer afin de faire mieux connaître et apprécier de tous nos compatriotes l'apport essentiel de l'outre-mer à la Nation.
Je viens de découvrir la magnifique exposition réalisée par le Centre des Archives d'Outre-Mer d'Aix-en-Provence. Qu'il me soit permis de remercier tout d'abord ceux qui ont contribué à sa réalisation : les commissaires généraux, Madame Martine Cornede et Monsieur François Chauvin, la commissaire scientifique, Isabelle Dion et les membres du comité scientifique : Mesdames Hélène D'almeida-Topor, Françoise Lemaire-Thabouillot, Josette Rivallain, Hélène Servant, Dominique Taffin, Messieurs René Belenus, Hubert Bonin, Jean-Paul Cointet, Jacques Fremeaux et Marc Michel.
Merci aussi à Jean Tiberi de nous offrir ces espaces magnifiques, à deux pas du Panthéon, où depuis 1949 repose Félix Eboue. Je me réjouis également des partenariats qui rendent cet événement possible. En particulier, le concours essentiel que nous apporte l'Agence française de développement; héritière de la Caisse Centrale de la France Libre, elle rejoint à travers cet hommage à Eboué les deux piliers de son action présente, servir le progrès économique de la France d'Outre-Mer et soutenir le développement, notamment en Afrique francophone.
Je salue également la société française d'histoire d'Outre-Mer qui porte le colloque que nous ouvrirons demain à l'ENA.
La mémoire de Félix Eboue est célébrée dès les lendemains de la Libération. Une place particulière lui est réservée parmi les Français libres de la première heure. Eboue entre dans l'histoire pour avoir eu en août 1940 la hardiesse de rallier le Tchad à la France libre, pour avoir dit non à la soumission ce qui lui a valu d'être condamné à mort par le régime de Vichy.
Peu connu du public avant ces événements, Félix Eboue est tout à la fois un homme de son temps et un personnage hors du commun. C'est un pur produit de la République ; petit-fils d'esclave, il s'élève par le mérite et se dévoue à l'intérêt commun. Fort de ses convictions philosophiques et politiques, il aborde avec humanisme la structure coloniale, s'employant à la faire évoluer. Parfois en butte à des déceptions de carrière ou à de virulentes oppositions, Eboue sait aussi susciter l'attachement de ses collaborateurs et l'adulation des populations. Félix Eboue incarne tout à la fois la volonté, l'esprit de résistance et l'aspiration au renouveau. Dans les jugements portés sur lui, trois mots reviennent toujours, trois mots qui, selon ses contemporains, le dépeignent très exactement : calme, pondération et bonté. Qualité que tous reconnaissent à celui que l'un de ses collaborateurs les plus proches, le martiniquais André Bayardelle, décrit comme un " géant massif, au jugement fin et à l'esprit droit ".
L'hommage que nous lui rendons, il nous faut le replacer aujourd'hui dans le contexte historique d'événements désormais lointains mais qui doivent demeurer présents dans nos mémoires et dans nos curs.
Après l'effondrement des armées de la République, en juin 1940, c'est autour du général de Gaulle que se dresse la résistance, symbole de l'honneur. Ses compagnons refusent d'accepter la défaite. Et c'est outre-mer, que la France libre trouve sa légitimité.
Ce qui unit les premiers Français libres, c'est le refus d'abdiquer. Les ralliements au général de Gaulle, depuis le Pacifique et le Tchad jusqu'aux Antilles et les combats légendaires de Koufra, Mourzouk, Bir-Hakeim ou du Fezzan, fondent cette nouvelle épopée.
Ce renouveau vient de ce que l'on appelait alors l'Empire français. L'occupation par l'ennemi de ces territoires aurait pu mettre en péril la cause alliée. La présence de sous-marins nazis à Douala, Pointe-noire ou Dakar aurait fait peser une menace intolérable sur la route du Cap. Au contraire, les points d'appui stratégiques offerts aux Alliés en Afrique ont pour les démocraties une influence décisive sur la conduite de la bataille.
