Tribune de M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, dans "Les Echos", le 24 juillet 2000, sur les objectifs de la présidence française de l'Union européenne en matière économique : réformer la régulation boursière en Europe, stabiliser le système monétaire international et le cours de l'euro, encourager l'innovation et réussir l'élargissement de l'Union.

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Nous voici donc entrés dans la présidence française de l'Union européenne. Après nos premières réunions et avant la pause estivale, je voudrais dire ici brièvement mes objectifs européens pour cette période dans le domaine économique. Je n'ai pas souhaité le faire plus tôt, préférant partir de premiers résultats tangibles plutôt que de déclarations générales un peu abstraites.
Le rêve européen se nourrit en effet de pas concrets. C'est la méthode qui nous a réussi jusqu'à présent et qu'il faut poursuivre. Or nous avons la chance que mes collègues européens aient bien voulu permettre de premières avancées dés le début de la présidence française. De quoi s'agit-il ? D'abord du renforcement de la coordination des politiques économiques. Cette coordination est nécessaire entre les Quinze, elle l'est encore plus entre les pays de l'euro. Qu'avons-nous décidé dimanche 16 juillet à Bruxelles ? Qu'il n'y avait pas de sujet tabou entre nous. Tout ce qui intéresse la bonne marche de nos économies et le taux de change de l'euro doit pouvoir être franchement débattu au sein de l' " eurogroupe, le nouveau nom que nous avons choisi pour notre réunion des ministres des Finances de la zone euro. Nous parlerons donc de la conjoncture - très bonne, mais où il faut être vigilant avec l'inflation - et de la maîtrise indispensable des politiques budgétaires, comme nous le faisions jusqu'à présent ; mais chacun a reconnu, après deux ans d'expérience de notre fonctionnement, qu'il nous fallait aller plus loin: questions fiscales, développements salariaux, intégration des marchés financiers, réformes structurelles d'un intérêt particulier pour les partenaires de la zone... Nous évoquerons désormais régulièrement ces sujets et tous ceux que l'actualité commandera. Et nous le ferons en présence du président de la Banque centrale européenne car le dialogue entre nous doit être vivant, direct, bien entendu dans le respect des compétences de chacun. Je suis d'ailleurs heureux d'avoir participé, jeudi 20 juillet, au conseil d'administration de la BCE à Francfort. Nous publierons, avant la fin de l'année, un nouvel indicateur avancé sur la conjoncture de la zone euro dans son ensemble.
Ce sont là des orientations que le gouvernement français a détendues dés juin 1997. Certains étaient alors sceptiques, les pays hors de l'euro se montrant même franchement réservés. Aujourd'hui, plus personne ne conteste l'utilité de l' " eurogroupe " chacun souhaite qu'il élargisse son champ d'action et communique davantage. C'est précisément ce que nous allons mettre en uvre avec la présidence française.
Notre changement de nom, comme souvent, est significatif : les pays de l'euro veulent s'affirmer en tant que groupe cohérent, partageant une même philosophie de politique économique et souhaitant jouer un rôle majeur sur la scène financière et internationale. Ainsi que le FMI nous l'a confirmé dans une analyse que nous avons décidée de rendre immédiatement publique, la situation économique de l'Europe est désormais robuste. C'est la fin d'une longue période de glaciation. Partout, à des rythmes différents, le chômage décroît. On évoque même la perspective du retour au plein emploi. Les créations d'entreprises, les investissements progressent sur le plus grand marché de consommation du monde. Cette dynamique rend de nouveau possibles et contagieux l'esprit d'entreprise, l'initiative, la prise de risque. Notre défi est maintenant de transformer cet espoir nouveau en croissance durable. L' "eurogroupe" sera un atout pour y parvenir.
Qu'avons-nous encore décidé dans ces premiers jours ? Lors du Conseil économique et financier du 17 juillet, nous avons partagé le constat que nous devions réfléchir d'une façon opérationnelle à la réforme de la régulation boursière en Europe. Il s'agit de conserver notre faculté de régulation des marchés financiers c'est-à-dire notre capacité de protéger les épargnants et de faciliter le financement de nos entreprises partout en Europe. Il est en effet évident que nous sommes entrés dans une ère nouvelle, celle de l'immatériel, où les Bourses traditionnelles fusionnent (Euronext entre Paris, Bruxelles et Amsterdam, iX entre Londres et Francfort), où les marchés électroniques se développent, où les OPA transfrontières se multiplient. Nous avons besoin de règles, elles doivent désormais être définies au niveau européen. Nous avons décidé, avec la Commission, de confier à 7 "sages ", présidés par M. Lamfalussy, la mission de nous indiquer très vite les pistes précises de réformes souhaitables. Ils nous remettront leurs premières conclusions dés novembre. Je suis heureux que la présidence française, avec la Commission ait permis de lancer si rapidement la réflexion sur ce sujet important.
