Interview de M. François Chérèque, secrétaire général de la CFDT, dans "Le Monde" du 26 janvier 2004, sur la politique de l'emploi.

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Média : Emission la politique de la France dans le monde - Le Monde

Texte intégral

QUESTION : L'approche des élections régionales semble raviver la fibre sociale de nos dirigeants. Après bientôt deux ans à parier sur la reprise, le gouvernement annonce une " loi de mobilisation sur l'emploi ". On notera le ton martial de la formule, qui nous invite à attendre notre feuille de route, pour partir combattre sur le front de l'emploi.
Se mobiliser, oui, bien sûr. Cela fait déjà deux ans que la CFDT tire la sonnette d'alarme ; deux ans et 300 000 chômeurs de plus. Mais nos gouvernants ont-ils une stratégie ? Croit-on vraiment qu'une loi permettra de gagner la bataille ?
(RÉPONSE) FRANÇOIS CHÉRÈQUE : Après la publication du rapport de Virville sur le code du travail, il reste au gouvernement à clarifier ses intentions. Pour l'heure pauvre débat, détourné de l'essentiel ! Seul le contrat de mission a focalisé l'attention. Il nous faut tout autant récuser les solutions miracles du toujours plus de flexibilité que le renoncement tacite face au chômage.
QUESTION : Dans la panoplie des fausses bonnes recettes vient de façon récurrente l'éternelle baisse du coût du travail. Le Medef croit-il vraiment qu'on puisse concurrencer la Chine sur ce terrain ? Les dégâts sociaux de ce genre de solution seraient considérables. Ignore-t-on que des salariés payés moins cher, c'est un pouvoir d'achat amoindri, et donc au final, une moindre croissance ?
(RÉPONSE) FRANÇOIS CHÉRÈQUE : D'autres attendent tout du retournement démographique de 2005-2006 ; un appel d'air est prévisible, bien sûr, et la réforme des retraites, en permettant d'ici 2008 à 500 000 salariés ayant commencé à travailler très jeunes de partir plus tôt, permettra de libérer des emplois. Mais il serait illusoire de tout attendre de la démographie, si l'on veut régler le problème du chômage.
QUESTION : Enfin, pourquoi s'acharner, dans la conjoncture actuelle, à faire baisser l'impôt sur le revenu, quand chacun sait que cela favorise les ménages les plus aisés et ne profite qu'à l'épargne ? Une politique de l'emploi soucieuse de justice et d'efficacité viserait au contraire, en abaissant le taux des prélèvements indirects, à relancer la consommation et d'abord celle des plus modestes.
(RÉPONSE) FRANÇOIS CHÉRÈQUE : La diminution significative du taux de TVA revendiquée dans l'hôtellerie et la restauration, par exemple, pourrait elle aussi profiter à l'emploi à condition d'améliorer, par la négociation, les salaires, les conditions de travail, la formation, et de permettre enfin à ces métiers d'être réellement attractifs. Pourquoi ne pas anticiper, en commençant dès aujourd'hui cette négociation et ainsi faire pression sur la décision ?
QUESTION : Il est donc grand temps de s'attaquer sérieusement à la question de l'emploi avec une ambition, celle de garantir un emploi durable pour chacun. Pour la CFDT, c'est d'abord ne pas confondre mobilité et précarité comme le fait le patronat. C'est aussi ne pas donner l'illusion d'un salaire garanti de l'école à la retraite quoi qu'il arrive.
(RÉPONSE) FRANÇOIS CHÉRÈQUE : Emploi durable, que voulons-nous ? Que chacun accède à l'emploi, puisse évoluer dans sa vie professionnelle, changer d'entreprise, voire de métier. Une vie professionnelle où les accidents de l'emploi sont anticipés, accompagnés pour éviter le chemin de l'exclusion.
QUESTION : Des chantiers à ouvrir
(RÉPONSE) FRANÇOIS CHÉRÈQUE : C'est d'abord en termes d'insertion qu'il faut agir : je songe en particulier aux 60 000 jeunes qui sortent chaque année de l'école sans qualification. Proposons-leur une deuxième chance, une formation qualifiante, en alternance ou avec un revenu de subsistance pour les plus démunis.
