Déclaration de M. Georges Sarre, porte-parole du Mouvement Républicain et Citoyen, sur la stratégie de son mouvement dans le cadre des élections européennes de 2004, le libéralisme et l'Europe sociale, Limoges le 12 juin 2004.

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Circonstance : Réunion publique du MRC à Limoges le 12 juin 2004

Texte intégral

Mesdames, Messieurs, Chers camarades,
Je tiens à remercier les organisateurs de cette réunion publique, Gilbert Chapeaublanc, Xavier Garbar, Olivier Ducourtieux, Thérèse Trannoy, et tous ceux qui militent dans ce Limousin où j'ai grandi, et où j'ai fait mes premières armes politiques.
Nous sommes à la veille des élections européennes. Des élections pour quoi faire ? Me direz-vous Il est effectivement légitime de se poser la question.
J'ai fait partie des premiers élus au suffrage universel au Parlement de Strasbourg en 1979. J'ai souvent le sentiment que rien n'a changé. Tout s'est aggravé. L'alibi démocratique que constitue cette assemblée sert une fois tous les cinq ans à légitimer la construction européenne, qui n'a pourtant rien de démocratique.
Regardons la réalité en face : les élections auront lieu demain. Mais c'est quelques jours après que nos gouvernements signeront vraisemblablement la fameuse et prétendue " Constitution " européenne. Ainsi seront-ils sûrs de ne pas voir les peuples sanctionner ce funeste texte !
Les élections de demain ne seront donc pas une occasion d'aller à l'essentiel : dire " non " à la " Constitution " européenne. C'est pourquoi nous les boycottons, en utilisant différents moyens (abstention, vote blanc, vote nul, par exemple un bulletin réclamant un référendum).
Regardons les faux débats que l'on a tenté de nous imposer ces dernières semaines.
La Turquie d'abord ! Elle est l'objet de tous les assauts de démagogie, de lâcheté et de petits arrangements électoraux avec la vérité.
Le Sommet d'Helsinki en 1999 a fait de la Turquie une candidate à l'adhésion. Personne n'a, en revanche, pris la responsabilité politique de dire explicitement " oui " à son entrée dans l'Europe communautaire. Mais on la laisse franchir toutes les étapes techniques de son adhésion
Les gouvernements européens qui laissent la Turquie faire tous les efforts requis pour entrer dans l'Union européenne confient la rédaction de leur pseudo constitution à un adversaire farouche de l'adhésion d'Ankara !
Jacques Chirac se contente de dire : " Oui à la Turquie mais dans quinze ans ! " tandis que son parti - l'UMP - dit " La Turquie jamais, mais dans quinze ans quand même ". On cherche à coller à un électorat que l'on sent réticent Ce n'est même plus de la navigation à vue, c'est une lente dérive.
Quant aux " souverainistes ", ils prétendent maintenant " sauver l'Europe " en refusant l'entrée de la Turquie. Il faut quand même manier le paradoxe avec brio pour dénoncer la machinerie communautaire et en même temps vouloir la sauver !
Les socialistes sont loin d'être exempts de critiques en la matière : se partageant les rôles, ils envoient l'un dire " oui " à la Turquie, l'autre " non " et le troisième dire que ce n'est pas le moment !
Voilà résumée l'Europe : une machinerie incapable de définir ses propres frontières, une entité incapable de prendre des décisions politiques, des hommes politiques qui oscillent entre contemplation satisfaite de leur impuissance organisée et dissimulation éhontée.
L'autre volet de la campagne électorale, c'est l'Europe sociale !
Merveilleux gadget que l'on nous ressort depuis des années ! En 1992, le PS faisait déjà campagne pour Maastricht en mettant en avant l'Europe sociale !
Laurent Fabius déclarait, le 12 septembre 1992 - il y a donc douze ans - : " Partout le monde du travail appelle à la ratification du traité. Ce n'est pas un hasard. Le chemin du progrès social passe par le " oui ". Ce traité va permettre des avancées pour le monde du travail. Le rejeter quand on est un représentant du monde du travail ? On n'y comprend plus rien. "
Jacques Delors nous disait qu'il fallait " voter oui pour ne pas casser la dynamique "
Et Jacques Delors anone comme il y a douze ans la ritournelle selon laquelle, il faut voter oui et après " on se mettra au boulot pour l'Europe sociale " !
Il faudra bien un jour nous expliquer comment on peut se moquer du monde à ce point ! Chaque avancée du néo-libéralisme, chaque recul de nos acquis sociaux, de notre démocratie, chaque traité européen est bon parce qu'il fait avancer l'Europe et qu'il permettra, un jour, l'Europe sociale ! Demain on rase gratis !
Et l'on nous présente une pochette surprise frappée du poing et de la rose à l'intérieur de laquelle on découvre, les yeux embués de bonheur, un SMIC européen, des Services Publics européens ou mieux un traité social européen ! C'est beau comme une image pieuse de Jean Monnet ! C'est merveilleux ! On en est émus !
