Texte intégral
J'ai écouté avec attention la synthèse des travaux que vous avez conduits depuis deux jours et demi autour du thème de " l'Europe face aux changements du travail "
Cette question dans ses multiples facettes, est certainement l'une de celles qui aura connu, sur notre continent, au cours des vingt dernières années, les plus profonds bouleversements non seulement du point de vue des professionnels du droit social (universitaires, praticiens, syndicalistes, employeurs, responsables administratifs et politiques) que nous sommes mais aussi pour la société tout entière.
C'est ce que démontrent la présence ici de nombreux participants venus d'horizons géographiques et professionnels divers, la qualité et la richesse des interventions, la diversité des sujets dont vous avez débattu sur les principaux thèmes de l'actualité sociale européenne : restructurations, dialogue social, temps de travail, régulations sociales, santé- sécurité, flexibilité,...
Je tiens tout d'abord à féliciter l'Université européenne du travail (UET) d'avoir suscité ce dialogue à un moment particulièrement " sensible ", du fait des espoirs engendrés par l'élargissement de l'Union européenne mais aussi des craintes suscitées, face à la mondialisation (et à cet égard, il convient d'avoir à l'esprit le rapport sur la dimension sociale de la mondialisation de la Commission mise en place par le Directeur général du BIT), par le vieillissement démographique, les difficultés de la relance de la croissance et de l'emploi en Europe...
Je voudrais ensuite vous livrer quelques réflexions que m'inspirent vos échanges par rapport bien sûr à mon programme de travail actuel en tant que Ministre français des relations du travail mais aussi du calendrier communautaire dans le contexte de la révision prochaine de l'agenda social européen et de la stratégie européenne de Lisbonne.
Je commencerai par la question de la santé et de la sécurité au travail : c'est, en effet, le champ de la politique sociale où la dimension européenne et la dimension nationale sont, et depuis longtemps, le plus " intégrées ".
Les enjeux relèvent de l'évidence. Nos sociétés développées ont des exigences croissantes et légitimes en matière de sécurité et de santé publiques : il serait vain et dangereux de croire que ces exigences s'arrêtent aux portes de l'entreprise et il faut réaffirmer ici que le premier droit du salarié est le droit à la santé.
Il en va bien sûr de l'intérêt des salariés eux-mêmes, mais il en va aussi de l'intérêt des entreprises, tant le coût de l'insécurité est élevé et porte atteinte à leur compétitivité. Il en va enfin de l'intérêt général puisque les grands équilibres économiques et démographiques supposent une action résolue en matière d'amélioration des conditions de travail.
Dans ce domaine, mon action s'inscrit désormais pleinement dans la ligne de la stratégie communautaire 2004-2006 de santé et sécurité au travail adoptée par l'Union européenne, puisque la France s'est dotée depuis l'an passé d'une stratégie pluriannuelle qui en est la transposition et qui est déclinée en directives d'orientation annuelles.
Nous sommes donc entrés dans une ère nouvelle où nos actions nationales, adoptées en étroite concertation avec les représentants des partenaires sociaux, sont désormais structurées par des impératifs stratégiques coordonnés au niveau européen, et poursuivent des objectifs cohérents.
La norme européenne qui vise à l'amélioration des conditions de travail est ainsi, dans ce domaine peut-être plus que dans d'autres, de plus en plus présente dans le quotidien des salariés puisque, aujourd'hui, une très grande part de notre réglementation nationale relative à la santé et à la sécurité au travail transpose les règles décidées en commun à Bruxelles ou à Strasbourg.
Du point de vue de la méthode, il faut souligner le décloisonnement des approches et l'ouverture de la santé et de la sécurité au travail à des problématiques environnementales et de santé publique. Le gouvernement français a présenté en juin dernier, lors de la conférence du Budapest organisée sous l'égide de l'OMS, un plan national santé environnement qui amène les différents départements ministériels et les administrations en charge du travail, de la santé, de l'environnement et de la recherche à travailler ensemble, dans une approche globale, pluridisciplinaire et décloisonnée des questions, pour lesquelles des objectifs cohérents et des échéances précises ont été fixées.
La réussite de ce plan suppose le concours actif, dans le respect du principe d'autonomie, de l'inspection du travail. J'attache une importance toute particulière à une amélioration des conditions d'intervention des inspecteurs du travail, notamment en matière de prévention des risques professionnels. A côté des sections géographiques, il m'apparaît nécessaire d'instituer de nouvelles sections transversales, spécialisées, pour les secteurs les plus exposés au niveau d'une région, d'un bassin d'emploi.
