Déclaration de M. François d'Aubert, ministre délégué à la recherche, sur l'avenir des politiques spatiales de la France et de l'Union européenne, au Sénat le 8 juillet 2004.

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Circonstance : Colloque "L'avenir de l'aventure spatiale", au Sénat le 8 juillet 2004

Texte intégral

Monsieur le Président, Messieurs les sénateurs, Messieurs et Mesdames les Députés,
Messieurs et Mesdames les Présidents et Directeurs,
Mesdames, Messieurs
Je tiens à vous remercier de votre invitation à l'occasion de ces rencontres internationales de prospectives du Sénat.
La diversité des intervenants aujourd'hui présents reflète la complexité de la question que vous avez choisi d'aborder : quel avenir pour l'aventure spatiale ?
La conquête spatiale est sans doute la grande aventure du vingtième et du vingt et unième siècles, peut être la dernière grande aventure de l'humanité dans la lignée de la conquête de nouveaux espaces. Comme toutes les aventures, elle répond à différentes motivations : affirmation de la puissance d'une nation, par la maîtrise d'un milieu, exploration de territoires inconnus dans la lignée de toutes les initiatives pour atteindre des contrées inexplorées qui ont fasciné l'humanité, soif de connaissance, avec la compréhension du fonctionnement du monde qui nous entoure.
Comme toutes les grandes aventures, l'espace se banalise, et il s'agit de repenser notre politique dans ce cadre : plus qu'une aventure, aujourd'hui, c'est aussi, voire surtout, un outil essentiel pour la vie de nos sociétés, comme l'illustre l'utilisation toujours croissante des outils spatiaux pour la défense, les télécommunications, la navigation, la localisation, la synchronisation, l'observation de la Terre ou encore la météorologie. Il est un outil de diffusion de la culture et un élément d'attractivité pour les carrières scientifiques ou technologiques. En tant qu'outil, il nécessite des budgets appropriés, une industrie compétitive et techniquement compétente, et un accès autonome.
Comme votre colloque le souligne, les enjeux de la conquête spatiale se sont considérablement élargis. Il nous faut repenser les objectifs des missions spatiales, les structures, nos stratégies de coopération, dans un contexte où de nouveaux secteurs scientifiques émergent, où le spatial représente toujours un formidable moteur de développement technologique et où il représente un pôle d'excellence de la science et de l'industrie française et européenne. Des événements de prospectives comme celui d'aujourd'hui doivent permettre de faire émerger ces nouvelles stratégies.
1. Repenser les objectifs des missions :
Notre stratégie spatiale répond à différents objectifs :
- Un objectif de souveraineté et de maîtrise de l'information, car l'espace est un outil clef pour disposer de l'information, quelle qu'elle soit. C'est le cas pour la Défense, avec l'observation et les technologies de communication. C'est le cas pour la science. Car ce sont nos contributions à la réalisation d'infrastructures spatiales qui nous permettent d'acquérir les données que nos équipes scientifiques exploitent et transforment en connaissance. C'est ainsi que je souhaite que nous pensions les missions spatiales de manière globale, intégrées dans les politiques scientifiques ou sectorielles plus larges: pour l'astrophysique, pour les sciences du vivant ou des matériaux, pour les activités en microgravité, pour l'observation de la Terre et les sciences du climat. Je salue à ce titre l'initiative GMES qui promeut cette vision globale et complémentaire entre infrastructures spatiales et infrastructures au sol, pour les télécommunications. Je souhaite que cette démarche se généralise et que les communautés concernées proposent les missions spatiales intégrées dans ces politiques sectorielles et coordonnées.
- L'espace répond également à objectif sociétal, dans le prolongement du premier objectif, et je souhaite que l'utilisation de l'espace vise cet objectif in fine opérationnel. Je souhaiterai citer ici quelques exemples :
les premiers satellites scientifiques d'observation ou de météorologie, qui ont permis de développer les services opérationnels que chacun connaît désormais,
Topex poséidon et la suite Jason pour l'observation des océans, partant eux aussi d'un objectif scientifique et actuellement en transition pour une utilisation opérationnelle,
DEMETER , le premier micro-satellite du CNES qui vient d'être lancé, qui, s'il a une vocation scientifique, pourrait ouvrir la voie, à terme, pour pouvoir prévoir les séismes.
- Enfin, je souhaite que pour chaque mission, un objectif technologique innovant soit identifié, car c'est une dimension transverse et cruciale pour l'avenir du secteur spatial. Les missions scientifiques jouent également un rôle déterminant pour l'innovation technologique spatiale :
*elles posent des défis originaux et variés et, en ce sens, stimulent la créativité des équipes technique ;
*elles sont le plus souvent à la limite des performances de l'état de l'art et permettent de valider in situ des concepts nouveaux ;
