Interview de M. Jean-Louis Debré, président de l'Assemblée nationale, à La Chaîne info le 6 octobre 2004, sur son refus de polémiquer sur les négociations de libération des otages et sur le débat sur l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne.

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

Q- Hier, à la séance de l'Assemblée nationale, les députés ont fait preuve d'une grande réserve. Avez-vous le sentiment que la cohésion nationale autour de cette question des otages est provisoirement ou durablement restaurée ?
R- Je vais faire deux remarques. La première, c'est que depuis le début de cette affaire, depuis que nos deux compatriotes sont retenus, depuis 48 jours, je n'ai fait aucun commentaire. Et je ne vais pas commencer aujourd'hui. La deuxième remarque, c'est que je souhaite que, tant que nos deux journalistes ne sont pas revenus en France, ne sont pas libres, on s'abstienne de toute polémique. Et je m'en tiendrai là.
Q- Néanmoins...
R- N'insistez pas.
Q- Non, mais je vais quand même insister sur un point d'information : avez-vous été ou non informé par D. Julia de ses déplacements ?
R- J'ai dit et je redis, que je ne m'exprime pas tant que nos deux journalistes ne sont pas revenus. C'est clair, je suis clair. Donc, vous pouvez tout essayer, je n'alimenterai aucune... Vous pouvez tout essayer, c'est votre métier. Je vous dis que, tant que les deux journalistes ne sont pas libres, comme je l'ai fait depuis 48 jours, je ne fais aucun commentaire sur rien concernant cette affaire. Si on passait à un autre sujet ?
Q- Simplement, vous avez la responsabilité de la représentation nationale, vous en êtes le président, est-ce qu'une fois tourné ce chapitre, souhaiterez-vous qu'il y ait, pour faire la lumière sur tout ce qui sera ou se serait passé, une commission d'information ou d'enquête parlementaire ?
R- Je souhaite, après, que toute la lumière soit faite et que les responsabilités des uns et des autres soient mises en lumière.
Q- Par une commission parlementaire, par exemple ?
R- Ce qui est adapté.
Q- Et une commission parlementaire peut être adaptée ?
R- On verra. Une commission parlementaire, c'est quelque chose de lourd. On verra s'il y a des points qui sont dans l'ombre ; il faut que l'on sache la vérité. Mais tant que les deux journalistes ne sont pas libres, évitons tout commentaire.
Q- La Commission de Bruxelles va rendre son avis sur le début des négociations d'adhésion de la Turquie. Autrement dit, elle va faire une proposition que les chefs d'Etats et de gouvernements, le 17 décembre prochain, au Conseil européen, pourront ou ne pourront ne pas suivre. En l'occurrence, il semble que la Commission va recommander un "oui-mais". Quel est votre sentiment sur ce processus d'adhésion de la Turquie ?
R- Je vais vous répondre, mais je trouve qu'en France, on prend un plaisir à tout compliquer. Ce débat sur l'entrée ou non de la Turquie, vous l'avez dit, ne date pas d'aujourd'hui.
Q- 40 ans.
R- Ca fait 40 ans qu'on pose la question. Aujourd'hui, certains ont trouvé ce sujet, difficile, pour pouvoir tout compliquer. Nous avons deux questions : il y a la question de la ratification du Traité portant Constitution de l'Europe, et il y a le problème, aujourd'hui comme hier, de l'adhésion de nouveaux membres, et notamment de la Turquie.
Q- A ceci près que, d'étape en étape, on va de plus en plus loin dans le processus d'adhésion.
R- Depuis 40 ans, on hésite ; depuis 40 ans, il y a ceux qui sont pour, depuis 40 ans, il y a ceux qui sont contre. Et je pense que le président de la République, J. Chirac, a bien fixé les choses, puisqu'il y a un débat. Lorsque la question sera posée ou se posera, alors on demandera aux Français de se prononcer par un référendum. C'est clair. Pour ce qui me concerne, et je l'ai toujours dit, je suis plus que réservé sur l'adhésion de la Turquie. Je crois que ce pays, même si pour des raisons stratégiques évidentes, je vois bien l'intérêt de l'amarrer à l'Europe. Il y a des façons d'amarrer un pays autre que l'adhésion pure et simple.