De même que la résistance intérieure, la France libre développe dans les territoires qui lui sont ralliés, un esprit, une âme.
En dépit des diversités d'origines, de cultures, de langues et de croyances, en dépit des négligences, des incohérences, des erreurs, voire même des injustices de l'ancienne politique coloniale, la France combattante exalte ce qu'il y a de plus profond, une histoire, une conception de l'homme et de la vie, un humanisme qui animent populations et combattants. Leur sacrifice personnel bâtit la richesse collective que constitue l'idéal républicain.
Les populations d'outre-mer apportent alors le témoignage suprême de leur appartenance consciente à cet idéal en venant défendre la République au péril de leur vie, comme cela avait déjà été le cas en 1914-18.
Il y a quelques mois lors d'un déplacement officiel, dans la Meuse, je me suis rendue à la nécropole de Douaumont pour honorer la mémoire de tous ceux qui ont donné leur vie pour la France et plus particulièrement nos compatriotes d'outre-mer tombés en 1916 : parmi les tombes, on lit toutes les populations d'outre-mer.
Après juin 1940, l'engagement des populations d'outre-mer a, peut-être, plus de mérite encore puisqu'alors la France apparaît non plus avec son appareil de puissance et de richesse mais seulement avec son âme incarnée dans le général de Gaulle et la Résistance. Après le Général de Gaulle, Eboué est probablement la figure la plus attachante de la France libre, celle que dès l'époque, les journaux et les magazines du monde entier ne cessent de populariser .
Avec Eboué, que soient tout particulièrement honorés ceux qui, en dépit des désastres, alors que la France était abattue et sans force, gardèrent confiance. L'élan qui les a conduit se poursuit dans les solidarités d'aujourd'hui.
C'est pourquoi, vous le savez, tous mes déplacements comme ministre de l'Outre-Mer, dans nos départements et collectivités, commencent par un temps de recueillement au monument aux morts. Ce n'est pas dans un souci de protocole, mais pour célébrer la mémoire de ceux qui, souvent sans connaître au préalable la France métropolitaine, ont quitté leurs foyers pour libérer la Patrie et sauver la liberté.
Il y a deux mois, le Président de la République et le Premier ministre m'avaient demandé de présider l'une des cérémonies nationales de commémoration du 60ème anniversaire du débarquement de Provence, cette seconde vague libératrice lancée sur les côtes de France, après le débarquement du 6 juin 1944, en Normandie. C'était l'occasion de rappeler que sur 350 000 militaires alliés alors engagés, 260 000 sont français, grâce à l'Empire. Le nom de Félix Eboue, Gouverneur général de l'Afrique Equatoriale Française, est indissolublement lié à l'envol qui porte alors les Français libres du lac Tchad jusqu'au Rhin et au Danube.
Comme Ministre de l'Outre-Mer, je me dois de rappeler l'effort accompli par les originaires de nos actuels départements et collectivités d'outre-mer pour la libération du territoire national : c'est que l'attachement qui unit ces terres à la Nation française est ancien, solide, confiant, loyal et constructeur. Il s'est forgé sur les bancs de l'école, dans les valeurs républicaines et dans les liens du sang.
La grande figure d'Eboué nous le rappelle encore aujourd'hui.
Mais Félix Eboue, c'est aussi l'homme du renouveau que constitue en 1944, la conférence de Brazzaville. Déjà, secrétaire général de la Martinique puis gouverneur de la Guadeloupe, il avait été l'homme des réformes, d'une approche politique et sociale du développement économique et humain de ces îles.
Fort de sa profonde expérience Félix Eboue avait, dès les premières années de la France Libre, pressenti les évolutions inéluctables.
