Interview de M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre, dans "Sud-Ouest" du 12 juillet 2004, sur l'importance de l'indutrie aéronautique en France, le respect de la loi de programmation militaire, le vote sur le projet de loi de décentralisation et la modification de l'âge de la retraite pour les dirigeants des grandes entreprises publiques.

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Média : Sud Ouest

Texte intégral

Q - Quel sens donnez-vous à cette visite en Gironde ?
R - L'aéronautique est l'un des secteurs clés de la France et de l'Aquitaine. C'est un domaine dans lequel nous jouons un rôle de premier plan. Nous avons des industriels performants. Des équipes bien formées, une recherche avancée. Cazaux est un maillon clé notamment pour la formation des pilotes. J'ai la volonté de défendre notre projet d'école européenne de formation : si nous voulons que nos matériels se vendent bien dans le monde il faut que les pilotes connaissent et apprécient nos équipements. C'est une stratégie efficace. C'est aussi l'occasion pour moi d'adresser un message de sympathie aux Singapouriens qui sont accueillis sur le site. Cazaux est un élément majeur dans notre politique de développement aéronautique. Nous sommes en discussions sur une nouvelle commande portant sur 59 Rafales qui seront assemblés à l'usine Dassault de Mérignac. Aujourd'hui, la France peut porter de grandes ambitions pour notre industrie aéronautique civile et militaire.

Q - Quelles sont les mesures qui pourraient être envisagées ?
R - Conforter ce pôle, c'est d'abord réussir l'intégration du Rafale dans nos armées. Il faut montrer aux industriels que nous avons changé d'époque. Nous ne sommes plus à la période du " stop and go ". Nous avons une vraie stratégie. La loi de programmation existe. Elle structure nos initiatives. Il y a là une réelle ambition à la fois nationale et régionale. Je crois vraiment que notre effort pour la défense est aussi un effort pour l'économie. Il faut que chaque fois que nous investissons 1 euro pour les matériels de nos armées, ce soit en même temps utile pour la recherche et pour l'emploi.
Q - Justement, où en est le missile M51 ?
R - La dissuasion nucléaire reste l'élément fondamental de l'indépendance de la France. Le missile M51 tiré depuis un sous-marin sera à la pointe de la technologie moderne. Ce qui est prévu dans la loi sera appliqué. Il n'y a pas de remise en cause de nos choix.
Q - Les ministères des finances et de la défense s'opposent au sujet de la loi de programmation militaire. Les armées doivent-elles échapper aux restrictions budgétaires ?
R - Chaque année, les décisions budgétaires sont précédées naturellement par des discussions actives. En ce qui concerne les armées, les arbitrages sont rendus en " Conseil de défense " présidé par le chef de l'Etat. La vérité est que nos armées sont de plus en plus appelées à intervenir pour des opérations extérieures. Ce sont des opérations lourdes mais nécessaires. Dans le passé, nous avons eu une politique de défense hésitante. Il y a eu beaucoup d'investissements réduits ou retardés. Comme nous ne connaissons pas à l'avance le calendrier des crises nous devons être tout le temps prêts à y faire face. Nous construisons l'armée du futur, le modèle " Armée 2015 ". Il a été défini. Nous devons nous y tenir. Quand on tient le langage de la paix et que l'on détient les armes de la guerre, on est beaucoup plus fort. C'est la position de la France aujourd'hui. L'impact de ces décisions est aussi très important pour des régions comme l'Aquitaine et le Poitou-Charentes, pour l'économie, la recherche et l'aménagement du territoire. Et je sais que sur tous ses sujets Michèle Alliot Marie est particulièrement mobilisée.
Q - Si des économies doivent être réalisées dans le budget des armées, quels domaines pourraient être visés ?
R - Aujourd'hui, on ne peut pas dire que les armées vivent sur un grand pied. Mais respecter la loi de programmation militaire, cela ne dispense pas la Défense de faire des économies de gestion et de bien veiller au meilleur usage de ses crédits. En respectant nos engagements, nous investirons à la fois pour la sécurité et l'emploi des Français. Le chef de l'Etat, chef des Armées, y veille.
Q - Le président de l'Assemblée nationale et l'opposition vous demandent de ne pas faire adopter pendant la session extraordinaire le projet de loi sur la décentralisation. Êtes-vous prêt à les écouter ?
R - Le Président de l'Assemblée ne m'a rien demandé. En général, je suis plus déterminé que pressé. Le Sénat vient d'adopter le projet de loi en deuxième lecture. Il a voté 60 % des articles dans les mêmes termes que l'Assemblée nationale. Les autres vont être réexaminés par les députés. Après 18 mois de débat le moment est venu d'aboutir. La date en sera fixée très prochainement. Je ne vais pas céder à cette partie de la gauche qui veut faire de l'agitation politicienne avec les régions.
Q - L'opposition vous reproche de vouloir priver les régions du développement économique, depuis qu'elles sont presque toutes passées à gauche et d'être revanchard.
R - Cette attaque n'est pas digne. Je crois avoir sincèrement servi la cause régionale pour que l'on s'en souvienne. Mais j'ai toujours pensé qu'il fallait veiller à ce que les autres collectivités n'aient pas peur des régions. Des communes, des agglomérations et des départements, de gauche comme de droite, s'inquiètent aujourd'hui d'une ambition supposée dominatrice des régions. Si les régions étaient perçues comme arrogantes, le fait régional reculerait en France. Je ne le souhaite pas. Au Sénat, nous avons dû nous opposer à des amendements de tous bords dont l'objet était de réduire l'influence des régions dans le domaine économique. Un accord a pu être trouvé grâce à la démarche d'expérimentation. La bonne foi l'a emporté.
Q - Un amendement voté au Sénat, qui retarde l'âge de la retraite pour les dirigeants d'entreprises publiques, suscite beaucoup d'émotion. Tenez-vous tant à "recaser" votre ancien ministre, Francis Mer, à la présidence d'EDF ?
R - C'est un faux procès de plus. Cet amendement se limite à mettre à égalité les entreprises publiques et les entreprises privées, s'agissant de la limite d'âge applicable à leurs dirigeants.
C'est une règle de bon sens. Elle s'appliquera à EDF et à Gaz de France, mais aussi à d'autres entreprises publiques. C'est pourquoi j'ai arbitré en ce sens malgré l'avis contraire de l'un de mes ministres.
Je confirme qu'aucune décision n'a encore été prise concernant la présidence d'EDF et de Gaz de France. En toute circonstance, nous privilégerions l'avenir de ces entreprises, de leurs personnels et des usagers.
Q - Vous êtes dans la région de Bordeaux, trois jours avant qu'Alain Juppé ne quitte la présidence de l'UMP. Ce n'est pas une coïncidence ?
R - Je me rends souvent en Aquitaine. C'est ma " grande région " d'origine! J'ai avec Alain Juppé des relations de confiance et d'affection. Nous allons parler des vraies valeurs de l'action publique pour aujourd'hui et pour demain.
Q - Envisagez-vous toujours d'être candidat à la présidence de l'UMP ?
R - J'ai une mission d'action, comme tous mes ministres. Aujourd'hui, il n'est donc pas prioritaire pour moi de m'engager dans le débat partisan. J'ai encore de gros dossiers à régler qui mobilisent toute mon énergie! Mon devoir est de conduire l'action gouvernementale, ma responsabilité, et je l'assumerai, est de veiller à l'unité de la majorité parce que l'unité est la condition de l'action et du service des Françaises et des Français. C'est la demande des citoyens mais aussi des militants.

(source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 12 juillet 2004)