Texte intégral
Claude Thélot - En ce début d'année 2004, la Commission auditionne la FSU. Suivant nos règles, ce sont les fédérations et confédérations représentées au Conseil supérieur de l'éducation qui sont ainsi auditionnées par la Commission sous forme d'auditions plénières ; et aujourd'hui, quatre personnes de la FSU, à commencer par son secrétaire général Gérard Aschieri, sont auditionnées. Je vais, suivant les formes habituelles, demander à la FSU de commencer par un propos liminaire, et ensuite, nous aurons des échanges avec la commission. Monsieur Aschieri.
Gérard Aschieri - Vous m'excuserez d'un propos liminaire qui risque d'avoir l'inconvénient d'être long, de ne pas être exhaustif, et de rester schématique ! Les questions qui nous sont posées sont d'une telle ampleur qu'il est difficile à la fois de remplir toutes les conditions de brièveté, d'intérêt et d'exhaustivité. Je vais cependant essayer de lancer quelques idées, mais dans notre esprit c'est surtout le débat qui va suivre qui nous permettra d'éclairer les choses.
Vous le savez, nous pensons depuis longtemps que l'école est l'affaire de chacun de nous. Et que trop de choses lient l'école, ou plutôt, le système éducatif, terme que je préfère, trop de choses lient le système éducatif à notre société pour que le débat qui a été lancé ne corresponde pas à de formidables enjeux sociaux. Et d'une certaine manière, ce sont ces enjeux sociaux qui étaient présents dans le mouvement que notre École a connu, qui a rassemblé des centaines de milliers de personnels et rencontré un large soutien de l'opinion. Mais ces enjeux, je dois le dire, sont présents dans la réflexion de la FSU, soyons immodestes, depuis sa création - la création de la FSU est suffisamment récente pour ne pas qu'on ait à remonter trop loin. Autour de quoi tourne notre réflexion, et autour de quoi tournent ces enjeux ? Selon nous, il s'agit de débattre de la nécessité de donner aujourd'hui un nouvel élan à notre système éducatif, de franchir ce que nous appelons dans notre discours une nouvelle étape de démocratisation du système éducatif, qui vise à permettre la réussite de tous les jeunes. C'est ça que je souhaite développer dans ce propos liminaire.
Avant d'en venir à ce propos, je pense qu'il faut faire un bilan de l'existant. Je ne m'y attarderai pas trop longtemps, dans la mesure où le rapport du Haut comité de l'évaluation de l'École contient des données et des analyses dans lesquelles nous nous retrouvons assez largement, et à la construction desquelles nous avons participé. Et de fait, si on a souvent mis en avant une image négative de notre système éducatif, si on a souvent mis l'accent sur ses échecs, il faut rappeler qu'il a connu ces dernières années des succès considérables. Je ne vais pas rappeler longuement ces données dans la mesure où je pense que, membres de cette Commission, vous les connaissez. Mais je veux tout de même rappeler comment le nombre de jeunes sortis du système éducatif sans diplôme est passé de 200 000 à 80 000 et à 60 000 environ aujourd'hui. Je veux rappeler qu'en 1970, 20 % d'une classe d'âge obtenait le baccalauréat, et on en est arrivé à 62 % en 2003. Je veux parler du nombre d'étudiants qui, dans les universités, sont passés de 600 000 à 1 400 000 en 20 ans, de 1975 à 1995. Je veux parler de la réduction des retards dans le collège.
Je veux aussi insister très brièvement sur une autre idée, qui n'est pas quantitative : c'est qu'il nous semble qu'en dépit des difficultés, l'école aujourd'hui contribue encore largement à donner du sens à ce que j'appellerai le " vivre ensemble ". Et c'est une donnée importante. En même temps, nous connaissons des difficultés. Nous avons pu parler, c'est un peu notre langage, de " grippage " de la démocratisation, ou de panne inquiétante. Les données là aussi sont connues, c'est la persistance de l'échec d'un pourcentage important de l'École. Le fait que 60 000 jeunes quittent le système éducatif sans qualifications, même si ce nombre a considérablement été réduit, est toujours un problème, d'autant que ce nombre, maintenant, ne baisse plus. De la même manière, l'accès des jeunes à une formation supérieure stagne depuis 10 ans. Il y a eu doublement de l'accès au baccalauréat, et maintenant ça stagne. À cela s'ajoute la question de la persistance, et même, du creusement des inégalités. Là encore les sociologues nous ont donné un certain nombre d'éléments qui sont connus et que je ne vais pas reprendre, s'agissant de catégories sociales, mais s'agissant aussi des différences entre filles et garçons.
Nous souhaitons pointer deux des obstacles qui nous semblent importants parmi ceux auxquels nous sommes confrontés. Le premier est sans nul doute le développement de ce que j'appellerai des " ghettos " scolaires. Ils renvoient bien évidemment aux inégalités sociales, économiques, territoriales qui fracturent notre société. Mais ils interrogent aussi une certaine conception de l'autonomie et de la gestion du service public qui s'est développée ces dernières années.
Deuxième obstacle, c'est ce que j'appellerai, peut-être pas d'un très bon terme, une certaine forme de " déstabilisation " des personnels. Les succès dont j'ai parlé sont largement dus à l'investissement des personnels dans leur tâche, ces dernières années. Mais nous faisons le constat qu'aujourd'hui, les interrogations, les déceptions, l'absence d'un accompagnement de leurs efforts, les conduisent à douter de la possibilité d'une École de la réussite pour tous. Et il est vrai que la question des rapports entre l'École et la société - question de plus en plus complexe et rapports de plus en plus complexes - conduit à des interrogations, à des doutes. Les inégalités qui traversent notre société pèsent lourdement sur l'École, je viens d'en parler : les déchirures sociales dues à des politiques libérales qui prévalent souvent aujourd'hui, l'importance du chômage, la généralisation de la précarité, notamment chez les jeunes, la ghettoïsation de zones de plus en plus nombreuses pèsent sur la capacité de l'école à accomplir ses missions.
Mais dans ce contexte, justement, il nous semble que deux écueils sont à éviter. Le premier serait de considérer que face à cette situation, l'École serait réduite à l'impuissance. Le second est inverse, il serait de tout attendre de l'École, et de vouloir qu'elle résolve ces maux.
Nous pensons que dans la tension perpétuelle, et normale, entre l'École et la société, nous avons, sans ignorer la bataille pour la transformation de la société, à redonner au système éducatif des capacités nouvelles, y compris pour contribuer aux indispensables changements dans notre société. Il s'agit, passez-moi une expression peut-être pompeuse, d'élargir l'espace des possibles pour l'école. Dans cette perspective, il me semble important de rappeler ce que sont pour nous les missions du système éducatif. Nous avons une formule ancienne, et qui est peut-être un peu vieillie : former à la fois l'homme, le citoyen, le travailleur. Je constate d'ailleurs que la loi d'orientation de 89, d'une certaine manière, retrouve ces idées.
Et nous pensons qu'on peut décliner ces missions autour de quelques idées.
1. L'École a pour mission d'aider à grandir. Elle doit aider au passage progressif de l'enfance à l'adolescence et à l'âge adulte. Il ne s'agit pas d'enfermer les élèves dans le monde de l'enfance, mais de les aider à en sortir progressivement en jouant des continuités.
2. L'École construit un monde commun. C'est un lieu de passage où l'on apprend avec des personnes que l'on n'a pas choisies. Elle doit introduire au " vivre ensemble ", dans une communauté de valeurs et de savoirs.
3. L'École doit contribuer à créer des identités, en diffusant et transmettant des connaissances, en formant des attitudes et des capacités. De cette manière, l'école peut et doit construire une identité, identité nationale fondée sur les uvres du patrimoine, les valeurs qu'elles portent, les langages et les concepts qu'elles permettent d'approcher.
4. L'École a la responsabilité de former des capacités, de les former par le travail des savoirs, par l'exercice des langages, par l'exercice des opérations logiques, par l'exercice du corps et des gestes, par l'acquisition d'automatismes et de techniques. Elle doit fournir des instruments de pensée et d'action qui accompagnent la personne tout au long de sa vie.
5. Bien évidemment, l'école a la mission de préparer à la vie professionnelle. Si les fins de l'école ne sont sans doute pas d'abord utilitaires, elles ne sauraient pour autant ignorer qu'une formation complète doit ouvrir à la vie professionnelle, non pas par des qualifications étroitement adaptées à un état donné de l'emploi, mais par des diplômes ouvrant des possibilités certaines d'évolution.
Et c'est autour de cela qu'il nous semble indispensable de donner un nouvel élan. Quels objectifs ? D'abord partir des besoins. Les besoins sociaux. Les évolutions du monde du travail, mais aussi de la vie quotidienne, nécessitent une bonne formation générale et une qualification reconnue de haut niveau. On le sait, dans dix ans, notre pays aura besoin de 70 % de bacheliers au moins, et de 45 % de diplômés de l'enseignement supérieur. Nous proposons d'en faire l'objectif principal de la politique d'éducation nationale. Nous le proposons d'autant plus que le lien est fort entre le niveau d'études et la qualification, l'insertion sociale, professionnelle. Il s'agit dans le même mouvement d'officialiser une situation qui est déjà largement entrée dans les faits : la scolarité à 18 ans.
Et je voudrais insister sur deux idées. Se développe aujourd'hui, à juste titre, le thème de l'Éducation et de la formation tout au long de la vie. C'est un progrès. Ça peut être un acquis. Mais à condition de ne pas en faire un contresens. Il ne peut pas être réduit à celui d'une seconde chance, et ne peut pas être utilisé pour esquiver l'exigence d'une élévation du niveau de qualification dans la formation initiale. Parce qu'on sait que c'est sur la base d'une formation initiale de haut niveau que peut se construire une vraie formation tout au long de la vie, et non sur les insuffisances de celle-ci. Deuxièmement, ces besoins impliquent absolument que soit traitée la question de l'enseignement supérieur. C'est un des regrets que nous avons formulés à de nombreuses reprises à l'adresse de votre Commission. Quand je parle de l'enseignement supérieur, je ne parle pas seulement du problème de la transition entre enseignement scolaire et enseignement supérieur, mais bien du problème de la réussite de la masse des étudiants dans leurs études supérieures.
Est-ce que ces objectifs sont réalistes ? Nous pensons que la question, à la limite, ne se pose pas. Il s'agit de besoins incontournables dans notre société. Et la question est plutôt de se demander comment les rendre crédibles, comment les faire passer dans les faits.
Je voudrais mettre en avant six axes - non exhaustifs bien évidemment - qui nous semblent importants pour essayer de gagner le pari que je vous propose de faire.
1. Transformer, accompagner, libérer le travail des personnels. Je vais faire à partir de là plusieurs remarques. Les personnels, ce ne sont pas seulement les enseignants. L'École, aujourd'hui, connaît des personnels divers, de plus en plus divers, des professionnels qualifiés, et il est important que ces professionnels qualifiés soient reconnus, mais aussi, aient les moyens de travailler ensemble. Je veux insister avec force sur l'idée du travail en équipe. En soulignant que lorsqu'on parle de travail en équipe, on ne parle pas toujours de la même chose. L'équipe pédagogique n'est pas la même chose que l'équipe éducative, qui n'est pas la même chose que l'équipe de suivi des élèves en grande difficulté, que nous revendiquons, mais l'idée de travail en équipe doit être permanente et transversale dans le travail des personnels. Et si nous avons mené une bataille farouche, et si nous continuons à mener une bataille farouche contre le transfert d'un certain nombre de personnels à d'autres autorités que l'état, c'est entre autres à cause de la conception que nous avons du rôle de l'ensemble des personnels au sein du système éducatif.
2. Je veux insister sur le fait que, contrairement à ce que certains disent, le travail des personnels n'a cessé de se transformer, d'évoluer. Et il a évolué à la fois sous les effets de la démocratisation, il a été une des conditions et une des conséquences de la démocratisation que j'ai évoquée, mais il a aussi évolué parce que le regard, notamment le regard de la société, le regard de l'École sur les élèves, sur les enfants, n'a cessé d'évoluer. Et les personnels ont accompagné, les personnels sont demandeurs d'évolution. Le travail en équipe, que j'ai évoqué, est une demande formulée régulièrement par les personnels. Le problème, c'est que cette évolution, ces transformations, n'ont jamais été ni pensées, ni accompagnées. Et l'absence de cet accompagnement crée souvent le doute, et les réticences. Cela implique bien évidemment du temps. Et quitte à rappeler des revendications syndicales banales, la question du temps de travail est une question importante pour l'évolution du système éducatif. Cela implique évidemment une formation. On y reviendra, mais la question de la formation initiale, la question des IUFM, dont nous ne voulons pas qu'on les caricature, et dont nous pensons qu'ils doivent évoluer, sont des questions importantes, tout comme la question de la formation professionnelle continue qui dans notre secteur est véritablement sinistrée.
3. Nous pensons qu'il est indispensable de travailler à la création d'une culture commune. De toutes les idées qui ont surgi ces dernières années, sans doute que la notion de culture commune est une des plus fécondes, parce qu'elle donne un sens à la lutte contre les inégalités, en mettant en perspective, face à la diversité des savoirs, la diversité des valeurs, la diversité des individus, des points communs essentiels à tous. Cette culture commune, évidemment il ne faut pas se tromper et en faire un contresens. Ce ne peut pas être une culture imposée, passez-moi l'expression, une culture qui viendrait d'une simple classe dominante, pas plus que d'une culture académique. Il s'agit de construire quelque chose de nouveau. Je n'ai pas le temps d'y insister, mais si vous souhaitez qu'on y revienne, parce que je pense que c'est une question importante, nous pourrons y revenir beaucoup plus longuement.
4. Nous avons besoin de construire la réussite de tous tout au long de la scolarité. Il s'agit, je dirais, de penser la continuité, et de construire les étapes d'une scolarité qui commence à la maternelle, se poursuit à l'école élémentaire, puis au collège, débouche vers des secondes générales diversifiées et ouvre pour tous sur des poursuites d'études. C'est bien évidemment dès le début de la scolarité qu'il s'agit de lutter contre l'échec, en favorisant notamment le travail en équipe, je l'ai dit, mais aussi la mise en uvre de situations pédagogiques diversifiées. Il s'agit en même temps de travailler les cohérences et les transitions entre les niveaux d'enseignement. Pour ce qui est du collège, je ne vais donner qu'une idée, on y reviendra : nous pensons indispensable de maintenir le cap d'un collège de la réussite pour tous. Cela signifie quoi ? Cela signifie que pour nous, l'ensemble d'une classe d'âge doit aller au bout de cette scolarité de collège et bénéficier d'une formation générale commune et avoir le droit de poursuivre des études de second cycle. Ça ne signifie pas un collège uniforme, ça ne signifie pas non plus qu'il ne doit pas y avoir de recherche de solutions individualisées, parfois en articulation avec l'enseignement professionnel pour un certain nombre d'élèves aujourd'hui en situation d'échec grave, mais nous vous mettons fortement en garde contre tout système de sortie prématurée. Et enfin, au-delà du collège, il est extrêmement important de développer une diversification des voies qui ne débouche pas sur une hiérarchisation, mais vise à permettre à tous des poursuites d'études. C'est notamment le cas pour l'enseignement professionnel, qui pour nous doit être une voie de la réussite, et qui pour être une voie de la réussite a besoin de débouchés vers l'enseignement supérieur, et a besoin de passerelles vers les enseignements technologique et général.
5. Un service public national. Donner un nouvel élan implique selon nous un service public national qui assure que, passez-moi l'expression, tous tirent dans le même sens et qui garantisse l'égalité de traitement. Le conflit que nous avons connu a montré l'importance de cette question. Et si cette question est venue avec une telle force, c'est parce que le vécu de nos collègues, mais aussi des élèves, mais aussi des parents, en matière d'inégalité à l'école, est devenu de plus en plus difficile et de plus en plus dramatique, et que nos collègues, tout comme les parents et les élèves, ont pris conscience de ce que pesaient ces inégalités en termes de réussite scolaire. Un service public national ne signifie pas nécessairement un service public uniforme. Nous avons une formule que nous développerons peut-être, c'est celle d'un cadre national fort qui s'articule avec des capacités d'initiative locale. Il s'agit de concilier, de manière intelligente et harmonieuse, ces deux éléments.