Nous agirons aussi pour une meilleure régulation sur la scène internationale car l'Europe doit contribuer aux progrès nécessaires à l'échelle mondiale. Les Européens sont collectivement les premiers actionnaires des institutions de Bretton Woods, qu'il s'agisse du FMI ou de la Banque mondiale. Cela nous donne des droits qui sont autant de devoirs, notamment celui de défendre nos vues sur un certain nombre de dossiers, singulièrement lorsqu'elles sont partagées au-delà des frontières de l'Union. Réforme du système monétaire international vers davantage de stabilité et d'équité ; affirmation de la vocation universelle des grandes institutions financières du globe pour lutter contre la pauvreté ; transparence des hedge funds ; sanctions contre les territoires qui fondent leur activité sur le crime financier cet dont le Gafi vient de dresser la liste noire. C'est en tenant bon sur ses principes que l'Europe renforcera sa légitimité aux yeux de ses alliés, des amis. Nous venons de le démontrer lors de la réunion des ministres des Finances du G8 au Japon. La difficulté que nous avons éprouvée à Bruxelles, lundi l7 juillet, à nous mettre définitivement d'accord à 15 sur la directive concernant la lutte contre le blanchiment des capitaux montre que nous avons encore des progrès à accomplir. Mais la présidence française tiendra bon.
Coordination, régulation, le semestre français sera également l'occasion de prouver que l'Europe redevient le continent de l'innovation. Il s'agit, dans la ligne des décisions prises, il y a quelques mois à Lisbonne, de rehausser la compétitivité du " site européen ", d'encourager l'innovation de favoriser le capital-risque, de bonifier l'environnement des entreprises, bref de réunir tous les moyens pour développer une économie de la connaissance car là est la clef de la croissance durable et de l'emploi. Nous nous attachons à le faire en France; nous devons agir de même dans toute l'Europe.
Enfin, sous le signe de la préparation, notre présidence mettra toutes les chances de son côté pour réussir l'élargissement de l'Union en analysant au mieux ses conséquences économiques prévisibles, tant pour les Etats membres que pour les futurs adhérents. Nous veillerons aussi à ce que les travaux pour préparer l'introduction de l' " euro pratique " s'accélèrent. Sur ce dernier point, le commissaire européen Solbès nous a indiqué sa préoccupation concernant notamment les PME. Je la partage. Nous reviendrons en détail sur ce sujet lors de la prochaine réunion que j'accueillerai à Versailles début septembre. La période transitoire qui nous mène au 1er janvier 2002, date d'introduction des pièces et billets en euros, doit être utilisée au mieux dans chacun de nos pays. C'est aujourd'hui que se construit le succès du futur passage à la monnaie unique.
Il y aura encore de nombreux sujets à aborder entre nous, notamment la fiscalité sur le commerce électronique ou sur les intérêts de l'épargne. A l'issue du Conseil européen de Feira, en juin dernier, constatant la difficulté de la tâche, le Premier ministre luxembourgeois, Jean-Claude Juncker, m'avait sur ce point souhaité "bonne chance ". J'en aurai besoin... et surtout besoin de beaucoup travailler avec tous pour progresser. Mais je veux rester fidèle au principe que j'indiquais au début : faire d'abord, commenter ensuite.
Si j'avais à tirer une première leçon, je dirais ceci : ces dernières années, les Européens ont montré qu'ils étaient capables de mouvement et d'imagination. Nous avons prouvé que partager notre souveraineté monétaire était une façon de la retrouver. Grâce à l'euro, un supplément d'identité européenne sera bientôt dans nos poches. Nous devons continuer ce mouvement, faire de l'euro plus qu'une monnaie et de l'Europe plus qu'un territoire. C'est un grand rendez-vous. Ensemble, nous avons un but : accroître la prospérité, la rendre durable, mieux la partager.
Un dernier mot : personnellement, j'ai toujours été européen, j'ai toujours considéré que nos valeurs, nos cultures, nos références, en même temps qu'elles sont nationales, s'affirment européennes. Aujourd'hui, puisque j'ai la chance de présider pour six mois le Conseil des ministres européens de l'Economie et des Finances, je veux, avec le président de la République et le Premier ministre, faire avancer nos initiatives de sorte que, face aux autres continents, l' " european way of life " montre que la mondialisation n'est pas nécessairement l'uniformisation, qu'elle peut être diversifiée, revêtir un visage humain. On parlera beaucoup et avec raison au cours de ce semestre de l'Union politique. L'Union politique est inséparable de l'Union économique. Renforcement de la croissance, intégration de l'Europe, les deux débats sont liés. Nous allons concrètement les faire progresser.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 04 août 2000).