Réunie début 1944, la conférence de Brazzaville prend en compte la dette de gratitude envers les populations des territoires ralliés qui contribuent à l'effort militaire. Elle met sur pied un programme de recommandations tendant à leur donner une personnalité politique et économique distincte : assemblées représentatives, décentralisation administrative, élection des députés, développement économique, politique sociale, éducation
Il faut regretter que la IVème République ait dilapidé trop vite le message de promesse et d'espoir de Brazzaville. On peut, avec Henri Laurentie, compagnon de la Libération et l'un de ses plus fidèles collaborateurs, estimer qu'une seule personne aurait permis de tenir tête : " c'était Eboué ". Il ajoute : " La fatalité voulut qu'il mourût au mois de mai 1944 (). La disparition d'Eboué fait notre malheur, notre grand malheur. Lui seul, gaulliste, mais issu de la Troisième République, lié avec tant d'hommes du régime antérieur, se refusant pourtant à toute compromission, et gardant pour règle les servitudes et l'honneur du métier, politique et non politicien, ennemi de la démagogie comme de l'abus d'autorité, nègre enfin, et capable par là même d'impressionner le contradicteur, de l'amener à écouter les leçons de son expérience et à faire droit à son bon sens, lui seul, Eboué, aurait pu expliquer ce que l'on eût préféré ne pas comprendre, imposer ce que l'on s'efforcerait de ne pas admettre ".
Reste que dans la mémoire collective, Brazzaville et ses suites ouvrent de nouvelles perspectives aux relations entre la France et ce qui deviendra la Francophonie. D'ailleurs, apparus outre-mer en ces temps troublés, de nouveaux organismes se consacrent au développement telle la Caisse centrale de la France libre, aujourd'hui l'AFD ou encore à la recherche scientifique, d'ailleurs encouragée par la résistance intérieure tel l'ORSTOM, devenu l'Institut de recherche pour le développement (IRD).
Aujourd'hui encore, le souvenir de l'engagement de nos compatriotes d'outre-mer pour la libération de la France est en effet un élément essentiel du lien affectif qui unit leurs départements et collectivités à la Patrie.
C'est pourquoi, j'ai souhaité donner un retentissement tout particulier à l'hommage rendu à Félix Eboue, mort sans connaître la victoire, épuisé par son engagement total dans la lutte pour la liberté.
Pour la France, la mort d'Eboué, est une perte sévère.
Mais, ainsi que le déclare René Pleven, " ceux qui, comme Eboué, s'en vont avant la délivrance de la Patrie, sont morts pour elle ". Le gouverneur général Eboué, Compagnon de la Libération, est le premier des chefs de l'Empire français a avoir osé dire " non " à la résignation et au déshonneur. Félix Eboué ne cessa de servir son pays que pour mourir, Félix Eboué est bien mort pour la France.
La mémoire de cet homme d'exception est de nature à nous rassembler tous dans un sentiment de fierté de notre histoire autour d'un personnage éminent de la République que son entrée au Panthéon a consacré parmi les grands hommes.
Ainsi que l'écrivait le général de Gaulle, " cet homme d'intelligence, de cur, ce Noir ardemment français, ce philosophe humaniste répugnait de tout son être à la soumission de la France et au triomphe du racisme nazi (). Félix Éboué, grand Français, grand Africain, est mort à force de servir. Mais voici qu'il est entré dans le génie même de la France ".
Les hommes de la trempe d'Éboué, les compagnons de la France libre, les soldats de la France combattante se sont engagés pour la défense d'une culture large, généreuse qui élève les consciences, exalte le sentiment de dignité humaine, qui ignore les préjugés.
L'hommage rendu à l'occasion du 60ème anniversaire de la disparition de Félix Eboue se doit de mettre en lumière, notamment auprès des jeunes générations, son rôle historique et, plus largement, de souligner l'implication essentielle et durable de tous ceux qui, originaires de la France d'Outre-mer, constituent bien le sel de la Nation.
(Source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 15 octobre 2004)