Texte intégral
Mesdames et Messieurs,
Nous dînons ensemble ce soir, M. Joseph Piqué et moi-même. M. Pique est ministre des Affaires étrangères depuis quatre mois. Nous nous sommes rencontrés et croisés dans beaucoup de réunions, beaucoup de Conseils Affaires générales, de Gymnich ou de Conseils européens, mais nous n'avions pas eu encore l'occasion jusqu'à maintenant d'avoir une longue conversation bilatérale et nous avons pensé dès la rentrée, juste après les vacances, que c'était très utile. Nous allons parler évidemment des questions européennes, vous connaissez le contexte, je n'ai pas besoin de le rappeler. Nous allons parler des sujets qui sont à l'ordre du jour de la Conférence intergouvernementale et de tous les autres sujets qui se présentent pendant la Présidence française. Nous allons certainement parler du projet de Charte, et d'autres sujets. Cela, c'est un des points de notre dîner.
Les positions française et espagnole ne sont jamais contradictoires, elles sont un peu différentes dans le détail sur certains points, mais toujours suffisamment proches pour que l'on puisse en parler très utilement pour essayer de faire avancer les choses, de faire avancer cette négociation qui est difficile, comme vous le savez. Mais nous n'allons pas parler que des sujets européens, parce qu'il y a beaucoup de domaines très importants à propos desquels il y a une concertation franco-espagnole, que j'ai menée très activement avec le prédécesseur de M. Piqué, et que j'ai tout à fait l'intention de poursuivre avec lui. Je sais que c'est aussi son intention. Je veux dire par là un échange de vue confiant et régulier sur toutes les questions qui touchent à l'Amérique latine, au Maghreb, à la Méditerranée, au processus de paix, et toute cette dimension européenne qui est très importante, qui peut concerner certains problèmes africains. Donc il y a aussi tout un volet qu'il ne faut pas oublier dans nos discussions et que nous n'allons pas oublier. Voilà le "menu" de notre dîner.
Q - Je désirerais savoir si vous allez parler de la coopération antiterroriste, et notamment de cette coopération sur le plan judiciaire ?
R - Nous allons évidemment en parler, parce que nous allons parler de tout. J'en profite pour redire la pleine solidarité des autorités, et je crois aussi d'ailleurs du peuple français, avec l'Espagne frappée régulièrement par des actions terroristes. Cette solidarité se traduit par une coopération active que vous connaissez. Naturellement, nous verrons ce que nous pouvons faire pour la renforcer même si, en pratique, cela dépend d'autres ministres que nous.
Q - Vous avez évoqué tout à l'heure des consultations avec M. Solana, l'OSCE, ainsi qu'avec M. Kouchner. Comment cela va-t-il se passer ? Allez-vous leur parler cette nuit ? Comment allez vous prendre votre décision par rapport aux élections yougoslaves ?
R - Vous avez déjà presque répondu dans votre question. En effet, à partir de maintenant, mes collaborateurs sont déjà en contact avec les uns et les autres, c'est-à-dire avec M. Solana à Bruxelles, avec chacune des capitales de l'Union européenne, avec les Américains, avec les Russes, avec l'OSCE à Vienne, etc. Donc, nous sommes déjà en train de rassembler toutes les informations dont on peut disposer sur la façon dont les élections se sont réellement déroulées, de façon à pouvoir forger notre propre évaluation et à ne pas être dépendants d'éventuelles déclarations mensongères ou manipulations. Nous allons faire ce travail ce soir et pendant la nuit, et nous élaborerons ensemble une position. En ce qui concerne l'Union européenne, puisque nous en avons la présidence, nous proposerons, dès que nous aurons des éléments suffisants, une position, une ligne, une déclaration, à nos partenaires par les procédés habituels. Tout cela ira très vite, mais nous voulons nous exprimer à la fois vite et en même temps avec des éléments d'appréciation suffisants. Je n'ajoute rien sur ces élections - vous en connaissez le contexte - et sur les manipulations qui, certainement, ont été préparées.
Q - Vous avez des exemples concrets de manipulations ?