6. Les moyens. Je ne ferais pas mon travail de syndicaliste mais je serais aussi infidèle à ce que nous pensons profondément si je ne disais pas qu'une transformation de l'École ne peut pas se faire aujourd'hui avec des moyens en stagnation voire en régression. La question des moyens n'est pas une question en soi de " toujours plus ", c'est une question posée pour, aujourd'hui, l'amélioration du système éducatif. Celui-ci est confronté à des défis tels que l'on ne peut pas en rester à la situation actuelle des moyens. Des besoins nouveaux apparaissent qui jusqu'à présent n'étaient pas pris en compte, et que l'École ne peut absolument pas ignorer, ceux par exemple des élèves en situation de handicap. Nous devons, la société doit, faire en sorte que les défis soient relevés. L'école ne peut pas fonctionner s'il n'y a pas sur le terrain des hommes et des femmes, des professionnels qualifiés - ça a un coût. Et de ce point de vue, je veux attirer votre attention sur le défi des recrutements. Nous savons aujourd'hui que la majorité des personnels de l'éducation est en train de partir. Si nous ne nous donnons pas les moyens d'assurer leur remplacement, nous nous privons de la possibilité de faire évoluer le système. Nous pourrons discuter longuement et doctement de transformations, mais si nous n'avons pas sur le terrain, je le répète, les hommes et les femmes professionnels, formés, qualifiés, pour faire l'indispensable travail, notre école ne pourra pas faire face aux défis auxquels elle est confrontée.
Vous m'excuserez, j'ai été un petit peu long.
Claude Thélot - Je vous en prie, monsieur Aschieri. Merci beaucoup. Je pense que l'intérêt n'est pas dans la longueur ou la brièveté, l'intérêt est dans le panorama d'ensemble qu'à travers vous, en somme, nous recevons de la FSU au titre de cette audition. Je pense que pour la discussion les quatre personnes, vous-même et les trois autres êtes tout à fait disponibles, et nous devons avoir cet échange qui, comme vous l'avez dit, est tout à fait fécond. La parole donc à qui veut la prendre M. Geoffroy.
M. Geoffroy - Je voudrais tout d'abord vous remercier de la qualité de votre exposé, qui aborde les choses d'une manière qui correspond assez à ce que pensent beaucoup autour de la table. Mais nous sommes je crois là dans notre mission, en allant au-delà de considérations générales importantes mais non suffisantes. Je voudrais donc vous demander si vous êtes en mesure, au stade actuel de vos réflexions et de vos propositions, de donner un peu de contenu à une formule que j'ai notée parce que je la trouve intéressante, et qui est bien au cur de beaucoup des préoccupations exprimées partout en France aujourd'hui et qui est celle du collège. Vous avez dit : " Il faut maintenant le cap d'un collège qui soit celui de la réussite pour tous. " Ça m'amène à vous poser une question très précise sur ce que l'on a appelé peut-être d'une manière un peu réductrice le " collège unique ". Le constat est fait aujourd'hui, sans mettre en cause qui que ce soit, que le collège est un des éléments en difficulté de cette grande chaîne de la solidarité de l'École, de la maternelle jusqu'aux derniers niveaux de formation. Quels sont les éléments de propositions que vous pouvez présenter qui nous permettront d'apprécier la manière dont vous entendez, sans remettre en cause les principes fondamentaux du collège unique, si je vous ai bien compris, de faire en sorte que ce collège unique devienne véritablement le collège de la réussite pour tous, et que l'on ne constate plus ce que nous constatons aujourd'hui, c'est-à-dire un nombre trop important d'enfants qui sont en difficulté, qui s'y ennuient, qui y échouent de plus en plus, et à qui on ne propose comme solution à l'issue du parcours qu'une solution par la négative, qui de surcroît se trouve être stigmatisante pour l'enseignement professionnel.
Claude Thélot - Je pense que la question du collège anime beaucoup d'entre nous. Il me semble que nous pouvons faire masse autour de ce qui vient d'être dit par monsieur Geoffroy. Monsieur Paget ?
Denis Paget - Oui, je veux bien apporter quelques éléments de réponse à une question qui n'est pas simple. Je crois qu'il faut d'abord partir de ce qui s'est passé depuis environ 25 ans.
L'idée du collège unique est une idée qui a été portée par différents gouvernements, et qui a été très longue à se réaliser. Et quand on regarde bien, il n'y a guère que depuis 96 ou 97 que le collège est effectivement devenu unique. Donc l'expérience qu'on en a reste une expérience récente et limitée. Même si la loi a introduit l'idée de collège unique dès 1975, il faut bien voir que, pendant des décennies, le collège n'a pas été unique, et qu'à partir de la classe de 5e, il procédait à une sélection sévère d'une grande partie des générations : presque un quart, voire un tiers des générations partaient régulièrement - sans compter toutes les classes de CPPN, comme nous le disions, classes professionnelles de niveau, classes technologiques, classes aujourd'hui dites d'insertion ou d'aide et de soutien, qui font que le collège n'a jamais été totalement unique ; et encore maintenant, tous les observateurs vous montreront qu'il est très évident que dans tous les collèges, des choix sont faits pour réduire l'hétérogénéité et limiter les difficultés qu'elle engendre. Donc ça c'est le constat. Maintenant, à partir de là, nous avons une conviction, qui vient du premier objectif de la première mission que Gérard Aschieri vous donnait tout à l'heure, c'est l'idée que l'École obligatoire, l'École commune, a pour objectif d'abord de tisser un monde commun entre les jeunes ; pour nous, tisser un monde commun ne peut pas procéder d'abord par la sélection précoce dès la classe de 5e ou dès la classe de 4e, d'une partie des générations. Donc en principe, si votre Commission adhère à l'idée de construire une culture commune, une culture commune ne peut se dispenser que dans une communauté de partage de savoirs et d'apprentissages dans un même type d'établissements. Ceci étant, la difficulté observée depuis 1977 au collège, c'est qu'on a sous-estimé les dispositifs pédagogiques qu'il faudrait mettre en place pour concilier à la fois le principe d'hétérogénéité sur lequel repose l'idée de culture commune, et le principe d'individualisation pédagogique, qui est nécessaire tant qu'on aura autant d'écart entre les jeunes, facilement mesuré par toutes les évaluations avant l'entrée en 6e. Et donc il nous semble qu'il faudrait inventer des dispositifs qui permettent à la fois de maintenir des jeunes dans des classes hétérogènes au moins pour une partie des enseignements, et des dispositifs qui permettent de prendre à part un certain nombre d'entre eux pour pouvoir leur apporter les aides et les pratiques pédagogiques qui les feront accéder à un certain nombre de savoirs, voire de combler un certain nombre de lacunes.
Maintenant je voudrais dire un peu entre parenthèses de ces principes généraux qu'il faut aussi traiter l'urgence. Et aujourd'hui l'urgence, ce sont les élèves qui sont parfois très âgés, parce qu'ils ont redoublé plusieurs fois dans leur scolarité, qui sont souvent désespérés par la permanence de leur échec scolaire. À eux aussi il faut apporter dans l'urgence des solutions qui soient adaptées à leur avenir, et notamment à la possibilité d'accéder à une première qualification professionnelle. C'est pourquoi il nous semble qu'au cas par cas, et non pas comme principe général d'orientation, il n'est pas du tout impensable, au contraire, de solliciter une collaboration des lycées professionnels et des collèges, pour que certains élèves très âgés puissent trouver des modes d'accès à une première qualification, le CAP notamment. Il me semble que ça n'est pas impensable, même si cela doit rester marginal et provisoire, tant que le collège et l'école primaire n'ont pas réussi à homogénéiser un peu plus les niveaux scolaires.
Cela étant, je voudrais insister sur un aspect essentiel, c'est que si nous avons aussi tant de difficultés à réaliser le collège unique, c'est que nous avons aussi beaucoup de difficultés à penser la culture commune à dispenser à des jeunes de cet âge. Et là se trouvent interrogés au niveau du collège l'ensemble des programmes scolaires, l'ensemble des objectifs de ces programmes. Je ne veux pas rentrer dans les détails, sauf si vous le souhaitez, mais il me semble qu'il faudrait au moins que le grand débat auquel nous participons tous permette de bien comprendre ce qu'on entend par " culture commune ", qui ne peut se résumer simplement à une somme de savoirs positifs qu'il faudrait mémoriser. Aujourd'hui, dispenser une culture, c'est d'abord produire des capacités intellectuelles, des capacités physiques, des capacités manuelles communes à la totalité d'une génération.
De plus, il doit y avoir patrimoine culturel commun. Mais le patrimoine culturel commun doit être repensé aussi de façon plus ouverte que nous ne l'avons fait jusqu'à présent. Ce qui caractérise nos collèges, c'est l'immense diversité, parfois même d'origines, des élèves qui s'y trouvent. Et ignorer, comme le font souvent nos programmes, toute une partie des cultures auxquelles nos élèves participent - souvent la culture de leurs parents - me semble particulièrement stigmatisant et préjudiciable. Et quand je dis cela, je ne veux pas renoncer à un principe d'universalité des savoirs, qui a toujours été un objectif de l'École républicaine, je dis simplement que ce principe d'universalité doit un peu se frotter à la réalité des diversités culturelles qui existent dans nos établissements.
Il me semble également qu'il faudrait porter plus d'intérêt à un rééquilibrage du curriculum au niveau du collège. Aujourd'hui encore, il est évident que le poids des arts, de la technologie, de l'éducation physique reste encore mineur par rapport aux disciplines de langage, qui restent dominantes dans la plupart de nos programmes scolaires. Et au collège, cela se fait sentir de façon particulièrement forte.
Autre axe de réflexion : il y a dans le collège à faire en sorte que les jeunes soient confrontés à des jugements de valeur. Tout ne se vaut pas. Et un des principes de la culture scolaire doit être d'avoir le courage de dire que tout ne se vaut pas. Et quand je dis cela, ça signifie aussi qu'il faut apprendre aux jeunes à construire eux-mêmes des jugements, c'est-à-dire à leur donner les outils critiques qui leur permettent de distinguer que certaines productions culturelles permettent d'accéder au sens profond de la condition humaine, et d'autres simplement à son sens superficiel. Il me semble que là-dessus, l'école faute de s'être peut-être suffisamment engagée n'apporte pas de réponse claire, à des jeunes qui sont pourtant en interrogation sur ces questions fondamentales.
Dernière chose que je voudrais dire, il existe des élèves en très grande difficulté affective, sociale, médicale dans nos collèges. On en a sous-estimé le poids. Ces élèves sont souvent perçus comme des fauteurs de troubles. Ce sont surtout des élèves malheureux. Je voudrais insister, Gérard l'a souligné tout à l'heure, sur l'intérêt qu'il y aurait à concevoir de véritables équipes de suivi de la difficulté scolaire, qui impliquent réellement tous les personnels de l'établissement, notamment les conseillers principaux d'éducation, les conseillers d'orientation, les infirmières, les assistantes sociales à côté des enseignants, pour essayer de faire le tour des causes profondes des difficultés que connaissent un certain nombre de jeunes. Ces équipes ne peuvent pas fonctionner simplement sur une année. Elles doivent constituer une véritable mémoire des élèves qui sont les plus vulnérables, les plus en difficulté dans nos établissements. Et elles doivent permettre d'être surtout des structures de dialogue avec la famille, avec l'équipe pédagogique, avec les associations qui parfois s'occupent des jeunes dans les quartiers, pour essayer de construire un peu une cohérence éducative, qui manque souvent vis-à-vis de jeunes en perte de repères, mais aussi vis-à-vis d'une institution qui est dans l'incapacité de diagnostiquer réellement les causes de l'échec scolaire, qui sont souvent des causes pas simplement scolaires mais externes à l'école, et sur lesquelles l'école pourrait aussi agir. Donc il me semble qu'il y a là une priorité absolue de construire pour les 8 ou 10 % de jeunes en grande difficulté dans nos collèges ce véritable suivi qui existe plus ou moins, mais qui n'est pas réellement institutionnalisé, en tous les cas qui n'a jamais constitué une priorité des politiques éducatives depuis des décennies.
Claude Thélot - Merci. Madame Geneix ?
Nicole Geneix - Peut-être que pour traiter convenablement la question du collège, on ne peut pas faire l'impasse sur ce qui précède le collège. Et moi je voudrais préciser deux choses. D'abord malheureusement, les élèves qui sont aujourd'hui en très grande difficulté au collège ont souvent été en difficulté à l'école élémentaire, et on a souvent repéré des difficultés importantes depuis l'école maternelle. Il est donc nécessaire, plus que ne le fait le système éducatif aujourd'hui, de mettre en place un véritable dispositif de prévention, de manière que les inégalités sociales qui sont importantes ne se transforment pas automatiquement et durablement en inégalités scolaires quasi irréversibles. Alors on a toute une panoplie déjà de dispositifs qui ont été mis en uvre, mais qu'il conviendrait de consolider. Je voudrais d'abord insister sur un élément qu'a souligné Gérard, à savoir la nécessité de donner un nouvel élan, un nouveau souffle à l'école, au sens large. Je veux parler en particulier du socle de l'école, l'école maternelle et l'école élémentaire. Aujourd'hui, on peut regarder le système éducatif de deux manières : soit on liste toutes ses difficultés et on en conclut qu'on est devant une énorme machine qu'on aura bien du mal à remuer, et on regarde des collègues démoralisés, des parents désemparés, des enfants et des jeunes difficiles à gérer, ou alors on regarde les réussites du système éducatif, et on s'interroge non pas simplement pour se décerner des médailles ou pour se faire plaisir, mais sur les conditions qu'il faudrait réunir pour que ses réussites, qui sont beaucoup plus nombreuses qu'on veut parfois le dire, soient des réussites qu'on rencontre sur l'ensemble du territoire, quel que soit le lieu de scolarisation des enfants, et aujourd'hui, même si l'école ne peut pas tout, nous, nous avons la conviction que pour peu qu'elle soit aidée, on a la possibilité de franchir un palier supplémentaire. Vous savez, les enfants qui arrivent dans nos classes, on peut, quand on est institutrice de maternelle, constater à quel point, c'est déjà très perceptible chez de tous jeunes enfants, à deux ans, à trois ans, combien l'écart entre la culture familiale et la culture scolaire peut être grand. Eh bien, il y a là véritablement un enjeu de taille pour le système éducatif. Et nous, nous voulons réaffirmer avec force que nous partageons l'idée selon laquelle il faut non seulement donner les moyens à l'école d'aider individuellement et collectivement tous les enfants qui sont dans cette situation, mais aussi, alors que depuis des années on est dans une logique de conseils apportés aux enseignants pour individualiser l'enseignement, de passer à une logique d'accompagnement des équipes enseignantes et des équipes pluri-professionnelles dans le second degré. Malheureusement dans le premier degré on est tout seul, sauf en école maternelle où on est avec des ATSEM (Assistant Technique de Service d'École), on avait des aides-éducateurs, il se passait des choses formidables, je ne vais pas faire une lamentation mais vous connaissez le sujet Malheureusement, nous n'avons que peu d'assistants d'éducation, à par pour la scolarisation des enfants en situation de handicap, ce qui est une chose positive, mais qui est quand même insuffisante. Donc fabriquer du commun, fabriquer une culture commune, ça commence à se jouer dès l'école maternelle.
Toujours dans la perspective de cet élan à redonner, il faut développer la recherche pédagogique, et la recherche en éducation, la recherche en didactique, qui est à la fois, comme le disait Antoine Prost dans son rapport sur la recherche, insuffisante et insuffisamment diffusée, quand elle existe. Il faut développer la formation des enseignants, mais il faut aussi faire confiance à la capacité d'initiative professionnelle des enseignants, qui est très importante, on peut le voir dès lors qu'on se penche sur des sujets concrets depuis l'école maternelle.
La deuxième chose que je voudrais dire c'est qu'il faut accorder toute l'attention aux enfants les plus fragiles, depuis l'école maternelle, l'école élémentaire jusqu'au collège ; sans doute conviendrait-il d'améliorer rapidement les continuités, tout au long du système éducatif. De ce point de vue-là, vous savez que l'école primaire dispose maintenant de nouveaux programmes, pour l'école maternelle comme pour l'école élémentaire, qui sont plutôt appréciés positivement. Il nous semble qu'un pas positif dans l'établissement d'une culture commune est possible grâce aux nouveautés qui figurent dans les programmes de l'école primaire, mais la France a ceci de merveilleux que nous continuons à refondre les programmes scolaires de manière totalement disjointe, avec d'un côté l'école primaire, de l'autre côté le collège, sans parler du lycée professionnel et du lycée général. Il y a là quelque chose de tout à fait anormal qu'on pourrait résoudre. Dans la formation des enseignants, puisqu'on a évoqué la question des IUFM, malgré une idée fondatrice assez généreuse d'un lieu unique de formation pour les enseignants du premier et du second degré, on ne peut pas véritablement dire que l'osmose ait fonctionné. Les parties communes de formation, quand elles ont existé, sont restées assez formelles et ont été plutôt mal vécues par les collègues enseignants, pourtant il nous semble qu'il y a des terrains intéressants qu'on pourrait de manière profitable mettre en uvre. Je ne vais pas développer mais citer peut-être un seul exemple : on pourrait imaginer que de futurs enseignants d'école maternelle, d'école élémentaire, de collège et au-delà, tireraient profit d'une formation commune, sur la lecture, sur l'ensemble d'une trajectoire scolaire, ou les mathématiques, etc.
