Interview de M. Hervé Gaymard, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, à "Europe 1" le 30 novembre 2004, sur sa nomination au poste de ministre de l'économie en remplacement de Nicolas Sarkozy, et sur ses objectifs, notamment poursuivre la politique économique engagée et mener une politique industrielle ambitieuse.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Europe 1

Texte intégral

H. Gaymard, bonjour.
Bonjour.
Q- Félicitations et merci de consacrer à Europe 1 votre première déclaration de ministre de l'Economie, puisque N. Sarkozy va vous transmettre ses pouvoirs et ses dossiers à 9h00.
R- A 9h00, oui.
Q- C'est-à-dire, dès que vous sortez du studio.
R- Je vais tout de suite à Bercy.
Q- Quand avez-vous vraiment appris votre nomination ?
R- Hier matin, quand J.-P. Raffarin me l'a dit en milieu de matinée.
Q- Alors, c'est un ministère prestigieux, vous l'aviez espéré, quand même, espéré et voulu ?
R- Je faisais partie des " possibles ", comme on dit, mais c'est une décision qui appartient au Président et au Premier ministre, en dernier ressort. Comme je l'ai dit souvent, on n'est pas candidat à une fonction, on accepte ou pas ce que l'on nous propose.
Q- Mais le président de la République, pendant vos voyages - on vous voit régulièrement à la télévision, l'accompagnant dans le Cantal, à l'étranger, etc., d'avec des conversations supposées - ne vous avait rien dit ?
R- Non, non, pas du tout, et c'est normal.
Q- Vous avez lu la presse, ce matin, H. Gaymard : c'est une belle récompense à un " Bébé Chirac ".
R- Je ne sais pas si à 44 ans on est encore un bébé, après dix ans de vie politique, mais puisque vous le dites !
Q- Un "Bébé Chirac " qui est aussi un "bébé requin", comme tous les "bébés Chirac", non ?
R- Pourquoi "requin" ?
Q- Parce qu'il aime la politique, parce qu'il a de l'ambition, parce qu'il en veut.
R- Oui, mais la politique ce n'est pas forcément une foire d'empoigne. On peut vouloir des choses pour son pays, pour ses concitoyens, sans tirer sur tout ce qui bouge, sans s'abîmer, à tous les sens du terme, dans des petites phrases et dans d'inutiles polémiques. Mais je dois beaucoup à J. Chirac et je suis très fier de la confiance qu'il me fait, ainsi que J.-P. Raffarin, pour cette mission difficile.
Q- La clé de votre ascension est claire, vous vous y connaissez en ascension - puisque vous êtes de la montagne, et vous nous en parliez ici, vous êtes un fils de la montagne - c'est donc la fidélité à J. Chirac ?
R- Oui et à une certaine idée de la France, à travers lui, qui est cette idée gaulliste qui concilie l'économique et le social et je crois que c'est cette conciliation dont notre pays, aujourd'hui, a besoin, parce qu'il ne faut pas opposer l'un à l'autre. Il faut une économie dynamique pour que chacun puisse trouver sa place dans notre société et notamment un emploi.
Q- Vous vous êtes intéressé tôt à la politique, chez vous, en Haute- Savoie, d'abord avec...
R- En Savoie.
Q- En Savoie, avec l'aide de M. Barnier.
R- Oui, que j'ai connu en 73 et qui m'a mis le pied à l'étrier il y a dix ans.
Q- Et vous vous êtes lancé, ensuite, surtout en 94, vous nous l'aviez raconté, quand vous avez présenté ici " La route des Chapieux ", votre livre, en 94, quand J. Chirac connaissait des moments difficiles.
R- Je suis devenu député grâce à M. Barnier en 93, puisque j'étais son suppléant, et l'année suivante, J. Chirac m'a demandé de travailler avec lui pour sa campagne résidentielle, avec d'autres, et on était nombreux... pas très nombreux d'ailleurs.
Q- Alors, J.-F. Copé est ministre délégué au Budget...
R- Oui.
Q- Est-ce que ça va faire un tandem - j'entendais dire que vous vous détestez,
les deux ?
R- Ça, c'est complètement faux !
Q- Lequel des deux va surveiller le plus l'autre ?
R- Ça, c'est complètement faux. Je veux dire, avec Jean-François, nous sommes très liés, on est de la même génération, on partage les mêmes convictions et puis j'ajoute que ce n'est pas seulement un tandem mais un quatuor puisqu'à Bercy il y a P. Devedjian, ministre délégué à l'Industrie, F. Loos, ministre délégué au Commerce extérieur. Donc c'est un travail d'équipe. Et puis pas loin, même si maintenant il est ministre autonome, il y a C. Jacob, mon ami, avec lequel nous allons travailler ensemble pour les Petites et Moyennes Entreprises, le Commerce et l'Artisanat.
Q- N. Sarkozy avait engagé au Parlement la discussion sur le budget 2005, il est bien engagé, vous prenez le relais. Vous êtes énarque, ancien de ce ministère, vous parlez parfaitement, H. Gaymard, la langue de Bercy. Mais est-ce que vous êtes prêt, comme ça, du jour au lendemain ?
