Texte intégral
Préambule à " Question Directe " :
S. Paoli - Bonjour M. Borloo.
J.-L. Borloo - Bonjour.
Q- Un mot de la sécurité et de ses conséquences sociales : la grève à la SNCF à la suite d'une agression et d'un viol. Votre réaction sur la façon dont les syndicats ont réagi à cette agression.
R- Je peux quand même comprendre que lorsqu'un collègue de travail est agressé sur un lieu de travail, notamment, là, en l'occurrence, sur un lieu mobile, il y a une très très forte émotion. Je suis heureux de constater d'ailleurs que la décision de renforcer les moyens de sécurité dans les transports en commun on été prises. On est dans un pays où on réagit à l'instant d'un sujet et c'est compréhensible.
Q- Mais est-ce qu'à vos yeux, cela pose la question à nouveau du manque d'effectifs, ou de la question en tout cas des effectifs au sein de la SNCF et de la façon dont fonctionne ou pas un service public ?
R- Il ne m'appartient pas de m'exprimer sur la SNCF. Il y a un ministre des Transports qui est en charge. Ce que je peux dire d'une manière générale ...
Q- Mais cela relève de la Cohésion sociale un peu...
R- D'une manière générale, j'observe que le taux de services en France est globalement moins bon qu'ailleurs. On est une espèce de société de garçons, faite pour les garçons par des garçons en pleine forme, qui font des calculs brillants. C'est moins de personnes dans les stations-service, il n'y a plus ce qu'on appelait à l'époque "le poinçonneur des Lilas" ; une société où on croit qu'en rentabilisant par de la machine en permanence, on améliore la vie ou la performance... Je vous prends l'exemple du Japon. Le Japon est quand même le pays où les salaires sont quasiment les plus élevés du monde, qui a en face de lui la Chine, qui est le plus grand bassin avec des salaires très très bas. L'industrie japonaise est pourtant une des plus performantes du monde. Alors, qu'est-ce qui se passe ? C'est vrai qu'il y a du coup un peu moins de personnes dans les usines japonaises qui sont [équipées] de trop de technologies avec de gros investissements. Mais en revanche, quand vous prenez le train y compris l'équivalent du train de banlieue au Japon, vous avez quelqu'un qui vous sert un café. Sur les quais, il y a de l'entretien en permanence. C'est que les services à la personne et aux entreprises sont beaucoup plus développés que chez nous. Nous on a tendance, dans ce pays d'ingénieurs, à parler des "petits boulots", ce qui d'ailleurs est proprement honteux et scandaleux.
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" Question Directe " :
Q- Comment faire baisser le chômage ? On attend d'ici quelques minutes maintenant les chiffres du chômage pour le mois de décembre dernier. Le Cercle des Economistes, le quotidien "La Tribune", le Sénat en partenariat avec France Inter et LCI, organisent demain une journée de réflexion et de débats autour de la question de l'emploi, "Objectif Emploi". Seront réunis au Sénat des chefs d'entreprises, des économistes, des experts de la société civile, des étudiants, des journalistes - qui vont plancher sur les dix défis pour l'emploi de demain. Cette réflexion collective produira des propositions qui seront ensuite soumises au Premier ministre. Invité de Question Directe, J.-L. Borloo, ministre de l'Emploi, du Travail et de la Cohésion sociale, qui sera d'ailleurs demain, lui aussi au Sénat. Rebonjour Monsieur Borloo.
R- Oui bonjour !
Q- Peut-être un mot d'abord pour commencer, parce que cela concerne aussi directement le questionnement sur l'emploi, votre point de vue sur l'enjeu de la discrimination positive, dont on a entendu, il y a quelques instants, dans le journal à 8 heures, avec P. Roger, qu'il donnait matière à débat, un point de vue contradictoire même entre N. Sarkozy et D. de Villepin. Votre point de vue à vous sur cette question des quotas et de la discrimination positive ?