On doit donc avoir la possibilité de trouver des moyens institutionnels qui permettent des collaborations fécondes entre les enseignants, ou plus largement les personnels du premier degré et les personnels du second degré. Il ne faudrait évidemment pas qu'on passe d'une situation au cours de laquelle on a un peu considéré que le collège était le maillon faible, le problème numéro un de tout le système éducatif, pour se dire que finalement tous les problèmes viendraient de l'école maternelle et de l'école élémentaire, et que ma foi nous n'aurions qu'à fabriquer des élèves parfaitement formatés pour réussir au collège, et que tout serait réglé. Certes, il faut améliorer la réussite de l'école et surtout de nos élèves à l'école primaire, mais il faut également reconnaître que beaucoup d'enfants qui quittent l'école élémentaire en ayant une réussite, je dirais, moyenne, aux évaluations nationales - qui sont au moins un outil qu'on peut tous utiliser - et qui sombrent au collège. Ce sont souvent des enfants qui sont fragiles psychologiquement ou affectivement. Il faut également dire que le passage entre l'enfance et l'adolescence est un moment difficile, sûrement insuffisamment pris en compte dans notre système éducatif, que le fonctionnement de l'école maternelle et de l'école élémentaire et le fonctionnement du collège est très différent, que la taille des établissements est très différente, que certains enfants dans les secteurs ruraux, et il y en a encore, font des trajets assez importants, donc plaider pour qu'on ne choisisse pas un seul morceau du système éducatif en se disant " réglons d'abord la question de l'école maternelle et la question de l'école élémentaire ", et ensuite on aura un collège qui fonctionnera parfaitement. Il faut, comme l'a dit Denis, à la fois de l'urgence pour les enfants et les jeunes qui sont dans les situations les plus graves, mais il faut penser les évolutions, les transformations du système éducatif en traitant l'ensemble des niveaux scolaires et l'ensemble d'une trajectoire scolaire pour chaque individu.
Claude Thélot - Merci. Madame Le Chevert, un mot peut-être ?
Brigitte Le Chevert - Juste deux mots, pour bien soutenir ce qu'ont dit Denis Paget, Gérard et Nicole, sur la demande des collègues de travailler en équipe, en particulier dans les collèges. Il y a une grande solitude des collègues infirmières, mais aussi des collègues assistantes sociales. Il y aurait donc de l'intérêt à travailler ensemble pour trouver des solutions pour les élèves les plus en difficulté. Voilà pour la première chose. Et la deuxième chose, c'est la formation. Il y a aussi une demande très forte de nos collègues d'une formation en équipe, avec les autres personnels des collèges, en particulier les enseignants, les conseillers d'éducation, les infirmières, les assistantes sociales, ensemble.
Claude Thélot - Merci. Madame Leloup.
Marie-Hélène Leloup - J'ai une question par rapport à la présentation qui a été faite. Vous avez insisté, en fait, sur la difficulté au collège de tenir ensemble deux termes : le développement d'une culture commune, et une nécessaire individualisation. Et si j'ai bien compris ce que vous avez dit, vous avez admis, finalement, que cette nécessité d'une culture commune pourrait s'assortir de parcours plus ou moins spécifiques pour des élèves en très grande difficulté. Je ne sais pas jusqu'où, dans ce choix, vous interrogez la culture commune. Ma question est la suivante : est-ce que finalement quand on admet, et la réalité peut y obliger, quand on pose comme principe admissible que des élèves en très grande difficulté se voient proposer des parcours différents, par exemple sous forme de formation professionnelle anticipée, lien avec le lycée professionnel, etc., est-ce qu'on n'est pas en train de dire, finalement, que ces parcours spécifiques ne sont plus constitutifs de cette culture commune ? Est-ce qu'on ne pourrait pas poser le problème à l'envers et introduire vraiment, dans la culture commune pour tous, une sensibilisation, justement, à quelque chose qui serait de l'ordre du professionnel, et qui valoriserait, dans le champ de la culture commune, des élèves qui sont en très grande difficulté, et qui justement, ne parviennent pas à l'acquisition des compétences d'un socle commun ?
Claude Thélot - Merci. Qui ? Denis Paget, peut-être ?
Denis Paget - Je peux apporter une réponse. D'abord, qu'on ne se méprenne pas sur ce que j'ai dit : je n'institue pas comme principe général de fonctionnement du collège qu'on puisse avoir recours systématiquement au lycée professionnel. Je dis simplement qu'il faut tenir compte de la réalité : on a aujourd'hui une population très fragile dans les collèges, toutes les évaluations oscillent entre 7 et 10 %, et évidemment c'est variable selon les collèges, mais sur ces 7 à 10 %, on en a sans doute 5 ou 6 % qui sont proches de l'analphabétisme, comme on dit parfois, ou de l'illettrisme, et qu'on retrouve dans les journées d'appel de la Défense, par exemple. Donc on voit bien qu'on a là un noyau dur de l'échec scolaire sur lequel on ne réussit pas à agir aujourd'hui.
Je ne sais pas si dans l'avenir, on arrivera à résorber complètement cette situation-là. Je crois d'ailleurs que personne ne le sait. D'autant que nous recevons parfois, parmi ces 6 ou 7 % de jeunes, de jeunes immigrés qui n'ont même pas eu de scolarité dans les pays d'où ils viennent, donc on part parfois de très loin. Je ne sais pas ce que dira l'avenir, je dis simplement que tant que nous avons cette population en très grande difficulté, on ne peut pas se contenter de jouer la politique de l'autruche, on ne peut pas se contenter de dire " Ils sont dans le collège, on ne sait pas trop où. ", ou de les cantonner en 4e d'année de soutien et en 3e d'insertion, qui entre parenthèses n'insère personne. Quand ils ont 16 ans, ils disparaissent dans la nature, et on les retrouve bien sûr parmi les chômeurs de longue durée. C'est irresponsable de faire cela. Il y a un investissement fort à faire pour ces jeunes-là. Et pour ces jeunes-là, le premier objectif, c'est qu'ils puissent atteindre un premier niveau de qualification de niveau 5 (Niveau 5 = CAP ; niveau 4 = BEP ; niveau 3 = bac, etc.). C'est ça qui est réaliste ! Quand est-ce qu'on peut le faire ? Je crois que c'est là que ça dépend des individus. Il ne s'agit pas d'instituer un palier d'orientation à la fin de la 5e, ou à la fin de la 4e, non ; il s'agit de voir ce qui est le mieux pour ce jeune. Si on peut continuer à le scolariser dans le collège, qu'il y a un lycée professionnel à côté et qu'on peut travailler en équipe avec le lycée professionnel, c'est une possibilité. S'il n'y a pas de lycée professionnel dans les environs, là les solutions sont forcément autres. Elles passent par l'internat, elles passent par une scolarité en lycée professionnel à temps complet, peut-être. Je dis simplement qu'il y a là des choses à inventer !
Claude Thélot - Par l'alternance, aussi ?
Denis Paget - Éventuellement par l'alternance. Mais à condition que le cahier des charges de l'alternance soit bien défini. Si l'alternance, c'est ce à quoi nous assistons cette année, où il s'agit de faire du chiffre, où l'inspecteur d'académie dit " je veux tant d'élèves en alternance ! ", si c'est cela, je dis qu'on fait fausse route. Mais si on construit des dispositifs en alternance qui peuvent impliquer des entreprises, avec un véritable objectif de formation, avec de véritables contenus de formation et un véritable contrôle, dans ce cas-là, peut-être, c'est peut-être une solution pour ce type d'élève. Ce que je dis là, je ne l'érige pas en principe théorique, je dis simplement qu'il tient compte de la réalité d'un certain nombre d'élève en très grande difficulté au collège, et pour lesquels aujourd'hui on ne fait rien !
Je voudrais ajouter une dernière chose : je n'ai pas connu, par le passé, beaucoup de politiques scolaires qui aient décidé par exemple de flécher des moyens spécifiques pour ces jeunes-là. On s'est souvent contenté de dissoudre les dispositifs existants, par exemple les 4e et 3e technologiques qui n'ont pas démérité, quand elles existaient, parce qu'il coûtait beaucoup moins cher de mettre ces élèves en très grande difficulté dans des classes ordinaires, parce que les classes de 4e et 3e technologiques nécessitaient des équipements, des équipes, de la concertation, etc. Donc je le dis franchement, je crois qu'une politique scolaire qui voudrait résorber l'échec scolaire lourd devrait flécher des moyens pour ces élèves-là. Et plus on va vers la globalisation des dotations horaires dans les établissements, moins ces jeunes en tirent profit et parti, évidemment ! On connaît tous les dispositifs, les prises de décision qui font que même si c'est plus ou moins inconscient, les moyens vont à ceux qui n'en ont pas le plus besoin. Donc il y a là quelque chose à faire, une responsabilité à prendre, parce que finalement, en bout de course, les jeunes sans qualification, ça coûte très cher à la nation.
Claude Thélot - Mettre les moyens au profit de ceux qui en ont le plus besoin, ça ce serait une très grande révolution dans notre école ! Peut-être est-ce l'expression de la justice ? Monsieur Julliard.
Jacques Julliard - On ne peut qu'être d'accord avec les intentions que les uns et les autres vous avez développées. Simplement, j'essaie de voir concrètement ce que ça donne. Parce qu'il ne faut pas minimiser l'importance du problème. J'ai vu des sondages qui montrent qu'une majorité d'enseignants des classes concernées sont hostiles, d'une manière générale, à ce qu'on appelle aujourd'hui le collège unique. Moi, personnellement, je suis d'accord avec ce qu'à dit monsieur Aschieri à ce sujet, je crois qu'au point de vue de la philosophie générale de l'École, nous devons rester fidèles à cet idéal. Simplement, je constate que c'est le lieu qui fait difficulté, et qui est considéré comme difficile, à la fois par les enseignants en situation, mais aussi par une partie des parents d'élèves, par une partie de l'opinion, donc il faut réduire le problème. Il me semble que ce que vous proposez, c'est de la discrimination positive. Très bien. Pourquoi pas ? Simplement, est-ce que la discrimination positive, qui est
Claude Thélot - un traitement différencié.
Jacques Julliard - un système qui comme son nom l'indique, implique une diversité, va de pair avec l'idéal qui a présidé à l'instauration du collège unique, quel que soit le nom qu'on lui donne, qui était au fond une sorte de pari sur l'universalité de l'esprit humain, et la possibilité de tous les esprits de se retrouver à un moment donné - et plus c'était tôt, mieux ça valait. Je vous rejoins tout à fait sur ce que vous avez dit sur le primaire et sur les maternelles, naturellement. Et simplement, je crois qu'à un moment donné, puisqu'on est dans une période où à la fois on réfléchit, mais aussi, si j'ai bien compris, on va vers une loi, à l'automne prochain
Claude Thélot - Le gouvernement l'a annoncé.
Jacques Julliard - Bon, parce qu'on ne parle pas en l'air, là, quand même. Il y a des choses qui se préparent. Autrement, ça serait sympathique, formateur pour nous, mais
Claude Thélot - Mais pas suffisant.
Jacques Julliard - Pas suffisant, voilà. Alors de ce point de vue-là, il va bien falloir à un moment donné dire oui ou non. On ne peut pas dire oui et non, comme vous le faites un peu - comme nous le faisons tous. Moi, je constate que longtemps, le collège unique a été défendu, pour dire les choses très grossièrement, en m'excusant du caractère trop schématique de ce que je vais dire, a été défendu plutôt par les éléments de gauche, progressistes, comme vous voudrez - encore que c'est quand même un ministre de droite qu'il l'a mis en place, il faut le rappeler - tandis que les éléments plutôt conservateurs, qui ne manquent pas d'arguments, d'ailleurs, étaient plutôt hostiles au collège unique. Aujourd'hui, la situation est différente. Nous avons vu, il n'y a pas si longtemps, un ministre plutôt classé à gauche, monsieur Mélenchon, pour ne pas le citer, mettre en cause fortement le collège unique. Ça m'avait beaucoup choqué à l'époque, mais avec des arguments auxquels j'ai réfléchi et qui n'étaient pas sans valeur, qui consistaient à dire que le collège unique aboutissait à une espèce de discrimination négative au détriment des moins favorisés. Je résume de manière un peu grossière ce qu'il disait, mais c'est à ça que ça aboutissait. Je crois donc que l'ensemble de l'opinion publique a besoin d'une réponse claire, autrement dit, si nous nous engageons dans la voie de la discrimination positive, disons que nous conservons, monsieur Aschieri, l'idéal - votre formule est bonne, d'une culture commune et des possibilités d'y parvenir. Mais je crois qu'il faut dire concrètement, à ce moment-là, qu'il n'y aura plus, au moins pour une période donnée, de collège unique, il y aura des formations diversifiées, et cela d'autant plus que, vous l'avez tous souligné à juste titre, le niveau de départ des élèves est de plus en plus différent.
Claude Thélot - Alors, monsieur Aschieri, peut-être, et madame Geneix ?
Gérard Aschieri - Je voudrais répondre qu'il faudrait penser dialectiquement. Mais la première chose que je voulais dire, c'est que quand on dit collège unique comme principe, ce n'est pas un idéal abstrait. C'est quelque chose que l'on doit et que l'on peut construire. Je veux dire, le collège, aujourd'hui, ce que nous disent nos collègues, et ce qui fait difficulté, c'est qu'ils perçoivent ce collège dit unique comme absolument pas unique. Nos collègues ne le perçoivent pas comme unique.
Claude Thélot - Vous croyez que ça marcherait mieux s'il était complètement unique ?
Gérard Aschieri - Non, non, non, ça n'est pas ça que je veux dire. Excusez-moi si je n'ai pas été clair, je vais essayer de le redire autrement. Et je pense que j'ai eu tort d'employer l'expression collège unique qui est une expression piégée. J'ai voulu parler de collège pour tous. Et je le répète, il ne s'agit pas d'autre chose que de le construire. Simplement, dans cette construction, à un moment donné, on rencontre des élèves qui sont ce qu'ils sont, avec une histoire d'échecs dont nous sommes tous plus ou moins responsables, dont la société est responsable - et nous disons simplement et pas plus que ça : ces élèves, il faut s'en occuper, parce que si on ne s'en occupe pas, pour eux c'est la perte assurée. Voilà, c'est un peu ça notre propos.
Claude Thélot - Très bien. Madame Geneix. Et j'ai des demandes de paroles, par conséquent il faut que les réponses et les questions soient courtes.
Nicole Geneix - Évidemment, c'est toujours l'articulation entre les objectifs, les principes, et ce qu'on fait dans le transitoire quand il y a des cas particuliers exceptionnels, comme le disait Denis, qui est difficile. Je voudrais dire avec un peu de solennité que pour nous
Claude Thélot - Exceptionnels, hum
Nicole Geneix - Oui, enfin vous avez compris, c'était au cas par cas, c'est " exceptionnels " au sens où ils sont rares dans les établissements. C'est que rien ne serait plus terrible pour le système éducatif et pour les valeurs qu'on accorde à l'École, aussi bien dans l'édification d'une culture commune que dans le rôle essentiel qu'elle joue dans l'établissement du lien social, que de renoncer aux principes et aux objectifs du collège pour tous. Parce que vous savez, quand on commence à regarder, et je vais reprendre la métaphore de la locomotive, du train et des wagons, quand on enlève le wagon de queue, on trouve toujours un wagon de queue, quel que soit l'établissement. Et on peut trouver des élèves qu'on va estimer n'étant pas du niveau dans le 6e arrondissement de Paris, aussi bien que dans la banlieue la plus difficile de Seine Saint-Denis. Donc nous refusons l'établissement de principes qui en viendraient à établir des paliers d'orientation ou des voies de relégation, dont l'expérience a montré qu'elles ne constituaient pas une solution collective satisfaisante.
