Texte intégral
La croissance est-elle durablement menacée par l'emballement des cours du pétrole et des matières premières - l'acier, l'aluminium, le nickel, le caoutchouc. La Chine, nouveau géant économique mondial, absorbe tout ce dont elle a besoin ; les prix montent, le brut risque quand même d'atteindre bientôt 60 dollars le baril. Après les pêcheurs, les agriculteurs et les routiers s'inquiètent, manifestent et réclament des aides d'urgence.
Invité de "Question directe", N. Sarkozy, ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, président du Conseil général des Hauts-de-Seine.
Q- Vous allez bientôt quitter Bercy. Vous dites que c'est désolant de partir à un moment de tension ou êtes-vous soulagé de dire que vous partez au moment où les choses se compliquent ?
R- Non, les choses sont plus simples que ça. Je suis passionné par ce que je fais au Gouvernement depuis deux ans et huit mois, et puis sept mois au ministère des Finances. Le Président de la République a souhaité qu'on ne puisse pas être à la fois président de l'UMP et ministre des Finances. C'est lui qui nomme, c'est lui qui décide.
Q- Là, vous voyez sous vos yeux en ce moment une sorte de bascule s'accomplir avec une envolée de toutes les matières premières, pas simplement du pétrole, de toutes les matières premières, et ça, c'est peut-être une question durable posée à la croissance mondiale...
R- Tout à fait et puis cela me permet de rebondir sur l'excellente chronique de B. Guetta, pour lui dire que ce n'est pas parce qu'on réfléchit qu'on est frileux. Ce n'est pas parce qu'on pose des questions qu'on a peur, et j'aimerais savoir ce que serait une démocratie où il n'y aurait pas de débat. Je suis désolé, on n'est pas obligé de répondre oui à tout. Vous savez que moi je suis pour le "oui" au référendum sur la Constitution. La question de l'entrée de la Turquie est une question extrêmement importante ; on ne peut pas la résumer binairement : d'un côté ceux qui ont peur, de l'autre ceux qui sont intelligents et généreux, parce que dans ce cas-là, il n'y a plus jamais de débat. La Turquie n'est pas européenne de par sa géographie. Est-ce qu'on solidifie la Turquie dans la démocratie en l'intégrant à l'Europe ou en la mettant comme partenaire associé à l'Europe ? Ce n'est pas une question qui est négligeable. Si vous considérez que chaque fois qu'on refuse un pays dans l'Europe, on le pousse dans les bras du fondamentalisme, alors demain, il faut accepter rapidement dans l'Europe, l'Iran et l'Irak, d'autant plus que si on acceptait la Turquie, cela veut dire que les frontières de l'Europe, ce serait l'Irak, ce qui serait pour les petits enfants à l'école, une nouveauté. B. Guetta, c'est un débat que je souhaite qu'on prolonge un jour. Je veux dire que poser des questions sur les délocalisations, ce n'est pas être populiste ; c'est regarder les choses telles qu'elles sont. Il y a quinze ans, on a fait une grande erreur, nous les Républicains de droite comme de gauche : on a sous-estimé les questions d'insécurité, on a sous-estimé les questions d'immigration. Il y avait d'un côté l'élite qui disait : il faut dire oui à tout, et pendant ce temps, Le Pen a prospéré. C'est exactement ce qui est en train de se reproduire avec une pensée unique dès qu'on parle de mondialisation. Moi, je me sens profondément européen ; je ne suis pas forcément par tempérament frileux ou peureux, mais je demande le droit de réfléchir avant de faire des choix de cette nature. C'est vraiment un sujet considérable. Sur le prix des matières premières, ça explose partout.
Q- Vous venez de poser aussi la problématique des délocalisations, elle se pose maintenant comme jamais avec ce qui se passe.