Je souhaite clore ces propos sur ce thème particulier de l'amélioration des conditions de travail et de la prévention des risques professionnels, pour dire que nous suivons avec attention la démarche originale de l'OIT sur les systèmes de gestion de la sécurité et de la santé au travail, thème que vous avez abordé au cours de vos travaux.
Les principes directeurs de ce programme, élaborés dans un cadre tripartite (employeurs et travailleurs, pouvoirs publics) sont destinés à venir en aide aux entreprises afin d'obtenir l'amélioration continue des résultats en matière de sécurité et de santé au travail.
Le guide de l'OIT présente, me semble-t-il, à la fois l'intérêt :
- de répondre concrètement à la demande croissante des employeurs qui souhaitent intégrer volontairement une démarche de prévention dans le management global de leur entreprise et qui sont à la recherche d'outils pour les y aider,
- et de dépasser une approche purement normative, puisque les recommandations concrètes contenues dans ces principes directeurs ne sont pas contraignantes, et que leur application ne nécessite aucune certification, parfois délicate à gérer pour les plus petites entreprises.
La politique de santé sécurité au travail est l'un des domaines où la concertation avec les représentants des partenaires sociaux est, depuis longtemps, la règle.
Et cela m'amène tout naturellement à rappeler l'importance du dialogue social pour lequel -là encore- l'Europe nous a montré la voie.
La France a décidé de favoriser le développement du droit négocié et la loi du 4 mai 2004 offre au développement du dialogue social trois instruments majeurs : l'instauration du principe majoritaire, la nouvelle articulation des niveaux de négociation, et l'élargissement de la capacité de négociation.
Sur ce dernier point, le gouvernement a pris l'engagement de renvoyer systématiquement, à l'instar du mécanisme existant au plan européen, à la négociation collective interprofessionnelle toute réforme de nature législative relative au droit du travail. Si les partenaires sociaux ne souhaitent pas négocier, alors il incombe au gouvernement de prendre ses responsabilités.
Cette démarche -qui a déjà fait ses preuves au niveau européen- est, à mon sens, le meilleur garant d'une évolution progressive de notre système de relations du travail, et plus généralement des réformes structurelles du marché du travail qu'il nous faut impérativement conduire dans la ligne des recommandations de la Commission européenne et des conclusions de la Task-Force sur l'emploi présidée par M. Wim Kok.
Elle s'inscrit résolument dans l'esprit de la " gouvernance européenne ", qui entend associer les acteurs de la société - et, en premier lieu, les partenaires sociaux - aux responsabilités, aux initiatives, à la construction des équilibres, à la représentation des intérêts, à la construction du lien social.
C'est dans ce cadre, que j'ai invité les partenaires sociaux à se saisir de quatre sujets majeurs
1) La simplification et la modernisation du Code de Travail, ce qui inclut notamment l'organisation du temps de travail
2) La santé et la sécurité au travail, j'en ai parlé tout à l'heure
3) La question des seniors dont le maintien en activité correspond aux engagements pris par la France dans le cadre de la stratégie européenne de l'emploi
Cet objectif suppose une réflexion sur les conditions de travail, la formation.Il a pour corollaire, dans le prolongement de la réforme des retraites, une négociation entre les partenaires sociaux sur la pénibilité des postes de travail.
4) Le financement des syndicats et du paritarisme
Avec la préoccupation de l'emploi, du partage de la croissance, j'ai entamé, en fin de semaine dernière, le " premier round " des consultations avec l'ensemble des partenaires sociaux sur ces différents sujets et il est donc naturellement trop tôt pour tirer un premier bilan de ces échanges. Un second rendez-vous est prévu en octobre.
Outre ces sujets, le thème de la gestion sociale des restructurations est, lui aussi, au cur de l'actualité du dialogue social en France, mais c'est un sujet qui concerne l'ensemble des pays de l'Union, les anciens comme les nouveaux, et qui prend une dimension nouvelle avec les délocalisations. Les recommandations adressées à la France dans le cadre de la stratégie européenne de l'emploi nous invitent à construire collectivement un système plus efficace d'anticipation et de gestion des restructurations. Le Plan de Cohésion sociale a d'ores et déjà pris en compte cette demande, notamment en encourageant la mise en place de maisons de l'emploi qui auront pour mission de développer la gestion concertée et prévisionnelle des emplois et des compétences à l'échelle d'un territoire
Nous sommes, par ailleurs, engagés dans une réforme des règles relatives aux restructurations. Les partenaires ont ouverts des négociations au niveau interprofessionnel et je souhaite évidemment qu'ils aboutissent à un accord pour la mi-octobre.