Je voudrais dire un mot sur les SEGPA (Sections d'Enseignement Général et Professionnel Adapté), qui ont la spécificité d'être implantées en collège et qui accueillent une population scolaire en très, très grande difficulté. Une des caractéristiques étonnantes de cette SEGPA, c'est qu'une partie très importante et même majoritaire de ses enseignants sont des enseignants du premier degré. Ce sont donc des instituteurs et des professeurs des écoles spécialisés, qui ont un diplôme professionnel particulier, et qui collaborent avec des enseignants de lycée professionnel et avec des collègues certifiés exerçant au collège. Nous avons donc là une expérience d'une population scolaire particulière, excessivement fragilisée à tous points de vue, le plus souvent socialement. Voilà un exemple d'expérience de collaboration possible ou de passerelle avec le lycée professionnel. Et je crois qu'il y a quelques leçons à tirer de ces expériences-là. Quand on est passé des SES (Sections d'Enseignement Spéciales) aux SEGPA, c'était avec l'idée qu'on préparait les élèves à l'intérieur du collège à l'objectif d'une qualification de niveau 5, avec des collaborations et des enseignements professionnels adaptés, avec l'idée aussi de garder ces élèves-là jusqu'à 18 ans. Il y a des conseils généraux qui ont équipés des SEGPA en matériel, il y a des choses très intéressantes qui ont été faites. Parfois ça s'est arrêté pour des questions sordides de moyens. Et puis parfois on a dit : " Mais enfin, ces enfants-là, à 16 ans, ils peuvent aller au lycée professionnel. " Eh bien, on a constaté que sur des populations scolaires très fragilisées, quand il faut ajouter à la scolarisation un déplacement - faire 40 kilomètres pour aller au lycée professionnel, ce qui nécessite une mobilisation de la famille, une mobilisation du jeune, un accompagnement social - on a presque tout le temps eu un échec. Les processus d'acquisition qui finissent par déboucher pour ces élèves-là sur des CAP avec des systèmes d'unités capitalisables etc., les réussites qu'on a pu observer ont été les plus fortes au moment où l'équipe éducative de la SEGPA était réellement le pivot, mais avec un volume horaire et un lieu qui étaient déterminants. Donc je crois que ce qui est difficile quand on traite la question de ces élèves-là, c'est d'avoir ou de donner le sentiment que finalement, comme ils seraient en grande difficulté dans les enseignements dits généraux, la solution de l'enseignement professionnel serait la voie toute trouvée qui conduirait automatiquement à la réussite, ce n'est pas vrai, les lycées professionnels aujourd'hui n'ont pas, tels qu'ils fonctionnent et tels qu'ils sont organisés, la possibilité ou la capacité, forcément, d'être le lieu de prise en charge des jeunes et des enfants qui cumulent à la fois la grande difficulté scolaire, sociale, et les nombreux problèmes de l'adolescence. Donc peut-être que dans le système éducatif, quand on perçoit des expériences, des solutions qui commencent à fonctionner, avant de tirer brutalement un trait dessus, parfois pour des petites raisons aussi poétiques que ce qu'on appelle la carte scolaire, il conviendrait de faire vraiment des bilans qualitatifs, et de se dire qu'il y a peut-être des expériences qui non seulement doivent être consolidées, confortées, mais développées. Du point de vue de la très grande difficulté scolaire, peut-être que Denis dira deux mots aussi
Claude Thélot - Non.
Nicole Geneix - Non, bon. Mais on sait qu'on a des collègues, et de toutes catégories professionnelles, y compris avec l'aide de mouvements associatifs, qui ont tenté des choses du côté des décrocheurs et que sans doute il y a des leçons à tirer de certaines de ces expériences-là.
Claude Thélot - Merci. J'ai quatre demandes de parole, et par conséquent ça va nous mener jusqu'à la fin, si nous sommes disciplinés, c'est-à-dire si les questions et les réponses sont brèves et denses. Monsieur Carle.
Jean-Claude Carle - Oui monsieur le Président. Deux questions très rapidement. La première s'inscrit dans le prolongement de ce qui vient d'être dit. Je crois que nous sommes tous d'accord pour dire qu'il est nécessaire de faire partager à tous les élèves une culture commune. Cela dit, la question demeure de comment y faire accéder les 8 ou 10 % qui aujourd'hui ont des difficultés. Est-ce que nous ne sommes pas face à un véritable problème culturel, qui est celui d'une société qui a hiérarchisé ou trop fortement hiérarchisé les formes d'intelligence et de ce fait peut-être trop hiérarchisé les disciplines. Est-ce qu'il ne serait pas souhaitable de revaloriser un certain nombre de disciplines, vous en avez parlé tout à l'heure, disciplines artistiques, disciplines sportives, de façon à développer ces points forts qui sont très souvent ceux d'un certain nombre de jeunes, de façon à leur permettre d'accéder à cette culture générale. C'est ma première question.
Deuxième question, vous avez dit monsieur Aschieri qu'il fallait préserver, si ce n'est développer, un service public national qui garantit l'égalité de traitement, que cela nécessitait un cadre national fort, mais aussi des capacités d'initiatives locales fortes. Est-ce que vous pouvez nous en dire un peu plus ? Quels sont les domaines dans lesquels on peut développer des initiatives locales, et quels sont à contrario les domaines où vous ne souhaitez pas que des initiatives locales soient prises ?
Claude Thélot - Monsieur Aschieri, et monsieur Paget, je vous en prie. Réponse brève s'il vous plaît.
Denis Paget - Pour répondre à la première partie de votre question, je crois qu'il existe une véritable hiérarchie implicite des disciplines dans le système scolaire. Cette hiérarchie n'est d'ailleurs pas tout à fait la même au collège et au lycée, et il faudrait s'interroger pour savoir pourquoi elle existe et comment y remédier, mais ça m'emmènerait un peu loin. Je voudrais simplement vous dire que je ne crois pas qu'il existe des disciplines propres aux élèves en difficulté. Mais je crois qu'il peut exister des approches qui peuvent rendre les disciplines accessibles à tous. Alors je voudrais insister sur trois aspects qui me semblent importants ; le premier, c'est qu'il faudrait que dans les pratiques pédagogiques comme dans la culture définie par les programmes, on inscrive davantage les connaissances dans leur histoire. Elles apparaissent trop comme des données toutes faites, que les hommes auraient produites sans se donner du mal et de la peine. Introduire la dimension historique des savoirs scolaires me semblerait donc quelque chose d'essentiel.
Deuxièmement, on a tendance aussi à asséner comme des vérités toutes les connaissances, alors qu'il faudrait à la fois un enseignement qui permette davantage de les problématiser, et en même temps un enseignement qui permette de répondre davantage à des problèmes du monde. De ce point de vue-là, je vous renvoie à des travaux récents de relecture des programmes de collège, qui me semblent avoir mis l'accent sur cet aspect. Si nous ne sommes pas au bout des solutions qu'il faudrait élaborer, en tous les cas, il y a des pistes à explorer pour qu'on ait des programmes qui répondent aux problèmes du monde et qui permettent de les éclairer.
Et troisième aspect, je pense que nos traditions scolaires ont souvent beaucoup insisté sur le caractère gratuit de la culture. Et vous savez, le caractère gratuit de la culture ne vaut que pour les gens cultivés. Et il me semble que notre système scolaire ne perdrait pas de sa qualité s'il se posait un peu plus la question de l'utilisation sociale des connaissances. Et là aussi, ça permettrait, je crois que la question a été posée tout à l'heure par un intervenant, ça permettrait de réintroduire par exemple l'intelligence des cultures professionnelles au sein des disciplines générales elles-mêmes.
Claude Thélot - Merci. Monsieur Aschieri.
Gérard Aschieri - Un exemple de ce qui pourrait faire l'objet de plus de liberté et d'initiative, c'est précisément le traitement, je dirais quasiment au cas par cas, des élèves en difficulté. Et pour être très schématique, ce dont nous ne voulons pas, ce sont, par exemple, des établissements scolaires considérés comme autonomes, concurrents, avec des budgets globaux, Denis a évoqué tous les problèmes que les budgets globaux peuvent poser, justement, pour les élèves les plus en difficulté. En revanche, ce dont nous voulons, ce sont des équipes qui aient des possibilités d'initiative, de recherche, d'adaptation, évidemment sous réserve d'un contrôle : qui dit expérimentation dit résultats et dit aussi évaluation. Et je dirais que la capacité d'initiative, on la souhaite plus pour les équipes que pour les établissements ou des entités administratives. Voilà. J'ai été un peu schématique, excusez-moi.
Claude Thélot - Merci. Monsieur Janet, vous vouliez intervenir ? Madame David ?
Annie David - Beaucoup de choses ont déjà été dites, et tout ce que j'ai entendu amènerait beaucoup d'autres questions pour lesquelles on n'a pas bien le temps et c'est très dommage. Quelques réflexions malgré tout. J'ai bien entendu votre demande, votre demande de travailler en équipe rejoint la question de monsieur Carle, et je partage cette demande et cette volonté de travailler en équipe, entre les différents personnels de l'Éducation nationale. Du coup, j'ai des interrogations sur cette décentralisation qui vient d'être votée, et effectivement la mise à mal que cela représente pour le travail en équipe. La deuxième question porte plus sur l'enseignement diversifié et sur le collège unique. C'est vrai que ce mot de collège unique est mal venu, l'expression collège pour tous est plus intéressante parce qu'elle correspond mieux à ce qu'est vraiment ce collège, destiné à scolariser tous les enfants, avec les difficultés que cela engendre et que nous connaissons tous. Alors ce collège pour tous, est-ce qu'on ne pourrait pas l'envisager sur plus une durée plus longue : par exemple, puisqu'il y a effectivement des enfants en difficulté, et est-ce que, ce que certains sont capables de faire en quatre ans, on ne pourrait pas l'envisager pour d'autres en cinq ans, avec des passerelles entre les classes dans les matières où les élèves ont des difficultés. Cela amène une autre question : je n'ai pas bien entendu tout à l'heure si vous avez parlé ou pas de la scolarisation jusqu'à 18 ans. Parce qu'aujourd'hui, de toute manière, dans les faits, beaucoup d'élèves vont à l'école jusqu'à au moins 18 ans si ce n'est plus. Est-ce qu'on ne pourrait pas envisager l'augmentation de l'âge de la scolarisation obligatoire, aller jusqu'à 18 ans, pour permettre au moins aux jeunes d'acquérir ce socle commun de culture que l'on peut acquérir au sein de ce collège pour tous ? Parce qu'il me semble important, effectivement, qu'il y ait des parcours diversifiés dans l'acquisition de cette culture commune, mais que le socle commun de culture et de compétences de chaque élève soit le même à l'issue du collège, pour ensuite choisir son orientation et que cette orientation soit réellement choisie par l'élève et par la famille. Cela permettrait aux élèves en difficulté de ne pas subir de redoublement, ou de ne pas vivre cette prolongation de la durée d'apprentissage comme un échec, mais comme une possibilité qui leur est donnée, en fonction de leur capacité d'apprentissage, pour ce socle commun de compétences.
Claude Thélot - Ceci appelle des commentaires. Monsieur Aschieri.
Gérard Aschieri - La scolarité à 18 ans, j'ai dit que pour nous c'était un objectif. Ça revient à officialiser ce qui correspond à une large réalité. Je crois que c'est à peu près les termes que j'ai employés. La décentralisation Nous avions, et nous continuerons à avoir, deux craintes. La décentralisation, c'est d'une part un changement d'employeur. À la limite on pourrait dire qu'après tout c'est pas grave, que c'est un risque d'avoir des politiques différentes selon les employeurs, en termes de moyens, de répartition des moyens, de gestion, etc., avec tout ce que ça pose néanmoins comme problèmes d'inégalité. Mais il y a un autre problème : quand on regarde tout ce qui a été mis dans les projets de décentralisation, on s'aperçoit que la décentralisation ne prévoyait pas seulement un changement d'employeur, elle impliquait aussi des changements dans les métiers, dans la fonction, et dans la présence ou non de ces personnels dans les établissements et dans l'équipe éducative. De ce point de vue, je dois dire que pour les personnels décentralisés TOS, il y a l'idée de leur garder un statut spécifique qui leur permette de rester dans les établissements scolaires - je suis interrogatif par rapport à ça, parce que je pense que de toute façon, la décentralisation n'est pas une bonne chose - mais il faudrait au minimum qu'il y ait ce type de garantie. Je le dis y compris parce que je sais que parmi vous il y a des parlementaires !
Claude Thélot - Merci. Madame Altschull, pour une dernière intervention, s'il vous plaît.
Élisabeth Altschull - Je me réjouis que la prise en compte des élèves en très grande difficulté soit une préoccupation, parce que c'est effectivement un des effets, un des résultats du collège unique jugés négatifs par les enseignants. Je crains néanmoins un certain misérabilisme, et surtout, le fait d'ignorer un autre effet du collège unique, c'est-à-dire que depuis qu'il existe ou depuis qu'il n'existe pas, peu importe, depuis qu'il a été officiellement institué, les écarts se creusent entre les bons élèves, les bons élèves des milieux défavorisés, par rapport aux bons élèves des milieux favorisés, et la frustration des enseignants par rapport au collège unique porte aussi sur ce point. Le système français a une force, c'est que les enseignants très compétents sont près à aller dans n'importe quel quartier et de donner un enseignement de qualité à des enfants de n'importe que milieu. Et il y a une sorte de panne de ce système-là, l'excellence et le très bon niveau proposé à tous les enfants de tous les milieux ne fonctionnent plus. Et d'une certaine façon, par exemple, quand on est envoyé en ZEP, pour moi les ZEP c'est l'anti-collège unique, puisque d'emblée, le collège a une étiquette mauvais collège, et d'emblée quand l'enseignant y arrive, il se dit " Je vais avoir des élèves en difficulté ", et c'est par établissement plutôt qu'en fonction des élèves. On ne fait plus cette chose qui est de dégager les bons élèves de quelque milieu qu'ils soient et la frustration elle est là, aussi. Je veux dire, la frustration vis-à-vis du collège unique, c'est qu'on perd les élèves en grande difficulté, on ne leur fait aucun bien, et il n'est pas certain que les bons élèves, dans les mauvais collèges, on les tire d'affaire. Donc je voudrais que vous répondiez un petit peu à cette problématique-là également.
Claude Thélot - Monsieur Paget ?
Denis Paget - Je crois que la dynamique de notre discussion a fait, et je crois que c'est normal, que nous avons porté l'accent sur les élèves les plus en difficultés, mais il est bien évident que pour nous, le collège doit fonctionner pour tous les élèves, et notamment, il doit mieux jouer qu'il ne le fait, et je partage votre point de vue, le rôle de promotion d'un certain nombre de jeunes de milieux populaires qui sont très méritants, et qui peuvent faire de longues études. Et il est vrai que ce que nous avons appelé la ghettoïsation d'un certain nombre de collèges aboutit parfois à un manque d'ambition pour ces jeunes-là en particulier. Mais je voudrais insister sur un aspect qui m'a frappé dans votre façon de poser le problème, c'est que vous avez utilisé l'expression " ne plus ". Comme si on y arrivait autrefois ! Mais nous n'avons jamais réussi une scolarisation complète et parfaite de la totalité d'une classe d'âge, même jusqu'à l'âge de 16 ans. C'est un objectif que nous n'avons jamais réussi à atteindre ! Et quand il y avait méritocratie dans les collèges, même avant la réforme Haby, c'était sur une fraction des jeunes infiniment faible. Aujourd'hui, l'enjeu pour nous, c'est de faire réussir la totalité ! Je dis faire réussir, ça ne veut pas dire qu'ils deviennent tous polytechniciens, ça veut dire qu'au moins, ils accèdent tous à un diplôme reconnu, c'est déjà l'objectif que nous nous fixons. Et cet objectif-là, on ne l'a jamais atteint. C'est celui-là qu'il faut atteindre.
Élisabeth Altschull - Le nombre des enfants de milieux ouvriers qui accèdent aux études supérieures les plus prestigieuses est en baisse. Il est en baisse depuis les années soixante-dix.
Denis Paget - Claude Thélot connaît mieux les chiffres que moi
Élisabeth Altschull - Ce sont des choses que j'ai lues y compris sous la plume de monsieur Thélot.
Claude Thélot - Je ne crois pas Je vous propose que nous nous arrêtions ici. Merci en tout cas à la FSU de s'être prêtée à cette audition. Je pense qu'il faut que la technique nous aide, le plus possible, à ce qu'au-delà du fond de nos débats, leur retranscription et leur visibilité soit de bonne qualité. Monsieur Aschieri me disait qu'à la fois que les propos liminaires qu'il a tenus, nourris ensuite par la discussion que nous avons eue, pouvaient donner lieu de sa part, ou de la part de la FSU - je ne trahis pas votre pensée - à une contribution dont j'espère qu'elle arrivera à la Commission. Si elle arrive à la Commission, je la rendrai publique. Indépendamment de cela, comme toutes les auditions précédentes, celle-ci fera l'objet d'un verbatim, qui lui-même sera mis sur le site de la commission. Merci beaucoup.
