Déclaration de M. Jack Lang, ministre de l'éducation nationale, sur la défense de la langue française, notamment l'apprentissage de la langue en maternelle ainsi que le développement de deux langues vivantes dans le système éducatif, Paris le 21 juillet 2000.

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Circonstance : 10 ème congrès mondial de la Fédération internationale des professeurs de français à Paris le 21 juillet 2000

Texte intégral

Votre congrès touche à sa fin, et je veux vous dire le plaisir de vous voir si nombreux.
Ministre de l'Education Nationale, j'ai un immense plaisir à vous rencontrer, vous qui aimez votre métier de professeur au point de venir ici, à Paris, et parfois de très loin, pour défendre le français. Mon émotion est grande et sincère de vous voir ainsi tous réunis, de toutes origines, de tous horizons, bénévoles ou professionnels, par métier, par passion ou par vocation. À tous, je veux donc dire ma gratitude. Voilà une semaine que vous échangez, dialoguez, écoutez, et j'ai quelques scrupules à venir vous entretenir à mon tour. Vous êtes ivres de paroles. Je veillerai donc à ne pas être trop long pour ne pas retarder la conclusion définitive de ce 10ème Congrès, par M. le Premier ministre, Lionel JOSPIN.
Je salue pour commencer, M. Alain BRAUN, Président de la Fédération Internationale des Professeurs de Français. Son amour de la langue d'abord, mais aussi son dynamisme et sa vigilance, font de votre Fédération, Monsieur le Président, un modèle du genre. Avec la réussite éclatante de votre congrès, M. BRAUN clôt donc son mandat, mené de concert avec Mme Annie MONERI- GOUARIN, Secrétaire Générale, que je voudrais également saluer respectueusement, de même que M. LE BOUFFANT, Président de votre Comité d'organisation. Et je veux, bien sûr, adresser mes plus vives félicitations à votre nouveau Président, M. Dario Pagel, à qui je transmets également mes souhaits de réussite.
La gratitude que j'évoque implique, pour les autorités françaises, un devoir et une responsabilité. Car à vous voir ici, l'État français est encouragé, et je dirais presque exhorté, à agir. Je veux donc vous remercier d'être venus nous rappeler à l'ordre ! Car, alors que vous vous acharnez à faire vivre la langue française, encore trop nombreux sont ceux qui, en France même, la laissent s'étioler. Or, vous savez bien qu'il en est des langues comme des plantes, elles ont besoin de notre attention, de notre affection pour s'épanouir.
Le message que vous nous envoyez est un message de combativité. Vous nous enseignez par votre engagement volontaire pour faire aimer, partager notre langue, qu'il nous faut aussi jeter toutes nos forces dans cette bataille. On oublie trop souvent que les langues, comme les civilisations, sont mortelles. Ne soyons donc pas fatalistes : les exemples sont nombreux d'autres langues, qui ont survécu, et sur des territoires plus petits. Je pense au Hongrois, au Finnois ou au Polonais, à tant d'autres encore. Et ici même en France, nous avons des langues comme le corse, le breton, le créole, qui ont été longtemps des langues délaissées, entravées, opprimées.
Par contraste avec certains phénomènes de mondialisation, qui tendent parfois à uniformiser, vous êtes un contre-exemple, fondé sur la diversité, le partage, l'ouverture.
Votre internationale est une internationale de la tolérance et de l'imagination créatrice.
Longtemps, le combat pour la langue a été ressenti comme un combat de type impérial, colonial. Le français a été la langue du maître. Ici même, la classe dirigeante a trop souvent été imposée au peuple, par la force et avec la volonté de raboter les langues particulières.
Les temps ont changé. La langue française est aujourd'hui une langue d'ouverture. Votre présence ici lui donne cette couleur.
C'est pourquoi j'ai interprété votre présence à Paris comme une invitation :
- à soutenir votre action, à mieux vous épauler dans les pays où vous êtes engagés,
- mais aussi pour nous-mêmes, dans notre pays, à faire pénétrer cet esprit des langues qui vous anime.
