Tribune de M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre, dans "Le Figaro" du 10 janvier 2004, sur la politique de l'emploi, intitulée "L'accès au travail, clef d'une vraie politique sociale".

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Média : Le Figaro Magazine

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En France tout le monde semble d'accord pour préserver et conforter notre modèle social. Il reste pourtant une question : pourquoi le chômage est-il si élevé, alors que tant de politiques ont été essayées ? Pourquoi l'accès au travail est-il si difficile ? Au moment de l'alternance en 2002, le chômage en France était plus du double de celui de nos voisins anglais, suédois ou néerlandais !
Les effets de la croissance ne sont pas innocents des résultats du chômage évidemment. Cependant, malgré une rupture de croissance particulièrement brutale de 2000 à 2003 - le taux de croissance a été divisé par 2 chaque année - nous avons réussi difficilement à maintenir stable la population active salariée. Il y a ainsi aujourd'hui 15,4 millions de salariés, exactement le même nombre qu'au printemps 2002.
Cette période a montré que la seule chance que nous avons de vaincre le chômage, c'est de mener une politique d'accessibilité au travail. Il s'agit de lever les nombreux obstacles à l'emploi. En Europe cela parait évident à tous, mais ce n'est pas ce qui a été fait auparavant dans notre Pays. Cette stratégie en France est neuve.
Comment mon gouvernement mène-t-il cette politique d'ouverture du travail ? La réponse est claire : en faisant trois choix qui avaient été précédemment écartés :
- L'accès au travail, clef d'une vraie politique sociale
- Les contrats incluants plutôt que les statuts excluants ;
- La promotion sociale plutôt que la réduction du temps de travail ;
- La création de projets plutôt que la multiplication des réglementations et le gonflement des structures publiques.
L'idée de statut est séduisante mais quand elle enferme un jeune, cinq ans durant, dans un cadre sans débouché, sans validation des acquis, c'est en réalité une idée excluante.
C'est une idée qui éloigne plus qu'elle ne rapproche de l'emploi. C'est une " position parking ". A l'inverse, en supprimant les charges pour les " Contrats jeunes en entreprise " nous avons permis à près de 130 000 jeunes d'accéder à un vrai contrat à durée indéterminée, dans une vraie entreprise. C'est un contrat intégrant. De même pour les salariés seniors, nous permettons aux entreprises qui embauchent des chômeurs de plus de 50 ans de recevoir une prime de cinq cent euros par mois pendant cinq ans : le nouveau " contrat initiative emploi " représente un effort sans précédent.
De la même façon, chacun peut constater qu'il est difficile de passer du RMI à un CDI. L'idée initiale de RMI, qui est une idée d'insertion, doit être renforcée sinon c'est la barrière entre le RMI et l'emploi qui se renforcera. Ce serait alors le revenu minimum d'exclusion.
C'est pour cela que nous avons créé le RMA, le Revenu Minimum d'Activité, qui crée une marche, une étape, entre le RMI et l'emploi durable avec un contrat de minimum vingt heures, pour faciliter la transition et réussir l'insertion par le travail. Contester l'utilité de telles étapes, c'est accepter l'inaccessibilité du travail pour beaucoup de nos compatriotes.
Nos prédécesseurs ont fait le choix de la réduction du temps de travail. Au total le bilan social et financier est très discutable. Le service public a été affaibli. L'exemple de l'hôpital est le plus flagrant, mais il est loin d'être le seul. La Poste, au lendemain de 30 000 recrutements dus à la réduction de travail, a connu des difficultés financières telles qu'elle s'est trouvée socialement menacée, avant qu'un nouveau projet ne soit bâti pour lui permettre de repartir. Le SMIC a été éclaté et de nombreuses situations professionnelles ont été gelées car il n'était plus possible de travailler plus pour gagner plus (sauf de manière clandestine).
Je ne fais pas le même choix, je fais le choix de la promotion sociale.
Pour cette raison, j'ai rétabli le SMIC unique par un alignement sur le salaire minimal le plus élevé. Nous nous sommes ainsi engagés à augmenter le SMIC en trois ans de l'équivalent d'un treizième mois. Cette politique de revalorisation du SMIC a des conséquences évidemment sur l'ensemble des salaires.
C'est ce même souci de revaloriser les revenus du travail par rapport aux revenus de l'assistance qui sous-tend notre politique de baisse des impôts et des charges : la baisse de 10 % de l'impôt sur le revenu, la revalorisation de la prime pour l'emploi, la mise en place d'un acompte de PPE de 250 euros pour les chômeurs qui reprennent un emploi sont au service du pouvoir d'achat et de l'emploi.