R- La France a le talent de se payer de mots. La discrimination positive, traduction d'une expression anglaise, c'est un quota par race ou par nationalité. Je ne veux pas d'une France de quotas par race ou par nationalité. Pour autant, penser qu'il faut mettre les mêmes moyens partout ou pour tout le monde, c'est absurde, cela ne fonctionne pas. C'est pour ça que je suis pour des actions très brutales, très fortes dans les quartiers. On fait un programme de 35 milliards d'euros pour en faire des quartiers d'avenir, de ce qu'on appelait avant, les quartiers sensibles. C'est pour cela que l'on développe de manière massive le soutien aux tous petits dans les maternelles, parce qu'on sait qu'il y a des problèmes de comportement qu'on détecte dès la maternelle, qui sont à la fois des problèmes médicaux, comme l'autisme, qu'il faut détecter tout de suite, ou des problèmes simplement, parce qu'il y a de la violence à la maison, parce qu'on vit dans des conditions déplorables, etc. Oui, il faut des moyens discriminants, massifs, ce qu'on n'a pas fait, on a triché, on a dit qu'on faisait, on n'avait pas fait. Maintenant, pour se payer de mots encore, sur es quotas d'immigrations choisis, d'abord personne ne dit quelle est la situation en France, la situation en France elle est simple : on peut, un étranger peut venir travailler dès lors qu'il est dans une qualification où on n'a personne en France pour faire ce métier. Il suffit que l'ANPE atteste qu'elle a fait une demande et quel que soit votre pays d'origine, vous pouvez venir travailler, ça c'est la situation française et cela fonctionne. Deuxièmement, dire : on va faire des quotas pour qu'il n'y ait pas de clandestins, tout ça est absurde, ce sont deux sujets qui n'ont strictement rien à voir. Ceux qui, au péril de leur vie sont dans des embarcations de l'Atlantique en venant du Sub Sahara, ce n'est pas un problème de quota...Troisièmement, je rappelle qu'il y a quatre millions de personnes en France, nous avons le taux d'emploi des 16-24 ans le plus faible d'Europe, le taux des seniors le plus faible d'Europe. Il s'agisse qu'on se mette en marche un peu pour former avec les prévisions de nos besoins. Quand je vois que l'on fait venir des infirmières espagnoles ou portugaises, il y a quelques années, parce qu'on a mal prévu nos besoins, ça ce n'est pas acceptable. Dit autrement, que sur quelques spécialités, on n'a pas vu le coup venir, une fois, deux fois, cinq fois, cela ne pose pas de difficulté. Mais d'une manière générale, qu'on considère que pour l'économie - et je le dirai demain au Cercle des Economistes - que pour notre économie, eh bien capitulons d'une certaine manière, capitulons ; il y a des gens qui ne veulent pas, il y a des postes dans le bâtiment... Mais qu'est-ce que c'est ? Cela veut juste dire que les salaires ne sont pas au niveau de l'attraction, c'est ça ce que cela veut dire. Donc je n'accepte pas l'idée d'une immigration renforcée, active, alors que toute l'énergie du pays doit être faite pour l'emploi de nos compatriotes.
Q- Alors ça bon, on entend la position, maintenant il y a une question qui se pose à nous, qui est celle de la courbe démographique et de la façon dont elle interroge la société française. Voyez-vous dans l'immigration - je ne dis pas les quotas -, mais voyez-vous dans l'immigration, là, un moyen, un volant qui permettrait de répondre à ces enjeux démographiques ?
R- Non, mais attendez, on a fait un plan de cohésion sociale, justement parce qu'on a analysé, sérieusement, il y a six mois ce sujet démographique qui est de l'ordre d'1,2 million, 1,3 million de personnes sur sept ans dans trois ans. En face de ça, Monsieur, on a à peu près autant de jeunes qui n'ont pas de boulot, qu'on n'a pas formés, qu'on n'a pas su attirer, qu'on n'a pas su séduire à qui on n'a pas proposé les métiers de demain. Et à côté de ça, il y a 1,3 million de personnes au RMI, il y a 375.000 personnes en ASS et il y a 2,4 millions chômeurs. Alors notre problème aujourd'hui c'est de les prendre par la main, de leur dire : regardez, vous pouvez vous reconstruire un avenir, on va faire des formations. Je demande à ce que les formations soient adaptées aux besoins de ressources humaines de notre pays, c'est ça notre système. Alors qu'est-ce qu'on est en train de dire ? On fait l'impasse sur les 4 millions là, mais on est fou ! Mais vous croyez que la société française va l'accepter d'ailleurs ? Jamais.
Q- C'est une vraie question !
R- Alors, que sur quelques spécialités... Arrêtons de prendre des mauvais exemples extérieurs. Le Canada est un pays gigantesque, c'est un pays qui a besoin d'attraction, qui a un chômage extrêmement faible et qui a une politique de peuplement. Alors qu'elle organise des quotas, il faut que vous ayez tant de dollars sur votre compte en banque, que vous ayez une formation lourde, que vous ayez déjà un boulot, c'est un autre modèle. Mais la France d'il y a vingt ans avait effectivement besoin de ça. Vous avez vu d'ailleurs, ils sont venus, on les a accueillis ? Non, on les a mis dans des centres provisoires, on a créé des fausses villes, enfin... Non, stop, on ne va pas recommencer les âneries d'il y a vingt ans.