R- L'avenir le dira, en tout cas je suis prêt à donner toute mon énergie, parce que nous avons un pays formidable qui aujourd'hui a trop peur de lui-même et je suis persuadé que ces réserves de croissance, nous pouvons et nous devons les trouver en nous-mêmes, et moi je conçois ma mission à Bercy non pas comme un empêcheur, non pas comme quelqu'un qui dit "non" et qui doit bloquer tout, mais au contraire, un facilitateur. Je crois que c'est cela dont nous avons besoin, dont nos entreprises ont besoin et ce que les Français attendent.
Q- Facilitateur auprès de qui ?
R- Auprès des chefs d'entreprises, auprès des Français, parce que l'on a des carcans réglementaires, on a des normes, on a aussi des distorsions fiscales, il faut renforcer l'attractivité économique de notre pays et favoriser l'emploi. C'est pourquoi je travaillerai en étroite collaboration avec J.-L. Borloo puisque l'on mène le même combat.
Q- Donc, alléger ce qui pèse sur les entreprises.
R- Oui, c'est ce que disent tous les entrepreneurs, et notamment les petites et moyennes entreprises, les commerçants, les artisans, les petits industriels. J'en rencontre beaucoup dans mes déplacements, même avant d'être ministre des Finances, c'est ce que tout le monde dit, et c'est un mal français.
Q- J.-P. Raffarin s'est engagé sur une baisse de 10 % du chômage d'ici un an, le chômage va rester stable ce mois-ci ou légèrement baisser. Est-ce que vous reprenez le pari de J.-P. Raffarin à votre compte ?
R- Oui, je le reprends bien évidemment à mon compte, parce que, comme l'a dit le président de la République, la croissance, il ne faut pas attendre qu'elle tombe, il faut aller la chercher. Il faut du volontarisme. Regardez ce qu'ont fait F. Mer et R. Dutreil, il y a deux ans, pour la création d'entreprises. Les sceptiques disaient : un plan de plus pour la création d'entreprises, le résultat c'est des centaines de milliers de créations en plus. Donc le volontarisme, en économie, c'est extrêmement important, et le rôle du politique c'est de restaurer la confiance avec beaucoup de combativité et d'énergie.
Q- Comme N. Sarkozy.
R- Bien sûr.
Q- Mais en quoi vous serez différent de N. Sarkozy ? Par exemple, si votre mission est de le faire oublier, vous ne croyez pas que ça sera difficile ?
R- Je ne crois pas du tout que ce soit le sujet. La politique économique n'a aucune raison de changer puisque N. Sarkozy a mené une très bonne politique économique, donc il faut continuer dans cette voie là, et lui même d'ailleurs poursuivait ce qu'avait commencé F. Mer. Alors, après, les hommes sont différents, les styles, les personnalités, mais heureusement que tout le monde n'est pas le clone de quelqu'un.
Q- Ce qui fait dire à F. Hollande, ce matin : les ministres changent, la politique reste la même et hélas, le vrai changement, dit-il, il faudra attendre 2007.
R- Eh bien nous serons présents au rendez-vous. Que ce soit au Gouvernement ou à l'UMP, nous sommes désormais en ordre de bataille.
Q- Vous entrez, H. Gaymard, à Bercy, alors que l'économie fait face, vous le savez, aussi bien que nous, à la flambée des prix des matières premières, à la baisse du dollar, à la montée de l'euro, etc. et en France il y a un ralentissement au troisième trimestre. Est-ce que la croissance 2004 dépassera les 2 % ou sera à 2 % et est-ce qu'en 2005 elle pourra dépasser les 2 % ?
R- La prévision de croissance de 2004 à 2,5 reste crédible. Pour l'instant, nous avons déjà engrangé 2 % de croissance. Il y a des statistiques provisoires pour la fin de l'année. On sait ce que sont les statistiques provisoires et je crois qu'il y a un consensus aujourd'hui pour dire que : oui, cet objectif de 2,5 et cet objectif de 2 pour l'année prochaine, reste crédible.
Q- Avec, pour vous, la mission de le consolider.
R- Oui.
Q- Et est-ce que les 2,9 % de déficit qui ont été promis à Bruxelles pour 2005 sont, pour vous, comme il l'était pour Sarkozy, un impératif... - et pour le Gouvernement, je suppose - un impératif absolu ?
R- Bien sûr. Alors, quand on dit déficit, ça paraît un peu abstrait, en réalité c'est de l'argent des Français qu'il s'agit, donc il faut bien gérer l'argent public. Alors, ces 3 %, ce n'est pas une vache sacrée, si je puis dire, mais c'est très, très, très important et il faut absolument que nous diminuions nos déficits parce que laisser filer les déficits, c'est donner à nos enfants et nos petits enfants le soin de régler la facture que nous n'honorons pas aujourd'hui. D'ailleurs, je peux vous dire que j'ai été, comme on dit, comme ministre de l'Agriculture, un ministre " dit dépensier ", et que depuis deux ans et demi, avec un budget stable, je suis arrivé à mettre en oeuvre plein d'actions nouvelles, en faisant des économies par ailleurs, donc ce qui montre bien que, de toujours parier sur l'accroissement illimité de la dépense publique, est un mauvais calcul.
