Interview de M. Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT, à France 2 le 22 septembre 2004,sur la grève à la SNCM et le conflit du travail chez Perrier.

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Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

Q- Beaucoup de dossiers à regarder ce matin avec vous, à commencer par le feuilleton de la SNCM qui continue. Il y a eu un accord qui a été signé avec certains syndicats en Corse, qui prévoit une sorte de préférence locale. Certains ministres du Gouvernement ont dit que c'est intolérable ; Matignon intervient en disant que c'est acceptable, et vous, ce matin, à la CGT, vous bloquez un bateau à Marseille, en disant, en effet, que cet accord est intolérable, qu'on l'avait déjà dénoncé il y a quelques mois.
R- Oui, il va falloir que les pouvoirs publics clarifient leur position. Je voudrais faire une remarque sur ce conflit qui dure depuis plusieurs semaines déjà : si d'aventure, la CGT avait été considérée comme responsable d'une situation de blocus, à partir d'un taux de grévistes de 3% sur un réseau de transport, j'imagine que ces dernières semaines, nous aurions eu les gros titres, nous aurions eu la CGT mise en accusation, au ban des accusés devant l'opinion publique. Je remarque que depuis quinze jours, cela ne s'est pas produit et les prises de parole politique ne se sont pas bousculées à propos de cette situation.
Q- Vous voulez dire qu'il y a une sorte d'indulgence à l'égard des syndicats corses ?
R- Je remarque que certaines formes d'actions seraient acceptées, tolérées pour certains syndicats et non pas pour d'autres. Il y a là quelques questions, le jour même où je vais rencontrer le ministre des Transports sur le droit de grève, quelques questions politiques qu'il va nous falloir traiter avec le Gouvernement.
Q-Combien y avait-il de grévistes à la SNCM ?
R- Il y avait 3 % de grévistes. C'est tout à fait leur droit d'exercer un droit de grève. Mais en même temps, il y a lieu de s'interroger sur les finalités réelles de cette grève.
Q-Disons les choses franchement : c'est fait pour faire plaisir - entre guillemets - aux nationalistes, faire gagner de l'argent à l'autre compagnie qui s'appelle Corsica ferries ?
R- Je remarque que les négociations pour résoudre ce conflit ne se sont pas déroulées en toute transparence. Tous les acteurs et tous les syndicats n'ont pas été réunis autour de la même table, sachant qu'il y avait des revendications qui étaient communes. Je pense par exemple à la prime d'insularité : toutes les organisations syndicales la réclame, et il est bon qu'elle ait été revalorisée. Autre chose est - parce qu'il y a déjà au un conflit de ce point de vue-là - les critères que veulent introduire dans la législation sociale de notre pays un certain nombre d'organisations comme le STC - le syndicat des travailleurs corses - et ce qui est au fond de cette affaire, c'est un besoin de clarification, dans la mesure où la CGT, comme d'autres syndicats, n'acceptera en aucun cas, en Corse au ailleurs, que l'on introduise un critère ethnique, quel qu'il soit, dans le code du travail et de la législation française. Il y a là un principe républicain auquel nous tenons. Mais est-ce qu'après tout, ce n'est pas tout simplement l'avenir de la Société nationale Corse Méditerranée qui est visé et de créer les pires conditions pour la pérennité de ses activités ?
Q- - Vous voulez dire qu'il y aurait une sorte de manipulation qui consisterait à tuer la SNCM, pour que seule Corsica ferries existe ? Quel est l'intérêt de l'opération ?
R- Je remarque qu'il y a une coalition sur l'île des représentants patronaux, de la Chambre de commerce et de ce syndicat, à la fois pour soutenir ce type de mouvement et pour revendiquer un autre montage juridique pour assurer le service public. La CGT réaffirme que pour l'avenir de la Corse, pour son développement, pour sa situation économique, le cadre national du service public est le cadre qui lui assure les meilleures garanties de développement.
Q-Quels sont les capitaux de Corsica ferries ? Il n'y a que les travailleurs corses ?
R- Sur l'équipement des bateaux de Corsica ferries, ceux qui ont navigué pendant ce conflit, eux ne sont absolument pas équipés, par exemple, d'équipages français, quelles que soient leurs origines.
Q-D'où viennent les marins de Corsica ferries ?
R- D'autres continents. Je crois qu'ils sont cubains pour certains et indiens pour d'autres, mais en tout cas, ce ne sont pas des équipages français...
Q-Donc, ils n'appliquent pas eux-mêmes ceux qu'ils réclament pour les autres ?
R- Et ils ont circulé, eux, tout à fait librement.
Q-Vous dites en tout cas que la CGT, à Marseille, va continuer à bloquer le port. C'est la réponse du berger à la bergère ?
R- Il y a une assemblée des personnels aujourd'hui. Je crois que le Gouvernement a complètement tort d'accepter, mais peut-être qu'il avait aussi autorisé la compagnie nationale à passer cette espèce de contrat avec le STC.
Q-Oui, parce qu'il y a effectivement des divergences de voix entre P. Devedjian, ministre de l'Industrie, et le Premier ministre...