Q- Alors justement, cherchons où sont les causes, les causes structurelles. Pourquoi quand le chômage baisse en Europe - je ne dis pas en France - pourquoi quand il baisse en Europe, il baisse moins en France que partout ailleurs en Europe. Et pourquoi quand il remonte en Europe, pourquoi monte t-il plus en France que partout ailleurs en Europe ?
R- C'est ce que j'appelle le mal français structurel. Il y a en France 4 % à peu près sur les...quand on va bien notre taux de chômage est à 8,5, on oublie de dire qu'on a près de 2 millions en RMI et ASS quand même en plus. Et quand on va très mal on est à 11 %. On est 3 à 4 points plus mauvais que les autres.
Q- Toujours.
R- Alors il y a quatre raisons principales - d'ailleurs je lance un conseil d'orientation pour l'emploi qui réunit à la fois experts universitaires, paroles fortes, symboliques, syndicats et politiques et acteurs principaux - pour qu'on se mette au moins d'accord sur les questions : est-ce qu'il y a une spécificité structurelle française ? Moi je crois que oui, mais il ne faut pas que cela soit... Au fond tout le monde pense à peu près la même chose, mais il n'y a pas un lieu où on ose se le dire. Donc cela va être celui-là. Alors on a un certain nombre de règles : premièrement, nous n'avons pas, ou peu, de système de rôle d'accompagnement du demandeur d'emploi. Nous n'avons pas de système de prévision des ressources, des besoins à un an, deux ans, trois ans par bassin de vie. C'est quand même stupéfiant dans ce pays, que vous êtes dans un bassin, mettons le Valenciennois de 400.000 habitants, il y a strictement aucune évaluation des besoins publics ou privés sur un an, deux ans, trois ans, quatre ans. Je me demande comment on forme d'ailleurs pour savoir quels sont les besoins ? Tous les autres pays, qu'est-ce qu'ils ont fait ? Au lieu d'avoir des trucs nationaux qui ne se parlent pas - ANPE, ASSEDIC, Missions locales, Chambres de métiers - il y a une organisation par bassin. Tous les acteurs sont au même en droit, même les contrats aidés de l'Etat. Cela devrait être piloté par ces Maisons de l'emploi. Donc on aura ça dans l'année, cela s'appelle les Maisons de l'emploi. Deuxième raison, notre système des services à la personne - je vais présenter un plan le 16 février - c'est hallucinant. Pourquoi est-ce que dans notre pays, tout le monde est d'accord - le rapport du CAE, qui est le Conseil d'analyse économique, 3 millions et demi d'emplois de moins que les Américains ou les Britanniques sur les services à la personne.
Q-Vous citiez aussi l'exemple des Japonais tout à l'heure, s'agissant des transports.
R- Oui, c'est quand même stupéfiant ! Eh bien on est allé dans la soute, c'est hallucinant, cela dépend de 23 ministères différents ! C'est des systèmes d'agrément invraisemblables. Il n'y a pas vraiment de protection du salarié, donc il y a des gens qui travaillent deux heures à midi, deux heures le soir. On n'a pas de plate-forme, il n'y a pas d'apprentissage. On présente un plan, les professionnels nous disent qu'avec ça ils vont pouvoir doubler leur capacité, c'est quand même un secteur qui croît, celui qui croît le plus en France. Il y a 1,2 millions de personnes qui travaillent déjà dans ce secteur.
Q- Ce seront des vrais emplois...
R- Mais évidemment !
Q- Parce que tout à l'heure, vous avez poussé un petit coup de gueule, en disant : il y en marre dans ce pays, on considère toujours que ces emplois là sont des sous emplois. Ce sont des vrais emplois avec des vrais... Tenez ! dans la Tribune ce matin vous posez aussi la question des contrats de travail, avec des vrais contrats de travail ? Ou est-ce qu'on entre aujourd'hui dans une époque où l'on va avoir des contrats de mission comme le souhaitait le MEDEF à une époque avec des emplois qui seront un peu des sous-emplois ?
R- Mais le vrai sujet, c'est quoi un vrai emploi ? C'est un temps de travail réel...
Q- Et un salaire qui permet de vivre.