R - Il y a eu des éléments, dont certains ont été rendus publics par la presse britannique, des indications que nous avons eues par d'autres sources, et sinon tout simplement un raisonnement politique évident. Il est clair que, quand le président Milosevic a décidé de modifier les institutions pour retrouver un nouveau mandat en modifiant les conditions de l'élection, il ne pensait pas une seconde être face à un risque. Or, en dépit de la nature du régime, en dépit de la répression et de la surveillance, ce risque pour lui a grandit, parce qu'il y a une partie grandissante de l'opinion publique serbe qui comprend qu'elle a été enfermée dans une trappe par la politique de Milosevic et qui veut en sortir. On a vu ces dernières semaines croître la nervosité du régime par rapport à cela. Nous sommes donc, comme vous le savez, très mobilisés pour observer de toutes les façons possibles, ce qui se passe ; pour pouvoir dénoncer le mensonge s'il a lieu ; et de toute façon, quoi qu'il arrive aujourd'hui et demain, nous poursuivrons notre politique qui est de permettre, le plus tôt possible, au peuple serbe de retrouver une place normale dans l'Europe. Mais il y a encore peut-être des obstacles à franchir. En tout cas, c'est bien l'état d'esprit que nous avons très fortement à Quinze. Pour le détail des heures qui viennent, vous me permettrez de ne pas en dire plus précisément, parce je dois auparavant me livrer à ces consultations.
Q - Que va faire l'Union européenne si Milosevic gagne les élections ?
R - Chère madame, c'est précisément l'objet de ces consultations. Je ne peux pas répondre avant sur ce que nous dirons après. Et puis, nous ne sommes pas encore exactement dans cette situation. Il faut toujours éviter de commenter les événements avant.
Q - Mais vous avez déjà dit, dans l'autre cas, que vous lèveriez les sanctions en cas de victoire de l'opposition...
R - Ce n'est pas un commentaire cela. C'était une main tendue. Voilà la différence.
Maintenant, nous allons travailler tous les deux, tout en restants attentifs à ce qui se passe en Serbie. Je suis sûr en plus que notre travail de ce soir sera très utile pour la très prochaine visite de M. Aznar à Paris. Merci.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 27 septembre 2000
Nous dînons ensemble ce soir, M. Joseph Piqué et moi-même. M. Pique est ministre des Affaires étrangères depuis quatre mois. Nous nous sommes rencontrés et croisés dans beaucoup de réunions, beaucoup de Conseils Affaires générales, de Gymnich ou de Conseils européens, mais nous n'avions pas eu encore l'occasion jusqu'à maintenant d'avoir une longue conversation bilatérale et nous avons pensé dès la rentrée, juste après les vacances, que c'était très utile. Nous allons parler évidemment des questions européennes, vous connaissez le contexte, je n'ai pas besoin de le rappeler. Nous allons parler des sujets qui sont à l'ordre du jour de la Conférence intergouvernementale et de tous les autres sujets qui se présentent pendant la Présidence française. Nous allons certainement parler du projet de Charte, et d'autres sujets. Cela, c'est un des points de notre dîner.
Les positions française et espagnole ne sont jamais contradictoires, elles sont un peu différentes dans le détail sur certains points, mais toujours suffisamment proches pour que l'on puisse en parler très utilement pour essayer de faire avancer les choses, de faire avancer cette négociation qui est difficile, comme vous le savez. Mais nous n'allons pas parler que des sujets européens, parce qu'il y a beaucoup de domaines très importants à propos desquels il y a une concertation franco-espagnole, que j'ai menée très activement avec le prédécesseur de M. Piqué, et que j'ai tout à fait l'intention de poursuivre avec lui. Je sais que c'est aussi son intention. Je veux dire par là un échange de vue confiant et régulier sur toutes les questions qui touchent à l'Amérique latine, au Maghreb, à la Méditerranée, au processus de paix, et toute cette dimension européenne qui est très importante, qui peut concerner certains problèmes africains. Donc il y a aussi tout un volet qu'il ne faut pas oublier dans nos discussions et que nous n'allons pas oublier. Voilà le "menu" de notre dîner.
Q - Je désirerais savoir si vous allez parler de la coopération antiterroriste, et notamment de cette coopération sur le plan judiciaire ?