Soutenir votre action
Je pense, pour vous apporter le soutien que vous demandez, à une revue à laquelle je sais que vous êtes très attachés : "Le Français dans le monde". M. JOSSELIN vous a déjà annoncé sa transposition sur support électronique. Certains d'entre vous ont pu croire, à tort, que cela emportait réduction de notre effort commun en faveur de la revue papier. Il n'en est rien. Je vous confirme, le Ministère des Affaires Etrangères étant naturellement d'accord avec nous, que cette revue continuera d'être publiée sur papier; c'est ainsi que mon ministère affectera à ce projet deux emplois qui seront mis à votre disposition dès la prochaine rentrée. Sa ligne éditoriale sera la vôtre, car c'est votre revue.
Mais il faut aussi vous aider à vous doter de nouveaux outils de communication. Sans y insister, cela a été évoqué à maintes reprises, cela veut dire que nous allons :
soutenir l'élargissement du site de la FIPF en renforçant la rubrique Actualités, en développant l'offre de services, l'espace de communication, l'espace ressources grâce aux compétences du ministère de la recherche, qui a participé à vos travaux,
promouvoir, par des projets concrets, l'utilisation des nouvelles technologies dans l'enseignement en accord avec vous.
expérimenter des systèmes experts de traduction, sur un ou deux sites choisis conjointement par votre fédération et les ministères compétents.
Faire pénétrer cet esprit des langues qui vous anime
Et je voudrais m'appuyer sur votre expérience pour mieux remplir, chez nous, en retour, notre obligation vis-à-vis des jeunes.
J'ai récemment annoncé un plan en faveur de l'école élémentaire pour améliorer les conditions d'apprentissage de la lecture et de l'écriture. Le taux d'échec est encore chez nous trop important (il frappe 10 à 15% d'élèves) et je ne veux pas oublier les jeunes dont la langue maternelle n'est pas le français.
Combien de nos élèves n'ont pas le français comme langue maternelle ? Et n'est-ce pas le premier devoir de notre école d'assurer leur intégration, de favoriser leur réussite ?
Cela étant, chacun comprend que ma conviction est qu'on ne peut renforcer le français à l'étranger si on ne s'impose pas en France les efforts que l'on attend des autres. Voilà pourquoi mon ministère a mis lui aussi la maîtrise du français au rang de priorité absolue. La maîtrise de la langue est le vecteur de toute connaissance, de toute construction de soi. Se sentir chez soi dans la langue française est indispensable pour accéder à tous les savoirs. La langue est en effet la colonne vertébrale des apprentissages, le savoir des savoirs, la porte qui ouvre aux autres disciplines.
C'est pourquoi nous avons déjà prévu des adaptations pour les élèves dont le français n'est pas la langue maternelle.
Dans le 1er degré, ce sont les classes d'initiation et les cours de rattrapage intégré (créés par une circulaire de 1986), dans le second degré, ce sont les classes d'accueil qui proposent des cours spécifiques d'apprentissage du français. C'est ainsi que l'on travaille, dans des structures ouvertes aux enseignements artistiques, à l'éducation physique et sportive à une meilleure insertion des élèves dont le français n'est pas la langue d'origine. Ces classes sont aujourd'hui au nombre de 1000 environ. Elles veulent bénéficier de votre savoir-faire.
J'ai également décidé un changement de cap pour que les enfants de mon pays aient la chance de devenir plurilingue. D'où une série d'actions.
L'apprentissage de deux langues vivantes dès le plus jeune âge, quand l'oreille est la plus musicale et la plus réceptive Ce ne seront pas nécessairement les langues européennes qui seront d'ailleurs enseignées : je pense à des langues comme le russe, le chinois Mais je pense aussi à l'arabe, cette langue infiniment belle et chargée d'histoire, car la Méditerranée est notre jardin.
Cet effort sera prolongé dans le second degré par la multiplication de classes où les disciplines fondamentales seront enseignées dans d'autres langues que le français.
Outre la volonté de former des jeunes aux cultures du monde, j'ai le sentiment ce faisant, de participer à votre combat pour la langue française.
Plus nous serons ouverts aux langues et aux cultures des autres peuples, plus il sera aisé de revendiquer pour la langue française dans les programmes d'enseignement à l'échelle de l'Europe une place meilleure.
Pour n'évoquer que le seul exemple européen, ce plan me permet d'obtenir de mes collègues qu'ils fassent un effort en faveur des langues dans leur propre pays.
Pour revenir à la France elle-même, votre travail est une source d'inspiration pour nous.