R- Absolument comme jamais. Moi, je ne suis pas de ceux qui minimisent le problème. C'est trop facile ; quand vous êtes cadre dans une compagnie d'assurance ou cadre dans la fonction publique, les délocalisations, cela ne vous concerne pas. Et vous pouvez regarder cela vu de Sirius. Quand vous allez dans les territoires fragiles déjà socialement, le problème des délocalisations se pose avec une très grande vigueur, c'est une inquiétude constante pour nos compatriotes. Et il ne suffit pas de dire : il y a des emplois qui vont se créer, il ne faut pas se gêner, ce n'est pas grave qu'il y ait des emplois qui se détruisent. Le problème, c'est que ce n'est pas pour les mêmes gens, et ce n'est pas dans les mêmes territoires. Quelqu'un qui est à l'usine, par exemple chez Alstom depuis 35 ans, qui gagne 1.200 euros par mois, à qui on dit : ce n'est pas grave, ton emploi va mourir, mais il y a dans les salles blanches, dans la nanotechnologie, des emplois nouveaux, il sait très bien que ce n'est pas pour lui. Quelle est la difficulté pour un homme politique ? C'est que nous, on doit s'occuper de tout le monde, on ne peut laisser personne sur le bord du chemin. Sur le prix des matières premières et sur le pétrole, je crois que c'est d'autant plus préoccupant qu'il n'y a aucune chance que cela s'arrange parce que la croissance est tirée...
Q- Il y a un risque que cela s'empire ?
R- Je n'en sais rien. Ce que je veux dire, c'est que les meilleurs spécialistes nous indiquent que le pétrole, il y en a pour 40 ou 50 ans. Donc la question claire : qu'est-ce qui remplacera le pétrole dans 40 et 50 ans, s'est posée. En France, nous avons une réponse. Cette réponse, c'est le nucléaire ; 50% de notre énergie, c'est le nucléaire. Dans le même temps, en Allemagne, on a arrêté le nucléaire. Et la première question qu'on doit poser, c'est celle d'une politique énergétique en Europe. Qu'est-ce qui remplacera le pétrole, au-delà du problème du coût ? S'agissant des agriculteurs, j'ai signé ce matin même assez tôt une lettre au président de la FNSEA pour lui indiquer qu'on allait faire quelque chose, très exactement 4 centimes d'euro par litre en moins entre le mois de juillet et la fin du mois de décembre. Pourquoi je le fais ? Parce que...
Q- Cela concernera les routiers aussi ou pas ?
R- Pour l'instant, c'est les agriculteurs, mais il faut que les auditeurs comprennent. Le problème pour les agriculteurs, c'est que compte tenu de la structure des prix agricoles, ils ne peuvent pas répercuter la hausse des matières premières. Et la difficulté pour les agriculteurs, c'est que si on laissait faire, ce serait une perte de pouvoir d'achat de 2 à 3 %, parce qu'ils ne peuvent pas le répercuter. Et donc il est tout à fait normal que le Gouvernement fasse pour les agriculteurs, parce qu'il n'y a pas de répercussion possible. On verra comment cela évolue, mais clairement se trouvent posées ce matin deux questions : il faut relancer d'urgence puissamment une politique d'économie d'énergie, et deuxièmement, il faut poser la question du nucléaire comme énergie de substitution dans l'ensemble de l'Europe. Nous avons 58 centrales nucléaires ; cela représente l'économie en pollution du doublement du parc automobile européen.
Q- Une question qui nous renvoie aussi à l'enjeu des délocalisations. Dans le Budget que vous avez préparé pour 2005, il y a celui de la recherche. Est-ce que ce n'est pas dans cette enveloppe-là qu'il y a peut-être la réponse, non seulement aux enjeux de l'économie telle qu'elle se développe, mais aussi aux délocalisations ? Est-ce qu'il ne faut pas investir plus pour trouver plus de valeur ajoutée ?