R- Un salaire qui permet de vivre et une qualification et une progression dans le métier. Un exemple : à peu près tout le monde a mis en place
des " facilitateurs ", vous savez ce que c'est qu'un facilitateur ? Eh bien vous avez un handicap, vous êtes autiste par exemple, mais vous pouvez être autiste avec simplement un problème de communication. Il n'y a pas de raison que vous ne soyez pas dans une scolarité normale ou un emploi accompagné. Parce qu'il y a des règles particulières, vous êtes à la fois comme tout le monde, à la fois un petit peu différent, eh bien il y a des gens dont le métier c'est d'être facilitateur, il n'y a pas de formation. Il n'y a pas de formation d'accompagnement, le métier n'existe pas, il n'y a pas de statut social. Est-ce que vous savez que dans les services à la personne par exemple, si vous travaillez 199 heures par trimestre, vous payez des charges sociales, mais vous n'êtes pas couvert. On est dans un système... En gros, on est génial sur l'Airbus, sur les TGV, sur Ariane, sur les métiers de garçon ou d'ingénieur...
Q- C'est ce qui cache la réalité !
R- Mais, mais en revanche, on n'a pas regardé, on n'a pas considéré que faire du service à la personne, il n'y a rien de plus noble. Il nous faut des grandes écoles, ENA, ou HEC des services à la personne. C'est un métier qu'on fait de manière individuelle chez des personnes qui ont des fragilités, des difficultés, chez vous, avec tout ce que cela suppose de confiance et d'intimité. Ce sont de très grands métiers, il faut lancer ces écoles là, à la fois alternance, mais même une grande école, un troisième cycle. On n'a pas ce dispositif. Alors le 16 février, on va vous présenter un plan national qu'on a fait avec les professionnels et je vous garantis que là on va changer la donne structurelle. Et puis le troisième sujet, c'est les contrats d'avenir. Quand vous êtes au RMI, à l'ASS, vous n'en sortez pas. Donc on lance un million de contrats d'avenir - contrats de travail, formation. Ce sont des éléments structurels qui vont nous permettre de réduire notre handicap structurel. Après il y a la croissance économique, c'est ce que j'appelle le chômage conjoncturel, c'est autre chose.
Q- Une dernière chose J.-L. Borloo - je l'ai gardée pour la fin, parce que je ne dis pas que la politique politicienne est moins intéressante que le reste : si on vous demande à vous, si vous avez envie... Si J. Chirac vous demande d'être Premier ministre, vous répondez quoi ?
R- C'est la question sans réponse. Vous savez s'il y a un président de la République qui demande à quelqu'un d'être Premier ministre...
Q- Comment vous avez trouvé la réponse de D. de Villepin, hier soir, tenez à cette question justement ?
R- La seule réponse possible et normale.
Q- Donc vous dites "oui" aussi vous alors ?
R- Non, parce que l'interprétation de la réponse, là c'est le génie français ça. Pour l'instant j'ai un peu de pain sur planche. Est-ce que je peux rajouter un mot ?
Q- Bien sûr !
R- Parce qu'on va avoir les chiffres là de l'année...
Q- On les attend maintenant.
R- Pour décembre, mais on a les chiffres de l'année.
Q- 9,9 encore.
R- Les chiffres de l'année c'est quoi ? C'est : un, après trois ans d'augmentation du chômage, très très lourd, c'est la première fois qu'on est en gros à stabilité, c'est un petit mieux, mais enfin c'est stabilité, je ne dis pas que c'est satisfaisant, c'est le premier constat. Deuxièmement, ce qui me préoccupe c'est le chômage des jeunes qui lui ne s'est pas amélioré. Et point trois, puisque je suis à votre antenne, je vous en supplie, on va lancer...On s'est donné des moyens financiers très importants pour l'apprentissage et l'alternance, on va lancer la campagne de mai-juin bientôt. Je dois dire aux familles, aux jeunes, mais aux entreprises françaises : mobilisez-vous bon sang ! Les entreprises françaises de plus de cent personnes : 0,6 % d'apprentis ! 6 % en Allemagne. Or ces jeunes là c'est l'avenir du pays. On parle de la pyramide des âges, on parle de la démographie, on parle d'ouvrir les frontières pour faire venir des gens. Mais enfin ! on a des jeunes qui sont prêts à rentrer en alternance. Patrons de France, mobilisez-vous pour ces jeunes, faites connaître ces métiers d'avenir. Et jeunes, familles, regardez le plan de cohésion sociale, regardez ces contrats que l'on peut vous offrir. Vous savez que la moitié des patrons français, de ceux qui sont à leur compte sortent de l'apprentissage.
Q- Alors, J.-L. Borloo, c'est oui c'est non ?
R- A propos de quoi ? Vous voulez que je vous remplace, vous savez que j'ai fait votre métier quand j'étais jeune.
Q- Cela se voit un peu malheureusement. Vous restez pour répondre
aux questions ?
R- Oui, avec plaisir !
