Interview de Mme Brigitte Girardin, ministre de l'outre-mer, dans "Les Nouvelles Calédoniennes" du 9 juin 2004, sur les liens entre la Nouvelle-Calédonie et l'Europe notamment le renouvellement des accords d'association et la possililité d'agrandir la zone euro.

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Média : Les Nouvelles calédoniennes

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Les Nouvelles Calédoniennes : En quoi la Nouvelle-Calédonie est-elle liée à l'Europe ? Est-ce seulement une question d'argent, de crédits FED ?
Brigitte GIRARDIN : La Nouvelle-Calédonie, comme toutes les autres collectivités d'outre-mer autre que les DOM, bénéficie d'un régime spécifique d'association à l'Union européenne. Celui-ci est défini par la " Décision d'Association des Pays et Territoires d'outre-mer à la Communauté européenne " du 27 novembre 2001, entrée en vigueur le 2 décembre 2001, pour une période de dix ans.
Les Pays et Territoires d'outre-mer ne font pas partie du territoire douanier de la Communauté. Ils ne contribuent ni aux recettes, ni aux dépenses du budget communautaire. Ils bénéficient, en revanche, du Fonds Européen de Développement (FED) et d'aides spécifiques de la Banque Européenne d'Investissements (prêts à taux préférentiels).
Je rappelle que les montants consacrés au titre du 9ème FED (mars 2000-mars 2005) au bénéfice du budget de la Nouvelle-Calédonie avoisinent les 14 millions d'euros.
Mais l'association ne signifie pas seulement des concours financiers. Elle offre aussi le droit à la Nouvelle-Calédonie de bénéficier pour ses produits du libre accès au marché communautaire, en exemption de droit à l'importation.
Les Nouvelles Calédoniennes : Quel rôle en faveur du territoire pourraient jouer d'éventuels élus calédoniens au Parlement européen ?
Brigitte GIRARDIN : Les spécificités des collectivités ultramarines, qu'elles soient des régions ultrapériphériques de l'Europe, c'est-à-dire nos DOM, ou des PTOM, comme la Nouvelle-Calédonie, doivent être expliquées sans relâche et défendues à Strasbourg.
Le Parlement européen dispose désormais de pouvoirs de codécision sur de nombreux sujets. L'année 2004 sera marquée par d'importants changements dans le fonctionnement de l'Union européenne. Les prochaines élections européennes conduiront à Strasbourg, dans un Parlement élargi aux dix nouveaux Etats membres, des députés qui, par la force des choses, sont moins au fait des réalités et des contraintes de l'outre-mer. Le mois d'octobre verra l'installation également d'une nouvelle Commission élargie, aux méthodes et au format sensiblement modifiés.
La présence effective au siège du Parlement de Strasbourg d'élus d'outre-mer, et leur vigilance, sont irremplaçables pour peser le plus efficacement et le plus en amont possible sur les décisions prises par l'Union européenne. A titre d'exemple récent, je signalerai l'intervention décisive de Margie SUDRE, qui a su galvaniser l'attention et obtenir le vote en procédure d'urgence de ses collègues pour soutenir la proposition du gouvernement français visant à reconduire, en l'améliorant, le dispositif de l'octroi de mer. L'avis conforme du Parlement européen n'aurait pas été acquis d'avance sans la force de conviction et d'entraînement de nos élus d'outre-mer dans cette institution.
Seule la France peut désormais faire entendre la voix du Pacifique sud à Strasbourg et à Bruxelles. Nos partenaires britanniques, en décidant de se retirer de la Communauté du Pacifique, semblent marquer un désengagement notable de la région. Dès lors, la voix d'un Océanien au Parlement n'en prend que plus d'importance encore.
Les Nouvelles Calédoniennes : Quels sont les avantages que pourrait tirer la Calédonie d'un passage du franc pacifique à l'euro, la monnaie européenne ?
Brigitte GIRARDIN : Comme vous le savez, l'instauration de l'euro s'est accompagné de l'établissement d'un lien fixe entre le franc CFP et l'euro.
La possibilité d'exprimer un jour les échanges extérieurs de biens et services de la Nouvelle-Calédonie en euro plutôt qu'en franc CFP, monnaie qui ne bénéficie pas de la convertibilité externe, aurait très probablement un effet positif sur le développement de ces échanges.
En ce qui concerne les investissements et flux financiers, j'observe que les taux d'intérêt pratiqués en Nouvelle-Calédonie sont proches de ceux de la métropole. L'introduction de l'euro permettrait cependant un accès direct des entreprises calédoniennes - à tout le moins des plus importantes - aux marchés financiers européens grâce à l'instauration d'un système de transaction financier normalisé avec la zone euro.
A plus long terme, il me semble que l'adoption de l'euro ne peut-être considéré par les opérateurs économiques et les investisseurs que comme un gage supplémentaire de stabilité.
