Interview de M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées à RMC le 12 novembre 2003, sur la présentation du plan "Dépendance solidarités" envers les personnes âgées et les handicapés et l'accueil des personnes âgées en maisons de retraite.

Prononcé le

Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

J.-J. Bourdin-. Merci d'être avec nous. Vous vous exprimez publiquement pour la première fois depuis la présentation du plan "dépendance solidarités" envers les personnes âgées et les handicapés. C'est dur d'être ministre, vous avez perdu un peu votre voix. Est-ce que c'est dur d'être ministre ?
- "Ca n'est pas très simple, car il faut tenter de satisfaire toutes les demandes qui sont faites et qui apparaissent justifiées. Il faut les organiser, il faut mener des réformes qui quelquefois s'imposent sans plaire à tout le monde, c'est le moins qu'on puisse dire. Mais, c'est difficile, mais c'est passionnant."
Votre plan, enfin le plan du Gouvernement, "Dépendance - solidarités" envers les personnes âgées et les handicapés [est un plan ] raté. "Raté !", titrait Le Parisien Aujourd'hui en France, au lendemain de la présentation du plan. Nous allons revenir en détail sur ce plan. Les personnes âgées, le maintien à domicile sur quatre ans, création de 30 000 places, c'est ça ?
- "Oui."
Les maisons de retraite, création de 10 000 nouvelles places en établissement.
- "Oui".
Recrutement de 15 000 personnes soignants - infirmières, aides-soignants et aides-soignantes - d'ici à 2007, en quatre ans donc ?
- "Non, c'est 15 000 personnes pour venir améliorer l'encadrement des maisons existantes, c'est-à-dire 20 % de plus de personnels dans les maisons existantes. Mais quand on crée 10 000 places de plus, on crée aussi des emplois qui vont avec et qui viennent s'additionner."
Les professionnels ont regardé ça de près. Il y a 10 000 maisons de retraite en France. Dans chacune, en moyenne 68 pensionnaires. Cela fait une personne et demi de plus par établissement en quatre ans ?
- "Oui, mais...écoutez, je ne pense pas qu'on puisse raisonner de la sorte. Il faut raisonner en fonction des personnes qui vont progressivement avoir besoin de ces institutions. Il faut espérer que ces besoins vont diminuer dans la mesure où nous allons augmenter le maintien à domicile, car, malgré tout, c'est le voeu extrêmement majoritaire des personnes âgées - d'abord, si c'est possible, "rester chez moi" - et c'est bien ce que nous allons essayer de développer premièrement. Et puis, vous savez, on peut exprimer des voeux, on peut exprimer des souhaits, ils sont toujours évidemment très importants. Et lorsqu'on se penche sur la réalité de leur mise en oeuvre, on se rend compte que c'est beaucoup plus difficile. Par exemple..."
Parce que vous n'avez pas d'argent, parce que vous n'avez pas les moyens
J.-F. Mattei !
- "Non, mais attendez, ce n'est même pas une question d'argent. C'est une question de compétences. Quand vous me dites, tout à l'heure - restons-en à ce chiffre - "15 000 emplois nouveaux", en quatre ans, ça fait à peu près 4 000 personnes par an. Il faut qu'il y ait les 4 000 candidats, il faut que ces 4 000 candidats soient formés, que leur formation soit validée, et qu'elles arrivent sur le marché du travail à ces postes qu'on crée pour qu'elles les occupent. On va commencer en 2005. Nous devrions déjà avoir les 4 000 personnes prêtes à entrer en formation pour 2005 et puis 4 000 ensuite."
C'est la raison pour laquelle vous commencez en 2005 et non pas en 2004 ?
- "Entre autres notamment."
Est-ce qu'il n'y a pas une raison électorale là-dessous ?
- "Non, il n'y a pas de raison électorale. A partir du moment où vous décidez, au mois de novembre, la création d'une Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, il faut des dispositions législatives, il faut des dispositions réglementaires, et tout cela demande évidemment un peu de temps. Comme le Parlement ne va pas siéger pendant la période électorale, il nous reste janvier et un petit peu de février pour siéger et il y a déjà des textes très importants qui sont inscrits. Et donc, je crois que c'est un texte qui sera voté avant l'été, probablement, nous l'espérons bien. Mais on ne peut pas aller plus vite que cela. En revanche, rien ne nous interdit, dès le mois de janvier, de commencer la formation des futurs personnels, de commencer l'élaboration des dossiers. Je pourrais vous répondre sur une expérience récente : l'an dernier, nous avons décidé de doubler la création pour les personnes handicapées de places en CAT, c'est-à-dire, de Centres d'Adaptation par le Travail, ou dans des MAS, c'est-à-dire, des Maisons d'Accueil spécialisées pour les handicapés. Mais le jour où vous décidez de mettre de l'argent, il faut qu'il y ait des projets qui attendent, il faut qu'il y ait des projets qui aient été prévus, il faut qu'il y ait des permis de construire, il faut qu'il y ait les terrains, il faut tout cela. Vous savez très bien que si vous décidez de construire, demain, une maison ou même un garage, il va vous falloir quelques mois pour le faire."