Alors à tout de suite.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 28 janvier 2005)
S. Paoli - Bonjour M. Borloo.
J.-L. Borloo - Bonjour.
Q- Un mot de la sécurité et de ses conséquences sociales : la grève à la SNCF à la suite d'une agression et d'un viol. Votre réaction sur la façon dont les syndicats ont réagi à cette agression.
R- Je peux quand même comprendre que lorsqu'un collègue de travail est agressé sur un lieu de travail, notamment, là, en l'occurrence, sur un lieu mobile, il y a une très très forte émotion. Je suis heureux de constater d'ailleurs que la décision de renforcer les moyens de sécurité dans les transports en commun on été prises. On est dans un pays où on réagit à l'instant d'un sujet et c'est compréhensible.
Q- Mais est-ce qu'à vos yeux, cela pose la question à nouveau du manque d'effectifs, ou de la question en tout cas des effectifs au sein de la SNCF et de la façon dont fonctionne ou pas un service public ?
R- Il ne m'appartient pas de m'exprimer sur la SNCF. Il y a un ministre des Transports qui est en charge. Ce que je peux dire d'une manière générale ...
Q- Mais cela relève de la Cohésion sociale un peu...
R- D'une manière générale, j'observe que le taux de services en France est globalement moins bon qu'ailleurs. On est une espèce de société de garçons, faite pour les garçons par des garçons en pleine forme, qui font des calculs brillants. C'est moins de personnes dans les stations-service, il n'y a plus ce qu'on appelait à l'époque "le poinçonneur des Lilas" ; une société où on croit qu'en rentabilisant par de la machine en permanence, on améliore la vie ou la performance... Je vous prends l'exemple du Japon. Le Japon est quand même le pays où les salaires sont quasiment les plus élevés du monde, qui a en face de lui la Chine, qui est le plus grand bassin avec des salaires très très bas. L'industrie japonaise est pourtant une des plus performantes du monde. Alors, qu'est-ce qui se passe ? C'est vrai qu'il y a du coup un peu moins de personnes dans les usines japonaises qui sont [équipées] de trop de technologies avec de gros investissements. Mais en revanche, quand vous prenez le train y compris l'équivalent du train de banlieue au Japon, vous avez quelqu'un qui vous sert un café. Sur les quais, il y a de l'entretien en permanence. C'est que les services à la personne et aux entreprises sont beaucoup plus développés que chez nous. Nous on a tendance, dans ce pays d'ingénieurs, à parler des "petits boulots", ce qui d'ailleurs est proprement honteux et scandaleux.
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" Question Directe " :
Q- Comment faire baisser le chômage ? On attend d'ici quelques minutes maintenant les chiffres du chômage pour le mois de décembre dernier. Le Cercle des Economistes, le quotidien "La Tribune", le Sénat en partenariat avec France Inter et LCI, organisent demain une journée de réflexion et de débats autour de la question de l'emploi, "Objectif Emploi". Seront réunis au Sénat des chefs d'entreprises, des économistes, des experts de la société civile, des étudiants, des journalistes - qui vont plancher sur les dix défis pour l'emploi de demain. Cette réflexion collective produira des propositions qui seront ensuite soumises au Premier ministre. Invité de Question Directe, J.-L. Borloo, ministre de l'Emploi, du Travail et de la Cohésion sociale, qui sera d'ailleurs demain, lui aussi au Sénat. Rebonjour Monsieur Borloo.
R- Oui bonjour !
Q- Peut-être un mot d'abord pour commencer, parce que cela concerne aussi directement le questionnement sur l'emploi, votre point de vue sur l'enjeu de la discrimination positive, dont on a entendu, il y a quelques instants, dans le journal à 8 heures, avec P. Roger, qu'il donnait matière à débat, un point de vue contradictoire même entre N. Sarkozy et D. de Villepin. Votre point de vue à vous sur cette question des quotas et de la discrimination positive ?