Les Nouvelles Calédoniennes : le territoire est-il ou peut-il être un relais entre l'Europe et les pays insulaires de la région ?
Brigitte GIRARDIN : L'Europe s'élargit, se diversifie, et renforce ses capacités de puissance mondiale, y compris sur le plan politico-stratégique. Le poids de cet ensemble, dès que nous aurons une politique étrangère et de sécurité communes, pèsera sur tous les continents et océans.
Comme l'a redit le Président de la République l'an dernier au Sommet Océanien de Papeete, qui réunissait tous les dirigeants des pays du Pacifique, la France continuera pour sa part à renforcer ses relations avec tous ses partenaires de la région. Grâce à ses territoires, la France est une nation océanienne. Grâce à la France, l'Europe est donc présente ici. Elle mobilise un montant très conséquent de son aide pour le développement de nombreux États du Pacifique. Elle y défend, contrairement à d'autres, les principes fondamentaux de protection de l'environnement, des ressources des océans, de la diversité culturelle et du développement. La Nouvelle-Calédonie est le maillon tout naturel de la construction d'un réseau de partenariats, notamment économiques et culturels.
Cette appartenance à l'ensemble européen ne peut être qu'une chance pour les électeurs néo-calédoniens. Ils disposent d'un bulletin de vote pour faire entendre leur voix jusqu'au cur de l'Europe. C'est un atout que beaucoup leur envient dans la région. Il faut qu'ils se mobilisent pour que l'Europe soit encore plus active et attentive ici, et pour que la Nouvelle-Calédonie soit une réalité valorisée au sein des institutions de l'Union.
Les Nouvelles Calédoniennes : Dans certaines conditions, avec un minimum de valeur ajoutée sur le territoire, la Calédonie pourrait être un point d'entrée sur l'Europe pour des produits originaires de pays du pacifique. Quels sont les freins qui empêchent ce circuit de se mettre en place et de participer à l'économie du territoire ? Y a-t-il des dossiers de ce type en instance ?
Brigitte GIRARDIN : Je rappelle que l'accord d'association renouvelé le 27 novembre 2001 entre l'Union européenne et les pays et territoires d'outre-mer (PTOM) prévoit une exemption de droits de douane à l'importation dans la communauté européenne des produits originaires des PTOM. Cette facilité n'est de surcroît assortie d'aucune obligation de réciprocité puisque les PTOM peuvent librement taxer de droits de douane les produits originaires de la communauté ou imposer des restrictions quantitatives à l'entrée sur leur territoire lorsqu'ils l'estiment nécessaire.
Cet accord autorise en outre les PTOM, et donc la Nouvelle-Calédonie, à bénéficier d'un régime d'accès favorable au marché communautaire pour des produits non originaires des PTOM. Ceux-ci peuvent en effet être exonérés de droits de douane à l'entrée dans l'Union, dès lors qu'ils ont transité par un PTOM et ont été soumis à des droits de douane d'un niveau égal ou supérieur aux droits de douane appliqués à l'entrée dans l'Union. Cette possibilité, jusqu'à présent très peu utilisée, répond à un objectif de développement économique.
Enfin, je signale que des négociations entre l'Union européenne et les pays de la zone Pacifique sont prévues à partir de septembre 2004 dans le cadre des accords de partenariat économique (APE) entre l'Union européenne et les pays ACP (Afrique Caraïbe Pacifique) signataires de l'accord de Cotonou (juin 2000). Ce cadre pourrait permettre aux PTOM d'améliorer leur accès au marché européen en associant les marchés des pays ACP de la zone Pacifique.
Les Nouvelles Calédoniennes : L'un des arguments développés en Nouvelle-Calédonie à propos du référendum de sortie de l'Accord de Nouméa est qu'au bout du compte la France aura peu à céder de ses compétences régaliennes, puisqu'elles seront exercées par l'Europe. C'est vrai de la monnaie, des élus citent la défense et les relations internationales. Quelle est votre approche de cette évolution sur quinze ans ?
Brigitte GIRARDIN : Il me paraît un peu audacieux d'affirmer que, d'ici à la période prévue par l'Accord de Nouméa pour une consultation sur l'accession à la pleine souveraineté, la France aura perdu ses compétences régaliennes au profit de l'Europe. Le futur traité constitutionnel européen met en place une communauté d'Etats-Nations qui conservent leur existence d'entités souveraines, mais qui exercent en commun de nombreuses compétences guidées par la solidarité mutuelle.
Quant à l'évolution de la Nouvelle-Calédonie d'ici à la période 2014-2018, j'espère qu'elle se poursuivra dans la prospérité et la cohabitation harmonieuse entre les communautés. Les institutions issues de l'Accord de Nouméa doivent continuer à fonctionner au mieux, quelles que puissent être leurs défauts. Peut-être faudra-t-il les améliorer. L'État demeurera un partenaire vigilant et impartial, à l'écoute des calédoniens.
(Source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 10 juin 2004)