*elles facilitent les fertilisations croisées en associant les laboratoires spatiaux, les industriels et les agences spatiales.
Mais et c'est un autre élément essentiel, les caractéristiques du secteur spatial le rendent fragile : les utilisateurs sont variés et les technologies sont communes, coûteuses, les systèmes spatiaux sont en concurrence avec d'autres systèmes terrestres : chacun s'interroge sur " qui finance quoi, pourquoi ".
C'est pourquoi, je pense qu'il faut approcher la problématique des enjeux du spatial différemment : le spatial est un secteur dans lequel la France ne peut et ne souhaite pas perdre son avance technologique et son rôle moteur. A nous de définir les missions et les équilibres financiers entre science, technologie, accès à l'espace, services, afin de développer nos compétences et d'élargir la taille des communautés utilisatrices. Je souhaite pouvoir réaliser ces choix et que le travail de réflexion que vous menez aujourd'hui se développe dans cet objectif : définir des missions qui répondent aux besoins de communication et d'information primordiaux de communautés toujours plus large de défense, civiles, scientifiques, en améliorant et en recherchant l'innovation technologique.
Vous aurez compris que mon souci est d'utiliser au mieux et de valoriser nos ressources, au niveau national, au niveau européen : il nous faut éviter des doublons, il faut valoriser les compétences. C'est pourquoi nous devons revoir nos organisations et tirer profit de nos coopérations.
2. Revoir nos organisations :
Il s'agit pour cela de remettre en cause les interactions entre les structures héritées de l'histoire spatiale française et européenne :
- cette démarche a été initiée en France, et je salue le travail du CNES, afin d'améliorer la coopération entre le CNES et le secteur de la Défense, ou avec les autres agences nationales ou internationales.
- De même, cette démarche a été initiée au niveau européen dans les relations entre les institutions et l'industrie, et tout particulièrement dans le secteur des lanceurs, où une clarification des rôles des organes institutionnels et de l'industrie a été décidée et est en cours de mise en oeuvre.
- C'est à cette démarche que concourent les premiers jalons d'une politique spatiale de l'Union européenne comme le montrent :
*l'accord cadre qu'elle a signé avec l'Agence spatiale européenne,
*le livre blanc sur l'espace, qu'a rédigé la Commission en 2003,
*l'inscription de l'espace comme une compétence partagée entre l'UE et les Etats membres dans le traité constitutionnel européen
*et les premières concrétisations de cette prise de conscience en cours : il s'agit du programme Galileo et du programme GMES d'observation de la Terre.
- Je souhaite que cet effort se poursuive et se concrétise rapidement, en particulier au niveau européen. La France a très tôt perçu l'enjeu du secteur spatial et a agi en conséquence, comme chacun le sait : le budget spatial français représente environ 40 % de l'ensemble des budgets spatiaux européens ; l'industrie française représente plus de 40 % de la valeur ajoutée de l'industrie spatiale européenne ; la France a contribué à hauteur de plus de la moitié aux programmes Ariane de l'Agence spatiale européenne. Mais la situation a évolué : cet enjeu et les moyens qu'il nécessite sont maintenant à l'échelle de l'Europe. Les échéances qui ont été définies au niveau européen doivent être tenues dès la fin 2004 et des réalisations concrètes doivent émerger. C'est ainsi que je souhaite que tous, scientifiques, industriels, puissance publique nous collaborions afin de diffuser, à travers l'Europe cette ambition pour le secteur spatial européen.
3. Revoir nos stratégies de coopération.
J'ai mentionné des réalisations concrètes : nous devons progresser dans la coopération entre agences, dans le rapprochement des communautés scientifiques. Je souhaite voir émerger des propositions novatrices, et je sais qu'elles existent, afin d'améliorer les synergies, et de capitaliser sur nos compétences humaines. Car nos ressources, limitées, ne peuvent être gaspillées, dans un monde de plus en plus compétitif.
C'est également pour cela que je souhaite que nous développions de nouveaux partenariats, avec les Etats-Unis, avec la Russie, avec les puissances émergentes, afin de bénéficier de nouvelles compétences, mais aussi afin de disposer de nouveaux outils. Mais je serais vigilant sur ces nouvelles coopérations : il s'agit de continuer à développer nos compétences, mais il s'agit aussi de préserver nos acquis, et tout particulièrement technologiques.
Je pense que la France et l'Europe disposent des briques qui permettent le développement d'un secteur spatial leader sur la scène internationale. Je crois que le spatial s'intègre totalement les objectifs communs de l'Europe, définis à Lisbonne. J'ai la conviction qu'il nous faut agir vite. Je souhaite ainsi que vos travaux contribuent activement et concrètement à cette nouvelle politique spatiale européenne.
Mesdames, Messieurs, je vous remercie.

(source http://www.recherche.gouv.fr, le 12 juillet 2004)