Interview de M. Jean-François Copé, secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement et porte-parole du gouvernement, à Europe 1 le 3 décembre 2003, sur les inondations dans le sud-est, l'affaire Executive Life et le risque de procès avec les Etats-Unis et sur la laïcité.

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Média : Europe 1

Texte intégral

C'est l'inconvénient de votre rôle, J.-F. Copé : il pleut, il fait mauvais, il y a des difficultés, on est obligé de vous appeler, le pire arrive. Bonjour d'abord...
- "Bonjour."
Le pire arrive, le mauvais temps s'installe dans le grand Sud-Est, le Gouvernement n'est, bien sûr, pas maître de la météo, mais de la protection civile. Que préparez-vous, qu'allez-vous faire pour éviter que les catastrophes, que les inondations et les ravages soient inévitables en France ?
- "D'abord, aujourd'hui, on gère une crise, une situation qui est très difficile et qui nécessite la mobilisation générale. Donc, dès hier soir, le Premier ministre a réuni autour de lui un comité interministériel de gestion de la crise, avec l'ensemble des ministres qui sont en charge de ces questions : Intérieur, Défense, Sécurité civile, Santé, Environnement. Et tous les moyens qui sont demandés sur place par les différents préfets sont évidemment envoyés immédiatement."
C'est-à-dire : hélicoptères, plus de pompiers, plus de militaires ?
- "Et puis, bien entendu, surtout en matériels, et puis on a veillé à ce que les personnes qui devaient être évacuées le soient. Et je dois dire que, aujourd'hui, vraiment, les services fonctionnent remarquablement bien, dans les conditions très difficiles que vous imaginez."
Dans cette région, et en cette saison, ces chutes de pluie n'ont rien d'exceptionnel. Le Plan Prévention qu'avait prévu R. Bachelot il y a un an, est-ce que vous l'estimer ou doit-on l'estimer insuffisant ?
- "Non, il correspond tout à fait à ces attentes. Mais dans ce Plan, vous le savez sans doute, il y a aussi tout un travail de prévention qui exige de s'inscrire dans la durée. Il y a des investissements à réaliser ; il y a effectivement des ouvrages publics qui doivent être réhabilités, dont on doit tester l'efficacité, notamment par rapport aux crues. Il faut savoir qu'aujourd'hui on est tout de même sur un processus très probable de crues
centennales quand même."
Oui, mais ce qui est frappant c'est qu'il y a des endroits qui sont touchés pour la quatrième fois en 14 mois ! Comme si rien ne pouvait être fait !
- "Oui... Si ce n'est tout de même que, par rapport à ce qui se passe aujourd'hui, les services publics, parce qu'ils sont très entraînés, très préparés, ont travaillé malgré les difficultés et les conditions météorologiques, de telle sorte que l'on puisse très vite organiser le plan d'évacuation par exemple."
R. Bachelot sera tout à l'heure à Marseille. Qu'est-ce qui change avec un ministre sur place ?
- "Je crois que ce qui est très important, c'est de trouver le juste équilibre. Il ne faut pas que le ministre soit trop près de l'événement, parce qu'il faut s'occuper d'abord des secours et primer l'efficacité, et en même temps, être au plus près possible du terrain, avec le préfet et avec l'ensemble des services, et puis au contact de la population. Je crois que ce qui est très important, c'est que, sur place, chacun voit la mobilisation générale et y compris au plus haut niveau du Gouvernement."
Depuis tout à l'heure, vous répétez "mobiliser, mobiliser", "mobilisation", "tous les moyens", "nous sommes tous présents". Est-ce qu'il n'y a pas un peu un effet canicule ? C'est-à-dire tout faire pour éviter de recommencer ce qui s'est passé pendant l'été ?
- "Non, je crois que c'est difficile..."
C'est pas mauvais, enfin c'est un signe...
- "Non, je crois qu'on ne peut pas comparer des choses qui ne sont aussi différentes quand même. C'est un autre événement, celui que nous vivons aujourd'hui. Ce que je veux simplement vous dire, c'est que, sur des sujets comme ceux-là, nous sommes, les uns et les autres, très sensibles, et ça dépasse évidemment les différences politiques. Mais très sensibles à la nécessité de mieux se préparer à la gestion d'événement de cette gravité. C'est la raison pour laquelle, vous voyez aujourd'hui, d'une part évidemment, le Premier ministre qui a immédiatement réagi - ça va de soi - mais derrière ça, des services de mieux en mieux préparés à la gestion méthodique d'un événement qui est d'abord celui de l'angoisse des gens."
Vous avez bien fait de venir. Executive Life : à Los Angeles, il y a donc échec avec la justice de Californie. La France ne veut pas d'accord partiel, c'est-à-dire : sans F. Pinault, sans éventuellement J. Peyrelevade. Pourquoi refuse-t-elle un accord sans eux ?
- "Tout simplement, parce que c'est un accord qui engage énormément les finances publiques, dont l'argent du contribuable, et qu'il n'a de sens, si toutefois il devait en avoir un, qu'à partir du moment où c'est bien un accord global qui ne risquerait pas d'être remis en cause d'ici quelques semaines, quelques mois par des voies diverses."
Mais vous savez ce qui est dit : toute cette agitation, parce qu'on ne lâche pas un ami, monsieur Pinault ?
- "Je trouve qu'il y a une détestable tradition en France, qui consiste à jeter à la vindicte populaire des noms de personnes. Et derrière cela et il y a une réalité..."
C'est pas ce que je fais, je montre du doigt des responsables !
- "Oui, mais, attendez, justement..."
Il y en aurait peut-être d'autres...
