Texte intégral
QUESTION : Bonjour Jean-Louis DEBRÉ. Vous n'avez pas aimé le discours que N. Sarkozy a tenu jeudi dernier lors de la présentation de ses vux. Il y disait son scepticisme sur la baisse des impôts, son hostilité à l'adhésion de la Turquie, et il manifestait aussi son souhait de voir les militants désigner, ou participer à la désignation du candidat de l'UMP en 2007. Vous avez riposté aussitôt, Jean-Louis DEBRÉ, en évoquant "une possible crise de régime", et vous ne vous en êtes pas expliqué. Que vouliez-vous dire
par là ?
Jean-Louis DEBRÉ (Réponse) : Je vais vous expliquer très clairement, mais je vais m'expliquer en répondant, si vous le permettez, à Alain DUHAMEL.
QUESTION : Vous répondez à ma question et à A. DUHAMEL à la fois. Allez-y, crise de régime.
Jean-Louis DEBRÉ (Réponse) : D'abord, Nicolas SARKOZY, pour exister, doit se démarquer de tout le monde. Il est dans la logique du "oui, mais", du "non, si", du "oui, peut-être". Ca c'est la première remarque. Et je n'aime pas ce système où le responsable, le principal responsable du régime majoritaire n'existe que contre le Gouvernement. Pourquoi ? Parce qu'un régime parlementaire ne peut pas se développer avec un exécutif faible, ou paralysé. Or, ce système du "oui, mais", du "non, si", du "oui, peut-être" paralyse l'exécutif. Troisièmement - et c'est là où il peut y avoir une crise de régime -, je ne connais pas un régime parlementaire fondé sur le système majoritaire, car c'est ça la nouveauté au début de la Vème République, lorsque mon père était Premier ministre, il n'y avait pas de phénomène majoritaire. Et là, il fallait composer avec l'ensemble des forces politiques. Mais à partir de 1962, et avec la répétition du scrutin majoritaire à deux tours, on a vu émerger le fait majoritaire. Or je ne connais pas un pays dans lequel le Gouvernement, issu de la majorité, peut durer si cette majorité ne le soutient pas. Croyez-vous une seconde que le Premier ministre anglais puisse mener son action si son parti ne le soutient pas ? Pensez-vous une seconde que le chancelier allemand puisse conduire la politique allemande s'il ne peut pas s'appuyer sur un parti qui lui est fidèle ? Or, et c'est là où on va à la crise de régime, si jour après jour, le chef du parti majoritaire se distingue, se démarque, s'oppose au chef du gouvernement, le Gouvernement ne peut plus s'appuyer sur une majorité, et il y a une crise institutionnelle. Or la Vème République - et c'est là où je ne suis pas d'accord avec Monsieur Duhamel - or la Vème République a été faite pour lutter contre le régime des partis, c'est-à-dire le régime dans lequel la politique était déterminée, non pas par le Gouvernement, mais par les instances des partis politiques.
QUESTION : Jean-Louis DEBRÉ, il ne fallait pas laisser s'installer N. SARKOZY à la tête de l'UMP ?
Jean-Louis DEBRÉ (Réponse) : Attendez ! je pense que tout le monde peut s'améliorer. Et je pense que lorsqu'on a un certain sens de l'Etat, on privilégie l'Etat à sa carrière personnelle. Je pense que lorsqu'on estime avoir un destin national, on cherche à rassembler plutôt qu'à diviser. Or ce qui m'inquiète aujourd'hui chez les uns et les autres, mais je ne fais de procès à personne...
QUESTION : On parle de N. SARKOZY, Jean-Louis DEBRÉ, et de personne d'autre.
Jean-Louis DEBRÉ (Réponse) : Oui mais je ne veux pas poser ça en termes de querelles parce que je trouve qu'on a bien d'autres choses à faire et qu'on devrait au contraire essayer d'accompagner, d'entourer le Gouvernement pour ses réformes, qui sont essentielles pour la modernisation de notre pays, plutôt que de se déchirer, plutôt que, sans arrêt, se démarquer du Gouvernement, plutôt que sans arrêt porter des coups au président de la République. Le chef du parti majoritaire devrait dire : attendez on va tous ensemble accompagner la politique de réformes qui, dans le cadre de la Vème République, du fait de l'élection du président de la République au suffrage universel, a été approuvée par les Français.