R- Oui, nous avons mis 1 milliard d'euros de plus pour la recherche. Mais regardez quelque chose. Après vous avoir dit qu'il ne faut pas minimiser les délocalisations, il y a un facteur d'optimisme formidable. Regardez ce qui se passe avec l'automobile : c'est une industrie, c'est une industrie de main-d'uvre, c'est une industrie mondialisée, il y aurait donc toutes les raisons pour que l'industrie automobile ait disparu de France. Or non seulement on a un grand groupe, mais on en a deux, PSA et Renault. Est-ce que vous vous souvenez qu'il y a 20 ans, Renault perdait 1 milliard de francs de l'époque, par mois. Renault et PSA sont des groupes extraordinaires aujourd'hui. Il y a cinq pays dans le monde où on fabrique des voitures, et on arrive à continuer à créer des emplois pour fabriquer des voitures en France. C'est donc que la solution, vous avez tout à fait raison, c'est la recherche, c'est l'innovation, et c'est bien pour cela que dans le projet de Budget, on a mis les pôles de compétitivité. Il y a quelque chose qui m'a frappé : il y a 30 ans, l'Etat avait pleins de projets économiques - il est vrai que ses responsabilités économiques étaient différentes. Aujourd'hui, il faut retrouver des projets, parce que c'est déprimant pour des territoires que de ne parler que de plans sociaux, que de départs en préretraite de gens de 52 ans qui n'ont qu'une seule idée, c'est de continuer à travailler. Avec les pôles de compétitivité, qu'on va désigner dans chacune de nos régions... J'étais à Limoges encore l'autre jour : on fabrique de la porcelaine, c'est quand même un malheur de voir Haviland en règlement judiciaire, de voir une société comme Bernardaud espérer un contrat dans les Emirats pour pouvoir s'en sortir. Il y a 2.400 emplois qui restent ; on va faire un pole de compétitivité, on va passer de la porcelaine à la céramique industrielle, et on va sortir ce secteur. J'étais à Roanne la semaine dernière : il y a encore un avenir pour le textile, mais différemment qu'aujourd'hui, parce que les hommes et les femmes dans le textile maintenant - il faut voir ce que c'est qu'une usine, textile aujourd'hui -, ils ne font plus de la production, ils surveillent les machines, et ils les réparent.
Q- L'avenir est-il national ou il est européen ? Vous partez demain à Berlin, vous allez y rencontrer votre homologue allemand. Les grands projets, tout ce qui peut tirer en effet la croissance, l'économie et créer des emplois en France et en Europe, pourquoi on ne va pas plus vite là-dessus ?
R- Mais bien sûr que je crois à l'Europe, mais comprenez bien cela : nous sommes 25 en Europe maintenant ; nous venons d'accueillir 80 millions d'européens de l'Est, et c'est une bonne chose. C'est un choix historique majeur, personne ne pouvait le refuser, mais c'est un véritable problème, parce qu'il y a des grands niveaux de différences entre nos économies. C'est notre intérêt qu'ils aillent vers le progrès c'est ce que je dis à B. Guetta -, ce sont des marchés supplémentaires, cela va conforter la démocratie, mais en même temps, je souhaite qu'il y ait en Europe des politiques fiscales, non pas les mêmes, mais on ne peut pas se permettre d'avoir en Europe des politiques fiscales trop agressives. Il y a un pays qui a porté - tenez-vous bien - à zéro, le taux d'impôt sur les bénéfices. Je dis une chose : ce pays a le droit de le faire, mais on ne peut pas dire qu'on est assez riche pour ramener son impôt à zéro, et en même temps suffisamment pauvre pour demander aux autres, c'est-à-dire à nous, de compenser le déséquilibre de son budget, parce que chacun comprend bien que quand on réduit ses impôts à zéro, cela fait du mal au déficit budgétaire. J'ai donc proposé une règle qui est très simple. La solidarité, ça doit jouer en Europe ; il est tout à fait normal qu'on paye nous des fonds structurels pour les aider à se développer, mais il faut qu'ils aient une politique fiscale raisonnable. Où est-ce qu'on va arriver en Europe, si tous mettent en Europe de l'Est leurs impôts à zéro ? Vous croyez que c'est comme ça qu'on construit des démocraties ? L'Europe, c'est la concurrence entre nous, mais c'est une concurrence loyale. J'essaie de faire comprendre qu'on peut être européen, qu'on peut être internationaliste, qu'on peut ne pas avoir peur ; il faut qu'on aide au développement du monde, et en même temps, on doit être lucide. On doit comprendre qu'on ne peut pas laisser tomber des régions de France où il y a 20 ou 30 % de chômeurs, que les délocalisations, ce n'est pas un fantasme franco-français. Juste une anecdote : j'étais à New York, dimanche, pour le sommet du G7 et pour l'assemblée générale du FMI, et j'ai rencontré le maire de New York. Vous savez la première chose que m'a dit monsieur Bloomberg - il n'est pas un grand socialiste, ni par sa fortune, ni par son engagement politique. Il m'a dit : monsieur Sarkozy, vous ne pouvez pas me rendre un petit service ? C'est embêtant, il y a une société française, Sanofi Aventis, qui va supprimer 800 emplois à New York, qui va les mettre ailleurs. Vous ne pouvez pas m'aider ? Ce n'est un complexe franco-français. Je voyais le ministre des Finances japonais qui me disait : chez nous, le débat fait rage, on parle tous de la délocalisation des emplois en Chine. Donc, au lieu de nier le problème, de contester de l'intelligence ou de la lucidité à ceux qui en parlent, il faut qu'on trouve des solutions, et les solutions, c'est l'innovation et la recherche. Plutôt qu'investir pour des plans sociaux, il faut investir pour l'innovation et la recherche.