Toutefois, si les négociations n'ont pas abouti, le gouvernement prendra ses responsabilités car il s'agit là d'un dossier majeur qui prend une dimension renforcée avec les risques de délocalisation, dans le contexte de la mondialisation.
Cette question ne peut naturellement trouver de réponse uniquement au niveau national car c'est de la compétitivité de l'Europe dans son ensemble qu'il s'agit et il importe au niveau communautaire de mettre en uvre une convergence des droits nationaux sans laquelle les législations nationales seront privées d'efficacité et de portée réelle, privant les entreprises comme les salariés de leurs garanties essentielles.
S'agissant des délocalisations, à la suite du rapport du Sénat, le gouvernement lance un audit qui va permettre de disposer d'une analyse précise du phénomène par taille d'entreprise, région, activité. Il faudrait une analyse similaire au niveau de l'Union européenne, notamment sur la zone euro. En tout état de cause, ce sujet devrait être pris à bras le corps au plan européen et nous réfléchissons à des initiatives à prendre en ce sens.
Je voudrais prolonger ces remarques sur le dialogue social, par une réflexion sur les évolutions du droit du travail, outil de régulation sociale, dans la période à venir.
Il paraît de plus en plus évident que la politique sociale européenne privilégiera, non la voie normative mais le développement de la concertation et du dialogue, notamment grâce à la Méthode Ouverte de Coordination (la " MOC "). Celle-ci est désormais pleinement reconnue par le projet de traité Constitutionnel et il faut souligner qu'elle a démontré son utilité dans le cadre notamment de la stratégie européenne de l'emploi.
Je voudrais dire quelques mots du traité constitutionnel pour souligner que celui-ci, contrairement à certaines idées reçues, comporte des avancées réelles dans le domaine social, même si celles-ci sont plus modestes que ce qu'aurait souhaité le gouvernement : intégration de la charte sociale dans le traité, affirmation d'un certain nombre de principes constitutifs du modèle social européen dans les valeurs et objectifs (plein emploi, égalité entre les hommes et les femmes, protection sociale),extension du principe de la majorité qualifiée en matière de coordination des régimes des sécurité sociale pour les travailleurs migrants et leur famille (même si nous n'avons pas pu éviter l'inscription d'une clause d'appel au Conseil européen), clause sociale horizontale selon laquelle les exigences sociales doivent désormais s'appliquer à l'ensemble des politiques de l'Union, reconnaissance du dialogue social autonome, reconnaissance également, j'y reviens, de la méthode ouverte de coordination.
Dans un contexte d'adaptation, face à l'ouverture des économies, il est de plus en plus crucial d'être attentifs à la façon dont la question sociale évolue chez nos partenaires. Dans chacun de nos pays, nous gardons la maîtrise de nos décisions -nous sommes dans le cadre de la subsidiarité- de nos mesures, de nos méthodes (nous sommes attachés au principe de l'Accord collectif) mais nous avons aussi un impératif de convergence et au moins de cohérence.
Je crois donc que, dans la période qui vient, il faudra développer encore plus les échanges avec nos partenaires, encourager les initiatives de la Commission pour la coordination des politiques des Etats membres, de telle sorte que nos expériences nous enrichissent mutuellement.
C'est une évidence, me semble-t-il, que, dans l'Europe à 25, les enjeux normatifs immédiats sont davantage dans la mise en oeuvre effective de l'acquis communautaire dans l'échange d'expériences et de bonnes pratiques que dans la production de normes nouvelles.
Vous l'aurez compris, nous sommes, en France, très attentifs à l'évolution du dialogue social européen, et cela à plusieurs titres. D'abord parce que, en raison de la tendance à la baisse de la production législative communautaire dans le domaine social, les initiatives des partenaires sociaux européens ont vocation à devenir un canal majeur de la régulation sociale. Et parce que, dans ce contexte, la question d'une relation plus articulée entre les accords européens et les systèmes nationaux de relations sociales se posera de manière plus précise. L'Europe élargie est, de ce point de vue, plus hétérogène, avec des procédures très diverses, des systèmes d'acteurs très inégaux. Les " accords volontaires " des partenaires sociaux européens (ceux qui doivent être mis en oeuvre sans le concours d'une directive du Conseil) sont donc " reçus " dans les systèmes nationaux - et mis en oeuvre - dans des conditions très diverses.
Je souhaite enfin évoquer les développements prometteurs en matière de responsabilité sociale des entreprises (RSE) et de développement durable, avec une batterie d'instruments nouveaux, ou réactivés, comme la normalisation, les chartes et codes de conduite, la notation sociale, le reporting, etc.