QUESTION : Je pense aussi aux salariés, notamment les plus fragiles, ceux qui une fois sortis du monde du travail ne parviennent plus à y rentrer, faute de qualification. Après le PARE et le nouveau droit individuel à la formation (DIF), il s'agit de construire un nouveau droit au reclassement pour tous ceux qui perdent leur emploi en anticipant sur les difficultés économiques des entreprises.
(RÉPONSE) FRANÇOIS CHÉRÈQUE : Dans la négociation en cours, le patronat doit reconnaître la responsabilité sociale des entreprises en évoluant du droit de licencier au devoir de reclasser.
QUESTION : Le patronat doit aussi dépasser ses contradictions récurrentes sur l'emploi des seniors, aujourd'hui trop souvent placardisés, virés, épuisés et dégoûtés.
(RÉPONSE) FRANÇOIS CHÉRÈQUE : La seconde partie de carrière est encore à inventer pour reconnaître l'apport et la valeur ajoutée des seniors, respecter leur rythme de travail, et leur permettre de développer leurs compétences.
QUESTION : Pour relever ces défis, un levier commun : la formation. De l'école jusqu'à la retraite, elle est un instrument précieux. Il faut en user sans modération, car la sécurité de l'emploi se conjuguera toujours avec la progression de la qualification. Enjeu social majeur, la formation est aussi un enjeu économique : former des compétences, fabriquer de la qualité, gagner en productivité.
(RÉPONSE) FRANÇOIS CHÉRÈQUE : En poursuivant l'objectif du plein emploi, il s'agit aussi d'alléger les pressions qui pèsent aujourd'hui sur des salariés trop peu nombreux pour porter le poids de la solidarité nationale. Plus d'emplois, c'est une plus grande masse salariale et donc un financement accru de la protection sociale par les entreprises.
QUESTION : L'enjeu n'est pas seulement de créer des emplois à court terme, mais aussi de créer ceux de demain.
(RÉPONSE) FRANÇOIS CHÉRÈQUE : Si l'année 2004 promet un timide retour de la croissance, on ne peut cependant pas s'appuyer sur la conjoncture pour relancer à elle seule la dynamique de l'emploi.
QUESTION : Le gouvernement doit sortir de ses incohérences en menant enfin une véritable politique économique. Peut-on à la fois prétendre s'attaquer au chômage et militer pour la baisse du budget de l'Europe, quand c'est évidemment à l'échelle européenne que se joue la vigueur de la croissance ?
(RÉPONSE) FRANÇOIS CHÉRÈQUE : C'est à ce niveau qu'il faut intervenir. Face à des problèmes qui touchent l'ensemble de l'Union, il nous faut apprendre à raisonner et à agir à l'échelle européenne, en travaillant à mettre en oeuvre les objectifs de plein emploi adoptés au sommet européen de Lisbonne. Pour que l'Europe sociale ne soit plus une fiction, il faut donner à l'Europe économique une réalité : elle ne peut se contenter d'être un marché. Les principaux instruments économiques et industriels, qui restent les clés d'une politique de l'emploi, sont aujourd'hui européens : la politique monétaire, l'harmonisation fiscale pour lutter contre le dumping social, les grands projets d'infrastructure, les politiques industrielles et la recherche, creuset des emplois de demain.
QUESTION : - L'ambition de l'emploi durable portée par une croissance européenne dépasse de loin les limites d'une loi. Comment ne pas voir dans le seul recours à la loi le risque de l'inefficacité, voire de la démobilisation des acteurs les plus directement concernés ?
(RÉPONSE) FRANÇOIS CHÉRÈQUE : L'emploi est l'affaire de tous, et au premier chef des partenaires sociaux. C'est à la construction d'un véritable pacte pour l'emploi que nous devons travailler. Nous avons ici un devoir d'invention.
(Source http://www.cfdt.fr, le 29 janvier 2004)