Q- Vous allez bientôt quitter Bercy. La politique, c'est de l'investissement dans le long terme. Celui qui va vous succéder, êtes-vous certain qu'il va suivre pas à pas ce que vous venez de mettre en place ou faut-il s'attendre à des changements ?
R- Je ne pars pas pour la Patagonie extérieure ! Vous savez où je pars, si les gens me font confiance.
Q- Vous ne serez plus à Bercy...
R- Je pars, si les militants me font confiance, pour diriger le premier parti politique de France, ce grand parti de la majorité. Je suivrai peut-être les questions économiques et sociales, mais celui qui sera là, on n'est pas propriétaire de ses responsabilités ministérielles. Il fera certainement bien. Ce que je sais, c'est que moi, je travaille jusqu'à la dernière minute, parce que je crois dans les idées que je défends. Alors soit je m'attaque à des vrais problèmes et dans ce cas-là, il n'y a aucune raison que ça s'arrête, soit je me suis attaqué à des problèmes qui ne le sont pas et dans ce cas-là, ça s'arrêtera.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 14 octobre 2004)
Invité de "Question directe", N. Sarkozy, ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, président du Conseil général des Hauts-de-Seine.
Q- Vous allez bientôt quitter Bercy. Vous dites que c'est désolant de partir à un moment de tension ou êtes-vous soulagé de dire que vous partez au moment où les choses se compliquent ?
R- Non, les choses sont plus simples que ça. Je suis passionné par ce que je fais au Gouvernement depuis deux ans et huit mois, et puis sept mois au ministère des Finances. Le Président de la République a souhaité qu'on ne puisse pas être à la fois président de l'UMP et ministre des Finances. C'est lui qui nomme, c'est lui qui décide.
Q- Là, vous voyez sous vos yeux en ce moment une sorte de bascule s'accomplir avec une envolée de toutes les matières premières, pas simplement du pétrole, de toutes les matières premières, et ça, c'est peut-être une question durable posée à la croissance mondiale...