(source www.debatnational.education.fr, le 23 avril 2004)
Gérard Aschieri - Vous m'excuserez d'un propos liminaire qui risque d'avoir l'inconvénient d'être long, de ne pas être exhaustif, et de rester schématique ! Les questions qui nous sont posées sont d'une telle ampleur qu'il est difficile à la fois de remplir toutes les conditions de brièveté, d'intérêt et d'exhaustivité. Je vais cependant essayer de lancer quelques idées, mais dans notre esprit c'est surtout le débat qui va suivre qui nous permettra d'éclairer les choses.
Vous le savez, nous pensons depuis longtemps que l'école est l'affaire de chacun de nous. Et que trop de choses lient l'école, ou plutôt, le système éducatif, terme que je préfère, trop de choses lient le système éducatif à notre société pour que le débat qui a été lancé ne corresponde pas à de formidables enjeux sociaux. Et d'une certaine manière, ce sont ces enjeux sociaux qui étaient présents dans le mouvement que notre École a connu, qui a rassemblé des centaines de milliers de personnels et rencontré un large soutien de l'opinion. Mais ces enjeux, je dois le dire, sont présents dans la réflexion de la FSU, soyons immodestes, depuis sa création - la création de la FSU est suffisamment récente pour ne pas qu'on ait à remonter trop loin. Autour de quoi tourne notre réflexion, et autour de quoi tournent ces enjeux ? Selon nous, il s'agit de débattre de la nécessité de donner aujourd'hui un nouvel élan à notre système éducatif, de franchir ce que nous appelons dans notre discours une nouvelle étape de démocratisation du système éducatif, qui vise à permettre la réussite de tous les jeunes. C'est ça que je souhaite développer dans ce propos liminaire.
Avant d'en venir à ce propos, je pense qu'il faut faire un bilan de l'existant. Je ne m'y attarderai pas trop longtemps, dans la mesure où le rapport du Haut comité de l'évaluation de l'École contient des données et des analyses dans lesquelles nous nous retrouvons assez largement, et à la construction desquelles nous avons participé. Et de fait, si on a souvent mis en avant une image négative de notre système éducatif, si on a souvent mis l'accent sur ses échecs, il faut rappeler qu'il a connu ces dernières années des succès considérables. Je ne vais pas rappeler longuement ces données dans la mesure où je pense que, membres de cette Commission, vous les connaissez. Mais je veux tout de même rappeler comment le nombre de jeunes sortis du système éducatif sans diplôme est passé de 200 000 à 80 000 et à 60 000 environ aujourd'hui. Je veux rappeler qu'en 1970, 20 % d'une classe d'âge obtenait le baccalauréat, et on en est arrivé à 62 % en 2003. Je veux parler du nombre d'étudiants qui, dans les universités, sont passés de 600 000 à 1 400 000 en 20 ans, de 1975 à 1995. Je veux parler de la réduction des retards dans le collège.
Je veux aussi insister très brièvement sur une autre idée, qui n'est pas quantitative : c'est qu'il nous semble qu'en dépit des difficultés, l'école aujourd'hui contribue encore largement à donner du sens à ce que j'appellerai le " vivre ensemble ". Et c'est une donnée importante. En même temps, nous connaissons des difficultés. Nous avons pu parler, c'est un peu notre langage, de " grippage " de la démocratisation, ou de panne inquiétante. Les données là aussi sont connues, c'est la persistance de l'échec d'un pourcentage important de l'École. Le fait que 60 000 jeunes quittent le système éducatif sans qualifications, même si ce nombre a considérablement été réduit, est toujours un problème, d'autant que ce nombre, maintenant, ne baisse plus. De la même manière, l'accès des jeunes à une formation supérieure stagne depuis 10 ans. Il y a eu doublement de l'accès au baccalauréat, et maintenant ça stagne. À cela s'ajoute la question de la persistance, et même, du creusement des inégalités. Là encore les sociologues nous ont donné un certain nombre d'éléments qui sont connus et que je ne vais pas reprendre, s'agissant de catégories sociales, mais s'agissant aussi des différences entre filles et garçons.
Nous souhaitons pointer deux des obstacles qui nous semblent importants parmi ceux auxquels nous sommes confrontés. Le premier est sans nul doute le développement de ce que j'appellerai des " ghettos " scolaires. Ils renvoient bien évidemment aux inégalités sociales, économiques, territoriales qui fracturent notre société. Mais ils interrogent aussi une certaine conception de l'autonomie et de la gestion du service public qui s'est développée ces dernières années.
Deuxième obstacle, c'est ce que j'appellerai, peut-être pas d'un très bon terme, une certaine forme de " déstabilisation " des personnels. Les succès dont j'ai parlé sont largement dus à l'investissement des personnels dans leur tâche, ces dernières années. Mais nous faisons le constat qu'aujourd'hui, les interrogations, les déceptions, l'absence d'un accompagnement de leurs efforts, les conduisent à douter de la possibilité d'une École de la réussite pour tous. Et il est vrai que la question des rapports entre l'École et la société - question de plus en plus complexe et rapports de plus en plus complexes - conduit à des interrogations, à des doutes. Les inégalités qui traversent notre société pèsent lourdement sur l'École, je viens d'en parler : les déchirures sociales dues à des politiques libérales qui prévalent souvent aujourd'hui, l'importance du chômage, la généralisation de la précarité, notamment chez les jeunes, la ghettoïsation de zones de plus en plus nombreuses pèsent sur la capacité de l'école à accomplir ses missions.
Mais dans ce contexte, justement, il nous semble que deux écueils sont à éviter. Le premier serait de considérer que face à cette situation, l'École serait réduite à l'impuissance. Le second est inverse, il serait de tout attendre de l'École, et de vouloir qu'elle résolve ces maux.
Nous pensons que dans la tension perpétuelle, et normale, entre l'École et la société, nous avons, sans ignorer la bataille pour la transformation de la société, à redonner au système éducatif des capacités nouvelles, y compris pour contribuer aux indispensables changements dans notre société. Il s'agit, passez-moi une expression peut-être pompeuse, d'élargir l'espace des possibles pour l'école. Dans cette perspective, il me semble important de rappeler ce que sont pour nous les missions du système éducatif. Nous avons une formule ancienne, et qui est peut-être un peu vieillie : former à la fois l'homme, le citoyen, le travailleur. Je constate d'ailleurs que la loi d'orientation de 89, d'une certaine manière, retrouve ces idées.
Et nous pensons qu'on peut décliner ces missions autour de quelques idées.
1. L'École a pour mission d'aider à grandir. Elle doit aider au passage progressif de l'enfance à l'adolescence et à l'âge adulte. Il ne s'agit pas d'enfermer les élèves dans le monde de l'enfance, mais de les aider à en sortir progressivement en jouant des continuités.
2. L'École construit un monde commun. C'est un lieu de passage où l'on apprend avec des personnes que l'on n'a pas choisies. Elle doit introduire au " vivre ensemble ", dans une communauté de valeurs et de savoirs.
3. L'École doit contribuer à créer des identités, en diffusant et transmettant des connaissances, en formant des attitudes et des capacités. De cette manière, l'école peut et doit construire une identité, identité nationale fondée sur les uvres du patrimoine, les valeurs qu'elles portent, les langages et les concepts qu'elles permettent d'approcher.
4. L'École a la responsabilité de former des capacités, de les former par le travail des savoirs, par l'exercice des langages, par l'exercice des opérations logiques, par l'exercice du corps et des gestes, par l'acquisition d'automatismes et de techniques. Elle doit fournir des instruments de pensée et d'action qui accompagnent la personne tout au long de sa vie.
5. Bien évidemment, l'école a la mission de préparer à la vie professionnelle. Si les fins de l'école ne sont sans doute pas d'abord utilitaires, elles ne sauraient pour autant ignorer qu'une formation complète doit ouvrir à la vie professionnelle, non pas par des qualifications étroitement adaptées à un état donné de l'emploi, mais par des diplômes ouvrant des possibilités certaines d'évolution.
Et c'est autour de cela qu'il nous semble indispensable de donner un nouvel élan. Quels objectifs ? D'abord partir des besoins. Les besoins sociaux. Les évolutions du monde du travail, mais aussi de la vie quotidienne, nécessitent une bonne formation générale et une qualification reconnue de haut niveau. On le sait, dans dix ans, notre pays aura besoin de 70 % de bacheliers au moins, et de 45 % de diplômés de l'enseignement supérieur. Nous proposons d'en faire l'objectif principal de la politique d'éducation nationale. Nous le proposons d'autant plus que le lien est fort entre le niveau d'études et la qualification, l'insertion sociale, professionnelle. Il s'agit dans le même mouvement d'officialiser une situation qui est déjà largement entrée dans les faits : la scolarité à 18 ans.
Et je voudrais insister sur deux idées. Se développe aujourd'hui, à juste titre, le thème de l'Éducation et de la formation tout au long de la vie. C'est un progrès. Ça peut être un acquis. Mais à condition de ne pas en faire un contresens. Il ne peut pas être réduit à celui d'une seconde chance, et ne peut pas être utilisé pour esquiver l'exigence d'une élévation du niveau de qualification dans la formation initiale. Parce qu'on sait que c'est sur la base d'une formation initiale de haut niveau que peut se construire une vraie formation tout au long de la vie, et non sur les insuffisances de celle-ci. Deuxièmement, ces besoins impliquent absolument que soit traitée la question de l'enseignement supérieur. C'est un des regrets que nous avons formulés à de nombreuses reprises à l'adresse de votre Commission. Quand je parle de l'enseignement supérieur, je ne parle pas seulement du problème de la transition entre enseignement scolaire et enseignement supérieur, mais bien du problème de la réussite de la masse des étudiants dans leurs études supérieures.
Est-ce que ces objectifs sont réalistes ? Nous pensons que la question, à la limite, ne se pose pas. Il s'agit de besoins incontournables dans notre société. Et la question est plutôt de se demander comment les rendre crédibles, comment les faire passer dans les faits.
Je voudrais mettre en avant six axes - non exhaustifs bien évidemment - qui nous semblent importants pour essayer de gagner le pari que je vous propose de faire.
1. Transformer, accompagner, libérer le travail des personnels. Je vais faire à partir de là plusieurs remarques. Les personnels, ce ne sont pas seulement les enseignants. L'École, aujourd'hui, connaît des personnels divers, de plus en plus divers, des professionnels qualifiés, et il est important que ces professionnels qualifiés soient reconnus, mais aussi, aient les moyens de travailler ensemble. Je veux insister avec force sur l'idée du travail en équipe. En soulignant que lorsqu'on parle de travail en équipe, on ne parle pas toujours de la même chose. L'équipe pédagogique n'est pas la même chose que l'équipe éducative, qui n'est pas la même chose que l'équipe de suivi des élèves en grande difficulté, que nous revendiquons, mais l'idée de travail en équipe doit être permanente et transversale dans le travail des personnels. Et si nous avons mené une bataille farouche, et si nous continuons à mener une bataille farouche contre le transfert d'un certain nombre de personnels à d'autres autorités que l'état, c'est entre autres à cause de la conception que nous avons du rôle de l'ensemble des personnels au sein du système éducatif.
2. Je veux insister sur le fait que, contrairement à ce que certains disent, le travail des personnels n'a cessé de se transformer, d'évoluer. Et il a évolué à la fois sous les effets de la démocratisation, il a été une des conditions et une des conséquences de la démocratisation que j'ai évoquée, mais il a aussi évolué parce que le regard, notamment le regard de la société, le regard de l'École sur les élèves, sur les enfants, n'a cessé d'évoluer. Et les personnels ont accompagné, les personnels sont demandeurs d'évolution. Le travail en équipe, que j'ai évoqué, est une demande formulée régulièrement par les personnels. Le problème, c'est que cette évolution, ces transformations, n'ont jamais été ni pensées, ni accompagnées. Et l'absence de cet accompagnement crée souvent le doute, et les réticences. Cela implique bien évidemment du temps. Et quitte à rappeler des revendications syndicales banales, la question du temps de travail est une question importante pour l'évolution du système éducatif. Cela implique évidemment une formation. On y reviendra, mais la question de la formation initiale, la question des IUFM, dont nous ne voulons pas qu'on les caricature, et dont nous pensons qu'ils doivent évoluer, sont des questions importantes, tout comme la question de la formation professionnelle continue qui dans notre secteur est véritablement sinistrée.
3. Nous pensons qu'il est indispensable de travailler à la création d'une culture commune. De toutes les idées qui ont surgi ces dernières années, sans doute que la notion de culture commune est une des plus fécondes, parce qu'elle donne un sens à la lutte contre les inégalités, en mettant en perspective, face à la diversité des savoirs, la diversité des valeurs, la diversité des individus, des points communs essentiels à tous. Cette culture commune, évidemment il ne faut pas se tromper et en faire un contresens. Ce ne peut pas être une culture imposée, passez-moi l'expression, une culture qui viendrait d'une simple classe dominante, pas plus que d'une culture académique. Il s'agit de construire quelque chose de nouveau. Je n'ai pas le temps d'y insister, mais si vous souhaitez qu'on y revienne, parce que je pense que c'est une question importante, nous pourrons y revenir beaucoup plus longuement.
4. Nous avons besoin de construire la réussite de tous tout au long de la scolarité. Il s'agit, je dirais, de penser la continuité, et de construire les étapes d'une scolarité qui commence à la maternelle, se poursuit à l'école élémentaire, puis au collège, débouche vers des secondes générales diversifiées et ouvre pour tous sur des poursuites d'études. C'est bien évidemment dès le début de la scolarité qu'il s'agit de lutter contre l'échec, en favorisant notamment le travail en équipe, je l'ai dit, mais aussi la mise en uvre de situations pédagogiques diversifiées. Il s'agit en même temps de travailler les cohérences et les transitions entre les niveaux d'enseignement. Pour ce qui est du collège, je ne vais donner qu'une idée, on y reviendra : nous pensons indispensable de maintenir le cap d'un collège de la réussite pour tous. Cela signifie quoi ? Cela signifie que pour nous, l'ensemble d'une classe d'âge doit aller au bout de cette scolarité de collège et bénéficier d'une formation générale commune et avoir le droit de poursuivre des études de second cycle. Ça ne signifie pas un collège uniforme, ça ne signifie pas non plus qu'il ne doit pas y avoir de recherche de solutions individualisées, parfois en articulation avec l'enseignement professionnel pour un certain nombre d'élèves aujourd'hui en situation d'échec grave, mais nous vous mettons fortement en garde contre tout système de sortie prématurée. Et enfin, au-delà du collège, il est extrêmement important de développer une diversification des voies qui ne débouche pas sur une hiérarchisation, mais vise à permettre à tous des poursuites d'études. C'est notamment le cas pour l'enseignement professionnel, qui pour nous doit être une voie de la réussite, et qui pour être une voie de la réussite a besoin de débouchés vers l'enseignement supérieur, et a besoin de passerelles vers les enseignements technologique et général.
5. Un service public national. Donner un nouvel élan implique selon nous un service public national qui assure que, passez-moi l'expression, tous tirent dans le même sens et qui garantisse l'égalité de traitement. Le conflit que nous avons connu a montré l'importance de cette question. Et si cette question est venue avec une telle force, c'est parce que le vécu de nos collègues, mais aussi des élèves, mais aussi des parents, en matière d'inégalité à l'école, est devenu de plus en plus difficile et de plus en plus dramatique, et que nos collègues, tout comme les parents et les élèves, ont pris conscience de ce que pesaient ces inégalités en termes de réussite scolaire. Un service public national ne signifie pas nécessairement un service public uniforme. Nous avons une formule que nous développerons peut-être, c'est celle d'un cadre national fort qui s'articule avec des capacités d'initiative locale. Il s'agit de concilier, de manière intelligente et harmonieuse, ces deux éléments.