R- La France a le talent de se payer de mots. La discrimination positive, traduction d'une expression anglaise, c'est un quota par race ou par nationalité. Je ne veux pas d'une France de quotas par race ou par nationalité. Pour autant, penser qu'il faut mettre les mêmes moyens partout ou pour tout le monde, c'est absurde, cela ne fonctionne pas. C'est pour ça que je suis pour des actions très brutales, très fortes dans les quartiers. On fait un programme de 35 milliards d'euros pour en faire des quartiers d'avenir, de ce qu'on appelait avant, les quartiers sensibles. C'est pour cela que l'on développe de manière massive le soutien aux tous petits dans les maternelles, parce qu'on sait qu'il y a des problèmes de comportement qu'on détecte dès la maternelle, qui sont à la fois des problèmes médicaux, comme l'autisme, qu'il faut détecter tout de suite, ou des problèmes simplement, parce qu'il y a de la violence à la maison, parce qu'on vit dans des conditions déplorables, etc. Oui, il faut des moyens discriminants, massifs, ce qu'on n'a pas fait, on a triché, on a dit qu'on faisait, on n'avait pas fait. Maintenant, pour se payer de mots encore, sur es quotas d'immigrations choisis, d'abord personne ne dit quelle est la situation en France, la situation en France elle est simple : on peut, un étranger peut venir travailler dès lors qu'il est dans une qualification où on n'a personne en France pour faire ce métier. Il suffit que l'ANPE atteste qu'elle a fait une demande et quel que soit votre pays d'origine, vous pouvez venir travailler, ça c'est la situation française et cela fonctionne. Deuxièmement, dire : on va faire des quotas pour qu'il n'y ait pas de clandestins, tout ça est absurde, ce sont deux sujets qui n'ont strictement rien à voir. Ceux qui, au péril de leur vie sont dans des embarcations de l'Atlantique en venant du Sub Sahara, ce n'est pas un problème de quota...Troisièmement, je rappelle qu'il y a quatre millions de personnes en France, nous avons le taux d'emploi des 16-24 ans le plus faible d'Europe, le taux des seniors le plus faible d'Europe. Il s'agisse qu'on se mette en marche un peu pour former avec les prévisions de nos besoins. Quand je vois que l'on fait venir des infirmières espagnoles ou portugaises, il y a quelques années, parce qu'on a mal prévu nos besoins, ça ce n'est pas acceptable. Dit autrement, que sur quelques spécialités, on n'a pas vu le coup venir, une fois, deux fois, cinq fois, cela ne pose pas de difficulté. Mais d'une manière générale, qu'on considère que pour l'économie - et je le dirai demain au Cercle des Economistes - que pour notre économie, eh bien capitulons d'une certaine manière, capitulons ; il y a des gens qui ne veulent pas, il y a des postes dans le bâtiment... Mais qu'est-ce que c'est ? Cela veut juste dire que les salaires ne sont pas au niveau de l'attraction, c'est ça ce que cela veut dire. Donc je n'accepte pas l'idée d'une immigration renforcée, active, alors que toute l'énergie du pays doit être faite pour l'emploi de nos compatriotes.
Q- Alors ça bon, on entend la position, maintenant il y a une question qui se pose à nous, qui est celle de la courbe démographique et de la façon dont elle interroge la société française. Voyez-vous dans l'immigration - je ne dis pas les quotas -, mais voyez-vous dans l'immigration, là, un moyen, un volant qui permettrait de répondre à ces enjeux démographiques ?
R- Non, mais attendez, on a fait un plan de cohésion sociale, justement parce qu'on a analysé, sérieusement, il y a six mois ce sujet démographique qui est de l'ordre d'1,2 million, 1,3 million de personnes sur sept ans dans trois ans. En face de ça, Monsieur, on a à peu près autant de jeunes qui n'ont pas de boulot, qu'on n'a pas formés, qu'on n'a pas su attirer, qu'on n'a pas su séduire à qui on n'a pas proposé les métiers de demain. Et à côté de ça, il y a 1,3 million de personnes au RMI, il y a 375.000 personnes en ASS et il y a 2,4 millions chômeurs. Alors notre problème aujourd'hui c'est de les prendre par la main, de leur dire : regardez, vous pouvez vous reconstruire un avenir, on va faire des formations. Je demande à ce que les formations soient adaptées aux besoins de ressources humaines de notre pays, c'est ça notre système. Alors qu'est-ce qu'on est en train de dire ? On fait l'impasse sur les 4 millions là, mais on est fou ! Mais vous croyez que la société française va l'accepter d'ailleurs ? Jamais.
Q- C'est une vraie question !
R- Alors, que sur quelques spécialités... Arrêtons de prendre des mauvais exemples extérieurs. Le Canada est un pays gigantesque, c'est un pays qui a besoin d'attraction, qui a un chômage extrêmement faible et qui a une politique de peuplement. Alors qu'elle organise des quotas, il faut que vous ayez tant de dollars sur votre compte en banque, que vous ayez une formation lourde, que vous ayez déjà un boulot, c'est un autre modèle. Mais la France d'il y a vingt ans avait effectivement besoin de ça. Vous avez vu d'ailleurs, ils sont venus, on les a accueillis ? Non, on les a mis dans des centres provisoires, on a créé des fausses villes, enfin... Non, stop, on ne va pas recommencer les âneries d'il y a vingt ans.
