Interview de M. Jean-Louis Debré, président de l'Assemblée nationale, à RMC le 20 octobre 2004, sur le prix du pétrole, les conclusions du rapport Camdessus sur le travail, le libéralisme, les relations entre le gouvernement et le MEDEF.

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Texte intégral

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QUESTION : Connaissez-vous le prix d'un litre de gasoil ?
Jean-Louis DEBRÉ (Réponse) : Non, parce que ma voiture n'est pas au gasoil, elle est au Super !
QUESTION : Et le prix du litre de Super ?
Jean-Louis DEBRÉ (Réponse) : Le Super 98 ?
QUESTION : - Oui...
Jean-Louis DEBRÉ (Réponse) : Oh, il doit être à 5 ou 4 euros ?
QUESTION : Non, non, il est à un peu plus d'un euro, 1,25 euro ! Les promesses de N. Sarkozy : le pétrole augmente. L'Etat ne profitera pas de cette augmentation aux dépens des Français. Le 15 novembre, une commission parlementaire se réunira pour déterminer s'il y a eu surplus de TVA, sur laquelle l'Etat pourrait engranger des recettes supplémentaires. Pourquoi le 15 novembre ? Pourquoi pas avant ? Souhaiteriez-vous que cette commission se réunisse plus tôt ?
Jean-Louis DEBRÉ (Réponse) : La commission va se réunir dans un mois et elle va faire le point sur l'augmentation des produits pétroliers en 2004, pour pouvoir tout redistribuer. Il est évident que l'on a une société qui est tournée autour - peut-être hélas, mais c'est ainsi - de la voiture, des produits pétroliers, que l'augmentation des prix du pétrole a un impact direct sur le pouvoir d'achat de nos concitoyens. Et le Gouvernement s'est engagé, il l'a dit hier à l'Assemblée nationale, à rendre aux Français ce que l'Etat aura perçu du fait de l'augmentation des prix des produits pétroliers. Autrement dit, il va répercuter dans les prix ce gain.
QUESTION : Début janvier ?
Jean-Louis DEBRÉ (Réponse) : Oui, parce qu'il faut faire le total de ce qu'ont a été effectivement les augmentations et puis les redistribuer. On a commencé à le faire tout de suite pour certains catégories de Français, qui ne peuvent pas immédiatement répercuter dans leurs prix la hausse des matières premières, notamment les agriculteurs, notamment les marins pêcheurs ou les transporteurs routiers. Mais il est bien évident que cette redistribution doit être la même pour tout le monde.
QUESTION : On redistribue début janvier. Ce matin, nous avions en direct H. Mariton, porte-parole des députés UMP, sur cette question et qui disait qu'il fallait absolument que cela porte sur le fuel. Etes-vous d'accord ou pas ?
Jean-Louis DEBRÉ (Réponse) : Il faut que cela porte sur tous les produits pétroliers. Je suis assez favorable à ce que cela porte sur le fuel, mais on ne doit pas exclure les autres produits pétroliers.
QUESTION : Franchement, y aura-t-il de l'argent redistribué ?
Jean-Louis DEBRÉ (Réponse) : On peut dire qu'il faut le souhaiter et pas le souhaiter. S'il y a de l'argent à redistribuer, c'est qu'il y aura eu des hausses importantes. Mais il faudrait être aveugle pour ne pas voir qu'il y a eu et qu'il y a actuellement, du fait de l'augmentation des prix des produits pétroliers dans le contexte international, des répercutions à la pompe, dans notre vie quotidienne. Et par conséquent, il ne faut pas faire supporter aux Français les conséquences de ces hausses des prix des produits pétroliers. Nous sommes tous d'accord et le Gouvernement en a pris l'engagement, ce qui est une chose très forte, devant l'ensemble des députés. Et nous allons veiller, par cette commission parlementaire, à ce qu'il en soit bien ainsi.
QUESTION : Il est bien, ce N. Sarkozy ?!
Jean-Louis DEBRÉ (Réponse) : Le Gouvernement est bien ! Parce que c'est une mesure gouvernementale !
QUESTION : Mais j'insiste : pourquoi attendre début janvier ?
Jean-Louis DEBRÉ (Réponse) : Pour que l'on fasse le total de la hausse sur 2004. Bon, on peut le faire plus tôt, cela ne me dérange pas. Soyons logiques : on fait ça à la fin de l'année et puis on voit. Et c'est par rapport surtout à ce qui s'est passé depuis un an, on ne peut pas faire cela au jour le jour.
QUESTION : N. Sarkozy applaudit le rapport Camdessus, qui souligne tous les dysfonctionnements dont souffrent la France. Et parallèlement, il conduit une politique qui renforce l'idée que l'Etat peut et doit, tout à tout le monde. N'y a-t-il pas contradiction ?
