Interview de M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire, porte-parole du gouvernement à "France Inter" le 18 janvier 2005 sur les manifestations à venir sur la defense du service public, la défense du pouvoir d'achat et la défense des 35 heures.

Prononcé le

Média : France Inter

Texte intégral

Q- P. Roger : C'est une semaine très chaude pour le Gouvernement qui s'annonce, avec tous ces mouvements sociaux. On a vu du côté de J.-P. Raffarin, comme hier, de R. Dutreil, une certaine sérénité malgré tout. On affiche la fermeté face à la rue ; ce n'est pas difficile de tenir cette position ?
R- L'état d'esprit qui est le nôtre, c'est aussi celui d'un Gouvernement qui consacre beaucoup de temps au dialogue et à l'écoute sur tous ces sujets qui sont abordés soit à l'Assemblée nationale, soit dans les grandes enceintes où se décident les choses dans la République, il y a eu un très gros travail de préparation. Et en amont, les partenaires sociaux ont été rencontrés, ont été consultés. Ces réformes n'ont qu'un seul objectif : moderniser notre pays. Parce que l'on sait que si on ne les fait pas, à la clé, cela veut dire des risques d'effondrement du service public d'ici quelques années. C'est pour cela que l'on veut prendre dès maintenant les décisions pour assurer une qualité de service public aux Français et c'est ce qui importe aujourd'hui. C'est vrai que du coup, nous sommes à la fois attentifs à tout ce qui se passe, parce que c'est indispensable d'écouter, y compris les mouvements de grève, cela va de soi, c'est essentiel. Mais en même temps, nous adressons à chacun un message d'appel à la responsabilité.
Q- P. Roger : Il y a tout de même dans cette revendication - vous l'avez évoqué - la défense du service public, mais également la défense du pouvoir d'achat. Hier, il y avait un sondage dans le Parisien qui indiquait que 75 % des Français avaient plutôt de la sympathie pour ce mouvement, parce qu'il y avait la défense du pouvoir d'achat.
R- Oui, absolument. Et dans ce même sondage, cela n'a pas dû vous échapper, 50 % des Français ne se disent pas prêts à manifester pour défendre les 35 heures - je cite la question telle qu'elle était posée -, c'est-à-dire une majorité par rapport à ceux qui y étaient favorables. Cela veut dire que lorsque nous avons proposé de manière très concrète de maintenir la durée légale des 35 heures, mais en disant que ceux qui veulent travailler plus pour gagner plus ou qui doivent le faire par les obligations de la vie, puissent désormais le faire, eh bien cela rencontre chez beaucoup de Français un sentiment qu'il y a là une ouverture importante par rapport aux aléas de la vie. Je crois que c'est aussi comme cela que l'on essaie de gouverner un pays, en essayant dans la mesure du possible de proposer à chacun le libre choix au regard des impératifs de la vie. Je crois que c'est toujours mieux que les contraintes idéologiques.
Q- P. Roger : Les syndicats disent qu'il y a un langage à double vitesse, si je puis dire : d'un côté, il y a ces restrictions pour l'augmentation du pouvoir d'achat, même si, comme vous l'avez dit, la libéralisation des 35 heures...
R- L'assouplissement...
Q- P. Roger : L'assouplissement, absolument, des 35 heures devrait permettre à certains de s'y retrouver. Il y a tout de même ces syndicats qui disent que d'un côté, on rogne sur les salaires et puis de l'autre, on promet des baisses d'impôts...
R- D'abord, je voudrais quand même dire que l'on ne rogne pas sur les salaires. Quand on regarde les statistiques, on voit très clairement que le pouvoir d'achat a continué, ces dernières années, d'augmenter malgré une croissance très faible, et que, pour une bonne part, cela s'explique par les baisses d'impôt, par l'augmentation du Smic, par l'élargissement de la prime pour l'emploi, tout autant de mesures qui ont permis d'améliorer la feuille de paie des Français. Encore une fois, je ne suis pas en train de dire que c'est mirifique, loin s'en faut, ce n'est pas mirifique du tout, mais dans une période où on n'a pas eu du tout ou pratiquement pas de croissance économique, en 2002-2003, nous avons, par l'action que nous avons conduite en faveur des salariés modestes et des classes moyennes - la baisse de l'impôt sur le revenu, c'est en grande partie pour les classes moyennes - et cela rentre du pouvoir d'achat, cela augmente d'autant la feuille de paie. Idem pour ceux qui sont les salariés les plus modestes, à travers l'augmentation du Smic dans des proportions très importantes, comme vous le savez. Cela aussi, ça a permis de tenir bon au niveau de la consommation et le pouvoir d'achat des gens. Donc, voilà la manière très pragmatique avec une croissance plus ralentie, comme cela a été le cas en 2002- 2003.
Q- P. Le Marc : Comment évaluez-vous les motivations de cette poussée de contestation sociale ? Est-ce la recherche d'une revanche de la part des syndicats ou est-ce qu'il y a là la manifestation de demandes justifiées finalement ?
