Déclaration de Mme Nicole Guedj, secrétaire d'Etat aux droits des victimes, en hommage aux vitimes civiles de conflits armés, à l'occasion des commémorations du débarquement allié en Normandie lors de la seconde guerre mondiale, Saint-Lô le 7 juin 2004.

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Texte intégral

Monsieur le président du Conseil Régional,
Monsieur le président du Conseil Général,
Monsieur le Maire,
Général,
Monseigneur,
Mesdames, Messieurs,
C'est un honneur pour moi d'être aujourd'hui parmi vous.
Après Colleville, Pont-Audemer, Arromanches, Omaha Beach - et je ne cite là que quelques-uns des sites des cérémonies militaires des derniers jours - le gouvernement que je représente, tient particulièrement à s'associer à cette journée d'hommage aux victimes civiles, dont je souhaite féliciter les initiateurs.
Pour ma part, je tenais d'autant plus à être parmi vous, que c'est la première fois qu'une telle journée est organisée à Saint-Lô, dédiée aux populations civiles de la région qui ont payé un tribut particulièrement lourd à la libération de la France.
Si la seconde guerre mondiale a été en effet meurtrière pour nos populations - près de 400 000 personnes tuées entre 1939 et 1945 - la reprise des combats directs sur le sol national, à partir du 5 juin 1944, expose les civils normands en première ligne.
Pendant la bataille, ils sont soumis aux bombardements des villes, des voies de communication, des installations portuaires et des aérodromesIls subissent aussi les combats meurtriers qui durent plus de 2 mois, jusqu'au 19 août 1944.
En quelques jours, Caen, Lisieux, Pont-l'Évèque, Vire, Avranches, Valognes, Alençon, Argentan ou Flers, ne sont plus que des ruines.
Au total, près de 20 000 civils normands périssent dans les combats, surtout du fait des bombardements, et 300 000 personnes sont sinistrées.
La ville de Saint-Lô, détruite à près de 90 %, et justement choisie comme lieu de cette cérémonie du souvenir, hérite, au terme de 7 bombardements successifs, du surnom de "capitale des ruines".
Le nombre des tués, le nom des villes rayées de la carte et toutes les statistiques sur le tonnage de bombes déversées sur la Normandie ne sont que le reflet terriblement impersonnel de réalités autrement plus tangibles: celles de la détresse et de la souffrance humaines.
Combien d'entre nous se sont véritablement demandés ce qu'avaient pu être ces journées terribles, faites d'angoisse et d'espoir, de souffrance et d'espérance, pour toute une population qui attendait ses libérateurs ?
Combien ont demandé à leurs parents, à leurs grands-parents, voire à leurs arrière-grands-parents ce qu'avaient été ces jours de fête mais aussi de deuil ? Ce qu'ils avaient ressenti, ce qu'ils avaient vu ? Ce que pouvait être l'ivresse de la liberté lorsqu'elle est payée du prix du sang ?
Les cérémonies du souvenir doivent aussi être l'occasion de nous rapprocher de ceux qui ont vécu ces instants et ces drames, les véritables témoins d'un passé qui vit toujours.
Il me semble effectivement important, sinon crucial, de rappeler le sens de ce que doit être le devoir de mémoire.
La mémoire, ce n'est pas seulement celle de l'Histoire avec un grand "H", celle que l'État ou les collectivités publiques entretiennent au fil des ans.
C'est aussi celle qui est gravée dans l'histoire intime des familles, dans le cur de nos anciens qui n'ont parfois pas pu trouver les mots pour nous transmettre la réalité de leurs traumatismes.
Il m'apparaît essentiel, et plus que jamais nécessaire, de recueillir auprès de ceux qui ont vécu ces moments, où la liberté et le feu tombaient du ciel, leur témoignage et leurs sentiments pour que jamais, nous n'oubliions.
Le devoir de mémoire, c'est un devoir partagé : l'État doit faciliter la transmission du souvenir, doit permettre d'honorer ceux qui ont souffert au nom de l'idéal de la liberté, mais c'est à chacun, jeune ou moins jeune, d'entretenir au quotidien ce sentiment de reconnaissance et de gratitude.
Je crois que c'est ce que nous faisons tous ensemble, aujourd'hui, en participant à cet hommage solennel à ceux qui ont accepté, dans la plus grande dignité, d'inimaginables sacrifices.
Je voulais aussi, à cette occasion, vous dire ma tristesse, alors que des foyers de guerre s'allument aux quatre coins de la planète, lorsque j'entends parler de guerre "propre", d'une guerre qui, en raison des avancées technologiques actuelles, ne toucherait plus que des objectifs strictement militaires.
La guerre n'a jamais été, et ne sera jamais "propre" ! Le martyre des villes de Normandie en témoigne s'il en était besoin Les errements de la guerre moderne, ou les aléas du champ de bataille, ne permettent, pas plus qu'hier, d'épargner les civils.
La population a beau être protégée par des textes internationaux, prohibant qu'elle soit l'objet ou l'enjeu d'actes de guerre, jamais les traités n'ont pu faire écran contre les bombes ou les balles.
Parallèlement, le terrorisme aveugle qui a frappé Manhattan ou Madrid, mais qui a aussi meurtri les curs de nombre de familles Cherbourgeoises à la suite de l'attentat de Karachi, suffit à nous convaincre du danger réel qui pèse sur les populations civiles.
L'État, à cet égard, entend remplir son rôle de protection sans faille de la démocratie, mais aussi des citoyens français, qu'ils se trouvent sur le territoire national ou à l'étranger.
C'est ma tâche que de veiller à ce que l'État puisse mener à bien sa mission auprès des victimes, en m'assurant que tout est fait pour elles ou leurs familles, depuis l'événement qui les frappe, et tout au long de leur difficile parcours.
C'est aussi désormais mon rôle que de participer à ce devoir de mémoire, notamment auprès des victimes civiles de conflits armés.
"Ce n'est pas pour nous débarrasser d'elle que nous étudions l'histoire, mais pour sauver du néant tout le passé qui s'y noierait sans elle" écrivait Etienne GILSON.
La flamme du souvenir de ceux qui sont tombés ici, en Normandie, continue de brûler dans ces lieux chargés d'histoire et de souvenirs. Elle ne doit pas s'éteindre et ne s'éteindra pas.
Nous y veillerons tous, et je sais que le nouveau bourdon de Notre-Dame de Saint-Lô, dont la voix sonnera comme un rappel à la vigilance, sera là pour nous conforter dans cette exigence et dans nos engagements.
Merci.

(Source http://www.justice.gouv.fr, le 9 juin 2004)