Un travail soutenu a été entrepris dans mon ministère, associant de manière transversale l'ensemble des services, ainsi que de nombreux partenaires extérieurs. Dans le prolongement du rapport sur la RSE qui m'a été remis par Mme Elisabeth Dufourcq, j'ai demandé que soient approfondies plus particulièrement les questions de la sous-traitance, de l'externalisation et de l'intérim.
Là encore, je voudrais réaffirmer combien le niveau européen est important, pour - au-delà des travaux du " Forum des parties prenantes " -faire de la responsabilité sociale des entreprises un véritable levier des relations des entreprises avec leurs interlocuteurs (et en premier lieu - c'est le ministre du travail qui parle - avec leurs salariés).
Cette question de l'évolution du droit du travail est fondamentale et je me réjouis de l'initiative de la présidence néerlandaise, qui organise, les 30 septembre et 1er octobre, une conférence européenne sur le droit du travail en Europe dans les années à venir. Car la question à laquelle nous sommes confrontés (quand je dis " nous ", je pense à la diversité des responsables que vous représentez ici : administrations sociales, entreprises, salariés, organisations patronales et syndicales, juristes, chercheurs, politiques, responsables territoriaux), c'est de promouvoir une régulation sociale efficace et dynamique utilisant toute la gamme des instruments utiles : législation, contrôle, dialogue social et production conventionnelle, articulation entre le niveau communautaire et le niveau national, initiatives des entreprises, dispositifs mis en place dans les groupes transnationaux, dispositifs territoriaux, coordinations entre Etats membres, dialogue social européen sectoriel, interactions entre le droit du travail et d'autres registres du droit, reporting, indicateurs de suivi,...
C'est par l'usage complémentaire de ces différents instruments (je dis bien complémentaire et non pas concurrent) que nous pourrons affronter de manière efficace à tous les niveaux la diversité des problèmes et responsabiliser tous les acteurs concernés. Comment répondre à la demande de flexibilité en construisant de réelles protections, des sécurités qui permettent de ne pas redouter les mobilités, les changements ; comment assurer la transférabilité des droits acquis, pour des parcours professionnels plus ouverts et plus autonomes ; comment anticiper les restructurations et leurs conséquences ; comment faire de la qualité des emplois, des conditions de travail, de la formation, un vrai levier de la compétitivité, en même temps que le moyen du maintien des personnes dans l'emploi plus longtemps ; comment répondre de manière appropriée aux problèmes rencontrés dans les diverses formes d'emploi et dans les différentes tailles d'entreprises ?
L'ensemble des thèmes que vous avez discutés ici à Nantes et que je viens d'évoquer rapidement s'inscrivent naturellement dans la réflexion en cours sur la révision de la stratégie de Lisbonne et de l'Agenda social européen dans l'Union élargie. Le Groupe de haut niveau, mis en place par la Commission, vient de rendre sur cette question son rapport dont je veux souligner l'originalité et l'intérêt.
Permettez-moi de rendre hommage à son président, Olivier DUTHEILLET DE LAMOTHE, mais aussi à l'ensemble des membres du Groupe parmi lesquels Mme Maria João RODRIGUES dont je sais que la présence ici a été appréciée et dont vous connaissez tous la contribution et l'engagement personnel dans la genèse de la stratégie de Lisbonne.
Je ne veux pas anticiper sur les débats du Conseil sur ce rapport ambitieux et équilibré, ni sur le rapport à venir du groupe présidé par M. Kok sur l'évaluation de la Stratégie de Lisbonne. Toutefois, je voudrai vous faire part de ma conviction que la clé réside dans la nécessité de maintenir un équilibre entre la politique économique et la politique sociale. Je ne peux à cet égard que partager la conclusion du Groupe de haut niveau quand il constate que " la politique sociale a toujours couru derrière la politique économique " et que " la Stratégie de Lisbonne peut changer cela ". C'est d'ailleurs le postulat sur lequel repose le Plan de Cohésion sociale : le social est une des conditions de la croissance, c'est un facteur de compétitivité et sa mise en oeuvre suppose la participation de tous les acteurs, en particulier des partenaires sociaux et l'utilisation de tous les instruments disponibles.
Mesdames, Messieurs,
Pour conclure, et en vous remerciant une nouvelle fois pour la qualité de vos contributions, je souhaite féliciter l'UET, qui, avec le concours de la Commission européenne, a su si bien stimuler notre réflexion et qui, avec cette 1ère Université d'Eté -qui, je l'espère, sera suivie d'autres- a franchi une nouvelle étape dans son ambition de transformer le réseau européen en forum de dialogue et d'échanges permanents.