Q- Alors justement, cherchons où sont les causes, les causes structurelles. Pourquoi quand le chômage baisse en Europe - je ne dis pas en France - pourquoi quand il baisse en Europe, il baisse moins en France que partout ailleurs en Europe. Et pourquoi quand il remonte en Europe, pourquoi monte t-il plus en France que partout ailleurs en Europe ?
R- C'est ce que j'appelle le mal français structurel. Il y a en France 4 % à peu près sur les...quand on va bien notre taux de chômage est à 8,5, on oublie de dire qu'on a près de 2 millions en RMI et ASS quand même en plus. Et quand on va très mal on est à 11 %. On est 3 à 4 points plus mauvais que les autres.
Q- Toujours.
R- Alors il y a quatre raisons principales - d'ailleurs je lance un conseil d'orientation pour l'emploi qui réunit à la fois experts universitaires, paroles fortes, symboliques, syndicats et politiques et acteurs principaux - pour qu'on se mette au moins d'accord sur les questions : est-ce qu'il y a une spécificité structurelle française ? Moi je crois que oui, mais il ne faut pas que cela soit... Au fond tout le monde pense à peu près la même chose, mais il n'y a pas un lieu où on ose se le dire. Donc cela va être celui-là. Alors on a un certain nombre de règles : premièrement, nous n'avons pas, ou peu, de système de rôle d'accompagnement du demandeur d'emploi. Nous n'avons pas de système de prévision des ressources, des besoins à un an, deux ans, trois ans par bassin de vie. C'est quand même stupéfiant dans ce pays, que vous êtes dans un bassin, mettons le Valenciennois de 400.000 habitants, il y a strictement aucune évaluation des besoins publics ou privés sur un an, deux ans, trois ans, quatre ans. Je me demande comment on forme d'ailleurs pour savoir quels sont les besoins ? Tous les autres pays, qu'est-ce qu'ils ont fait ? Au lieu d'avoir des trucs nationaux qui ne se parlent pas - ANPE, ASSEDIC, Missions locales, Chambres de métiers - il y a une organisation par bassin. Tous les acteurs sont au même en droit, même les contrats aidés de l'Etat. Cela devrait être piloté par ces Maisons de l'emploi. Donc on aura ça dans l'année, cela s'appelle les Maisons de l'emploi. Deuxième raison, notre système des services à la personne - je vais présenter un plan le 16 février - c'est hallucinant. Pourquoi est-ce que dans notre pays, tout le monde est d'accord - le rapport du CAE, qui est le Conseil d'analyse économique, 3 millions et demi d'emplois de moins que les Américains ou les Britanniques sur les services à la personne.
Q-Vous citiez aussi l'exemple des Japonais tout à l'heure, s'agissant des transports.
R- Oui, c'est quand même stupéfiant ! Eh bien on est allé dans la soute, c'est hallucinant, cela dépend de 23 ministères différents ! C'est des systèmes d'agrément invraisemblables. Il n'y a pas vraiment de protection du salarié, donc il y a des gens qui travaillent deux heures à midi, deux heures le soir. On n'a pas de plate-forme, il n'y a pas d'apprentissage. On présente un plan, les professionnels nous disent qu'avec ça ils vont pouvoir doubler leur capacité, c'est quand même un secteur qui croît, celui qui croît le plus en France. Il y a 1,2 millions de personnes qui travaillent déjà dans ce secteur.
Q- Ce seront des vrais emplois...
R- Mais évidemment !
Q- Parce que tout à l'heure, vous avez poussé un petit coup de gueule, en disant : il y en marre dans ce pays, on considère toujours que ces emplois là sont des sous emplois. Ce sont des vrais emplois avec des vrais... Tenez ! dans la Tribune ce matin vous posez aussi la question des contrats de travail, avec des vrais contrats de travail ? Ou est-ce qu'on entre aujourd'hui dans une époque où l'on va avoir des contrats de mission comme le souhaitait le MEDEF à une époque avec des emplois qui seront un peu des sous-emplois ?
R- Mais le vrai sujet, c'est quoi un vrai emploi ? C'est un temps de travail réel...
Q- Et un salaire qui permet de vivre.