QUESTION : Vous avez l'espoir, Jean-Louis DEBRÉ, que Nicolas SARKOZY "va s'améliorer" à la tête de
l'UMP ?
Jean-Louis DEBRÉ (Réponse) : Vous savez, en vieillissant, je ne me fais pas beaucoup d'illusions !
QUESTION : Donc c'est un peu désespéré ?
Jean-Louis DEBRÉ (Réponse) : Non, je ne suis pas désespéré...
QUESTION : Non : "c'est un peu désespéré", pas vous, mais la situation ?
Jean-Louis DEBRÉ (Réponse) : La situation n'est pas désespérée, si chacun a conscience de la nécessité de sauvegarder le fonctionnement de nos institutions. Je ne veux pas revenir à ce que je n'ai pas connu, mais quand on étudie notre histoire politique, on voit bien à cette IVème ou IIIème République, où il y avait finalement le jeu des hommes, l'affrontement des hommes, et la politique de la France a été faite par des intérêts personnels. Or je ne souhaite pas cela. Je souhaite qu'on retrouve une unité, un rassemblement, et que l'on prépare la France dans l'Europe. Qu'au lieu de parler de la Turquie, on se concentre sur le référendum qui, pour la première fois dans notre Histoire, va donner aux parlements nationaux des pouvoirs pour faire entendre sa voix et où on s'achemine vers l'Europe des Etats, ce que nous réclamons depuis longtemps. Alors pourquoi diviser sur la Turquie alors qu'il faut rassembler, puisque la question qui est posée n'est pas la question turque mais la construction
de l'Europe ? Voilà des exemples très précis.
QUESTION : Demain les députés seront là, ils seront tous là, que faut-il faire du député D. Julia, Jean-Louis DEBRÉ ?
Jean-Louis DEBRÉ (Réponse) : En ce qui concerne Monsieur Julia, depuis le début, et le premier, j'ai dit que ce qu'il avait fait n'était pas bien. Bon. Il y a - vous savez je suis magistrat - il y a une instruction en cours. Laissons l'instruction se dérouler, et en fonction de la décision de la justice, eh bien nous prendrons position. Ce que j'aurais souhaité, c'est que Monsieur Julia, comme c'est une tradition, se mette en marge de notre mouvement.
QUESTION : Mais il ne l'a pas fait, et il ne le fera pas, et donc il ne faut pas l'exclure ou le mettre de côté du groupe UMP ?
Jean-Louis DEBRÉ (Réponse) : Ne préjugeons pas puisqu'il y a une instruction en cours, eh bien attendons que le juge d'instruction et la justice se soient prononcés sur sa responsabilité.
QUESTION : J. CECCALDI-RAYNAUD a démissionné de son siège de député des Hauts-de-Seine pour permettre à N. Sarkozy de retrouver l'Assemblée Nationale à l'occasion d'une élection législative partielle. Et mercredi en conseil des ministres - était-ce en signe de remerciement, - J. CECCALDI-RAYNAUD a été nommée membre du Conseil Economique et Social. Etes-vous choqué, Jean-Louis DEBRÉ ?
Jean-Louis DEBRÉ (Réponse) : Oh je n'aime pas ces petits calculs et ces compensations.
QUESTION : Eh bien voilà qui est dit. C'est une année de vérité en 2005, Jean-Louis DEBRÉ ?
Jean-Louis DEBRÉ (Réponse) : Mais vous m'avez entendu souvent ne pas dire ce que je pense ? On me le reproche. Quand je parle de la crise de régime, on dit que c'est outrancier. Non, ce n'est pas outrancier. Pas du tout. C'est mûrement réfléchi parce que, encore une fois, sauvons les institutions et évitons que les jeux personnels des uns et des autres aboutissent à remettre en cause la Vème République. Voilà mon message.
QUESTION : C'était votre dernier mot, Jean-Louis DEBRÉ.
Jean-Louis DEBRÉ (Réponse) : C'est mon dernier mot avant que vous n'ayez, vous, le dernier mot... et à ce moment-là je rajouterai quelque chose.