6. Les moyens. Je ne ferais pas mon travail de syndicaliste mais je serais aussi infidèle à ce que nous pensons profondément si je ne disais pas qu'une transformation de l'École ne peut pas se faire aujourd'hui avec des moyens en stagnation voire en régression. La question des moyens n'est pas une question en soi de " toujours plus ", c'est une question posée pour, aujourd'hui, l'amélioration du système éducatif. Celui-ci est confronté à des défis tels que l'on ne peut pas en rester à la situation actuelle des moyens. Des besoins nouveaux apparaissent qui jusqu'à présent n'étaient pas pris en compte, et que l'École ne peut absolument pas ignorer, ceux par exemple des élèves en situation de handicap. Nous devons, la société doit, faire en sorte que les défis soient relevés. L'école ne peut pas fonctionner s'il n'y a pas sur le terrain des hommes et des femmes, des professionnels qualifiés - ça a un coût. Et de ce point de vue, je veux attirer votre attention sur le défi des recrutements. Nous savons aujourd'hui que la majorité des personnels de l'éducation est en train de partir. Si nous ne nous donnons pas les moyens d'assurer leur remplacement, nous nous privons de la possibilité de faire évoluer le système. Nous pourrons discuter longuement et doctement de transformations, mais si nous n'avons pas sur le terrain, je le répète, les hommes et les femmes professionnels, formés, qualifiés, pour faire l'indispensable travail, notre école ne pourra pas faire face aux défis auxquels elle est confrontée.
Vous m'excuserez, j'ai été un petit peu long.
Claude Thélot - Je vous en prie, monsieur Aschieri. Merci beaucoup. Je pense que l'intérêt n'est pas dans la longueur ou la brièveté, l'intérêt est dans le panorama d'ensemble qu'à travers vous, en somme, nous recevons de la FSU au titre de cette audition. Je pense que pour la discussion les quatre personnes, vous-même et les trois autres êtes tout à fait disponibles, et nous devons avoir cet échange qui, comme vous l'avez dit, est tout à fait fécond. La parole donc à qui veut la prendre M. Geoffroy.
M. Geoffroy - Je voudrais tout d'abord vous remercier de la qualité de votre exposé, qui aborde les choses d'une manière qui correspond assez à ce que pensent beaucoup autour de la table. Mais nous sommes je crois là dans notre mission, en allant au-delà de considérations générales importantes mais non suffisantes. Je voudrais donc vous demander si vous êtes en mesure, au stade actuel de vos réflexions et de vos propositions, de donner un peu de contenu à une formule que j'ai notée parce que je la trouve intéressante, et qui est bien au cur de beaucoup des préoccupations exprimées partout en France aujourd'hui et qui est celle du collège. Vous avez dit : " Il faut maintenant le cap d'un collège qui soit celui de la réussite pour tous. " Ça m'amène à vous poser une question très précise sur ce que l'on a appelé peut-être d'une manière un peu réductrice le " collège unique ". Le constat est fait aujourd'hui, sans mettre en cause qui que ce soit, que le collège est un des éléments en difficulté de cette grande chaîne de la solidarité de l'École, de la maternelle jusqu'aux derniers niveaux de formation. Quels sont les éléments de propositions que vous pouvez présenter qui nous permettront d'apprécier la manière dont vous entendez, sans remettre en cause les principes fondamentaux du collège unique, si je vous ai bien compris, de faire en sorte que ce collège unique devienne véritablement le collège de la réussite pour tous, et que l'on ne constate plus ce que nous constatons aujourd'hui, c'est-à-dire un nombre trop important d'enfants qui sont en difficulté, qui s'y ennuient, qui y échouent de plus en plus, et à qui on ne propose comme solution à l'issue du parcours qu'une solution par la négative, qui de surcroît se trouve être stigmatisante pour l'enseignement professionnel.
Claude Thélot - Je pense que la question du collège anime beaucoup d'entre nous. Il me semble que nous pouvons faire masse autour de ce qui vient d'être dit par monsieur Geoffroy. Monsieur Paget ?
Denis Paget - Oui, je veux bien apporter quelques éléments de réponse à une question qui n'est pas simple. Je crois qu'il faut d'abord partir de ce qui s'est passé depuis environ 25 ans.
L'idée du collège unique est une idée qui a été portée par différents gouvernements, et qui a été très longue à se réaliser. Et quand on regarde bien, il n'y a guère que depuis 96 ou 97 que le collège est effectivement devenu unique. Donc l'expérience qu'on en a reste une expérience récente et limitée. Même si la loi a introduit l'idée de collège unique dès 1975, il faut bien voir que, pendant des décennies, le collège n'a pas été unique, et qu'à partir de la classe de 5e, il procédait à une sélection sévère d'une grande partie des générations : presque un quart, voire un tiers des générations partaient régulièrement - sans compter toutes les classes de CPPN, comme nous le disions, classes professionnelles de niveau, classes technologiques, classes aujourd'hui dites d'insertion ou d'aide et de soutien, qui font que le collège n'a jamais été totalement unique ; et encore maintenant, tous les observateurs vous montreront qu'il est très évident que dans tous les collèges, des choix sont faits pour réduire l'hétérogénéité et limiter les difficultés qu'elle engendre. Donc ça c'est le constat. Maintenant, à partir de là, nous avons une conviction, qui vient du premier objectif de la première mission que Gérard Aschieri vous donnait tout à l'heure, c'est l'idée que l'École obligatoire, l'École commune, a pour objectif d'abord de tisser un monde commun entre les jeunes ; pour nous, tisser un monde commun ne peut pas procéder d'abord par la sélection précoce dès la classe de 5e ou dès la classe de 4e, d'une partie des générations. Donc en principe, si votre Commission adhère à l'idée de construire une culture commune, une culture commune ne peut se dispenser que dans une communauté de partage de savoirs et d'apprentissages dans un même type d'établissements. Ceci étant, la difficulté observée depuis 1977 au collège, c'est qu'on a sous-estimé les dispositifs pédagogiques qu'il faudrait mettre en place pour concilier à la fois le principe d'hétérogénéité sur lequel repose l'idée de culture commune, et le principe d'individualisation pédagogique, qui est nécessaire tant qu'on aura autant d'écart entre les jeunes, facilement mesuré par toutes les évaluations avant l'entrée en 6e. Et donc il nous semble qu'il faudrait inventer des dispositifs qui permettent à la fois de maintenir des jeunes dans des classes hétérogènes au moins pour une partie des enseignements, et des dispositifs qui permettent de prendre à part un certain nombre d'entre eux pour pouvoir leur apporter les aides et les pratiques pédagogiques qui les feront accéder à un certain nombre de savoirs, voire de combler un certain nombre de lacunes.
Maintenant je voudrais dire un peu entre parenthèses de ces principes généraux qu'il faut aussi traiter l'urgence. Et aujourd'hui l'urgence, ce sont les élèves qui sont parfois très âgés, parce qu'ils ont redoublé plusieurs fois dans leur scolarité, qui sont souvent désespérés par la permanence de leur échec scolaire. À eux aussi il faut apporter dans l'urgence des solutions qui soient adaptées à leur avenir, et notamment à la possibilité d'accéder à une première qualification professionnelle. C'est pourquoi il nous semble qu'au cas par cas, et non pas comme principe général d'orientation, il n'est pas du tout impensable, au contraire, de solliciter une collaboration des lycées professionnels et des collèges, pour que certains élèves très âgés puissent trouver des modes d'accès à une première qualification, le CAP notamment. Il me semble que ça n'est pas impensable, même si cela doit rester marginal et provisoire, tant que le collège et l'école primaire n'ont pas réussi à homogénéiser un peu plus les niveaux scolaires.
Cela étant, je voudrais insister sur un aspect essentiel, c'est que si nous avons aussi tant de difficultés à réaliser le collège unique, c'est que nous avons aussi beaucoup de difficultés à penser la culture commune à dispenser à des jeunes de cet âge. Et là se trouvent interrogés au niveau du collège l'ensemble des programmes scolaires, l'ensemble des objectifs de ces programmes. Je ne veux pas rentrer dans les détails, sauf si vous le souhaitez, mais il me semble qu'il faudrait au moins que le grand débat auquel nous participons tous permette de bien comprendre ce qu'on entend par " culture commune ", qui ne peut se résumer simplement à une somme de savoirs positifs qu'il faudrait mémoriser. Aujourd'hui, dispenser une culture, c'est d'abord produire des capacités intellectuelles, des capacités physiques, des capacités manuelles communes à la totalité d'une génération.
De plus, il doit y avoir patrimoine culturel commun. Mais le patrimoine culturel commun doit être repensé aussi de façon plus ouverte que nous ne l'avons fait jusqu'à présent. Ce qui caractérise nos collèges, c'est l'immense diversité, parfois même d'origines, des élèves qui s'y trouvent. Et ignorer, comme le font souvent nos programmes, toute une partie des cultures auxquelles nos élèves participent - souvent la culture de leurs parents - me semble particulièrement stigmatisant et préjudiciable. Et quand je dis cela, je ne veux pas renoncer à un principe d'universalité des savoirs, qui a toujours été un objectif de l'École républicaine, je dis simplement que ce principe d'universalité doit un peu se frotter à la réalité des diversités culturelles qui existent dans nos établissements.
Il me semble également qu'il faudrait porter plus d'intérêt à un rééquilibrage du curriculum au niveau du collège. Aujourd'hui encore, il est évident que le poids des arts, de la technologie, de l'éducation physique reste encore mineur par rapport aux disciplines de langage, qui restent dominantes dans la plupart de nos programmes scolaires. Et au collège, cela se fait sentir de façon particulièrement forte.
Autre axe de réflexion : il y a dans le collège à faire en sorte que les jeunes soient confrontés à des jugements de valeur. Tout ne se vaut pas. Et un des principes de la culture scolaire doit être d'avoir le courage de dire que tout ne se vaut pas. Et quand je dis cela, ça signifie aussi qu'il faut apprendre aux jeunes à construire eux-mêmes des jugements, c'est-à-dire à leur donner les outils critiques qui leur permettent de distinguer que certaines productions culturelles permettent d'accéder au sens profond de la condition humaine, et d'autres simplement à son sens superficiel. Il me semble que là-dessus, l'école faute de s'être peut-être suffisamment engagée n'apporte pas de réponse claire, à des jeunes qui sont pourtant en interrogation sur ces questions fondamentales.
Dernière chose que je voudrais dire, il existe des élèves en très grande difficulté affective, sociale, médicale dans nos collèges. On en a sous-estimé le poids. Ces élèves sont souvent perçus comme des fauteurs de troubles. Ce sont surtout des élèves malheureux. Je voudrais insister, Gérard l'a souligné tout à l'heure, sur l'intérêt qu'il y aurait à concevoir de véritables équipes de suivi de la difficulté scolaire, qui impliquent réellement tous les personnels de l'établissement, notamment les conseillers principaux d'éducation, les conseillers d'orientation, les infirmières, les assistantes sociales à côté des enseignants, pour essayer de faire le tour des causes profondes des difficultés que connaissent un certain nombre de jeunes. Ces équipes ne peuvent pas fonctionner simplement sur une année. Elles doivent constituer une véritable mémoire des élèves qui sont les plus vulnérables, les plus en difficulté dans nos établissements. Et elles doivent permettre d'être surtout des structures de dialogue avec la famille, avec l'équipe pédagogique, avec les associations qui parfois s'occupent des jeunes dans les quartiers, pour essayer de construire un peu une cohérence éducative, qui manque souvent vis-à-vis de jeunes en perte de repères, mais aussi vis-à-vis d'une institution qui est dans l'incapacité de diagnostiquer réellement les causes de l'échec scolaire, qui sont souvent des causes pas simplement scolaires mais externes à l'école, et sur lesquelles l'école pourrait aussi agir. Donc il me semble qu'il y a là une priorité absolue de construire pour les 8 ou 10 % de jeunes en grande difficulté dans nos collèges ce véritable suivi qui existe plus ou moins, mais qui n'est pas réellement institutionnalisé, en tous les cas qui n'a jamais constitué une priorité des politiques éducatives depuis des décennies.
Claude Thélot - Merci. Madame Geneix ?
Nicole Geneix - Peut-être que pour traiter convenablement la question du collège, on ne peut pas faire l'impasse sur ce qui précède le collège. Et moi je voudrais préciser deux choses. D'abord malheureusement, les élèves qui sont aujourd'hui en très grande difficulté au collège ont souvent été en difficulté à l'école élémentaire, et on a souvent repéré des difficultés importantes depuis l'école maternelle. Il est donc nécessaire, plus que ne le fait le système éducatif aujourd'hui, de mettre en place un véritable dispositif de prévention, de manière que les inégalités sociales qui sont importantes ne se transforment pas automatiquement et durablement en inégalités scolaires quasi irréversibles. Alors on a toute une panoplie déjà de dispositifs qui ont été mis en uvre, mais qu'il conviendrait de consolider. Je voudrais d'abord insister sur un élément qu'a souligné Gérard, à savoir la nécessité de donner un nouvel élan, un nouveau souffle à l'école, au sens large. Je veux parler en particulier du socle de l'école, l'école maternelle et l'école élémentaire. Aujourd'hui, on peut regarder le système éducatif de deux manières : soit on liste toutes ses difficultés et on en conclut qu'on est devant une énorme machine qu'on aura bien du mal à remuer, et on regarde des collègues démoralisés, des parents désemparés, des enfants et des jeunes difficiles à gérer, ou alors on regarde les réussites du système éducatif, et on s'interroge non pas simplement pour se décerner des médailles ou pour se faire plaisir, mais sur les conditions qu'il faudrait réunir pour que ses réussites, qui sont beaucoup plus nombreuses qu'on veut parfois le dire, soient des réussites qu'on rencontre sur l'ensemble du territoire, quel que soit le lieu de scolarisation des enfants, et aujourd'hui, même si l'école ne peut pas tout, nous, nous avons la conviction que pour peu qu'elle soit aidée, on a la possibilité de franchir un palier supplémentaire. Vous savez, les enfants qui arrivent dans nos classes, on peut, quand on est institutrice de maternelle, constater à quel point, c'est déjà très perceptible chez de tous jeunes enfants, à deux ans, à trois ans, combien l'écart entre la culture familiale et la culture scolaire peut être grand. Eh bien, il y a là véritablement un enjeu de taille pour le système éducatif. Et nous, nous voulons réaffirmer avec force que nous partageons l'idée selon laquelle il faut non seulement donner les moyens à l'école d'aider individuellement et collectivement tous les enfants qui sont dans cette situation, mais aussi, alors que depuis des années on est dans une logique de conseils apportés aux enseignants pour individualiser l'enseignement, de passer à une logique d'accompagnement des équipes enseignantes et des équipes pluri-professionnelles dans le second degré. Malheureusement dans le premier degré on est tout seul, sauf en école maternelle où on est avec des ATSEM (Assistant Technique de Service d'École), on avait des aides-éducateurs, il se passait des choses formidables, je ne vais pas faire une lamentation mais vous connaissez le sujet Malheureusement, nous n'avons que peu d'assistants d'éducation, à par pour la scolarisation des enfants en situation de handicap, ce qui est une chose positive, mais qui est quand même insuffisante. Donc fabriquer du commun, fabriquer une culture commune, ça commence à se jouer dès l'école maternelle.
Toujours dans la perspective de cet élan à redonner, il faut développer la recherche pédagogique, et la recherche en éducation, la recherche en didactique, qui est à la fois, comme le disait Antoine Prost dans son rapport sur la recherche, insuffisante et insuffisamment diffusée, quand elle existe. Il faut développer la formation des enseignants, mais il faut aussi faire confiance à la capacité d'initiative professionnelle des enseignants, qui est très importante, on peut le voir dès lors qu'on se penche sur des sujets concrets depuis l'école maternelle.
La deuxième chose que je voudrais dire c'est qu'il faut accorder toute l'attention aux enfants les plus fragiles, depuis l'école maternelle, l'école élémentaire jusqu'au collège ; sans doute conviendrait-il d'améliorer rapidement les continuités, tout au long du système éducatif. De ce point de vue-là, vous savez que l'école primaire dispose maintenant de nouveaux programmes, pour l'école maternelle comme pour l'école élémentaire, qui sont plutôt appréciés positivement. Il nous semble qu'un pas positif dans l'établissement d'une culture commune est possible grâce aux nouveautés qui figurent dans les programmes de l'école primaire, mais la France a ceci de merveilleux que nous continuons à refondre les programmes scolaires de manière totalement disjointe, avec d'un côté l'école primaire, de l'autre côté le collège, sans parler du lycée professionnel et du lycée général. Il y a là quelque chose de tout à fait anormal qu'on pourrait résoudre. Dans la formation des enseignants, puisqu'on a évoqué la question des IUFM, malgré une idée fondatrice assez généreuse d'un lieu unique de formation pour les enseignants du premier et du second degré, on ne peut pas véritablement dire que l'osmose ait fonctionné. Les parties communes de formation, quand elles ont existé, sont restées assez formelles et ont été plutôt mal vécues par les collègues enseignants, pourtant il nous semble qu'il y a des terrains intéressants qu'on pourrait de manière profitable mettre en uvre. Je ne vais pas développer mais citer peut-être un seul exemple : on pourrait imaginer que de futurs enseignants d'école maternelle, d'école élémentaire, de collège et au-delà, tireraient profit d'une formation commune, sur la lecture, sur l'ensemble d'une trajectoire scolaire, ou les mathématiques, etc.