R- Oui, ce n'est d'ailleurs pas le premier sujet où on entend plusieurs sons de cloche au sein du Gouvernement sur ce qu'il faut comprendre. L'accord reprend explicitement les mêmes termes d'un accord précédent du mois de mars, qui avait été cassé ...
Q-Dont vous aviez effectivement obtenu l'annulation...
R-... et je m'inquiète de la démarche que pourrait sous-entendre ce soutien du Gouvernement à cet accord sauf, encore une fois, à viser un affaiblissement de la compagnie. C'est la raison pour laquelle nous souhaitons qu'au plus tôt, le Gouvernement clarifie sa position et ses intentions sur l'avenir de cette compagnie nationale.
Q-Autre dossier sur lequel vous êtes directement impliqué, c'est Perrier. Pour ceux qui n'aurait pas suivi tous les épisodes, la direction de Perrier propose un plan de suppression d'emplois - 1.000 environ sur 4.000 -, avec essentiellement des départs en préretraite. On dit aux syndicats que c'est à prendre ou à laisser. Certains prennent, d'autres, dont la CGT, disent "je laisse" et vous usez de votre droit d'opposition. Là-dessus, Perrier dit que si c'est comme ça, il rend les clés. Aujourd'hui, il y a un élément nouveau : N. Sarkozy se saisit du dossier et essaie de faire, quoi ? que la négociation reprenne ? Etes-vous d'accord pour vous rasseoir et éventuellement lever le fameux droit d'opposition ?
R- Premier aspect de cette situation, mais que l'on retrouve aussi à la SNCM : tant que l'on continuera à avoir des accords dans les entreprises, des négociations avec les syndicats, où l'on s'appuiera sur des accords minoritaires, il ne faudra pas s'étonner de situations de blocage. A la SNCM, le STC fait 23 ou 24 % aux élections professionnelles, tous les autres syndicats sont opposés à l'accord, mais on retient l'opinion du syndicat minoritaire. Idem s'agissant de Perrier : on n'a pas voulu entendre l'opinion du syndicat qui représente entre 80 et 90 % des personnels. Alors, ce qui a évolué, c'est qu'effectivement, le ministre de l'Economie, soucieux de la situation de l'emploi, d'un certain nombre d'activités dans ce bassin déjà sinistré, s'est inquiété de la situation, a rencontré les dirigeants de Perrier, m'a contacté par téléphone hier, pour me faire savoir que Perrier était prêt à présenter de nouvelles propositions. On remarque que ceux qui étaient considérés comme des jusqu'au-boutistes jusqu'à présent, aujourd'hui peut-être - je parle au conditionnel - sont plutôt considérés comme des interlocuteurs avec lesquels il faut rediscuter. Perrier est donc susceptible de présenter de nouvelles dispositions s'agissant de l'emploi et de l'investissement sur le site. A partir de cette attitude-là, de nouvelles négociations devraient s'ouvrir demain, à la préfecture du Gard. J'espère que l'on aura un dénouement de la situation, mais tout va dépendre aussi de la nature des propositions de Perrier.
Q-Vous pourriez donc lever votre droit d'opposition, sans faire marche arrière ?
R- Il faut que la direction de Perrier lève tout préalable à ce que les discussions puissent se renouer. S'il y a effectivement de nouvelles propositions qui sont faites par l'entreprise, ce sont ces propositions-là qui doivent être examinées.
Q-N'est-ce pas une marche arrière ? Parce qu'au fond, dans l'entreprise, un certain nombre de gens disaient : "Quand même, ils sont bien gentils à la CGT, mais finalement, le départ en préretraite, il y en a qui n'en était pas si mécontent
que cela" ?
R- Bien sûr, mais je connais de nombreux endroits où les salariés approchant de l'âge du départ en retraite, notamment vu la dégradation de leurs conditions de travail, l'absence de perspective, voire tout simplement la fatigue qui est la leur en fin de carrière, aspirent à partir au plus tôt. Ce que je remarque quand même - et c'est l'énorme contradiction qui existe dans le Gouvernement - c'est ce Gouvernement qui, il y a deux ans, nous a imposé une réforme des retraites, nous expliquant qu'il fallait oublier la retraite à soixante ans, se préparer à travailler de plus en plus longtemps, qui nous demande aujourd'hui pourquoi on n'accepte pas les départs anticipés !
Q-Un tout dernier mot, puisque c'est aujourd'hui le budget : vous avez eu N. Sarkozy au téléphone tout à l'heure. Avez-vous parlé du budget avec lui ?
R- Non, nous n'avons pas parlé du budget...
Q-Comment trouvez-vous ce budget ?
R- Il n'y a eu aucune concertation sur le budget. Ce n'est pas une première, mais je constate que les choses n'avancent pas d'année en année : aucune concertation avec les organisations syndicales. En lisant la presse et les déclarations, ce dont nous sommes à peu près sûrs, sous couvert d'étudier plus précisément ce budget, c'est que nous allons avoir à faire face à une série de mesures qui vont bénéficier aux employeurs, notamment au nom de l'emploi, en augmentant les allègements des exonérations de cotisations sociales - ce sont des sommes qui vont atteindre des masses très importantes -, sans que nous ayons procéder à un bilan des milliards d'euros distribués aux entreprises, déjà au nom de l'emploi, sans que les résultats soient conséquents.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement , le 22 septembre 2004)