Première mesure
Mettons-nous d'abord d'accord sur des objectifs communs, dans le respect absolu de votre autonomie.
Vous êtes une organisation non gouvernementale. Et notre pays, qui s'apprête à célébrer le centenaire d'une loi dont il peut être fier, se doit d'aider un réseau associatif comme le vôtre. C'est pourquoi je vous propose, Monsieur le Président, de participer, avec le soutien de mon ministère, à l'élaboration d'une charte avec les principaux acteurs publics et privés qui uvrent en faveur du français à l'étranger. Fixons-nous, dans le respect absolu de chacun, des objectifs communs, un plan d'action concerté entre tous les acteurs.
Je pense en particulier au Centre International d'Etudes Pédagogiques de Sèvres (CIEP), à l'Agence pour l'Enseignement du Français à l'Etranger (AEFE), mais aussi au réseau des Alliances françaises, que nous pourrions inviter à réfléchir avec nous à un contrat. Il s'agit, avec cette Charte, de définir les voies et moyens d'une meilleure synergie dans l'action conjuguée des partenaires publics et privés, en France et ailleurs.
Je souhaite pour ma part qu'elle soit prête pour le mois de juillet 2001, qui sera l'occasion d'un très grand rendez-vous associatif dans notre pays, pour souligner qu'il s'agit bien d'un contrat d'association et non d'un programme autoritaire. Je suis prêt à y affecter un chargé de mission de haut niveau.
Deuxième mesure
J'envisage de prendre appui sur votre savoir-faire international pour nous aider à irriguer notre système national, grâce à trois initiatives concrètes :
Au sein du Conseil National de l'Innovation pour la Réussite Scolaire, que préside Anne-Marie Vaillé, que j'ai créé récemment et qui a pour mission de détecter les innovations les plus utiles, de les évaluer et de favoriser leur diffusion dans l'ensemble de notre système éducatif, j'ai demandé que l'on désigne un professeur plus spécialement chargé du suivi des activités de votre fédération.
Son rôle sera de proposer une sorte de trait d'union entre la multitude, la bigarrure pourrait-on dire, de vos expériences et notre propre système éducatif.
Anne-Marie Vaillé m'a proposé la candidature de Michèle Narvaez Goldstein, qui est professeur de français dans un lycée de Lyon, après une expérience variée de 15 années en Amérique latine. Je vous invite à un dialogue régulier et fécond avec elle.
Je donne également pour mission au directeur de l'enseignement scolaire, en liaison avec les directions compétentes de mon ministère, de dresser un état périodique (un tableau de bord, si vous préférez) de l'innovation dans le domaine de l'ouverture aux autres langues dans les écoles.
Les réflexions et les expériences qui seront engagées dans ce cadre feront l'objet de rapports périodiques à mon intention. Je souhaite que ces synthèses soient contradictoires et que votre Fédération nous communique également son appréciation. D'une certaine manière, c'est le regard de la société civile internationale que vous porterez sur notre institution - et cet éclairage comptera beaucoup pour nous.
Mieux vous associer, c'est aussi prendre appui sur nos propres professeurs à l'étranger pour nouer avec vous, au quotidien pour ainsi dire, des échanges et des relations de travail, voire des partenariats entre établissements. Je souhaite lancer dès la prochaine rentrée, un programme de classes jumelées. Je souhaite que nos professeurs à l'étranger reviennent exercer dans des classes bilingues à leur retour en France. Dans ce cadre, il faut également multiplier les stages internationaux, les programmes d'échanges avec nos voisins européens pour commencer, en attendant que nos enfants soient accueillis au Brésil ou aux Etats Unis.

Je n'oublie pas - et c'est ainsi que je voudrais conclure mon propos - que l'amour d'une langue est un amour gratuit et désintéressé. Derrière cette générosité, il y a le souci de la beauté du monde, que la politique et les intérêts ne sauraient masquer. "Le poète n'est d'aucun parti", écrivait Baudelaire. Je ne rêve pas, nous ne rêvons pas, d'un monde de poètes. Mais je rêve d'un monde où le goût de la parole, de l'étude et de l'art, le respect des autres plus simplement, soit ce qui anime inlassablement les hommes et leurs quêtes.
Vous nous y invitez. Je vous en remercie.
(source http://www.education.gouv.fr, le 25 juillet 2000)