On doit donc avoir la possibilité de trouver des moyens institutionnels qui permettent des collaborations fécondes entre les enseignants, ou plus largement les personnels du premier degré et les personnels du second degré. Il ne faudrait évidemment pas qu'on passe d'une situation au cours de laquelle on a un peu considéré que le collège était le maillon faible, le problème numéro un de tout le système éducatif, pour se dire que finalement tous les problèmes viendraient de l'école maternelle et de l'école élémentaire, et que ma foi nous n'aurions qu'à fabriquer des élèves parfaitement formatés pour réussir au collège, et que tout serait réglé. Certes, il faut améliorer la réussite de l'école et surtout de nos élèves à l'école primaire, mais il faut également reconnaître que beaucoup d'enfants qui quittent l'école élémentaire en ayant une réussite, je dirais, moyenne, aux évaluations nationales - qui sont au moins un outil qu'on peut tous utiliser - et qui sombrent au collège. Ce sont souvent des enfants qui sont fragiles psychologiquement ou affectivement. Il faut également dire que le passage entre l'enfance et l'adolescence est un moment difficile, sûrement insuffisamment pris en compte dans notre système éducatif, que le fonctionnement de l'école maternelle et de l'école élémentaire et le fonctionnement du collège est très différent, que la taille des établissements est très différente, que certains enfants dans les secteurs ruraux, et il y en a encore, font des trajets assez importants, donc plaider pour qu'on ne choisisse pas un seul morceau du système éducatif en se disant " réglons d'abord la question de l'école maternelle et la question de l'école élémentaire ", et ensuite on aura un collège qui fonctionnera parfaitement. Il faut, comme l'a dit Denis, à la fois de l'urgence pour les enfants et les jeunes qui sont dans les situations les plus graves, mais il faut penser les évolutions, les transformations du système éducatif en traitant l'ensemble des niveaux scolaires et l'ensemble d'une trajectoire scolaire pour chaque individu.
Claude Thélot - Merci. Madame Le Chevert, un mot peut-être ?
Brigitte Le Chevert - Juste deux mots, pour bien soutenir ce qu'ont dit Denis Paget, Gérard et Nicole, sur la demande des collègues de travailler en équipe, en particulier dans les collèges. Il y a une grande solitude des collègues infirmières, mais aussi des collègues assistantes sociales. Il y aurait donc de l'intérêt à travailler ensemble pour trouver des solutions pour les élèves les plus en difficulté. Voilà pour la première chose. Et la deuxième chose, c'est la formation. Il y a aussi une demande très forte de nos collègues d'une formation en équipe, avec les autres personnels des collèges, en particulier les enseignants, les conseillers d'éducation, les infirmières, les assistantes sociales, ensemble.
Claude Thélot - Merci. Madame Leloup.
Marie-Hélène Leloup - J'ai une question par rapport à la présentation qui a été faite. Vous avez insisté, en fait, sur la difficulté au collège de tenir ensemble deux termes : le développement d'une culture commune, et une nécessaire individualisation. Et si j'ai bien compris ce que vous avez dit, vous avez admis, finalement, que cette nécessité d'une culture commune pourrait s'assortir de parcours plus ou moins spécifiques pour des élèves en très grande difficulté. Je ne sais pas jusqu'où, dans ce choix, vous interrogez la culture commune. Ma question est la suivante : est-ce que finalement quand on admet, et la réalité peut y obliger, quand on pose comme principe admissible que des élèves en très grande difficulté se voient proposer des parcours différents, par exemple sous forme de formation professionnelle anticipée, lien avec le lycée professionnel, etc., est-ce qu'on n'est pas en train de dire, finalement, que ces parcours spécifiques ne sont plus constitutifs de cette culture commune ? Est-ce qu'on ne pourrait pas poser le problème à l'envers et introduire vraiment, dans la culture commune pour tous, une sensibilisation, justement, à quelque chose qui serait de l'ordre du professionnel, et qui valoriserait, dans le champ de la culture commune, des élèves qui sont en très grande difficulté, et qui justement, ne parviennent pas à l'acquisition des compétences d'un socle commun ?
Claude Thélot - Merci. Qui ? Denis Paget, peut-être ?
Denis Paget - Je peux apporter une réponse. D'abord, qu'on ne se méprenne pas sur ce que j'ai dit : je n'institue pas comme principe général de fonctionnement du collège qu'on puisse avoir recours systématiquement au lycée professionnel. Je dis simplement qu'il faut tenir compte de la réalité : on a aujourd'hui une population très fragile dans les collèges, toutes les évaluations oscillent entre 7 et 10 %, et évidemment c'est variable selon les collèges, mais sur ces 7 à 10 %, on en a sans doute 5 ou 6 % qui sont proches de l'analphabétisme, comme on dit parfois, ou de l'illettrisme, et qu'on retrouve dans les journées d'appel de la Défense, par exemple. Donc on voit bien qu'on a là un noyau dur de l'échec scolaire sur lequel on ne réussit pas à agir aujourd'hui.
Je ne sais pas si dans l'avenir, on arrivera à résorber complètement cette situation-là. Je crois d'ailleurs que personne ne le sait. D'autant que nous recevons parfois, parmi ces 6 ou 7 % de jeunes, de jeunes immigrés qui n'ont même pas eu de scolarité dans les pays d'où ils viennent, donc on part parfois de très loin. Je ne sais pas ce que dira l'avenir, je dis simplement que tant que nous avons cette population en très grande difficulté, on ne peut pas se contenter de jouer la politique de l'autruche, on ne peut pas se contenter de dire " Ils sont dans le collège, on ne sait pas trop où. ", ou de les cantonner en 4e d'année de soutien et en 3e d'insertion, qui entre parenthèses n'insère personne. Quand ils ont 16 ans, ils disparaissent dans la nature, et on les retrouve bien sûr parmi les chômeurs de longue durée. C'est irresponsable de faire cela. Il y a un investissement fort à faire pour ces jeunes-là. Et pour ces jeunes-là, le premier objectif, c'est qu'ils puissent atteindre un premier niveau de qualification de niveau 5 (Niveau 5 = CAP ; niveau 4 = BEP ; niveau 3 = bac, etc.). C'est ça qui est réaliste ! Quand est-ce qu'on peut le faire ? Je crois que c'est là que ça dépend des individus. Il ne s'agit pas d'instituer un palier d'orientation à la fin de la 5e, ou à la fin de la 4e, non ; il s'agit de voir ce qui est le mieux pour ce jeune. Si on peut continuer à le scolariser dans le collège, qu'il y a un lycée professionnel à côté et qu'on peut travailler en équipe avec le lycée professionnel, c'est une possibilité. S'il n'y a pas de lycée professionnel dans les environs, là les solutions sont forcément autres. Elles passent par l'internat, elles passent par une scolarité en lycée professionnel à temps complet, peut-être. Je dis simplement qu'il y a là des choses à inventer !
Claude Thélot - Par l'alternance, aussi ?
Denis Paget - Éventuellement par l'alternance. Mais à condition que le cahier des charges de l'alternance soit bien défini. Si l'alternance, c'est ce à quoi nous assistons cette année, où il s'agit de faire du chiffre, où l'inspecteur d'académie dit " je veux tant d'élèves en alternance ! ", si c'est cela, je dis qu'on fait fausse route. Mais si on construit des dispositifs en alternance qui peuvent impliquer des entreprises, avec un véritable objectif de formation, avec de véritables contenus de formation et un véritable contrôle, dans ce cas-là, peut-être, c'est peut-être une solution pour ce type d'élève. Ce que je dis là, je ne l'érige pas en principe théorique, je dis simplement qu'il tient compte de la réalité d'un certain nombre d'élève en très grande difficulté au collège, et pour lesquels aujourd'hui on ne fait rien !
Je voudrais ajouter une dernière chose : je n'ai pas connu, par le passé, beaucoup de politiques scolaires qui aient décidé par exemple de flécher des moyens spécifiques pour ces jeunes-là. On s'est souvent contenté de dissoudre les dispositifs existants, par exemple les 4e et 3e technologiques qui n'ont pas démérité, quand elles existaient, parce qu'il coûtait beaucoup moins cher de mettre ces élèves en très grande difficulté dans des classes ordinaires, parce que les classes de 4e et 3e technologiques nécessitaient des équipements, des équipes, de la concertation, etc. Donc je le dis franchement, je crois qu'une politique scolaire qui voudrait résorber l'échec scolaire lourd devrait flécher des moyens pour ces élèves-là. Et plus on va vers la globalisation des dotations horaires dans les établissements, moins ces jeunes en tirent profit et parti, évidemment ! On connaît tous les dispositifs, les prises de décision qui font que même si c'est plus ou moins inconscient, les moyens vont à ceux qui n'en ont pas le plus besoin. Donc il y a là quelque chose à faire, une responsabilité à prendre, parce que finalement, en bout de course, les jeunes sans qualification, ça coûte très cher à la nation.
Claude Thélot - Mettre les moyens au profit de ceux qui en ont le plus besoin, ça ce serait une très grande révolution dans notre école ! Peut-être est-ce l'expression de la justice ? Monsieur Julliard.
Jacques Julliard - On ne peut qu'être d'accord avec les intentions que les uns et les autres vous avez développées. Simplement, j'essaie de voir concrètement ce que ça donne. Parce qu'il ne faut pas minimiser l'importance du problème. J'ai vu des sondages qui montrent qu'une majorité d'enseignants des classes concernées sont hostiles, d'une manière générale, à ce qu'on appelle aujourd'hui le collège unique. Moi, personnellement, je suis d'accord avec ce qu'à dit monsieur Aschieri à ce sujet, je crois qu'au point de vue de la philosophie générale de l'École, nous devons rester fidèles à cet idéal. Simplement, je constate que c'est le lieu qui fait difficulté, et qui est considéré comme difficile, à la fois par les enseignants en situation, mais aussi par une partie des parents d'élèves, par une partie de l'opinion, donc il faut réduire le problème. Il me semble que ce que vous proposez, c'est de la discrimination positive. Très bien. Pourquoi pas ? Simplement, est-ce que la discrimination positive, qui est
Claude Thélot - un traitement différencié.
Jacques Julliard - un système qui comme son nom l'indique, implique une diversité, va de pair avec l'idéal qui a présidé à l'instauration du collège unique, quel que soit le nom qu'on lui donne, qui était au fond une sorte de pari sur l'universalité de l'esprit humain, et la possibilité de tous les esprits de se retrouver à un moment donné - et plus c'était tôt, mieux ça valait. Je vous rejoins tout à fait sur ce que vous avez dit sur le primaire et sur les maternelles, naturellement. Et simplement, je crois qu'à un moment donné, puisqu'on est dans une période où à la fois on réfléchit, mais aussi, si j'ai bien compris, on va vers une loi, à l'automne prochain
Claude Thélot - Le gouvernement l'a annoncé.
Jacques Julliard - Bon, parce qu'on ne parle pas en l'air, là, quand même. Il y a des choses qui se préparent. Autrement, ça serait sympathique, formateur pour nous, mais
Claude Thélot - Mais pas suffisant.
Jacques Julliard - Pas suffisant, voilà. Alors de ce point de vue-là, il va bien falloir à un moment donné dire oui ou non. On ne peut pas dire oui et non, comme vous le faites un peu - comme nous le faisons tous. Moi, je constate que longtemps, le collège unique a été défendu, pour dire les choses très grossièrement, en m'excusant du caractère trop schématique de ce que je vais dire, a été défendu plutôt par les éléments de gauche, progressistes, comme vous voudrez - encore que c'est quand même un ministre de droite qu'il l'a mis en place, il faut le rappeler - tandis que les éléments plutôt conservateurs, qui ne manquent pas d'arguments, d'ailleurs, étaient plutôt hostiles au collège unique. Aujourd'hui, la situation est différente. Nous avons vu, il n'y a pas si longtemps, un ministre plutôt classé à gauche, monsieur Mélenchon, pour ne pas le citer, mettre en cause fortement le collège unique. Ça m'avait beaucoup choqué à l'époque, mais avec des arguments auxquels j'ai réfléchi et qui n'étaient pas sans valeur, qui consistaient à dire que le collège unique aboutissait à une espèce de discrimination négative au détriment des moins favorisés. Je résume de manière un peu grossière ce qu'il disait, mais c'est à ça que ça aboutissait. Je crois donc que l'ensemble de l'opinion publique a besoin d'une réponse claire, autrement dit, si nous nous engageons dans la voie de la discrimination positive, disons que nous conservons, monsieur Aschieri, l'idéal - votre formule est bonne, d'une culture commune et des possibilités d'y parvenir. Mais je crois qu'il faut dire concrètement, à ce moment-là, qu'il n'y aura plus, au moins pour une période donnée, de collège unique, il y aura des formations diversifiées, et cela d'autant plus que, vous l'avez tous souligné à juste titre, le niveau de départ des élèves est de plus en plus différent.
Claude Thélot - Alors, monsieur Aschieri, peut-être, et madame Geneix ?
Gérard Aschieri - Je voudrais répondre qu'il faudrait penser dialectiquement. Mais la première chose que je voulais dire, c'est que quand on dit collège unique comme principe, ce n'est pas un idéal abstrait. C'est quelque chose que l'on doit et que l'on peut construire. Je veux dire, le collège, aujourd'hui, ce que nous disent nos collègues, et ce qui fait difficulté, c'est qu'ils perçoivent ce collège dit unique comme absolument pas unique. Nos collègues ne le perçoivent pas comme unique.
Claude Thélot - Vous croyez que ça marcherait mieux s'il était complètement unique ?
Gérard Aschieri - Non, non, non, ça n'est pas ça que je veux dire. Excusez-moi si je n'ai pas été clair, je vais essayer de le redire autrement. Et je pense que j'ai eu tort d'employer l'expression collège unique qui est une expression piégée. J'ai voulu parler de collège pour tous. Et je le répète, il ne s'agit pas d'autre chose que de le construire. Simplement, dans cette construction, à un moment donné, on rencontre des élèves qui sont ce qu'ils sont, avec une histoire d'échecs dont nous sommes tous plus ou moins responsables, dont la société est responsable - et nous disons simplement et pas plus que ça : ces élèves, il faut s'en occuper, parce que si on ne s'en occupe pas, pour eux c'est la perte assurée. Voilà, c'est un peu ça notre propos.
Claude Thélot - Très bien. Madame Geneix. Et j'ai des demandes de paroles, par conséquent il faut que les réponses et les questions soient courtes.
Nicole Geneix - Évidemment, c'est toujours l'articulation entre les objectifs, les principes, et ce qu'on fait dans le transitoire quand il y a des cas particuliers exceptionnels, comme le disait Denis, qui est difficile. Je voudrais dire avec un peu de solennité que pour nous
Claude Thélot - Exceptionnels, hum
Nicole Geneix - Oui, enfin vous avez compris, c'était au cas par cas, c'est " exceptionnels " au sens où ils sont rares dans les établissements. C'est que rien ne serait plus terrible pour le système éducatif et pour les valeurs qu'on accorde à l'École, aussi bien dans l'édification d'une culture commune que dans le rôle essentiel qu'elle joue dans l'établissement du lien social, que de renoncer aux principes et aux objectifs du collège pour tous. Parce que vous savez, quand on commence à regarder, et je vais reprendre la métaphore de la locomotive, du train et des wagons, quand on enlève le wagon de queue, on trouve toujours un wagon de queue, quel que soit l'établissement. Et on peut trouver des élèves qu'on va estimer n'étant pas du niveau dans le 6e arrondissement de Paris, aussi bien que dans la banlieue la plus difficile de Seine Saint-Denis. Donc nous refusons l'établissement de principes qui en viendraient à établir des paliers d'orientation ou des voies de relégation, dont l'expérience a montré qu'elles ne constituaient pas une solution collective satisfaisante.