(Source http://www.travail.gouv.fr, le 22 octobre 2004)
Cette question dans ses multiples facettes, est certainement l'une de celles qui aura connu, sur notre continent, au cours des vingt dernières années, les plus profonds bouleversements non seulement du point de vue des professionnels du droit social (universitaires, praticiens, syndicalistes, employeurs, responsables administratifs et politiques) que nous sommes mais aussi pour la société tout entière.
C'est ce que démontrent la présence ici de nombreux participants venus d'horizons géographiques et professionnels divers, la qualité et la richesse des interventions, la diversité des sujets dont vous avez débattu sur les principaux thèmes de l'actualité sociale européenne : restructurations, dialogue social, temps de travail, régulations sociales, santé- sécurité, flexibilité,...
Je tiens tout d'abord à féliciter l'Université européenne du travail (UET) d'avoir suscité ce dialogue à un moment particulièrement " sensible ", du fait des espoirs engendrés par l'élargissement de l'Union européenne mais aussi des craintes suscitées, face à la mondialisation (et à cet égard, il convient d'avoir à l'esprit le rapport sur la dimension sociale de la mondialisation de la Commission mise en place par le Directeur général du BIT), par le vieillissement démographique, les difficultés de la relance de la croissance et de l'emploi en Europe...
Je voudrais ensuite vous livrer quelques réflexions que m'inspirent vos échanges par rapport bien sûr à mon programme de travail actuel en tant que Ministre français des relations du travail mais aussi du calendrier communautaire dans le contexte de la révision prochaine de l'agenda social européen et de la stratégie européenne de Lisbonne.
Je commencerai par la question de la santé et de la sécurité au travail : c'est, en effet, le champ de la politique sociale où la dimension européenne et la dimension nationale sont, et depuis longtemps, le plus " intégrées ".
Les enjeux relèvent de l'évidence. Nos sociétés développées ont des exigences croissantes et légitimes en matière de sécurité et de santé publiques : il serait vain et dangereux de croire que ces exigences s'arrêtent aux portes de l'entreprise et il faut réaffirmer ici que le premier droit du salarié est le droit à la santé.
Il en va bien sûr de l'intérêt des salariés eux-mêmes, mais il en va aussi de l'intérêt des entreprises, tant le coût de l'insécurité est élevé et porte atteinte à leur compétitivité. Il en va enfin de l'intérêt général puisque les grands équilibres économiques et démographiques supposent une action résolue en matière d'amélioration des conditions de travail.
Dans ce domaine, mon action s'inscrit désormais pleinement dans la ligne de la stratégie communautaire 2004-2006 de santé et sécurité au travail adoptée par l'Union européenne, puisque la France s'est dotée depuis l'an passé d'une stratégie pluriannuelle qui en est la transposition et qui est déclinée en directives d'orientation annuelles.
Nous sommes donc entrés dans une ère nouvelle où nos actions nationales, adoptées en étroite concertation avec les représentants des partenaires sociaux, sont désormais structurées par des impératifs stratégiques coordonnés au niveau européen, et poursuivent des objectifs cohérents.
La norme européenne qui vise à l'amélioration des conditions de travail est ainsi, dans ce domaine peut-être plus que dans d'autres, de plus en plus présente dans le quotidien des salariés puisque, aujourd'hui, une très grande part de notre réglementation nationale relative à la santé et à la sécurité au travail transpose les règles décidées en commun à Bruxelles ou à Strasbourg.
Du point de vue de la méthode, il faut souligner le décloisonnement des approches et l'ouverture de la santé et de la sécurité au travail à des problématiques environnementales et de santé publique. Le gouvernement français a présenté en juin dernier, lors de la conférence du Budapest organisée sous l'égide de l'OMS, un plan national santé environnement qui amène les différents départements ministériels et les administrations en charge du travail, de la santé, de l'environnement et de la recherche à travailler ensemble, dans une approche globale, pluridisciplinaire et décloisonnée des questions, pour lesquelles des objectifs cohérents et des échéances précises ont été fixées.
La réussite de ce plan suppose le concours actif, dans le respect du principe d'autonomie, de l'inspection du travail. J'attache une importance toute particulière à une amélioration des conditions d'intervention des inspecteurs du travail, notamment en matière de prévention des risques professionnels. A côté des sections géographiques, il m'apparaît nécessaire d'instituer de nouvelles sections transversales, spécialisées, pour les secteurs les plus exposés au niveau d'une région, d'un bassin d'emploi.
