Entretien de Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée aux affaires européennes, avec BFM le 3 juin 2004, sur la campagne des élections européennes de 2004 et la commération du débarquement allié du 6 juin 1944.

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Média : BFM

Texte intégral

Q - Bonjour Claudie Haigneré. Jusqu'à présent la campagne européenne a été relativement discrète. On a du mal à intéresser les Français à l'Europe et c'est la même chose dans les autres pays. Vous êtes vingt-cinq ministres à avoir signé un texte, à votre initiative dans tous les pays de l'Union européenne, pour appeler à une mobilisation pour ces élections européennes, la date se rapproche maintenant ?
R - Oui absolument. C'est plus que symbolique. J'ai pris cette initiative au dernier Conseil compétitivité le 18 mai dernier. Je me suis dit que nous devions écrire un texte, appeler à la mobilisation ces 348 millions de citoyens qui ont une responsabilité importante en élisant leurs représentants au Parlement européen. On m'a dit : "tu sais, cela va être très compliqué de mettre d'accord vingt-cinq ministres des Affaires étrangères et européennes". Eh bien, non, cela a très bien marché et aujourd'hui dans les quotidiens de ces vingt-cinq pays, un appel à la mobilisation citoyenne pour voter, est publié dans les langues des 25 pays. C'est un beau résultat. Cela représente un geste symbolique.
Q - C'est un beau résultat et un symbole aussi. Est-ce que ce n'est pas malheureusement, Claudie Haigneré, un symbole du manque d'intérêt des citoyens européens pour une élection importante puisqu'elle concerne l'avenir de l'Europe ?
R - Nous pouvons le considérer comme quelque chose de positif puisque cela fonctionne quand nous sommes déterminés autour d'un même projet. Il est essentiel de dire que le 13 juin est une étape importante : vous allez pouvoir exprimer un choix et désigner des représentants. Le Parlement européen a un rôle majeur à jouer dans l'élaboration des législations. L'Europe apporte un plus à ce que chacun des États fait et qu'il ne pourrait pas faire aussi efficacement sans l'Europe.
Q - Le problème, malheureusement, c'est que l'on élit des députés européens, puis, on lit dans la presse qu'ils n'y sont allés que deux ou trois fois ou qu'ils ont lâché cette fonction pour faire autre chose. Les candidats sont également mal connus, même en Ile-de-France : il y a peu de meeting. C'est un peu flou tout cela ?
R - Il y a deux signaux à donner. Premier point : allons voter massivement, cela donne à la France plus d'influence dans les décisions à prendre. Nous avons aussi cette responsabilité vis-à-vis des dix pays qui viennent de nous rejoindre. Nous sommes mobilisés pour construire l'Europe ensemble. Deuxième signal : ces représentants doivent être influents afin de faire passer la voix française au sein de l'Union élargie. Le choix de ces représentants est donc important. Il faut favoriser, là aussi, une forme d'influence : travailler de façon efficace au sein des commissions qui prennent des décisions et être connu des électeurs. L'élection, telle qu'elle est actuellement, donne la possibilité de mieux connaître nos représentants. Nous connaissons trop peu leur travail et c'est à nous et au Parlement européen de mieux expliquer leur rôle.
Q - Prenons un exemple, Claudie Haigneré : Patrick Gaubert est tête de liste pour l'UMP en Ile-de-France et président de la Licra, face à Harlem Désir, ancien fondateur de SOS Racisme. Il est dentiste et vous savez comme moi qu'il est très occupé, il a du mal à tenir ses meetings. Nous ne le voyons pas beaucoup. Quelqu'un comme cela va-t-il aller sur le terrain, travailler pour défendre les intérêts de la France ?
R - La mobilisation se fait en équipe. Je suis ici ce matin, avec vous, pour vous dire que chacun doit se mobiliser.
Q - Oui, mais vous êtes membre du gouvernement.
R - Les membres du gouvernement et les partis politiques ont un rôle à jouer, ont des projets et des plates-formes à exposer. Les citoyens vont se prononcer là-dessus. Il faut que les formations politiques et les élus soient très présents pour exprimer leurs souhaits. Vous avez évoqué Patrick Gaubert et Harlem Désir : ils sont représentatifs de ce que l'Europe est dans toute sa diversité. Nous parlons souvent d'Europe économique et monétaire. Mais il existe aussi cette Europe de solidarité et de valeurs auxquelles adhérent les vingt-cinq pays. Ces personnes sont représentatives de cette Europe que nous désirons : il y a l'Europe du concret autour de valeurs très fortes. Je suis tout à fait d'accord pour dire que chacun doit porter ce message là, message que nous n'entendons pas suffisamment lors des débats politiques à la radio et à la télévision.