QUESTION : Eh bien ce matin je vous le laisse ! C'était le dernier mot de Jean-Louis
DEBRÉ, sur RTL.
Jean-Louis DEBRÉ (Réponse) : Eh bien rassemblons-nous !
Bonne journée.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 17 janvier 2005)
par là ?
Jean-Louis DEBRÉ (Réponse) : Je vais vous expliquer très clairement, mais je vais m'expliquer en répondant, si vous le permettez, à Alain DUHAMEL.
QUESTION : Vous répondez à ma question et à A. DUHAMEL à la fois. Allez-y, crise de régime.
Jean-Louis DEBRÉ (Réponse) : D'abord, Nicolas SARKOZY, pour exister, doit se démarquer de tout le monde. Il est dans la logique du "oui, mais", du "non, si", du "oui, peut-être". Ca c'est la première remarque. Et je n'aime pas ce système où le responsable, le principal responsable du régime majoritaire n'existe que contre le Gouvernement. Pourquoi ? Parce qu'un régime parlementaire ne peut pas se développer avec un exécutif faible, ou paralysé. Or, ce système du "oui, mais", du "non, si", du "oui, peut-être" paralyse l'exécutif. Troisièmement - et c'est là où il peut y avoir une crise de régime -, je ne connais pas un régime parlementaire fondé sur le système majoritaire, car c'est ça la nouveauté au début de la Vème République, lorsque mon père était Premier ministre, il n'y avait pas de phénomène majoritaire. Et là, il fallait composer avec l'ensemble des forces politiques. Mais à partir de 1962, et avec la répétition du scrutin majoritaire à deux tours, on a vu émerger le fait majoritaire. Or je ne connais pas un pays dans lequel le Gouvernement, issu de la majorité, peut durer si cette majorité ne le soutient pas. Croyez-vous une seconde que le Premier ministre anglais puisse mener son action si son parti ne le soutient pas ? Pensez-vous une seconde que le chancelier allemand puisse conduire la politique allemande s'il ne peut pas s'appuyer sur un parti qui lui est fidèle ? Or, et c'est là où on va à la crise de régime, si jour après jour, le chef du parti majoritaire se distingue, se démarque, s'oppose au chef du gouvernement, le Gouvernement ne peut plus s'appuyer sur une majorité, et il y a une crise institutionnelle. Or la Vème République - et c'est là où je ne suis pas d'accord avec Monsieur Duhamel - or la Vème République a été faite pour lutter contre le régime des partis, c'est-à-dire le régime dans lequel la politique était déterminée, non pas par le Gouvernement, mais par les instances des partis politiques.
QUESTION : Jean-Louis DEBRÉ, il ne fallait pas laisser s'installer N. SARKOZY à la tête de l'UMP ?
Jean-Louis DEBRÉ (Réponse) : Attendez ! je pense que tout le monde peut s'améliorer. Et je pense que lorsqu'on a un certain sens de l'Etat, on privilégie l'Etat à sa carrière personnelle. Je pense que lorsqu'on estime avoir un destin national, on cherche à rassembler plutôt qu'à diviser. Or ce qui m'inquiète aujourd'hui chez les uns et les autres, mais je ne fais de procès à personne...
QUESTION : On parle de N. SARKOZY, Jean-Louis DEBRÉ, et de personne d'autre.
Jean-Louis DEBRÉ (Réponse) : Oui mais je ne veux pas poser ça en termes de querelles parce que je trouve qu'on a bien d'autres choses à faire et qu'on devrait au contraire essayer d'accompagner, d'entourer le Gouvernement pour ses réformes, qui sont essentielles pour la modernisation de notre pays, plutôt que de se déchirer, plutôt que, sans arrêt, se démarquer du Gouvernement, plutôt que sans arrêt porter des coups au président de la République. Le chef du parti majoritaire devrait dire : attendez on va tous ensemble accompagner la politique de réformes qui, dans le cadre de la Vème République, du fait de l'élection du président de la République au suffrage universel, a été approuvée par les Français.
QUESTION : Vous avez l'espoir, Jean-Louis DEBRÉ, que Nicolas SARKOZY "va s'améliorer" à la tête de
l'UMP ?