R- Un salaire qui permet de vivre et une qualification et une progression dans le métier. Un exemple : à peu près tout le monde a mis en place
des " facilitateurs ", vous savez ce que c'est qu'un facilitateur ? Eh bien vous avez un handicap, vous êtes autiste par exemple, mais vous pouvez être autiste avec simplement un problème de communication. Il n'y a pas de raison que vous ne soyez pas dans une scolarité normale ou un emploi accompagné. Parce qu'il y a des règles particulières, vous êtes à la fois comme tout le monde, à la fois un petit peu différent, eh bien il y a des gens dont le métier c'est d'être facilitateur, il n'y a pas de formation. Il n'y a pas de formation d'accompagnement, le métier n'existe pas, il n'y a pas de statut social. Est-ce que vous savez que dans les services à la personne par exemple, si vous travaillez 199 heures par trimestre, vous payez des charges sociales, mais vous n'êtes pas couvert. On est dans un système... En gros, on est génial sur l'Airbus, sur les TGV, sur Ariane, sur les métiers de garçon ou d'ingénieur...
Q- C'est ce qui cache la réalité !
R- Mais, mais en revanche, on n'a pas regardé, on n'a pas considéré que faire du service à la personne, il n'y a rien de plus noble. Il nous faut des grandes écoles, ENA, ou HEC des services à la personne. C'est un métier qu'on fait de manière individuelle chez des personnes qui ont des fragilités, des difficultés, chez vous, avec tout ce que cela suppose de confiance et d'intimité. Ce sont de très grands métiers, il faut lancer ces écoles là, à la fois alternance, mais même une grande école, un troisième cycle. On n'a pas ce dispositif. Alors le 16 février, on va vous présenter un plan national qu'on a fait avec les professionnels et je vous garantis que là on va changer la donne structurelle. Et puis le troisième sujet, c'est les contrats d'avenir. Quand vous êtes au RMI, à l'ASS, vous n'en sortez pas. Donc on lance un million de contrats d'avenir - contrats de travail, formation. Ce sont des éléments structurels qui vont nous permettre de réduire notre handicap structurel. Après il y a la croissance économique, c'est ce que j'appelle le chômage conjoncturel, c'est autre chose.
Q- Une dernière chose J.-L. Borloo - je l'ai gardée pour la fin, parce que je ne dis pas que la politique politicienne est moins intéressante que le reste : si on vous demande à vous, si vous avez envie... Si J. Chirac vous demande d'être Premier ministre, vous répondez quoi ?
R- C'est la question sans réponse. Vous savez s'il y a un président de la République qui demande à quelqu'un d'être Premier ministre...
Q- Comment vous avez trouvé la réponse de D. de Villepin, hier soir, tenez à cette question justement ?
R- La seule réponse possible et normale.
Q- Donc vous dites "oui" aussi vous alors ?
R- Non, parce que l'interprétation de la réponse, là c'est le génie français ça. Pour l'instant j'ai un peu de pain sur planche. Est-ce que je peux rajouter un mot ?
Q- Bien sûr !
R- Parce qu'on va avoir les chiffres là de l'année...
Q- On les attend maintenant.
R- Pour décembre, mais on a les chiffres de l'année.
Q- 9,9 encore.
R- Les chiffres de l'année c'est quoi ? C'est : un, après trois ans d'augmentation du chômage, très très lourd, c'est la première fois qu'on est en gros à stabilité, c'est un petit mieux, mais enfin c'est stabilité, je ne dis pas que c'est satisfaisant, c'est le premier constat. Deuxièmement, ce qui me préoccupe c'est le chômage des jeunes qui lui ne s'est pas amélioré. Et point trois, puisque je suis à votre antenne, je vous en supplie, on va lancer...On s'est donné des moyens financiers très importants pour l'apprentissage et l'alternance, on va lancer la campagne de mai-juin bientôt. Je dois dire aux familles, aux jeunes, mais aux entreprises françaises : mobilisez-vous bon sang ! Les entreprises françaises de plus de cent personnes : 0,6 % d'apprentis ! 6 % en Allemagne. Or ces jeunes là c'est l'avenir du pays. On parle de la pyramide des âges, on parle de la démographie, on parle d'ouvrir les frontières pour faire venir des gens. Mais enfin ! on a des jeunes qui sont prêts à rentrer en alternance. Patrons de France, mobilisez-vous pour ces jeunes, faites connaître ces métiers d'avenir. Et jeunes, familles, regardez le plan de cohésion sociale, regardez ces contrats que l'on peut vous offrir. Vous savez que la moitié des patrons français, de ceux qui sont à leur compte sortent de l'apprentissage.
Q- Alors, J.-L. Borloo, c'est oui c'est non ?
R- A propos de quoi ? Vous voulez que je vous remplace, vous savez que j'ai fait votre métier quand j'étais jeune.
Q- Cela se voit un peu malheureusement. Vous restez pour répondre
aux questions ?
R- Oui, avec plaisir !
Alors à tout de suite.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 28 janvier 2005)