Je souhaite clore ces propos sur ce thème particulier de l'amélioration des conditions de travail et de la prévention des risques professionnels, pour dire que nous suivons avec attention la démarche originale de l'OIT sur les systèmes de gestion de la sécurité et de la santé au travail, thème que vous avez abordé au cours de vos travaux.
Les principes directeurs de ce programme, élaborés dans un cadre tripartite (employeurs et travailleurs, pouvoirs publics) sont destinés à venir en aide aux entreprises afin d'obtenir l'amélioration continue des résultats en matière de sécurité et de santé au travail.
Le guide de l'OIT présente, me semble-t-il, à la fois l'intérêt :
- de répondre concrètement à la demande croissante des employeurs qui souhaitent intégrer volontairement une démarche de prévention dans le management global de leur entreprise et qui sont à la recherche d'outils pour les y aider,
- et de dépasser une approche purement normative, puisque les recommandations concrètes contenues dans ces principes directeurs ne sont pas contraignantes, et que leur application ne nécessite aucune certification, parfois délicate à gérer pour les plus petites entreprises.
La politique de santé sécurité au travail est l'un des domaines où la concertation avec les représentants des partenaires sociaux est, depuis longtemps, la règle.
Et cela m'amène tout naturellement à rappeler l'importance du dialogue social pour lequel -là encore- l'Europe nous a montré la voie.
La France a décidé de favoriser le développement du droit négocié et la loi du 4 mai 2004 offre au développement du dialogue social trois instruments majeurs : l'instauration du principe majoritaire, la nouvelle articulation des niveaux de négociation, et l'élargissement de la capacité de négociation.
Sur ce dernier point, le gouvernement a pris l'engagement de renvoyer systématiquement, à l'instar du mécanisme existant au plan européen, à la négociation collective interprofessionnelle toute réforme de nature législative relative au droit du travail. Si les partenaires sociaux ne souhaitent pas négocier, alors il incombe au gouvernement de prendre ses responsabilités.
Cette démarche -qui a déjà fait ses preuves au niveau européen- est, à mon sens, le meilleur garant d'une évolution progressive de notre système de relations du travail, et plus généralement des réformes structurelles du marché du travail qu'il nous faut impérativement conduire dans la ligne des recommandations de la Commission européenne et des conclusions de la Task-Force sur l'emploi présidée par M. Wim Kok.
Elle s'inscrit résolument dans l'esprit de la " gouvernance européenne ", qui entend associer les acteurs de la société - et, en premier lieu, les partenaires sociaux - aux responsabilités, aux initiatives, à la construction des équilibres, à la représentation des intérêts, à la construction du lien social.
C'est dans ce cadre, que j'ai invité les partenaires sociaux à se saisir de quatre sujets majeurs
1) La simplification et la modernisation du Code de Travail, ce qui inclut notamment l'organisation du temps de travail
2) La santé et la sécurité au travail, j'en ai parlé tout à l'heure
3) La question des seniors dont le maintien en activité correspond aux engagements pris par la France dans le cadre de la stratégie européenne de l'emploi
Cet objectif suppose une réflexion sur les conditions de travail, la formation.Il a pour corollaire, dans le prolongement de la réforme des retraites, une négociation entre les partenaires sociaux sur la pénibilité des postes de travail.
4) Le financement des syndicats et du paritarisme
Avec la préoccupation de l'emploi, du partage de la croissance, j'ai entamé, en fin de semaine dernière, le " premier round " des consultations avec l'ensemble des partenaires sociaux sur ces différents sujets et il est donc naturellement trop tôt pour tirer un premier bilan de ces échanges. Un second rendez-vous est prévu en octobre.
Outre ces sujets, le thème de la gestion sociale des restructurations est, lui aussi, au cur de l'actualité du dialogue social en France, mais c'est un sujet qui concerne l'ensemble des pays de l'Union, les anciens comme les nouveaux, et qui prend une dimension nouvelle avec les délocalisations. Les recommandations adressées à la France dans le cadre de la stratégie européenne de l'emploi nous invitent à construire collectivement un système plus efficace d'anticipation et de gestion des restructurations. Le Plan de Cohésion sociale a d'ores et déjà pris en compte cette demande, notamment en encourageant la mise en place de maisons de l'emploi qui auront pour mission de développer la gestion concertée et prévisionnelle des emplois et des compétences à l'échelle d'un territoire
Nous sommes, par ailleurs, engagés dans une réforme des règles relatives aux restructurations. Les partenaires ont ouverts des négociations au niveau interprofessionnel et je souhaite évidemment qu'ils aboutissent à un accord pour la mi-octobre.
