Interview de M. Dominique Galouzeau de Villepin, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales, à Canal Plus le 2 février 2005, sur notamment la lutte contre les mouvements néo-nazis et la formation des imams.

Prononcé le

Média : Canal Plus

Texte intégral

BRUCE TOUSSAINT : Valérie ASTRUC est avec moi. Alors nous accueillons ce matin ?
VALERIE ASTRUC : Dominique De VILLEPIN, ministre de l'Intérieur, qui fait partie des Premiers ministrables. On va parler de la dissolution des groupuscules néo nazi, on va parler de la formation des imams, et puis on va parler aussi du double meurtre de Pau.
BRUCE TOUSSAINT : Bonjour Dominique De VILLEPIN, merci d'être avec nous ce matin. Bienvenue. Avant d'évoquer tous les sujets que vient de citer Valérie, je voudrais juste qu'on dise un mot de Florence AUBENAS et de son guide irakien. 28ème jour de disparition. Le Premier ministre s'est exprimé hier à l'Assemblée. Il a eu une phrase un petit peu énigmatique, disant qu'on était dans une situation différente. Ajoutant très vite qu'il ne pouvait pas en dire beaucoup plus. Ca nous a un petit peu inquiété cette phrase. Est-ce qu'on a raison d'être inquiet ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN : On est mobilisé et c'est ce qu'a voulu signifier le Premier ministre hier devant la représentation nationale. Nous sommes tous mobilisés, nous utilisons tous les canaux, tous les fils qui sont à notre disposition à la fois bien sûr à Bagdad et en même temps à Paris, en liaison avec les autres capitales. Mais chaque situation est différente et le Premier ministre a raison de le dire, dans un contexte irakien qui reste un contexte extrêmement difficile, extrêmement dangereux sur place d'où la prudence indispensable du gouvernement pour continuer ce travail difficile. Tirer chaque fil, aller jusqu'au bout de chaque information, c'est un travail qui demande beaucoup de patience et beaucoup de méthode mais aussi vous comprendrez beaucoup de discrétion.
VALERIE ASTRUC : Alors vous avez annoncé hier votre intention de dissoudre certains groupuscules nazi. Alors on pensait que c'était une petite poignée d'excités. Ils sont aussi dangereux que ça ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN : Alors d'abord ils sont relativement nombreux, plus de 3000 personnes qui appellent à la haine, qui appellent à la violence, qui font des actes violents. Et c'est donc extrêmement important de marquer clairement notre détermination vis à vis d'eux.
VALERIE ASTRUC : Quel groupuscule vous allez dissoudre ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN : Ne rentrons pas dans l'innombrable nébuleuse néo nazi. Ca va depuis certains groupuscules skin head à certains autres mouvements de la mouvance identitaire. Ils sont différents, variés mais ils ont en commun d'appeler à la haine, et de recourir à l'action violente. Prenons le chiffre de 2004, c'est plus d'une soixantaine d'actions violentes. 27 en 2003. Donc nous voyons qu'il y a une augmentation, et c'est bien à cela que nous voulons mettre un coup d'arrêt et il faut le faire sur différents registres. Bien sûr l'interdiction des réunions publiques. Aussi ces rassemblements qui se font sous couverture privée et sous d'autres dénominations. Il faut faire en sorte en liaison avec les loueurs de salle de pouvoir identifier au préalable ces rassemblements. Nous voulons aussi bloquer leur action sur Internet car elles sont d'une violence extrême et elles peuvent influencer les plus jeunes.
BRUCE TOUSSAINT : Et ça c'est faisable sur Internet justement parce que c'est quand même très difficile de bloquer
DOMINIQUE DE VILLEPIN : Vous avez tout à fait raison, c'est un travail très difficile. Il faut le faire en liaison avec les hébergeurs de site, attirer leur attention sur le fait que la propagation de la haine, la propagation de la haine raciste, antisémite, c'est condamnable par la loi donc c'est un principe de responsabilité. Nous allons le faire en partenariat avec eux, nous allons bien sur le faire aussi avec tous ceux qui sont susceptibles d'avoir une influence sur ces groupes. Et puis il y a le principe que j'ai affirmé hier qui est celui de la dissolution de ces groupes, que je proposerais en conseil des ministres à partir des preuves que nous pourrons rassembler sur chacun de ces groupes. Il y a une loi de janvier 1936 qui le permet. Et puis il faudra veiller à ce que ces groupes ne se reconstruisent pas sous d'autres dénominations. Vous le voyez c'est un travail compliqué et difficile.