Q - Est-ce que vous ne regrettez pas que le parti socialiste, l'UMP et le gouvernement ne parlent pas d'Europe en ce moment ? C'est ce que dit l'UDF qui en parle le plus.
R - Les enjeux de ces élections européennes, sont des enjeux européens. C'est cela qu'il faut considérer. On ne va pas avoir à voter le 13 juin pour ou contre la politique gouvernementale. Ce n'est pas cela. Nous sommes en train de construire l'Europe.
Q - Est-ce que ce sera un test national pour vous ? On l'avait dit pour les régionales.
R - La question est souvent posée comme cela. Les gens répondent à la question que le média a posée En tant que ministre en charge des affaires européennes, je considère que les élections européennes doivent porter sur des enjeux européens, immenses et sur lesquels nous devons vraiment nous engager. C'est le message que je porte et que j'ai porté dans toutes les régions françaises où je me suis rendue pour dialoguer. Nous prenons des responsabilités très fortes, il y a un Parlement, un Conseil des ministres et il faut y aller.
Q - George W. Bush arrive en Europe aujourd'hui à Rome. Le Président américain vient en France ensuite. Jacques Chirac a tenu à la présence de Gerhard Schröder pour la commémoration du débarquement. C'est symbolique de quoi, ces relations difficiles entre les États-Unis et l'Europe en ce moment ? En même temps, il y a une présence franco-allemande assez forte, comment voyez-vous les choses ?
R - Cette célébration du week-end sera déjà une reconnaissance, une gratitude par rapport à l'arrivée de l'Amérique, de ses alliés, de ses partenaires pour libérer l'Europe et en particulier la France qui était dans une situation dramatique. Il est très important que cette reconnaissance de ce qu'a fait l'Amérique se manifeste. Le symbole d'y associer le Chancelier Schröder est effectivement très fort. Nous avons franchi une étape, un peu comme l'Europe l'a franchie aussi.
Q - C'est la première fois que le chancelier allemand sera présent ?
R - Ce sera la première fois, absolument. C'est un peu aussi le symbole d'une réunification de l'Europe, une Europe qui vit, qui a repris sa parole par rapport à la situation dramatique dans laquelle elle était : la reconnaissance aux Américains et une capacité de l'Europe à surpasser ses divisions et faire entendre sa voix. C'est la conjonction des deux éléments qu'il faut saluer.
Q - En même temps, on attend de grosses manifestations à Rome, sans doute en France aussi, parce que George Bush fait le parallèle entre la Deuxième Guerre mondiale et la guerre en Irak. Il exagère d'après vous ?
R - Ce qui est important à faire comprendre, c'est que les situations complexes du monde d'aujourd'hui n'ont pas une solution unique. Il faut plusieurs voix, porter plusieurs messages, confronter plusieurs approches. Justement, l'Europe, lorsqu'elle se renforce, s'élargit, s'approfondit, retrouve une voix, une portée, un poids politique.
Q - Elle ne parle pas d'une seule voix, justement, c'est bien cela le problème.
R - Mais l'Europe ne s'est pas faite en un jour, et elle continue à se faire. Nous sommes en train de discuter d'une Constitution qui va proposer un ministre des Affaires étrangères qui puisse exprimer une voix.
Q - Il y aura un référendum sur la Constitution ?
R - Vous savez très bien que cette question sera tranchée plus tard. L'important est qu'on parle d'Europe, qu'on la comprenne mieux et qu'elle s'exprime. C'est ce qu'elle fera aussi auprès de George Bush ce week-end.
Q - La question de la Constitution sera tranchée plus tard, mais après les élections européennes. On ne saura pas avant et c'est cela que l'on reproche au calendrier tel qu'il est actuellement.
R - Pour les élections du 13 juin, nous élisons les représentants qui prendront les décisions pour faire avancer l'Europe et ils auront, bien sûr, à s'exprimer sur la Constitution.
Q - Donc chaque chose en son temps.
R - Chaque chose en son temps.
Q - Tout à l'heure je recevrai Philippe de Villarsies, un souverainiste. Il ne pense pas tout à fait comme vous de l'Europe. Avez-vous une question à lui poser ?
R - Oui, car je suis un peu désolée par une campagne négative, l'agitation de fausses peurs. J'ai envie d'être fière de l'Europe, de la faire avancer, alors je voudrais lui dire : est-ce que vous ne craignez pas avec une campagne négative de passer à coté de cette Europe des valeurs positives que nous construisons pour nos enfants ? Pour moi c'est cela la campagne, et pas celle qui est faite par M. de Villarsies.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 juin 2004)