R- Tout à fait et puis cela me permet de rebondir sur l'excellente chronique de B. Guetta, pour lui dire que ce n'est pas parce qu'on réfléchit qu'on est frileux. Ce n'est pas parce qu'on pose des questions qu'on a peur, et j'aimerais savoir ce que serait une démocratie où il n'y aurait pas de débat. Je suis désolé, on n'est pas obligé de répondre oui à tout. Vous savez que moi je suis pour le "oui" au référendum sur la Constitution. La question de l'entrée de la Turquie est une question extrêmement importante ; on ne peut pas la résumer binairement : d'un côté ceux qui ont peur, de l'autre ceux qui sont intelligents et généreux, parce que dans ce cas-là, il n'y a plus jamais de débat. La Turquie n'est pas européenne de par sa géographie. Est-ce qu'on solidifie la Turquie dans la démocratie en l'intégrant à l'Europe ou en la mettant comme partenaire associé à l'Europe ? Ce n'est pas une question qui est négligeable. Si vous considérez que chaque fois qu'on refuse un pays dans l'Europe, on le pousse dans les bras du fondamentalisme, alors demain, il faut accepter rapidement dans l'Europe, l'Iran et l'Irak, d'autant plus que si on acceptait la Turquie, cela veut dire que les frontières de l'Europe, ce serait l'Irak, ce qui serait pour les petits enfants à l'école, une nouveauté. B. Guetta, c'est un débat que je souhaite qu'on prolonge un jour. Je veux dire que poser des questions sur les délocalisations, ce n'est pas être populiste ; c'est regarder les choses telles qu'elles sont. Il y a quinze ans, on a fait une grande erreur, nous les Républicains de droite comme de gauche : on a sous-estimé les questions d'insécurité, on a sous-estimé les questions d'immigration. Il y avait d'un côté l'élite qui disait : il faut dire oui à tout, et pendant ce temps, Le Pen a prospéré. C'est exactement ce qui est en train de se reproduire avec une pensée unique dès qu'on parle de mondialisation. Moi, je me sens profondément européen ; je ne suis pas forcément par tempérament frileux ou peureux, mais je demande le droit de réfléchir avant de faire des choix de cette nature. C'est vraiment un sujet considérable. Sur le prix des matières premières, ça explose partout.
Q- Vous venez de poser aussi la problématique des délocalisations, elle se pose maintenant comme jamais avec ce qui se passe.
R- Absolument comme jamais. Moi, je ne suis pas de ceux qui minimisent le problème. C'est trop facile ; quand vous êtes cadre dans une compagnie d'assurance ou cadre dans la fonction publique, les délocalisations, cela ne vous concerne pas. Et vous pouvez regarder cela vu de Sirius. Quand vous allez dans les territoires fragiles déjà socialement, le problème des délocalisations se pose avec une très grande vigueur, c'est une inquiétude constante pour nos compatriotes. Et il ne suffit pas de dire : il y a des emplois qui vont se créer, il ne faut pas se gêner, ce n'est pas grave qu'il y ait des emplois qui se détruisent. Le problème, c'est que ce n'est pas pour les mêmes gens, et ce n'est pas dans les mêmes territoires. Quelqu'un qui est à l'usine, par exemple chez Alstom depuis 35 ans, qui gagne 1.200 euros par mois, à qui on dit : ce n'est pas grave, ton emploi va mourir, mais il y a dans les salles blanches, dans la nanotechnologie, des emplois nouveaux, il sait très bien que ce n'est pas pour lui. Quelle est la difficulté pour un homme politique ? C'est que nous, on doit s'occuper de tout le monde, on ne peut laisser personne sur le bord du chemin. Sur le prix des matières premières et sur le pétrole, je crois que c'est d'autant plus préoccupant qu'il n'y a aucune chance que cela s'arrange parce que la croissance est tirée...
Q- Il y a un risque que cela s'empire ?
R- Je n'en sais rien. Ce que je veux dire, c'est que les meilleurs spécialistes nous indiquent que le pétrole, il y en a pour 40 ou 50 ans. Donc la question claire : qu'est-ce qui remplacera le pétrole dans 40 et 50 ans, s'est posée. En France, nous avons une réponse. Cette réponse, c'est le nucléaire ; 50% de notre énergie, c'est le nucléaire. Dans le même temps, en Allemagne, on a arrêté le nucléaire. Et la première question qu'on doit poser, c'est celle d'une politique énergétique en Europe. Qu'est-ce qui remplacera le pétrole, au-delà du problème du coût ? S'agissant des agriculteurs, j'ai signé ce matin même assez tôt une lettre au président de la FNSEA pour lui indiquer qu'on allait faire quelque chose, très exactement 4 centimes d'euro par litre en moins entre le mois de juillet et la fin du mois de décembre. Pourquoi je le fais ? Parce que...
Q- Cela concernera les routiers aussi ou pas ?