Les supplétifs de l'Europe libérale ce sont ceux qui, comme le dénommé Larrouturou, se font les chantres d'un " traité social ". Pour le progrès social ? Non pour l'Europe ! Il faut quand même promettre quelques progrès sociaux pour que les peuples suivent ! De là à les réaliser, c'est une autre affaire, à laquelle on ne risque pas de s'attaquer
On n'a pas totalement échappé à l'ineffable Dany Cohn-Bendit, mais fort heureusement, il nous a moins agacés qu'en 1999, tout occupé cette fois à se faire réélire en Allemagne Mais d'autres se sont chargés des sempiternelles péroraisons des Verts sur l'Europe des régions et les propositions du Parti vert européen, dernière invention de bobos en manque de sensations
Les fumigènes sont en place ! Turquie, Europe sociale Voilà de quoi amuser la galerie !
Alors, mesdames, messieurs, c'est à nous de dire la vérité sur l'Europe !
Voyez certains responsables de partis politiques - le, PS, l'UDF ou l'UMP : posez leurs quelques questions !
Comment lutter contre les délocalisations ? Comment lutter contre la précarité ? Sauver et développer nos services publics ? Comment Promouvoir une vision du monde alternative de celle des faucons de Washington ? Comment lutter contre les dangers de l'économie casino ?
Multipliez les questions : sur la politique industrielle, sur les droits des salariés, sur la santé Vous n'obtiendrez pas de réponse des Hollande, Juppé, Strauss-Kahn ou Barnier Vous n'obtiendrez que l'esquive : on ne vous parlera jamais de volonté politique, de souveraineté populaire, pour répondre à ces questions, on se réfugiera dans la mise en avant du mirage européen !
Pendant ce temps, les vrais sujets ne seront pas abordés !
Et cela dure depuis le traité de Rome ! Depuis 1957 ! A l'époque on entendit deux hommes de gauche se dresser contre le " Marché commun " : Pierre Mendès-France et Pierre Cot.
J'invite chacun à relire les débats de l'époque. Il y eut bien quelques visionnaires pour entrevoir ce qui allait se passer.
Ensuite l'Europe fut un long processus de dépossession des citoyens de leur pouvoir. Peu à peu, la Commission a accru ses pouvoirs. Peu à peu, le Conseil, là où les Ministres se réunissent, a développé un système de prise de décision opaque. Peu à peu, le droit européen a rongé notre modèle social.
Les différentes étapes de l'intégration européenne : Acte Unique, traité de Maastricht, d'Amsterdam et de Nice ont apporté leur pierre à l'édifice néolibéral. Chaque étape a contribué au " Grand bond en arrière " récemment dénoncé par Serge Halimi, dans un livre que je vous recommande.
Le mariage du libéralisme et de l'Europe est ancien. C'est un mariage sans divorce ni répudiation possible. L'Europe libérale c'est l'Europe. L'Europe c'est l'Europe libérale. L'un ne va pas sans l'autre !
Regardons les choses en face : L'Europe s'en est d'abord pris aux télécommunications. Puis ce fut la Poste, avec la complicité du Parlement européen et de bon nombre de sociaux libéraux y siégeant. EDF-GDF aujourd'hui, la SNCF demain. Quant à Air France, c'est fait.
Peu à peu on jette des pans de notre modèle social dans les griffes du marché.
Les conséquences, chacun les ressent ! Chacun les connaît ! Chacun les vit !
Les inégalités n'ont fait que croître !
Alors, pour paraître fréquentables, il faudrait encore nous dire " Européens " ! Mais jusqu'à preuve du contraire, l'Europe, nous avons les pieds dedans !
Et ce n'est sûrement pas en opposant une vision idéalisée de l'Europe que l'on va combattre efficacement la réalité de l'Europe qui se fait, et que nous pourrons nous attaquer aux vrais problèmes de fond !
Et il y a des enjeux à traiter ! Nos économies sont confrontées à une crise pétrolière qui couve
Les causes en sont connues : la croissance chinoise a fait exploser la demande et la politique impérialiste de Washington a semé la confusion et le désordre dans tout le Moyen Orient. Le fiasco américain en Irak ne peut, évidemment, qu'attiser cette crise ; les Américains ont réduit l'Irak à l'alternative du chaos ou de la vassalisation, ce qui dans les deux cas n'est ni bon pour les intérêts irakiens, ni naturellement pour les intérêts européens.
Au-delà de l'Irak, aucun pays producteur de pétrole n'est indemne des menées impérialistes des Etats-Unis et cet état de guerre permanente n'arrange rien.
Remarquons que c'est en pleine crise de l'énergie que notre gouvernement et le Ministre de l'Economie, Nicolas Sarkozy, décident d'imposer le changement de statut d'EDF et GDF !
Mais nous n'avons pas besoin de plus de concurrence ! Nous n'avons pas besoin que le marché ronge notre politique énergétique ! C'est une pure folie que de favoriser une telle politique !
Pour répondre au désordre économique, on nous propose un surcroît de libéralisme !