Q- Mais vous n'allez pas serrez la vis des agriculteurs, maintenant que vous êtes de l'autre côté ?
R- Je continuerai de m'occuper des agriculteurs et des pécheurs avec mon ami D. Bussereau, avec beaucoup d'attention.
Q- La FNSEA et J.-M. Lemétayer n'étaient pas favorables à la réforme de la loi Galland qui organise les relations, comme on sait, entre producteurs et distributeurs. Est-ce que vous allez vraiment faire cette réforme ou l'enterrer ?
R- Non, il ne faut pas l'enterrer. Nous avons eu un rapport qu'a commandé N. Sarkozy qui s'appelle le rapport Canivet, qui fait un certain nombre de propositions. C. Jacob a mis en place des groupes de travail la semaine dernière, c'est un sujet que suit particulièrement le Premier ministre et nous allons avancer sur ce sujet en temps utile, bien sûr.
Q- La baisse des impôts, vous allez essayer de la relancer, pour 2006, H. Gaymard, si c'est possible, malgré les déficits dont vous avez parlé ?
R- La baisse des impôts et des charges est un objectif de notre politique économique, mais cette baisse doit se faire sans gonflement du déficit, c'est-à-dire que nous allons continuer de baisser les impôts et les charges en continuant de faire des économies sur le train de vie de l'Etat.
Q- En fait, quelle sera ou serait la priorité de la politique économique que vous voulez mener à partir de 9h05 ce matin ?
R- C'est un peu hâtif de le dire comme ça au débotté, mais moi j'en verrais deux priorités : la première c'est de supprimer les obstacles à la croissance et donc à l'emploi qui existent dans notre économie française, je crois que c'est très attendu, et il faut le faire. Deuxièmement, il faut que nous ayons, et pas seulement au niveau français mais au niveau européen, une politique industrielle extrêmement ambitieuse. Je suis élu d'une vallée qui est aussi une vallée industrielle en Savoie et je peux vous dire que nous devons conforter ou construire des champions européens en matière industrielle.
Q- La France a la capacité.
R- Pas la France seule, la France en Europe, parce que dans la mondialisation, il faut des champions européens, et d'ailleurs j'attends avec beaucoup d'intérêt les propositions que va faire J.-L. Beffa sur ce sujet.
Q- Dans quelques mois. Mais ça veut dire que vous serez, au nom de l'Etat, interventionniste ou comme celui qui était libéral avant vous, N. Sarkozy, l'était. Il n'y a pas de choix.
R- Nous ne sommes plus dans les années 70, donc ça ne sera pas la politique industrielle de grand-papa, si je puis dire. Mais nous sentons bien que dans la mondialisation qui est là, il ne faut pas être naïf, parce que le laisser faire, le laisser aller... laisser faire la loi de la jungle, c'est toujours laisser les puissants croquer les petits et il n'y a aucune raison que l'Europe baisse la garde dans cette compétition mondiale.
Q- Vous continuerez les privatisations, l'ouverture du capital d'EDF et de Gaz de France ?
R- Oui, parce que c'est absolument indispensable pour l'avenir de ces grandes entreprises nationales. Je précise qu'il ne s'agit évidemment pas d'une privatisation...
Q- D'ouverture du capital.
R-... mais d'une ouverture du capital, l'Etat gardant évidemment toutes ses participations et restant hyper majoritaire.
Q- Hier, à cette même heure, je vais vite, vous ignoriez votre nomination à Bercy. Est-ce que vous savez ce matin quelle sera la durée de votre CDD ?
R- Par définition, non, puisque les fonctions ministérielles sont précaires, temporaires et révocables.
Q- Oui, mais qui peuvent être aussi renouvelables.
R- Pour l'instant, je suis dans l'action et je ne pense pas à ça.
Q- Merci. N'arrivez pas en retard, d'ailleurs, vous allez à Bercy de quelle façon, pour aller plus vite ? Vous allez en vedette sur la Seine ?
R- Non, non, je vais en voiture.
Q- Et qu'est-ce que vous direz tout à l'heure, dans une demi-heure, à N. Sarkozy, le nouveau président de l'UMP ?
R- Je lui dirai : " Bonne chance. On a besoin de ton énergie et de ton talent pour renouveler cette grande formation politique qu'est l'UMP et en 2007, c'est tous ensemble que nous gagnerons, quel que soit d'ailleurs le candidat à l'élection présidentielle ".
Q- Tous ensemble, ça veut dire que c'est un avertissement ?
R- Ce n'est pas un avertissement, mais c'est le bon sens. D'ailleurs, Nicolas l'a dit lui-même au Bourget avant hier.
Q- Bon. Eh bien, c'est votre première journée de ministre de l'Economie, et qu'elle soit bonne, pour vous, sans doute, mais aussi pour les Français.
R- Merci.
(Source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 30 novembre 2004)