Tribune de M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, dans " La Tribune" le 7 septembre 2000, intitulée " Comment réussir le passage concret à l'euro en 2002", sur la préparation du passage à l'euro en 2002.

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Texte intégral

En droit, l'euro existe depuis le début de 1999. Pour quelques centaines de milliers de personnes en France (comptables, informaticiens, spécialistes de la vente, spécialistes des produits financiers, commerçants), c'est déjà une réalité quotidienne. Pour tous les autres - la grande majorité -, le choix de l'euro demeure encore virtuel. Cette décision essentielle, prise à 11 pays (désormais 12 avec la Grèce), nous avions alors choisi un délai de trois ans pour la développer jusqu'à sa dernière conséquence. C'est pourquoi l'euro, dans lequel sont déjà effectuées près de 1,4 million d'opérations bancaires de paiement par mois, deviendra concret pour tous le 1er janvier 2002. Nous pourrons alors utiliser dans les 12 pays les quelques milliards de pièces et de billets en euros dont la fabrication est largement avancée.
La fabrication de billets en francs est maintenant stoppée depuis plusieurs mois et nous sommes très avancés dans la fabrication des 2.500 millions de billets en euro qui nous sont impartis. Ces billets seront semblables et partout admis dans les pays de la zone euro. Les pièces sont plutôt une affaire nationale. Notre programme dépasse les 7,5 milliards de pièces qui seront identiques, côté face, pièces fabriquées ailleurs, et côté pile, différeront selon les pays.
Il faudra ensuite, quatre mois avant la fin 2001, commencer à alimenter en pièces puis en billets les agences bancaires, les bureaux de poste et les caisses des comptables publics. C'est une opération lourde qui doit être menée dans les meilleures conditions. La sécurité y sera essentielle.
A partir du début décembre 2001, les commerçants seront à leur tour pourvus. Dès le 1er janvier 2002, ils doivent être en mesure d'encaisser et de rendre la monnaie en numéraire aussi bien en francs qu'en euros. Commencera alors une période limitée de double circulation des francs et des euros pendant 6 à 8 semaines : elle est nécessaire à la fois pour ménager le temps de l'apprentissage et pour mettre en circulation une quantité d'euros suffisante afin de permettre un retrait ordonné des francs.
Si nous nous limitions à cela, cela ne permettrait pas aux ménages de disposer rapidement de monnaie en quantité suffisante, surtout pour leurs achats de petit montant. Nous avons donc prévu de mettre à leur disposition des " premiers euros " dès le 15 décembre 2001, notamment dans les banques et à la poste. Sera ainsi favorisée une certaine familiarité avec les pièces nouvelles avant qu'elles acquièrent cours légal. La plupart des distributeurs automatiques de billets sera ensuite adaptée à l'euro, les derniers distributeurs devant l'être au plus tard au cours des deux premières semaines qui suivront le 31 décembre 2001. A l'issue de cette période de double circulation des anciens et des nouveaux moyens de paiement, les pièces et les billets en francs n'auront plus cours légal.
La plus grande partie des billets en francs n'aura cependant pas pu être écoulée à travers le commerce pendant ces quelques semaines : ce sont environ 20 milliards de francs en espèces qui sont apportés chaque semaine au commerce, alors que la masse de monnaie fiduciaire en circulation ou thésaurisée est de l'ordre de 300 milliards. Il restera donc à échanger des montants très importants aux guichets. Cet échange, qui sera possible dès le 1er janvier 2002, devra le demeurer pendant un temps suffisant : 6 mois paraissent un délai raisonnable. Je suis convaincu que les banques, conformément au vu des pouvoirs publics, accepteront que les particuliers procèdent à cet échange gratuitement. Elles savent bien que le changement de monnaie sera pour elles l'occasion de revoir des clients qui, souvent, ne se déplacent plus à leurs guichets. L'échange des billets et pièces en francs demeurera possible pendant 10 ans aux guichets de la Banque de France.
Tout ne commencera cependant pas pour le public seulement après le 31 décembre 2001. Il sera nécessaire d'encourager dès le milieu 2001 le recours aux autres moyens de paiement en euro, notamment les cartes de paiement et les chèques. C'est pourquoi apparaît très judicieuse l'orientation selon laquelle les comptes des particuliers, sauf bien entendu pour ceux qui demanderaient un délai plus long, puissent être basculés en euro à partir du 1er juillet 2001. Dans cette optique, j'ai demandé au ministre de la Fonction publique son accord pour que les agents publics reçoivent leur salaire par virement en euro dès cette même date, ce qui ne les empêchera pas, bien entendu, d'en utiliser le montant pour s'acquitter de leurs dépenses en franc.
Tout cela ne sera possible que si les entreprises passent à la vitesse supérieure en ce qui concerne leur préparation à l'euro. La durée d'une préparation complète peut être comprise entre 6 mois et un an et demi. Il faut donc que chacun s'y mette.
Ce dernier point est essentiel. D'autant que la transition monétaire (depuis la simple conversion exacte des prix en franc en euro jusqu'à l'affichage en euro seul, avec tout ce que cela signifie de vigilance sur les prix) représente une opération logistique assez complexe. Je voudrais à ce propos signaler l'important travail qui a déjà été accompli par les différentes parties prenantes ainsi que la qualité de l'engagement des représentants des consommateurs et des associations, le sérieux avec lequel ils recherchent à rapprocher leurs points de vue au Comité national de l'euro où ils sont réunis. Mais il ne s'agit pas seulement de logistique. Réussir le passage à l'euro, ce sera aussi habiter un espace de prix nouveau dans lequel des références permettront de se repérer. Etre capable, sans tout " retraduire en francs ", de déceler une bonne affaire ou d'estimer que tel article, dont le prix n'est plus exprimé qu'en euro, est trop cher compte tenu du budget dont on dispose. Des campagnes d'information devront nous aider. Elles auront pour objectif un apprentissage réussi en osant parler des difficultés que l'on pourrait rencontrer et des solutions à y apporter.
La dernière étape à venir, c'est en quelque sorte la démocratisation de l'euro. Le lien de confiance qu'est la monnaie sera étendu de manière palpable à 12 pays, et le désir d'harmonisation s'en trouvera accru. Ce n'est pas seulement le consommateur mais aussi le citoyen qui va passer à l'euro, compte tenu de l'importance des enjeux économiques et financiers dans les débats publics.
J'ai voulu ici me limiter à faire le point. Dès la fin de cette semaine, lors de la réunion des ministres des Finances des pays de l'Union, nous allons rapprocher l'état d'avancement de nos travaux. Je compte y proposer notamment l'établissement d'un tableau de bord précis afin que ce rapprochement puisse se faire de manière régulière, tous les mois par exemple. Le passage à l'euro, c'est ce qui marquera d'une certaine façon l'entrée dans une nouvelle Europe. C'est l'affaire de 300 millions d'Européens. C'est pour eux tous que le compte à rebours de l'euro pratique a commencé.

(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 septembre 2000)