La promotion sociale est affaire de salaire mais aussi de formation. Redonner du sens et de la continuité aux trajectoires professionnelles est un enjeu essentiel de la sécurité sociale moderne. Au XXème siècle, la continuité du statut pouvait être assimilée à la continuité d'un emploi toute la vie durant. Cette continuité de l'emploi est remise en question dans un monde où les changements techniques conduisent nécessairement à des mouvements d'entreprises, d'emplois et de compétences.
Créer une véritable assurance-emploi passe aujourd'hui par le développement de la formation. Grâce au dialogue social, enfin rétabli, nous avons pu promouvoir par la loi un accord qui renforce pour chacun le Droit Individuel à la Formation tout au long de la vie. C'est une première étape importante. Une seconde étape majeure va être engagée avec la revalorisation de l'apprentissage, à tous les niveaux de formation. Dans cette dynamique, le monde du travail n'est pas un monde clos que se partagent ceux qui y ont accès mais un monde qui doit s'ouvrir au plus grand nombre de personnes. L'ouverture à tous plutôt que le partage à quelques uns.
Dans le service public aussi, dont les équilibres ont été gravement atteints par une mise en uvre mal maîtrisée de la réduction du temps de travail. Notre projet est de permettre aux fonctionnaires de construire une véritable carrière avec notamment la valorisation du mérite, et celle de la qualité du service public.
À l'extérieur, les fonctionnaires ont besoin du respect de la nation, à l'intérieur, ils ont aussi besoin de justice, trop étouffée par trop de rigidité.
Enfin, je crois que le futur de notre pays passe par le goût retrouvé des projets, c'est ainsi que s'affirme pour une nation " le goût de l'avenir ". Le gonflement ou la multiplication des structures et des organismes divers, tout comme l'accumulation des réglementations, ne conduisent plus au progrès social.
J'ai plus le goût des projets que celui des structures. C'est pour cette raison qu'au dernier Comité Interministériel de l'Aménagement du Territoire nous avons choisi d'investir pour cinquante grands projets qui serviront, à la fois, le rayonnement de la France et l'emploi des Français (Liaison Lyon Turin, Autoroutes de la Mer, Canal Seine Nord, Cité du Cinéma, Canceropôles, neuf nouvelles lignes TGV).
Je souhaite qu'il n'y ait plus aucune structure administrative nouvelle qui se crée sans parallèlement en supprimer une ancienne. J'y veillerai personnellement.
C'est dans cette logique de projets, aussi; que nous menons une politique active de création d'entreprises. Nous dépasserons, au rythme actuel, malgré la conjoncture de ces derniers mois, notre objectif d'un million d'entreprises nouvelles sur la législature.
Cette politique s'accompagne pour l'employeur d'importantes simplifications administratives, je pense notamment aux " Titre emploi entreprise " qui facilitera l'accès au travail pour 500 000 salariés ; mais c'est aussi pour le secteur associatif, le chèque emploi associatif étendu aux associations de moins de 3 salariés, ou encore la formule du chèque emploi service pour les particuliers employeurs qui va être simplifiée par la possibilité de faire des déclarations sur Internet.
Cette dynamique de création est appuyée dans les entreprises existantes par une puissante politique d'innovation et de recherche grâce à la multiplication par sept du nombre d'entreprises éligibles au " Crédit Impôt Recherche ".
L'ensemble de ces initiatives illustre ce qu'est une politique sociale qui lutte contre le chômage en valorisant le travail.
Il faut évidemment garder des moyens importants pour lutter contre toutes les formes d'exclusion, notamment en permettant l'émergence du projet personnel qui articule les leviers du travail mais aussi du logement et de la famille. Mon gouvernement a montré à plusieurs reprises qu'il était prêt à mobiliser des financements exceptionnels pour les plus fragiles. Par exemple en légiférant contre le surendettement grâce à la procédure de redressement personnel, en donnant des droits nouveaux pour les retraités qui ont commencé à travailler à 14, 15 ou 16 ans, ou en préparant un véritable plan contre la dépendance qui au-delà de la solidarité fasse appel à la fraternité, c'est-à-dire l'engagement de chacun.
Il faut évidemment s'engager contre toutes les fragilités sociales, notamment l'exclusion et la pauvreté, qui rongent notre société. La dignité de la personne restera toujours une cause légitime pour l'effort de la nation. Les fruits de la croissance nous permettront de renforcer cette juste cause. Mais dans cette lutte, l'ouverture du monde du travail sur la société est aussi une politique de prévention de la misère.
Nous poursuivons dans cette voie qui est un chemin de justice parce qu'il est juste de faire de l'accès au travail, la clef principale d'une vraie politique sociale. Cet esprit de justice guidera notre action en 2004.
(source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 12 janvier 2004)