Et de fait, les inégalités ne font que croître : les patrons du CAC 40 voient leurs rémunérations bondir spectaculairement ; dans le même temps, la part des très bas salaires a doublé depuis 1983, et dépasse aujourd'hui 10 % des salariés. Au final, 10 % des Français les plus riches accaparent aujourd'hui près d'un tiers de la richesse nationale. Le patrimoine des 3 000 plus gros possédants a progressé de 50 % en dix ans, pendant que le pouvoir d'achat du peuple a stagné ! Les vingt premiers patrons français touchent chaque année entre un et quatre siècles de SMIC, vous m'avez bien entendu, entre un et quatre siècles de SMIC !
La précarité devient le sort commun de plus en plus de Français, le droit social est de plus en plus souvent bafoué et la violence dans l'entreprise se développe
On nous a proposé tant de remèdes pour sortir de cette situation ! L'excellent traité de Maastricht, la merveilleuse Monnaie Unique, le bon Pacte de Stabilité, la bonne et efficace Banque centrale européenne !
La vérité est que les difficultés n'ont fait que croître !
Le texte de la prétendue " Constitution " de l'Union européenne va nous précipiter dans une spirale de difficultés ! Ce texte nous condamne au libéralisme à perpétuité.
La loi de la jungle pour tous ! Voilà l'essentiel du volet économique du texte préparé par Valéry Giscard d'Estaing pour les gouvernements européens Son article 3 ; sa troisième partie sont sortis des rêves les plus oniriques des " Chicago boys ", ces économistes qui pensaient que le marché allait tout résoudre ! C'est la concurrence sauvage généralisée !
Parallèlement, le traité Giscard amplifie le mécanisme de prise de décision qui a prévalu depuis le traité de Rome Loin des peuples, très loin des peuples, dans des cénacles inaccessibles, se décide l'avenir des citoyens.
La société européenne existe ! Elle concerne quelques dizaines de milliers de personnes sur notre continent qui ont rompu les liens avec les citoyens des Etats membres ; elle se concentre dans les institutions européennes, les lobbies de Bruxelles ou les grandes firmes transnationales. Un bon nombre d'entre eux " font " l'Europe depuis les Ministères nationaux
Peut-on continuer plus longtemps ainsi ? Non !
C'est la raison pour laquelle nous mènerons campagne pour obtenir un référendum sur le projet de Constitution européenne. Nous mènerons campagne pour dire " Non ! " à ce funeste texte !
Beaucoup de militants, de sympathisants ou d'amis du MRC, de la gauche républicaine, me disent qu'ils regrettent notre décision de ne pas aller aux élections européennes.
Notre choix découle de la situation que je décrivais précédemment Nous avons fait le choix d'une longue marche et de ne compter que sur nos propres forces. Ce choix, nous l'assumons.
Ne pas aller à ces élections n'a pas été un choix fait de gaîté de cur, mais ce fut un choix nécessaire.
Regardez la situation : le découpage de la France en 8 circonscriptions est un scandale démocratique.
Rapprocher les élus des citoyens nous dit-on ! Et pourtant les gazettes se font l'écho des parachutages en série !
Il est certain que faire partie des quelques élus d'une circonscription comprenant parfois cinq régions est susceptible de resserrer les liens avec les citoyens De qui se moque-t-on ?
En divisant la France en vastes zones électorales, on est un peu plus sûr de ne donner aucune chance aux partis émergents. D'autant qu'en cassant toute possibilité de créer un débat, on marginalise un peu plus les forces alternatives. On laisse aux mastodontes partisans le soin d'organiser une campagne en trompe-l'il afin d'éviter les vrais débats !
Une suite de dialogues Lamassoure-Moscovici, Rocard-Bayrou, Juppé-Fabius, ou même Delors-Barre ! Je dis dialogue, pas débat ! A la manière des brillants échanges récemment parus de Bernard et Dany !
Une campagne ? Non. Un étalage de babillages narcissiques. Une série de connivences bavardes.
Demain soir, chacun pérorera à loisir sur " les Français qui ne comprennent pas l'Europe " ou a contrario sur le fait que " les Français, épris d'Europe, sont plus européens que leurs dirigeants ! "
Alors, comme je vous l'ai dit : cap sur le référendum ! Notre objectif c'est l'insurrection des urnes contre le projet de " Constitution " européenne !
En la matière Nicolas Sarkozy nous aide. Son opération au Conseil national de l'UMP a le mérite d'accroître la pression sur le président de la République. Le vaudeville qui s'en est suivi, avec le ralliement de Juppé à la position de l'UMP, immédiatement contredit pas un communiqué rageur de l'Elysée, prouve que le sujet agace
Il nous faut donc accroître la pression citoyenne pour l'obtention d'un référendum ! Il faut signer et faire signer la pétition du MRC, convaincre, militer.
Ce travail militant chacun d'entre nous doit le mener ! Ensuite, nous aurons trois ans. Trois ans pour construire une force organisée, active, qui nous inscrive durablement dans le paysage politique. Il faudra aborder l'année 2007 en ordre de bataille pour les élections, présidentielle, législatives, municipales. Pour les gagner bien sûr, et surtout prendre date pour l'avenir.
Le MRC est un parti qui aime la France et les Français. Le combat continue.
Je vous remercie !
(source http://mrc-france.org, le 15 juin 2004)