R - Nous allons évidemment en parler, parce que nous allons parler de tout. J'en profite pour redire la pleine solidarité des autorités, et je crois aussi d'ailleurs du peuple français, avec l'Espagne frappée régulièrement par des actions terroristes. Cette solidarité se traduit par une coopération active que vous connaissez. Naturellement, nous verrons ce que nous pouvons faire pour la renforcer même si, en pratique, cela dépend d'autres ministres que nous.
Q - Vous avez évoqué tout à l'heure des consultations avec M. Solana, l'OSCE, ainsi qu'avec M. Kouchner. Comment cela va-t-il se passer ? Allez-vous leur parler cette nuit ? Comment allez vous prendre votre décision par rapport aux élections yougoslaves ?
R - Vous avez déjà presque répondu dans votre question. En effet, à partir de maintenant, mes collaborateurs sont déjà en contact avec les uns et les autres, c'est-à-dire avec M. Solana à Bruxelles, avec chacune des capitales de l'Union européenne, avec les Américains, avec les Russes, avec l'OSCE à Vienne, etc. Donc, nous sommes déjà en train de rassembler toutes les informations dont on peut disposer sur la façon dont les élections se sont réellement déroulées, de façon à pouvoir forger notre propre évaluation et à ne pas être dépendants d'éventuelles déclarations mensongères ou manipulations. Nous allons faire ce travail ce soir et pendant la nuit, et nous élaborerons ensemble une position. En ce qui concerne l'Union européenne, puisque nous en avons la présidence, nous proposerons, dès que nous aurons des éléments suffisants, une position, une ligne, une déclaration, à nos partenaires par les procédés habituels. Tout cela ira très vite, mais nous voulons nous exprimer à la fois vite et en même temps avec des éléments d'appréciation suffisants. Je n'ajoute rien sur ces élections - vous en connaissez le contexte - et sur les manipulations qui, certainement, ont été préparées.
Q - Vous avez des exemples concrets de manipulations ?
R - Il y a eu des éléments, dont certains ont été rendus publics par la presse britannique, des indications que nous avons eues par d'autres sources, et sinon tout simplement un raisonnement politique évident. Il est clair que, quand le président Milosevic a décidé de modifier les institutions pour retrouver un nouveau mandat en modifiant les conditions de l'élection, il ne pensait pas une seconde être face à un risque. Or, en dépit de la nature du régime, en dépit de la répression et de la surveillance, ce risque pour lui a grandit, parce qu'il y a une partie grandissante de l'opinion publique serbe qui comprend qu'elle a été enfermée dans une trappe par la politique de Milosevic et qui veut en sortir. On a vu ces dernières semaines croître la nervosité du régime par rapport à cela. Nous sommes donc, comme vous le savez, très mobilisés pour observer de toutes les façons possibles, ce qui se passe ; pour pouvoir dénoncer le mensonge s'il a lieu ; et de toute façon, quoi qu'il arrive aujourd'hui et demain, nous poursuivrons notre politique qui est de permettre, le plus tôt possible, au peuple serbe de retrouver une place normale dans l'Europe. Mais il y a encore peut-être des obstacles à franchir. En tout cas, c'est bien l'état d'esprit que nous avons très fortement à Quinze. Pour le détail des heures qui viennent, vous me permettrez de ne pas en dire plus précisément, parce je dois auparavant me livrer à ces consultations.
Q - Que va faire l'Union européenne si Milosevic gagne les élections ?
R - Chère madame, c'est précisément l'objet de ces consultations. Je ne peux pas répondre avant sur ce que nous dirons après. Et puis, nous ne sommes pas encore exactement dans cette situation. Il faut toujours éviter de commenter les événements avant.
Q - Mais vous avez déjà dit, dans l'autre cas, que vous lèveriez les sanctions en cas de victoire de l'opposition...
R - Ce n'est pas un commentaire cela. C'était une main tendue. Voilà la différence.
Maintenant, nous allons travailler tous les deux, tout en restants attentifs à ce qui se passe en Serbie. Je suis sûr en plus que notre travail de ce soir sera très utile pour la très prochaine visite de M. Aznar à Paris. Merci.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 27 septembre 2000