- "Si vous le permettez, juste pour bien terminer cette idée : il ne faut pas se tromper. Dans cette affaire, le Gouvernement n'a eu qu'une seule préoccupation : la défense des intérêts du contribuable français. Or, chacun sait que face à cette situation qui, je le rappelle quand même, concerne une affaire d'il y a plus de dix ans - c'était à l'époque d'ailleurs, je crois, d'un gouvernement socialiste, c'était l'affaire du Crédit Lyonnais - et puis, pire que ça, c'était une société américaine dont les personnes lésées ne l'ont pas été par des dirigeants français mais par des dirigeants américains, c'est dire combien tout ça doit être placé dans son contexte."
Les Américains exagèrent quoi ?
- "Mais ça, ce n'est pas mon propos. Ce que je veux simplement vous dire, c'est que, dans cette affaire, le Gouvernement français actuel récupère cette situation, et la gère au mieux des intérêts des Français."
Mais on va vers le procès ?
- "Si nous n'avons pas d'accord, ce qui à ce stade d'ailleurs, est le cas, il n'y a pas d'accord global pour l'instant, eh bien, comme d'ailleurs, je crois, le Premier ministre vous l'avait dit, à vous-même sur votre antenne, si on doit aller au procès, nous n'avons pas peur du procès."
Mais c'est risqué, c'est coûteux, et qui va payer les amendes sinon le Gouvernement et donc le contribuable ?!
- "On verra le déroulement du procès. En tous les cas, ce qui est clair, c'est que, l'accord n'avait de sens, tel que le demandait la justice américaine, et pour le Gouvernement français, que si c'était un accord global et définitif. Et aujourd'hui, ça n'est pas le cas."
De fait, le jour du procès, le Gouvernement, ce Gouvernement Raffarin, sera loin, non ? Est-ce que ce ne sera pas à votre tour de laisser l'héritage au gouvernement suivant ?
- "Ecoutez, il sera loin...Ne préjugez pas de l'avenir J.-P. Elkabbach !"
Non, parce que je lis, j'entends... Vous savez que la presse revient périodiquement sur le sujet, et puis il y a des ministres qui confient qu'ils sont prêts, qu'ils plient bagages. Est-ce que vous avez le sentiment d'appartenir, vous, à un Gouvernement en sursis ?
- "Non, non. Je sais que la vie politique est parfois très cruelle, mais enfin, en même temps, écoutez, nous conduisons des réformes qui sont très difficiles, que beaucoup n'ont pas voulu faire avant. Il est assez légitime d'entendre, ici et là, des agacements, de ceux qui n'ont pas fait des réformes avant, par exemple. Mais enfin, en tout cas, nous, nous nous accomplissons un devoir, une mission, et nous le faisons avec la détermination qui s'impose. Et ne voyez pas dans ce que je vous dis - je m'empresse de le dire - la langue de bois du porte-parole. Je suis passionné par cette mission gouvernementale..."
Vous voyez, vous êtes obsédé, je ne vous l'ai pas dit !
- "Parce que je voyais votre mine et je voulais simplement le préciser."
Pas du tout, pas du tout, ne traduisez pas.
- "Je voulais le préciser, parce que ces réformes-là, elles sont essentielles, elles sont passionnantes, et c'est normal qu'il y ait, ici ou là, des critiques. Mais pour autant on est déterminés."
Non, je me disais, J.-F. Copé, aujourd'hui, il y a Conseil des ministres, c'est peut-être l'occasion pour le président de la République de soutenir l'action d'un Premier ministre Raffarin, justement attaqué alors ?
- "Mais il a toujours... Enfin, il n'y a jamais eu aucune ambiguïté sur ce point, de quelque nature que ce soit."
Encore un problème : est-ce qu'il est possible que l'amendement Garraud sur l'interruption involontaire de grossesse soit accepté par le Premier ministre ?
- "Les choses aujourd'hui sont en discussion, donc je ne peux pas vous en dire beaucoup plus. Il ne doit y avoir aucune ambiguïté, aucune, sur le fait que, la législation sur l'interruption involontaire de grossesse doit être pleinement respectée. Je rappelle que là, c'est quand même un cas très particulier, qui consiste à parler de l'interruption involontaire liée à un accident de la route par exemple."
Réponse, quand sur cet amendement ?
- "On va voir, puisque ça va continuer au Sénat, et que par ailleurs, D. Perben consulte beaucoup sur toutes ces questions de nombreuses personnalités."
Un mot, parce qu'on a en beaucoup parlé sur Europe 1 : 20 ans après la marche des Beurs, certains ont réussi, d'autres, qui se sentent abandonnés, sont tentés et parfois absorbés par l'islamisme. "Le moment est décisif", disait le Père Delorme. Que dites-vous ?
- "Que le moment est effectivement décisif. J'ai vu dans ma ville de Meaux comment les choses évoluent de ce point de vue. Il y a des réussites formidables en matière d'intégration, j'ai des élus au conseil municipal qui sont d'origine immigrée récente. Mais il y a aussi, il ne faut pas se masquer la réalité, des tentations communautaristes, des tentations intégristes sur lesquelles il faut être très vigilant. C'est pour cela d'ailleurs que nous autres au Gouvernement, mettons aussi les pieds dans le plat par rapport à ces questions de laïcité. C'est parce qu'il faut que chacun comprenne bien qu'il y a des choses qu'on ne peut pas laisser de côté, qu'on ne peut pas minimiser. Il y a une réalité de repli communautariste, de risques, qui sont plus de nature d'ailleurs politique que religieux en réalité, même si c'est parfois masqué par la religion. Tout cela nécessite que l'on en parle, y compris 20 ans après la marche des Beurs. Et enfin, sans oublier quelques nombreuses réussites formidables dans ce domaine. Et c'est aussi cela que J.-P. Raffarin va saluer ce matin."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 3 décembre 2003)