Q- Vous avez des rapports particuliers avec la loi fondamentale, puisque c'est votre père qui a été le Père de la Constitution.
R- J'ai des rapports normaux, je vous rassure.
Q- Oui non, mais je veux dire que vous connaissez bien ces problèmes. Souhaitez-vous que la révision constitutionnelle permettant un référendum sur l'entrée de la Turquie comme sur l'entrée de tout nouveau membre, soit introduite dans la Constitution en même temps que la révision constitutionnelle nécessaire au Traité sur la Constitution européenne ?
R- Oui. Je pense que, d'abord on ne fait pas des révisions tous les jours, il faut...il y a une procédure qui est compliquée, lourde à mettre en uvre ; il faut aller à Versailles, réunir l'ensemble des parlementaires. Et puisqu'on doit y aller, que l'on fasse ces deux révisions en même temps.
Q- Souhaitez-vous que cette révision se fasse sous la forme de la révision, soit de l'article 11, soit de l'article 83, qui portent que les modalités nécessaires aux questions européennes ? Ou souhaiteriez-vous l'introduction d'un référendum d'imitative populaire ?
R- Je pense que dans cette affaire, on ne peut pas multiplier les référendums. On fait une réforme pour dire que, lorsqu'il y aura une nouvelle adhésion, on consultera les Français directement par référendum. Vous voulez que l'on fasse un référendum pour demander s'ils veulent un référendum ? Ca me semble bien compliqué. Faisons simple, évitons de faire compliqué. On fait une réforme pour introduire la consultation populaire, le référendum, lorsqu'il y a l'adhésion d'un nouveau membre. Eh bien faisons cette modification par voie parlementaire.
Q- En attendant ce référendum, souhaiteriez-vous, pour clarifier les choses, et au fond, pour que le chef de l'Etat ait une indication quand il va arriver au Sommet des chefs d'Etat et de gouvernements européens, le 17 décembre, qu'il y ait, à l'Assemblée nationale, comme l'a souhaité, par exemple, F. Bayrou, hier, un vrai débat sur cette question de la Turquie, avec un vote qui, constitutionnellement, ne serait qu'un vote évidemment indicatif ?
R- Je crois qu'il ne faut pas se tromper de Constitution et de régime politique. Qu'il y ait un débat, je suis partisan des débats à l'Assemblée nationale ; on a déjà d'ailleurs beaucoup parlé de cette question, puisque le nombre d'interpellations du Gouvernement sur ce sujet commence à faire nombre. Et donc, chaque fois que la question se pose, le Gouvernement répond, hier encore. Par conséquent, il n'y a pas de sujets tabous à l'Assemblée nationale. On peut parler de tout et j'y veille. Deuxièmement, nous sommes au début de négociations, de discussions. La diplomatie de la France ne se fait pas à l'Assemblée nationale, elle se fait au Gouvernement. C'est la Constitution. Attention, à ce que, par petites touches successives, on ne vienne pas à un régime politique qu'on a connu dans le passé, que j'ai peu connu, qui est la IVème République, où, en réalité, il n'y avait plus de diplomatie française. Le président de la République est le chef de l'Etat, il a la légitimité, il va à ces discussions. Il a fixé clairement le cap, à savoir, que, quand l'adhésion se posera dans dix, vingt, trente ans, il y a un référendum. Mais imaginez...vous vous souvenez, il y a quelques années...
Q- Soit directement, soit à travers ses élus, le peuple ne sera jamais consulté...Enfin, sinon dans 15 ans.
R- Vous vous souvenez, il y a quelques années, lorsque le problème de l'adhésion de la Grande-Bretagne s'est posée, vous savez que c'était un débat comme celui de la Turquie. Les gouvernants de l'époque auraient-ils admis que le Parlement leur dise : non, vous n'avez pas le droit de faire ça ?! Le président de la République a une légitimité, il est élu par le peuple, il répond de ses agissements devant le peuple. Donc, pour être très clair, oui, débattons ; oui, discutons ; que les uns et les autres fassent valoir leurs arguments. Et donc, oui au débat. Laissons le Gouvernement prendre ses responsabilités. Et, de toute façon, de toute façon, la décision définitive reviendra aux Français. C'est ça l'important.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 6 octobre 2004)