Toutefois, si les négociations n'ont pas abouti, le gouvernement prendra ses responsabilités car il s'agit là d'un dossier majeur qui prend une dimension renforcée avec les risques de délocalisation, dans le contexte de la mondialisation.
Cette question ne peut naturellement trouver de réponse uniquement au niveau national car c'est de la compétitivité de l'Europe dans son ensemble qu'il s'agit et il importe au niveau communautaire de mettre en uvre une convergence des droits nationaux sans laquelle les législations nationales seront privées d'efficacité et de portée réelle, privant les entreprises comme les salariés de leurs garanties essentielles.
S'agissant des délocalisations, à la suite du rapport du Sénat, le gouvernement lance un audit qui va permettre de disposer d'une analyse précise du phénomène par taille d'entreprise, région, activité. Il faudrait une analyse similaire au niveau de l'Union européenne, notamment sur la zone euro. En tout état de cause, ce sujet devrait être pris à bras le corps au plan européen et nous réfléchissons à des initiatives à prendre en ce sens.
Je voudrais prolonger ces remarques sur le dialogue social, par une réflexion sur les évolutions du droit du travail, outil de régulation sociale, dans la période à venir.
Il paraît de plus en plus évident que la politique sociale européenne privilégiera, non la voie normative mais le développement de la concertation et du dialogue, notamment grâce à la Méthode Ouverte de Coordination (la " MOC "). Celle-ci est désormais pleinement reconnue par le projet de traité Constitutionnel et il faut souligner qu'elle a démontré son utilité dans le cadre notamment de la stratégie européenne de l'emploi.
Je voudrais dire quelques mots du traité constitutionnel pour souligner que celui-ci, contrairement à certaines idées reçues, comporte des avancées réelles dans le domaine social, même si celles-ci sont plus modestes que ce qu'aurait souhaité le gouvernement : intégration de la charte sociale dans le traité, affirmation d'un certain nombre de principes constitutifs du modèle social européen dans les valeurs et objectifs (plein emploi, égalité entre les hommes et les femmes, protection sociale),extension du principe de la majorité qualifiée en matière de coordination des régimes des sécurité sociale pour les travailleurs migrants et leur famille (même si nous n'avons pas pu éviter l'inscription d'une clause d'appel au Conseil européen), clause sociale horizontale selon laquelle les exigences sociales doivent désormais s'appliquer à l'ensemble des politiques de l'Union, reconnaissance du dialogue social autonome, reconnaissance également, j'y reviens, de la méthode ouverte de coordination.
Dans un contexte d'adaptation, face à l'ouverture des économies, il est de plus en plus crucial d'être attentifs à la façon dont la question sociale évolue chez nos partenaires. Dans chacun de nos pays, nous gardons la maîtrise de nos décisions -nous sommes dans le cadre de la subsidiarité- de nos mesures, de nos méthodes (nous sommes attachés au principe de l'Accord collectif) mais nous avons aussi un impératif de convergence et au moins de cohérence.
Je crois donc que, dans la période qui vient, il faudra développer encore plus les échanges avec nos partenaires, encourager les initiatives de la Commission pour la coordination des politiques des Etats membres, de telle sorte que nos expériences nous enrichissent mutuellement.
C'est une évidence, me semble-t-il, que, dans l'Europe à 25, les enjeux normatifs immédiats sont davantage dans la mise en oeuvre effective de l'acquis communautaire dans l'échange d'expériences et de bonnes pratiques que dans la production de normes nouvelles.
Vous l'aurez compris, nous sommes, en France, très attentifs à l'évolution du dialogue social européen, et cela à plusieurs titres. D'abord parce que, en raison de la tendance à la baisse de la production législative communautaire dans le domaine social, les initiatives des partenaires sociaux européens ont vocation à devenir un canal majeur de la régulation sociale. Et parce que, dans ce contexte, la question d'une relation plus articulée entre les accords européens et les systèmes nationaux de relations sociales se posera de manière plus précise. L'Europe élargie est, de ce point de vue, plus hétérogène, avec des procédures très diverses, des systèmes d'acteurs très inégaux. Les " accords volontaires " des partenaires sociaux européens (ceux qui doivent être mis en oeuvre sans le concours d'une directive du Conseil) sont donc " reçus " dans les systèmes nationaux - et mis en oeuvre - dans des conditions très diverses.
Je souhaite enfin évoquer les développements prometteurs en matière de responsabilité sociale des entreprises (RSE) et de développement durable, avec une batterie d'instruments nouveaux, ou réactivés, comme la normalisation, les chartes et codes de conduite, la notation sociale, le reporting, etc.