Je voudrais dire un mot sur les SEGPA (Sections d'Enseignement Général et Professionnel Adapté), qui ont la spécificité d'être implantées en collège et qui accueillent une population scolaire en très, très grande difficulté. Une des caractéristiques étonnantes de cette SEGPA, c'est qu'une partie très importante et même majoritaire de ses enseignants sont des enseignants du premier degré. Ce sont donc des instituteurs et des professeurs des écoles spécialisés, qui ont un diplôme professionnel particulier, et qui collaborent avec des enseignants de lycée professionnel et avec des collègues certifiés exerçant au collège. Nous avons donc là une expérience d'une population scolaire particulière, excessivement fragilisée à tous points de vue, le plus souvent socialement. Voilà un exemple d'expérience de collaboration possible ou de passerelle avec le lycée professionnel. Et je crois qu'il y a quelques leçons à tirer de ces expériences-là. Quand on est passé des SES (Sections d'Enseignement Spéciales) aux SEGPA, c'était avec l'idée qu'on préparait les élèves à l'intérieur du collège à l'objectif d'une qualification de niveau 5, avec des collaborations et des enseignements professionnels adaptés, avec l'idée aussi de garder ces élèves-là jusqu'à 18 ans. Il y a des conseils généraux qui ont équipés des SEGPA en matériel, il y a des choses très intéressantes qui ont été faites. Parfois ça s'est arrêté pour des questions sordides de moyens. Et puis parfois on a dit : " Mais enfin, ces enfants-là, à 16 ans, ils peuvent aller au lycée professionnel. " Eh bien, on a constaté que sur des populations scolaires très fragilisées, quand il faut ajouter à la scolarisation un déplacement - faire 40 kilomètres pour aller au lycée professionnel, ce qui nécessite une mobilisation de la famille, une mobilisation du jeune, un accompagnement social - on a presque tout le temps eu un échec. Les processus d'acquisition qui finissent par déboucher pour ces élèves-là sur des CAP avec des systèmes d'unités capitalisables etc., les réussites qu'on a pu observer ont été les plus fortes au moment où l'équipe éducative de la SEGPA était réellement le pivot, mais avec un volume horaire et un lieu qui étaient déterminants. Donc je crois que ce qui est difficile quand on traite la question de ces élèves-là, c'est d'avoir ou de donner le sentiment que finalement, comme ils seraient en grande difficulté dans les enseignements dits généraux, la solution de l'enseignement professionnel serait la voie toute trouvée qui conduirait automatiquement à la réussite, ce n'est pas vrai, les lycées professionnels aujourd'hui n'ont pas, tels qu'ils fonctionnent et tels qu'ils sont organisés, la possibilité ou la capacité, forcément, d'être le lieu de prise en charge des jeunes et des enfants qui cumulent à la fois la grande difficulté scolaire, sociale, et les nombreux problèmes de l'adolescence. Donc peut-être que dans le système éducatif, quand on perçoit des expériences, des solutions qui commencent à fonctionner, avant de tirer brutalement un trait dessus, parfois pour des petites raisons aussi poétiques que ce qu'on appelle la carte scolaire, il conviendrait de faire vraiment des bilans qualitatifs, et de se dire qu'il y a peut-être des expériences qui non seulement doivent être consolidées, confortées, mais développées. Du point de vue de la très grande difficulté scolaire, peut-être que Denis dira deux mots aussi
Claude Thélot - Non.
Nicole Geneix - Non, bon. Mais on sait qu'on a des collègues, et de toutes catégories professionnelles, y compris avec l'aide de mouvements associatifs, qui ont tenté des choses du côté des décrocheurs et que sans doute il y a des leçons à tirer de certaines de ces expériences-là.
Claude Thélot - Merci. J'ai quatre demandes de parole, et par conséquent ça va nous mener jusqu'à la fin, si nous sommes disciplinés, c'est-à-dire si les questions et les réponses sont brèves et denses. Monsieur Carle.
Jean-Claude Carle - Oui monsieur le Président. Deux questions très rapidement. La première s'inscrit dans le prolongement de ce qui vient d'être dit. Je crois que nous sommes tous d'accord pour dire qu'il est nécessaire de faire partager à tous les élèves une culture commune. Cela dit, la question demeure de comment y faire accéder les 8 ou 10 % qui aujourd'hui ont des difficultés. Est-ce que nous ne sommes pas face à un véritable problème culturel, qui est celui d'une société qui a hiérarchisé ou trop fortement hiérarchisé les formes d'intelligence et de ce fait peut-être trop hiérarchisé les disciplines. Est-ce qu'il ne serait pas souhaitable de revaloriser un certain nombre de disciplines, vous en avez parlé tout à l'heure, disciplines artistiques, disciplines sportives, de façon à développer ces points forts qui sont très souvent ceux d'un certain nombre de jeunes, de façon à leur permettre d'accéder à cette culture générale. C'est ma première question.
Deuxième question, vous avez dit monsieur Aschieri qu'il fallait préserver, si ce n'est développer, un service public national qui garantit l'égalité de traitement, que cela nécessitait un cadre national fort, mais aussi des capacités d'initiatives locales fortes. Est-ce que vous pouvez nous en dire un peu plus ? Quels sont les domaines dans lesquels on peut développer des initiatives locales, et quels sont à contrario les domaines où vous ne souhaitez pas que des initiatives locales soient prises ?
Claude Thélot - Monsieur Aschieri, et monsieur Paget, je vous en prie. Réponse brève s'il vous plaît.
Denis Paget - Pour répondre à la première partie de votre question, je crois qu'il existe une véritable hiérarchie implicite des disciplines dans le système scolaire. Cette hiérarchie n'est d'ailleurs pas tout à fait la même au collège et au lycée, et il faudrait s'interroger pour savoir pourquoi elle existe et comment y remédier, mais ça m'emmènerait un peu loin. Je voudrais simplement vous dire que je ne crois pas qu'il existe des disciplines propres aux élèves en difficulté. Mais je crois qu'il peut exister des approches qui peuvent rendre les disciplines accessibles à tous. Alors je voudrais insister sur trois aspects qui me semblent importants ; le premier, c'est qu'il faudrait que dans les pratiques pédagogiques comme dans la culture définie par les programmes, on inscrive davantage les connaissances dans leur histoire. Elles apparaissent trop comme des données toutes faites, que les hommes auraient produites sans se donner du mal et de la peine. Introduire la dimension historique des savoirs scolaires me semblerait donc quelque chose d'essentiel.
Deuxièmement, on a tendance aussi à asséner comme des vérités toutes les connaissances, alors qu'il faudrait à la fois un enseignement qui permette davantage de les problématiser, et en même temps un enseignement qui permette de répondre davantage à des problèmes du monde. De ce point de vue-là, je vous renvoie à des travaux récents de relecture des programmes de collège, qui me semblent avoir mis l'accent sur cet aspect. Si nous ne sommes pas au bout des solutions qu'il faudrait élaborer, en tous les cas, il y a des pistes à explorer pour qu'on ait des programmes qui répondent aux problèmes du monde et qui permettent de les éclairer.
Et troisième aspect, je pense que nos traditions scolaires ont souvent beaucoup insisté sur le caractère gratuit de la culture. Et vous savez, le caractère gratuit de la culture ne vaut que pour les gens cultivés. Et il me semble que notre système scolaire ne perdrait pas de sa qualité s'il se posait un peu plus la question de l'utilisation sociale des connaissances. Et là aussi, ça permettrait, je crois que la question a été posée tout à l'heure par un intervenant, ça permettrait de réintroduire par exemple l'intelligence des cultures professionnelles au sein des disciplines générales elles-mêmes.
Claude Thélot - Merci. Monsieur Aschieri.
Gérard Aschieri - Un exemple de ce qui pourrait faire l'objet de plus de liberté et d'initiative, c'est précisément le traitement, je dirais quasiment au cas par cas, des élèves en difficulté. Et pour être très schématique, ce dont nous ne voulons pas, ce sont, par exemple, des établissements scolaires considérés comme autonomes, concurrents, avec des budgets globaux, Denis a évoqué tous les problèmes que les budgets globaux peuvent poser, justement, pour les élèves les plus en difficulté. En revanche, ce dont nous voulons, ce sont des équipes qui aient des possibilités d'initiative, de recherche, d'adaptation, évidemment sous réserve d'un contrôle : qui dit expérimentation dit résultats et dit aussi évaluation. Et je dirais que la capacité d'initiative, on la souhaite plus pour les équipes que pour les établissements ou des entités administratives. Voilà. J'ai été un peu schématique, excusez-moi.
Claude Thélot - Merci. Monsieur Janet, vous vouliez intervenir ? Madame David ?
Annie David - Beaucoup de choses ont déjà été dites, et tout ce que j'ai entendu amènerait beaucoup d'autres questions pour lesquelles on n'a pas bien le temps et c'est très dommage. Quelques réflexions malgré tout. J'ai bien entendu votre demande, votre demande de travailler en équipe rejoint la question de monsieur Carle, et je partage cette demande et cette volonté de travailler en équipe, entre les différents personnels de l'Éducation nationale. Du coup, j'ai des interrogations sur cette décentralisation qui vient d'être votée, et effectivement la mise à mal que cela représente pour le travail en équipe. La deuxième question porte plus sur l'enseignement diversifié et sur le collège unique. C'est vrai que ce mot de collège unique est mal venu, l'expression collège pour tous est plus intéressante parce qu'elle correspond mieux à ce qu'est vraiment ce collège, destiné à scolariser tous les enfants, avec les difficultés que cela engendre et que nous connaissons tous. Alors ce collège pour tous, est-ce qu'on ne pourrait pas l'envisager sur plus une durée plus longue : par exemple, puisqu'il y a effectivement des enfants en difficulté, et est-ce que, ce que certains sont capables de faire en quatre ans, on ne pourrait pas l'envisager pour d'autres en cinq ans, avec des passerelles entre les classes dans les matières où les élèves ont des difficultés. Cela amène une autre question : je n'ai pas bien entendu tout à l'heure si vous avez parlé ou pas de la scolarisation jusqu'à 18 ans. Parce qu'aujourd'hui, de toute manière, dans les faits, beaucoup d'élèves vont à l'école jusqu'à au moins 18 ans si ce n'est plus. Est-ce qu'on ne pourrait pas envisager l'augmentation de l'âge de la scolarisation obligatoire, aller jusqu'à 18 ans, pour permettre au moins aux jeunes d'acquérir ce socle commun de culture que l'on peut acquérir au sein de ce collège pour tous ? Parce qu'il me semble important, effectivement, qu'il y ait des parcours diversifiés dans l'acquisition de cette culture commune, mais que le socle commun de culture et de compétences de chaque élève soit le même à l'issue du collège, pour ensuite choisir son orientation et que cette orientation soit réellement choisie par l'élève et par la famille. Cela permettrait aux élèves en difficulté de ne pas subir de redoublement, ou de ne pas vivre cette prolongation de la durée d'apprentissage comme un échec, mais comme une possibilité qui leur est donnée, en fonction de leur capacité d'apprentissage, pour ce socle commun de compétences.
Claude Thélot - Ceci appelle des commentaires. Monsieur Aschieri.
Gérard Aschieri - La scolarité à 18 ans, j'ai dit que pour nous c'était un objectif. Ça revient à officialiser ce qui correspond à une large réalité. Je crois que c'est à peu près les termes que j'ai employés. La décentralisation Nous avions, et nous continuerons à avoir, deux craintes. La décentralisation, c'est d'une part un changement d'employeur. À la limite on pourrait dire qu'après tout c'est pas grave, que c'est un risque d'avoir des politiques différentes selon les employeurs, en termes de moyens, de répartition des moyens, de gestion, etc., avec tout ce que ça pose néanmoins comme problèmes d'inégalité. Mais il y a un autre problème : quand on regarde tout ce qui a été mis dans les projets de décentralisation, on s'aperçoit que la décentralisation ne prévoyait pas seulement un changement d'employeur, elle impliquait aussi des changements dans les métiers, dans la fonction, et dans la présence ou non de ces personnels dans les établissements et dans l'équipe éducative. De ce point de vue, je dois dire que pour les personnels décentralisés TOS, il y a l'idée de leur garder un statut spécifique qui leur permette de rester dans les établissements scolaires - je suis interrogatif par rapport à ça, parce que je pense que de toute façon, la décentralisation n'est pas une bonne chose - mais il faudrait au minimum qu'il y ait ce type de garantie. Je le dis y compris parce que je sais que parmi vous il y a des parlementaires !
Claude Thélot - Merci. Madame Altschull, pour une dernière intervention, s'il vous plaît.
Élisabeth Altschull - Je me réjouis que la prise en compte des élèves en très grande difficulté soit une préoccupation, parce que c'est effectivement un des effets, un des résultats du collège unique jugés négatifs par les enseignants. Je crains néanmoins un certain misérabilisme, et surtout, le fait d'ignorer un autre effet du collège unique, c'est-à-dire que depuis qu'il existe ou depuis qu'il n'existe pas, peu importe, depuis qu'il a été officiellement institué, les écarts se creusent entre les bons élèves, les bons élèves des milieux défavorisés, par rapport aux bons élèves des milieux favorisés, et la frustration des enseignants par rapport au collège unique porte aussi sur ce point. Le système français a une force, c'est que les enseignants très compétents sont près à aller dans n'importe quel quartier et de donner un enseignement de qualité à des enfants de n'importe que milieu. Et il y a une sorte de panne de ce système-là, l'excellence et le très bon niveau proposé à tous les enfants de tous les milieux ne fonctionnent plus. Et d'une certaine façon, par exemple, quand on est envoyé en ZEP, pour moi les ZEP c'est l'anti-collège unique, puisque d'emblée, le collège a une étiquette mauvais collège, et d'emblée quand l'enseignant y arrive, il se dit " Je vais avoir des élèves en difficulté ", et c'est par établissement plutôt qu'en fonction des élèves. On ne fait plus cette chose qui est de dégager les bons élèves de quelque milieu qu'ils soient et la frustration elle est là, aussi. Je veux dire, la frustration vis-à-vis du collège unique, c'est qu'on perd les élèves en grande difficulté, on ne leur fait aucun bien, et il n'est pas certain que les bons élèves, dans les mauvais collèges, on les tire d'affaire. Donc je voudrais que vous répondiez un petit peu à cette problématique-là également.
Claude Thélot - Monsieur Paget ?
Denis Paget - Je crois que la dynamique de notre discussion a fait, et je crois que c'est normal, que nous avons porté l'accent sur les élèves les plus en difficultés, mais il est bien évident que pour nous, le collège doit fonctionner pour tous les élèves, et notamment, il doit mieux jouer qu'il ne le fait, et je partage votre point de vue, le rôle de promotion d'un certain nombre de jeunes de milieux populaires qui sont très méritants, et qui peuvent faire de longues études. Et il est vrai que ce que nous avons appelé la ghettoïsation d'un certain nombre de collèges aboutit parfois à un manque d'ambition pour ces jeunes-là en particulier. Mais je voudrais insister sur un aspect qui m'a frappé dans votre façon de poser le problème, c'est que vous avez utilisé l'expression " ne plus ". Comme si on y arrivait autrefois ! Mais nous n'avons jamais réussi une scolarisation complète et parfaite de la totalité d'une classe d'âge, même jusqu'à l'âge de 16 ans. C'est un objectif que nous n'avons jamais réussi à atteindre ! Et quand il y avait méritocratie dans les collèges, même avant la réforme Haby, c'était sur une fraction des jeunes infiniment faible. Aujourd'hui, l'enjeu pour nous, c'est de faire réussir la totalité ! Je dis faire réussir, ça ne veut pas dire qu'ils deviennent tous polytechniciens, ça veut dire qu'au moins, ils accèdent tous à un diplôme reconnu, c'est déjà l'objectif que nous nous fixons. Et cet objectif-là, on ne l'a jamais atteint. C'est celui-là qu'il faut atteindre.
Élisabeth Altschull - Le nombre des enfants de milieux ouvriers qui accèdent aux études supérieures les plus prestigieuses est en baisse. Il est en baisse depuis les années soixante-dix.
Denis Paget - Claude Thélot connaît mieux les chiffres que moi
Élisabeth Altschull - Ce sont des choses que j'ai lues y compris sous la plume de monsieur Thélot.
Claude Thélot - Je ne crois pas Je vous propose que nous nous arrêtions ici. Merci en tout cas à la FSU de s'être prêtée à cette audition. Je pense qu'il faut que la technique nous aide, le plus possible, à ce qu'au-delà du fond de nos débats, leur retranscription et leur visibilité soit de bonne qualité. Monsieur Aschieri me disait qu'à la fois que les propos liminaires qu'il a tenus, nourris ensuite par la discussion que nous avons eue, pouvaient donner lieu de sa part, ou de la part de la FSU - je ne trahis pas votre pensée - à une contribution dont j'espère qu'elle arrivera à la Commission. Si elle arrive à la Commission, je la rendrai publique. Indépendamment de cela, comme toutes les auditions précédentes, celle-ci fera l'objet d'un verbatim, qui lui-même sera mis sur le site de la commission. Merci beaucoup.
(source www.debatnational.education.fr, le 23 avril 2004)