Jean-Louis DEBRÉ (Réponse) : Vous savez, en vieillissant, je ne me fais pas beaucoup d'illusions !
QUESTION : Donc c'est un peu désespéré ?
Jean-Louis DEBRÉ (Réponse) : Non, je ne suis pas désespéré...
QUESTION : Non : "c'est un peu désespéré", pas vous, mais la situation ?
Jean-Louis DEBRÉ (Réponse) : La situation n'est pas désespérée, si chacun a conscience de la nécessité de sauvegarder le fonctionnement de nos institutions. Je ne veux pas revenir à ce que je n'ai pas connu, mais quand on étudie notre histoire politique, on voit bien à cette IVème ou IIIème République, où il y avait finalement le jeu des hommes, l'affrontement des hommes, et la politique de la France a été faite par des intérêts personnels. Or je ne souhaite pas cela. Je souhaite qu'on retrouve une unité, un rassemblement, et que l'on prépare la France dans l'Europe. Qu'au lieu de parler de la Turquie, on se concentre sur le référendum qui, pour la première fois dans notre Histoire, va donner aux parlements nationaux des pouvoirs pour faire entendre sa voix et où on s'achemine vers l'Europe des Etats, ce que nous réclamons depuis longtemps. Alors pourquoi diviser sur la Turquie alors qu'il faut rassembler, puisque la question qui est posée n'est pas la question turque mais la construction
de l'Europe ? Voilà des exemples très précis.
QUESTION : Demain les députés seront là, ils seront tous là, que faut-il faire du député D. Julia, Jean-Louis DEBRÉ ?
Jean-Louis DEBRÉ (Réponse) : En ce qui concerne Monsieur Julia, depuis le début, et le premier, j'ai dit que ce qu'il avait fait n'était pas bien. Bon. Il y a - vous savez je suis magistrat - il y a une instruction en cours. Laissons l'instruction se dérouler, et en fonction de la décision de la justice, eh bien nous prendrons position. Ce que j'aurais souhaité, c'est que Monsieur Julia, comme c'est une tradition, se mette en marge de notre mouvement.
QUESTION : Mais il ne l'a pas fait, et il ne le fera pas, et donc il ne faut pas l'exclure ou le mettre de côté du groupe UMP ?
Jean-Louis DEBRÉ (Réponse) : Ne préjugeons pas puisqu'il y a une instruction en cours, eh bien attendons que le juge d'instruction et la justice se soient prononcés sur sa responsabilité.
QUESTION : J. CECCALDI-RAYNAUD a démissionné de son siège de député des Hauts-de-Seine pour permettre à N. Sarkozy de retrouver l'Assemblée Nationale à l'occasion d'une élection législative partielle. Et mercredi en conseil des ministres - était-ce en signe de remerciement, - J. CECCALDI-RAYNAUD a été nommée membre du Conseil Economique et Social. Etes-vous choqué, Jean-Louis DEBRÉ ?
Jean-Louis DEBRÉ (Réponse) : Oh je n'aime pas ces petits calculs et ces compensations.
QUESTION : Eh bien voilà qui est dit. C'est une année de vérité en 2005, Jean-Louis DEBRÉ ?
Jean-Louis DEBRÉ (Réponse) : Mais vous m'avez entendu souvent ne pas dire ce que je pense ? On me le reproche. Quand je parle de la crise de régime, on dit que c'est outrancier. Non, ce n'est pas outrancier. Pas du tout. C'est mûrement réfléchi parce que, encore une fois, sauvons les institutions et évitons que les jeux personnels des uns et des autres aboutissent à remettre en cause la Vème République. Voilà mon message.
QUESTION : C'était votre dernier mot, Jean-Louis DEBRÉ.
Jean-Louis DEBRÉ (Réponse) : C'est mon dernier mot avant que vous n'ayez, vous, le dernier mot... et à ce moment-là je rajouterai quelque chose.
QUESTION : Eh bien ce matin je vous le laisse ! C'était le dernier mot de Jean-Louis
DEBRÉ, sur RTL.
Jean-Louis DEBRÉ (Réponse) : Eh bien rassemblons-nous !
Bonne journée.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 17 janvier 2005)