Un travail soutenu a été entrepris dans mon ministère, associant de manière transversale l'ensemble des services, ainsi que de nombreux partenaires extérieurs. Dans le prolongement du rapport sur la RSE qui m'a été remis par Mme Elisabeth Dufourcq, j'ai demandé que soient approfondies plus particulièrement les questions de la sous-traitance, de l'externalisation et de l'intérim.
Là encore, je voudrais réaffirmer combien le niveau européen est important, pour - au-delà des travaux du " Forum des parties prenantes " -faire de la responsabilité sociale des entreprises un véritable levier des relations des entreprises avec leurs interlocuteurs (et en premier lieu - c'est le ministre du travail qui parle - avec leurs salariés).
Cette question de l'évolution du droit du travail est fondamentale et je me réjouis de l'initiative de la présidence néerlandaise, qui organise, les 30 septembre et 1er octobre, une conférence européenne sur le droit du travail en Europe dans les années à venir. Car la question à laquelle nous sommes confrontés (quand je dis " nous ", je pense à la diversité des responsables que vous représentez ici : administrations sociales, entreprises, salariés, organisations patronales et syndicales, juristes, chercheurs, politiques, responsables territoriaux), c'est de promouvoir une régulation sociale efficace et dynamique utilisant toute la gamme des instruments utiles : législation, contrôle, dialogue social et production conventionnelle, articulation entre le niveau communautaire et le niveau national, initiatives des entreprises, dispositifs mis en place dans les groupes transnationaux, dispositifs territoriaux, coordinations entre Etats membres, dialogue social européen sectoriel, interactions entre le droit du travail et d'autres registres du droit, reporting, indicateurs de suivi,...
C'est par l'usage complémentaire de ces différents instruments (je dis bien complémentaire et non pas concurrent) que nous pourrons affronter de manière efficace à tous les niveaux la diversité des problèmes et responsabiliser tous les acteurs concernés. Comment répondre à la demande de flexibilité en construisant de réelles protections, des sécurités qui permettent de ne pas redouter les mobilités, les changements ; comment assurer la transférabilité des droits acquis, pour des parcours professionnels plus ouverts et plus autonomes ; comment anticiper les restructurations et leurs conséquences ; comment faire de la qualité des emplois, des conditions de travail, de la formation, un vrai levier de la compétitivité, en même temps que le moyen du maintien des personnes dans l'emploi plus longtemps ; comment répondre de manière appropriée aux problèmes rencontrés dans les diverses formes d'emploi et dans les différentes tailles d'entreprises ?
L'ensemble des thèmes que vous avez discutés ici à Nantes et que je viens d'évoquer rapidement s'inscrivent naturellement dans la réflexion en cours sur la révision de la stratégie de Lisbonne et de l'Agenda social européen dans l'Union élargie. Le Groupe de haut niveau, mis en place par la Commission, vient de rendre sur cette question son rapport dont je veux souligner l'originalité et l'intérêt.
Permettez-moi de rendre hommage à son président, Olivier DUTHEILLET DE LAMOTHE, mais aussi à l'ensemble des membres du Groupe parmi lesquels Mme Maria João RODRIGUES dont je sais que la présence ici a été appréciée et dont vous connaissez tous la contribution et l'engagement personnel dans la genèse de la stratégie de Lisbonne.
Je ne veux pas anticiper sur les débats du Conseil sur ce rapport ambitieux et équilibré, ni sur le rapport à venir du groupe présidé par M. Kok sur l'évaluation de la Stratégie de Lisbonne. Toutefois, je voudrai vous faire part de ma conviction que la clé réside dans la nécessité de maintenir un équilibre entre la politique économique et la politique sociale. Je ne peux à cet égard que partager la conclusion du Groupe de haut niveau quand il constate que " la politique sociale a toujours couru derrière la politique économique " et que " la Stratégie de Lisbonne peut changer cela ". C'est d'ailleurs le postulat sur lequel repose le Plan de Cohésion sociale : le social est une des conditions de la croissance, c'est un facteur de compétitivité et sa mise en oeuvre suppose la participation de tous les acteurs, en particulier des partenaires sociaux et l'utilisation de tous les instruments disponibles.
Mesdames, Messieurs,
Pour conclure, et en vous remerciant une nouvelle fois pour la qualité de vos contributions, je souhaite féliciter l'UET, qui, avec le concours de la Commission européenne, a su si bien stimuler notre réflexion et qui, avec cette 1ère Université d'Eté -qui, je l'espère, sera suivie d'autres- a franchi une nouvelle étape dans son ambition de transformer le réseau européen en forum de dialogue et d'échanges permanents.
(Source http://www.travail.gouv.fr, le 22 octobre 2004)