R- Pour l'instant, c'est les agriculteurs, mais il faut que les auditeurs comprennent. Le problème pour les agriculteurs, c'est que compte tenu de la structure des prix agricoles, ils ne peuvent pas répercuter la hausse des matières premières. Et la difficulté pour les agriculteurs, c'est que si on laissait faire, ce serait une perte de pouvoir d'achat de 2 à 3 %, parce qu'ils ne peuvent pas le répercuter. Et donc il est tout à fait normal que le Gouvernement fasse pour les agriculteurs, parce qu'il n'y a pas de répercussion possible. On verra comment cela évolue, mais clairement se trouvent posées ce matin deux questions : il faut relancer d'urgence puissamment une politique d'économie d'énergie, et deuxièmement, il faut poser la question du nucléaire comme énergie de substitution dans l'ensemble de l'Europe. Nous avons 58 centrales nucléaires ; cela représente l'économie en pollution du doublement du parc automobile européen.
Q- Une question qui nous renvoie aussi à l'enjeu des délocalisations. Dans le Budget que vous avez préparé pour 2005, il y a celui de la recherche. Est-ce que ce n'est pas dans cette enveloppe-là qu'il y a peut-être la réponse, non seulement aux enjeux de l'économie telle qu'elle se développe, mais aussi aux délocalisations ? Est-ce qu'il ne faut pas investir plus pour trouver plus de valeur ajoutée ?
R- Oui, nous avons mis 1 milliard d'euros de plus pour la recherche. Mais regardez quelque chose. Après vous avoir dit qu'il ne faut pas minimiser les délocalisations, il y a un facteur d'optimisme formidable. Regardez ce qui se passe avec l'automobile : c'est une industrie, c'est une industrie de main-d'uvre, c'est une industrie mondialisée, il y aurait donc toutes les raisons pour que l'industrie automobile ait disparu de France. Or non seulement on a un grand groupe, mais on en a deux, PSA et Renault. Est-ce que vous vous souvenez qu'il y a 20 ans, Renault perdait 1 milliard de francs de l'époque, par mois. Renault et PSA sont des groupes extraordinaires aujourd'hui. Il y a cinq pays dans le monde où on fabrique des voitures, et on arrive à continuer à créer des emplois pour fabriquer des voitures en France. C'est donc que la solution, vous avez tout à fait raison, c'est la recherche, c'est l'innovation, et c'est bien pour cela que dans le projet de Budget, on a mis les pôles de compétitivité. Il y a quelque chose qui m'a frappé : il y a 30 ans, l'Etat avait pleins de projets économiques - il est vrai que ses responsabilités économiques étaient différentes. Aujourd'hui, il faut retrouver des projets, parce que c'est déprimant pour des territoires que de ne parler que de plans sociaux, que de départs en préretraite de gens de 52 ans qui n'ont qu'une seule idée, c'est de continuer à travailler. Avec les pôles de compétitivité, qu'on va désigner dans chacune de nos régions... J'étais à Limoges encore l'autre jour : on fabrique de la porcelaine, c'est quand même un malheur de voir Haviland en règlement judiciaire, de voir une société comme Bernardaud espérer un contrat dans les Emirats pour pouvoir s'en sortir. Il y a 2.400 emplois qui restent ; on va faire un pole de compétitivité, on va passer de la porcelaine à la céramique industrielle, et on va sortir ce secteur. J'étais à Roanne la semaine dernière : il y a encore un avenir pour le textile, mais différemment qu'aujourd'hui, parce que les hommes et les femmes dans le textile maintenant - il faut voir ce que c'est qu'une usine, textile aujourd'hui -, ils ne font plus de la production, ils surveillent les machines, et ils les réparent.
Q- L'avenir est-il national ou il est européen ? Vous partez demain à Berlin, vous allez y rencontrer votre homologue allemand. Les grands projets, tout ce qui peut tirer en effet la croissance, l'économie et créer des emplois en France et en Europe, pourquoi on ne va pas plus vite là-dessus ?