Jean-Louis DEBRÉ (Réponse) : En réalité, le rapport Camdessus - et c'est bien qu'il en soit ainsi, parce que dans ce pays, il ne faut pas se cacher la face - met le doigt sur un certain nombre de réformes, de situations qui ne doivent pas perdurer. Une chose est très bien de les montrer, de faire le diagnostic. D'autre part, il faut trouver des thérapeutiques, ce qui est parfois plus difficile. On sait par exemple que le coût du travail en France est plus élevé que dans un certain nombre de pays. Comment lutter contre cela ? On va parler de l'Europe : il faut qu'au niveau des charges qui pèsent sur les entreprises, notamment les charges fiscales, elles soient les mêmes partout, parce que sinon, il y aura distorsion de concurrence. Donc c'est bien de mettre en valeur un certain nombre d'archaïsmes qui frappent la société française ; c'est autre chose que d'y mettre un terme, parce que c'est plus difficile. Et méfions-nous des "y'a qu'à", "faut qu'on"...
QUESTION : Regardons quand même quelques propositions, vous allez me dire ce que vous en pensez. Par exemple, inviter les partenaires sociaux à négocier la mise en place d'un contrat unique fusionnant CDD et CDI : cela vous paraît bien ?
Jean-Louis DEBRÉ (Réponse) : Je suis favorable à l'économie contractuelle et non pas à l'économie administrée, nationalisée. Et je pense qu'il doit y avoir, au niveau des branches, au niveau des entreprises, un rapport conventionnel, contractuel, entre la direction, le personnel et les syndicats. [...]
QUESTION : Si j'ai bien compris, vous dites attention aux solutions un peu rapides et un peu trop libérales ?
Jean-Louis DEBRÉ (Réponse) : Je ne suis pas un libéral. Je crois que la finalité de l'économie, c'est naturellement de permettre la production, mais aussi une finalité de justice. Que derrière les chiffres, derrière les équations, il y a des hommes et il y a des situations humaines, et que l'on ne peut pas régler ça de manière uniforme, sans prendre en compte les individus. Et il y a des particularismes régionaux...
QUESTION : Y a-t-il une tendance libérale chez N. Sarkozy ?
Jean-Louis DEBRÉ (Réponse) : Mais je ne sais pas s'il a des tendances libérales ! N'opposons pas forcément... Il y a une recherche pour faire en sorte que dans notre pays, on se fixe des ambitions. Quelles sont les ambitions ? Vous savez, il y avait un auteur célèbre qui disait qu'il fallait "parler de l'avenir, parce que j'espère y passer quelques années de ma vie" ! Quelles sont les nécessités pour la France ? Il faut encourager l'éducation et la formation. Par conséquent, le budget de l'Etat doit avoir des moyens pour cela. Il faut développer la recherche scientifique, technique, parce que l'avenir de notre pays passe ce développement. Par conséquent, il faut que les rentrées fiscales aillent dans cette direction. Il faut surtout favoriser les investissements productifs, ceux qui sont générateurs de créations d'emplois par un allégement de la fiscalité. Et toutes les entreprises que j'ai dans ma région me le disent, petits commerçants, agriculteurs, artisans : il faut alléger les charges qui pèsent sur le travail.
QUESTION : Mais comment ? J'entends les hommes politiques nous le dire sans arrêt...
Jean-Louis DEBRÉ (Réponse) : Non, mais...Justement, on essaye de le faire actuellement en faisant en
sorte que la fiscalité qui va peser sur le petit entrepreneur, qui emploie
des jeunes en apprentissage, que ce petit entrepreneur ait des
réductions fiscales.
QUESTION : Ce n'est pas ce que dit le président du Medef. Il dit : vraiment... !!
Jean-Louis DEBRÉ (Réponse) : Il dit ce qu'il veut. Mais nous sommes en démocratie. Que
M. Seillière...
QUESTION : Je peux vous dire qu'il n'est pas tendre avec le Gouvernement !
Jean-Louis DEBRÉ (Réponse) : Il défend une politique, il défend une conception de la société. Moi, j'en défends une autre. Il a le droit de dire ce qu'il a dit. Moi, j'ai aussi le droit...
QUESTION : Je vous interromps : "Le Gouvernement ne comprend plus le réel. Quelle ignorance de la réalité économique ! Les entreprises, ce n'est pas l'administration, ni la fonction publique. La bêtise économique ne fera pas l'avenir de notre pays." !!
Jean-Louis DEBRÉ (Réponse) : Vous ne me ferez pas polémiquer avec le président du Medef ; il dit ce qu'il a envie de dire. Chacun a sa vérité. C'est sa vérité mais ce n'est pas la mienne. Et moi, dans tout cela, je viens de vous le dire, nous avons des priorités, qui ne sont peut-être pas les mêmes que celles de M. Seillière, qui sont les priorités des entreprises, des PME. Oui, il faut, je le vois dans ma vie quotidienne de maire, alléger les charges, mais pour les entrepreneurs, les petits entrepreneurs qui emploient des apprentis. Et là, il faut qu'il y ait des réductions fiscales. Par contre, ceux qui n'en emploient pas, il n'y a pas de raison de faire des allégements fiscaux. Il n'y a pas de raison de ne pas favoriser les entreprises qui investissent. De même qu'une entreprise qui se délocalise, il faut la pénaliser ; quand les produits rentrent après en France, ils doivent être taxés. Ce n'est pas la conception libérale du président du Medef. Je respecte ses positions, mais permettez-moi de vous dire que je ne suis pas d'accord avec lui.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 20 octobre 2004)