R- Je crois qu'il s'agit de l'expression d'un certain nombre d'inquiétudes et que, après tout, exprimer des inquiétudes, c'est tout à fait légitime dans un monde qui bouge. Quel est le rôle des syndicats ? C'est d'en être naturellement le porte-parole ; quel est le rôle du Gouvernement ? C'est tout simplement d'apporter des réponses concrètes et puis aussi d'assumer des responsabilités, parce que le rôle du Gouvernement, c'est quoi ? C'est d'essayer d'anticiper les grandes évolutions de l'Europe, de notre pays, d'apporter le plus tôt possible les réponses nécessaires. Rien ne serait pire que de ne rien bouger, de faire comme si rien ne changeait et que donc, il n'y avait pas de décision courageuse à prendre. Comme ça, vous êtes sûrs de ne pas avoir de grèves ou de mouvements sociaux, normalement, encore que... Mais le problème, c'est qu'après, le réveil est douloureux. Notre rôle est d'expliquer, d'assumer, et bien sûr, de décider.
Q- P. Le Marc : Dans ce mouvement, est-ce que vous ne sentez pas une véritable attente en ce qui concerne une stratégie des pouvoirs publics envers le service public ? Le Gouvernement a donné l'impression de faire des services publics une variable d'ajustement budgétaire. Les fonctionnaires et les travailleurs du service public ne sentent pas une stratégie, une conception forte de la part de l'Etat et du Gouvernement. Est-ce que ce n'est pas la motivation essentielle de ce mouvement ?
R- Très honnêtement, quelles que soient les opinions personnelles que vous pouvez avoir, on ne peut pas dire que notre politique en la matière est une variable d'ajustement avec les services publics. Jamais un gouvernement, depuis très longtemps, n'a autant fait pour réfléchir, avec les partenaires sociaux, avec les dirigeants des grands services publics et des grandes entreprises publiques, à la manière de le moderniser. Je vous rappelle que sur des sujets aussi essentiels que La Poste ou même que la SNCF, tout a été fait pour permettre à ces entreprises d'engager, dans un cadre européen, leur modernisation. Je peux comprendre qu'il y ait des inquiétudes. Il y a aussi, il faut bien le dire, de la désinformation, mais enfin le Gouvernement, à chaque fois, fixe des cahiers de charges extrêmement précis. Dans le cas de La Poste, par exemple, vous avez bien vu que le Gouvernement avait exigé dans le contrat de développement de La Poste, que les points de contact existant soient maintenus, et que l'on réfléchisse à la manière d'assurer des possibilités d'accès à son courrier à proximité de chez soi, en tenant compte des contraintes qui font que, si on ne fait rien, ces bureaux fermeront de fait. Donc, tous ces éléments, c'est pour préserver sur l'ensemble des territoires les services publics, et cela exige effectivement des adaptations. C'est à cela que l'on travaille, car encore une fois, je le dis ici très clairement, si nous ne prenons pas ces décisions maintenant, le risque c'est que d'ici quelques brèves échéances, ces services publics soient menacés par l'incapacité qu'ils auraient à continuer d'être financés. Vous pouvez augmenter autant que vous voulez les impôts, cela ne changera rien. Un pays comme le nôtre n'aurait pas les moyens de le financer. Donc, l'objectif c'est de prendre, dès maintenant, des décisions qui permettent de préserver le service public sur tout le territoire, avec des modes de fonctionnement différents.
Q- P. Roger : Menacé aussi par la concurrence européenne ?
R- C'est bien parce que les réglementations européennes sont en marche depuis de très nombreuses années qu'il nous faut maintenant nous adapter. Je rappelle que - puisque nous sommes sur l'exemple de La Poste - c'est L. Jospin lui-même qui a donné son feu vert, lorsqu'il était Premier ministre, à cette modernisation. Maintenant, le processus est lancé et le but du jeu n'est évidemment pas de renier ce qui a été fait par le Gouvernement précédent sur un sujet comme celui-là, dans un cadre européen, mais plutôt de s'adapter à ces contraintes pour en faire des forces. Et, croyez-moi, dans ce domaine, les décisions que nous prenons maintenant permettront d'assurer, pour chaque Français, un service postal de très bonne qualité. C'est cela le défi et, bien entendu, que La Poste relève ce défi dans les meilleures conditions possibles.
Q- P. Roger : Un dernier mot sur La Poste : l'une des autres inquiétudes, c'est tout de même, en fait, la création de cet établissement bancaire à l'intérieur de La Poste. Les syndicats craignent que les gens qui sont au RMI, par exemple, ne puissent plus venir bénéficier des mêmes services qu'auparavant et qu'on va délaisser ces populations ?
R- Là-dessus, je crois qu'il faut que chacun soit bien informé : il n'est en rien question de délaisser qui que ce soit. Il est plutôt question de permettre à La Poste, dans un contexte d'ouverture européenne, de pouvoir assurer dans le domaine des activités de crédit à La Poste, une vraie marge de manoeuvre qu'elle ne peut pas faire dans son statut actuel. Et pour autant, je rappelle que La Poste continuera de détenir 100 % des parts de cette activité filialisée, et qu'encore une fois, l'établissement restera public. Il s'agit simplement de permettre à cet établissement de pouvoir être sur la même ligne de concurrence que d'autres entreprises européennes ayant les mêmes capacités en termes de crédit. C'est ça qui importe, c'est plutôt de donner des outils pour se moderniser à La Poste que l'inverse. Je ne vois pourquoi on entraverait le défi que La Poste doit relever pour se moderniser et rester une très grande entreprise publique. Encore une fois, c'est cela l'enjeu.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 21 janvier 2005)