R- Mais bien sûr que je crois à l'Europe, mais comprenez bien cela : nous sommes 25 en Europe maintenant ; nous venons d'accueillir 80 millions d'européens de l'Est, et c'est une bonne chose. C'est un choix historique majeur, personne ne pouvait le refuser, mais c'est un véritable problème, parce qu'il y a des grands niveaux de différences entre nos économies. C'est notre intérêt qu'ils aillent vers le progrès c'est ce que je dis à B. Guetta -, ce sont des marchés supplémentaires, cela va conforter la démocratie, mais en même temps, je souhaite qu'il y ait en Europe des politiques fiscales, non pas les mêmes, mais on ne peut pas se permettre d'avoir en Europe des politiques fiscales trop agressives. Il y a un pays qui a porté - tenez-vous bien - à zéro, le taux d'impôt sur les bénéfices. Je dis une chose : ce pays a le droit de le faire, mais on ne peut pas dire qu'on est assez riche pour ramener son impôt à zéro, et en même temps suffisamment pauvre pour demander aux autres, c'est-à-dire à nous, de compenser le déséquilibre de son budget, parce que chacun comprend bien que quand on réduit ses impôts à zéro, cela fait du mal au déficit budgétaire. J'ai donc proposé une règle qui est très simple. La solidarité, ça doit jouer en Europe ; il est tout à fait normal qu'on paye nous des fonds structurels pour les aider à se développer, mais il faut qu'ils aient une politique fiscale raisonnable. Où est-ce qu'on va arriver en Europe, si tous mettent en Europe de l'Est leurs impôts à zéro ? Vous croyez que c'est comme ça qu'on construit des démocraties ? L'Europe, c'est la concurrence entre nous, mais c'est une concurrence loyale. J'essaie de faire comprendre qu'on peut être européen, qu'on peut être internationaliste, qu'on peut ne pas avoir peur ; il faut qu'on aide au développement du monde, et en même temps, on doit être lucide. On doit comprendre qu'on ne peut pas laisser tomber des régions de France où il y a 20 ou 30 % de chômeurs, que les délocalisations, ce n'est pas un fantasme franco-français. Juste une anecdote : j'étais à New York, dimanche, pour le sommet du G7 et pour l'assemblée générale du FMI, et j'ai rencontré le maire de New York. Vous savez la première chose que m'a dit monsieur Bloomberg - il n'est pas un grand socialiste, ni par sa fortune, ni par son engagement politique. Il m'a dit : monsieur Sarkozy, vous ne pouvez pas me rendre un petit service ? C'est embêtant, il y a une société française, Sanofi Aventis, qui va supprimer 800 emplois à New York, qui va les mettre ailleurs. Vous ne pouvez pas m'aider ? Ce n'est un complexe franco-français. Je voyais le ministre des Finances japonais qui me disait : chez nous, le débat fait rage, on parle tous de la délocalisation des emplois en Chine. Donc, au lieu de nier le problème, de contester de l'intelligence ou de la lucidité à ceux qui en parlent, il faut qu'on trouve des solutions, et les solutions, c'est l'innovation et la recherche. Plutôt qu'investir pour des plans sociaux, il faut investir pour l'innovation et la recherche.
Q- Vous allez bientôt quitter Bercy. La politique, c'est de l'investissement dans le long terme. Celui qui va vous succéder, êtes-vous certain qu'il va suivre pas à pas ce que vous venez de mettre en place ou faut-il s'attendre à des changements ?
R- Je ne pars pas pour la Patagonie extérieure ! Vous savez où je pars, si les gens me font confiance.
Q- Vous ne serez plus à Bercy...
R- Je pars, si les militants me font confiance, pour diriger le premier parti politique de France, ce grand parti de la majorité. Je suivrai peut-être les questions économiques et sociales, mais celui qui sera là, on n'est pas propriétaire de ses responsabilités ministérielles. Il fera certainement bien. Ce que je sais, c'est que moi, je travaille jusqu'à la dernière minute, parce que je crois dans les idées que je défends. Alors soit je m'attaque à des vrais problèmes et dans ce cas-là, il n'y a aucune raison que ça s'arrête, soit je me suis attaqué à des problèmes qui ne le sont pas et dans ce cas-là, ça s'arrêtera.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 14 octobre 2004)