J'ai écouté, et vous aussi vous avez écouté, les professionnels qui sont chargés de ces maisons de retraite et des établissements pour personnes âgées. Ils disent qu'il faudrait doubler les effectifs actuels pour rejoindre les autres pays d'Europe. Huit professionnels pour dix personnes âgées. On en est si loin en France ! Et il y avait cette urgence l'été dernier, 15 000 morts !
- "Mais ils ont raison."
Pourquoi ne pas être allé plus loin dans votre plan ?!
- "Parce que, figurez-vous, que si nous en sommes là, ça n'est pas en 18 mois que ça s'est fait, que nous ne pouvons pas en six mois, réparer probablement dix ou quinze années d'imprévoyance."
Et comment réagissez-vous quand vous voyez un journal qui, le lendemain, titre : "Raté !" ?
- "Je pense que ce sont des gens qui, en définitive, devant un verre à moitié vide ou à moitié plein, ont tendance à dire : il est à moitié vide. Et moi, j'ai tendance à être plus optimiste en disant : il est à moitié plein et on va faire mieux. Ce sont des gens qui, lorsqu'ils voient un nuage dans le ciel disent : " ah ! il va pleuvoir ". Et d'autres vont dire : " ça va s'éclaircir ". Qu'est-ce que vous voulez que je vous dise ! Il y a une façon de présenter les choses. Moi, je trouve que, lorsqu'on a créé la Sécurité sociale en 1945, le problème de la dépendance ne se posait pas. Mais certainement, si on créait la Sécu aujourd'hui, on prévoirait une branche pour la dépendance, qui est un problème ouveau pour les personnes âgées dépendantes, pour les personnes handicapées. Nous créons cela, c'est une grande réforme sociale. Depuis la Sécurité sociale, on n'avait pas créé une nouvelle protection sociale sur un champ particulier. Alors, j'aurais compris qu'on critique, parce que c'est normal qu'on dise : ils ne vont pas assez vite... Il n'y a pas assez de personnes... Il n'y a pas assez d'argent. Mais je n'ai même pas entendu une approbation pour dire : " ça, c'est bien ! Ils font quelque chose, c'est pas assez mais c'est bien ". Je n'ai même pas entendu ça ! Ca me laisse à penser que, décidément, on avait envie systématiquement de critiquer et de considérer que, finalement, même de créer une Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, c'est raté. Eh bien écoutez, je les laisse... Ce sont probablement des gens malheureux !"
Vous êtes touché....
- "Je ne leur en veux pas. Je vais de l'avant."
Dans le privé, nous allons travailler un jour de plus à partir de juillet 2004.
- "Je vous interromps tout de suite : travailler un jour de plus, mais on a gagné 20 jours avec les 35 heures !"
Mais non, non, attendez, je...C'est un constat.
- "Il reste 19 jours de congés de plus qu'avant les 35 heures. Donc, là aussi, il y a une façon de voir les choses. 20 jours de congés de plus qui s'additionnent aux vacances traditionnelles et on demande de consacrer 1 jour pendant lequel on ne travaille pas dans l'année, que ce soit d'ailleurs un jour de réduction du temps de travail, 1 sur ces 20, il en resterait 19 ! Ou un jour férié, il y en a quand même beaucoup. Ecoutez, quand j'étais enfant, ça nous arrivait de consacrer le dimanche pour aller s'occuper des personnes âgées, et on ne disait pas qu'on était en "corvée", on était là, on faisait une bonne action."
Mais c'est pas ce qu'on peut vous reprocher J.-F. Mattei. D'ailleurs, ce n'est pas ce que l'auditeur qui nous appelle tous les jours vous reproche. Il vous demande de vous engager. Il vous demande deux choses : est-ce que le niveau de cotisations, payées par les entreprises, restera toujours le même ? Première question. Est-ce que vous pouvez vous engager ?
- "Est-ce que le taux de Livret A reste toujours le même ?. Est-ce que les taux d'intérêt, quand vous empruntez pour un appartement, restent toujours le même ? Vous savez bien que tout cela dépend et du taux de croissance et de la valeur de l'argent. Mais si vous voulez, ce que je peux dire, c'est que le taux de prélèvement correspondra à la plus-value du travail fourni. Et ou l'équivalent pour le patrimoine. C'est à peu près ça."
Autre question que vous posent les auditeurs : est-ce que cet argent servira toujours, je dis bien toujours, à financer l'aide aux personnes âgées et handicapées ?
- "Non seulement "toujours" mais c'est indispensable..."
Tout le monde se souvient de la vignette, vous le savez, on nous l'a dit maintes fois...
- "Oui, on me l'a dit maintes fois. Je pense d'ailleurs qu'on aurait mieux fait à l'époque de regarder si on n'avait pas besoin pour les personnes âgées de rendre la vignette à sa vocation première, plutôt que de la supprimer, puisque maintenant on voit bien qu'il y a des besoins qui ne sont pas satisfaits. Donc, gouverner c'est prévoir, la prévision n'est pas toujours là, et c'est pour ça qu'il y a des difficultés parfois à gouverner. Ce que je peux vous dire c'est que les 2 milliards on en a besoin, il faut pérenniser, c'est-à-dire prolonger, installer l'Allocation personnalisée d'autonomie. Vous voyez comme je suis, moi, avec mes concurrents d'hier, ceux qui sont dans l'opposition aujourd'hui ! Je dis que l'APA était une bonne idée. Mais je dis qu'ils n'avaient pas prévu l'argent pour la financer en totalité. Eh bien nous allons financer cette belle réforme. Et puis ce qui restera, c'est-à-dire 1,7 milliard à peu près, nous le consacrerons moitié aux personnes âgée, moitié aux personnes handicapées."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 12 novembre 2003)