VALERIE ASTRUC : Il se trouve que Unité radicale, le mouvement auquel appartenait Maxime BRUNERIE s'est reconstitué sous le nom de Bloc identitaire. Alors est-ce que c'est vraiment efficace ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN : C'est difficile mais dans une société démocratique, la question nous nous la posons tous les jours face au terrorisme. La clé c'est notre détermination. Et la démocratie c'est notre meilleur atout. Chacun d'entre nous a sa part, a son rôle à jouer et l'Etat doit évidemment donner l'exemple. Donc c'est la mobilisation, c'est le refus de ce que nous considérons comme inacceptable, la haine, l'intolérance, la violence. Nous marquons clairement la limite et à partir de ce moment là nous nous donnons tous les moyens pour aboutir à ce que nous croyons être l'objectif, l'élimination de ces groupes haineux, violents, racistes.
VALERIE ASTRUC : Alors l'élimination de ces groupes haineux, violents, racistes, très bien, mais alors on se dit, alors pourquoi pas le Front national puisqu'on ne peut pas dire que Jean-Marie LE PEN soit quand même un démocrate.
DOMINIQUE DE VILLEPIN : Nous rentrons dans une autre sphère. Ce sont des problèmes d'une autre nature. Nous sommes là dans le champ de la politique. Je dénonçais tout à l'heure les actions violentes, répréhensibles dans le cadre de la République. Nous sommes là dans le champ des partis politiques et vous savez que la frontière peut paraître ténue entre la liberté d'opinion, et l'appel à la haine. Quand il y a des propos
VALERIE ASTRUC : Il est pas question pour vous d'interdire le Front national ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN : Evidemment pas à ce jour. Quand il y a des propos violents, c'est à la justice de se prononcer donc laissons la justice se prononcer. Et dans le cas récent des déclarations de Jean-Marie LE PEN. Mais ce n'est pas de même nature que ces mouvements néo nazi que nous évoquons.
VALERIE ASTRUC : Alors la formation des imams, formation au français et à la culture française que vous aviez annoncée, on en est où ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN : Alors nous avançons et je peux vous dire ce latin que dans les tous prochains jours, au début du mois de février, nous mettrons en place une formation continue pour les imams qui ne parlent pas français. Sur 1200 imams, il y en a 400 qui ne parlent pas français.
VALERIE ASTRUC : Début février ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN : Début février, ils commenceront donc une formation continue générale. Formation au français, formation initiation à la société française, à la culture française, de façon à pouvoir mieux maîtriser à la fois l'esprit et la pratique de notre langue.
VALERIE ASTRUC : Alors qui assurera cette formation ? Est-ce que cette formation sera obligatoire ? Est-ce qu'il y aura un examen ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN : Alors nous n'en sommes pas là. C'est les débuts de cette formation mais nous la proposons à l'ensemble de ceux qui souhaitent exercer l'imamat donc 90% de ces 400, à peu près, sont sollicités, et vont répondre à l'appel. C'est dire donc que la réponse est massive. Et nous voulons aussi définir une formation continue, elle sera faite dans le cadre universitaire dès la rentrée prochaine. Tous ceux qui souhaitent devenir imams pourront donc avoir une formation continue dans le cadre universitaire, qui sera d'ailleurs ouverte à tous. C'est une formation profane, la formation théologique restant de la responsabilité des fédérations.
VALERIE ASTRUC : Mais vous dites que ce sera incitatif ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN : C'est incitatif. A charge pour le conseil français du culte musulman de déterminer ce que devrait être le cursus de ses imams, et d'instaure un certain nombre de passages obligatoires. C'est la responsabilité du conseil français du culte musulman.
VALERIE ASTRUC : Alors vous aviez quand même jugé inacceptable qu'un tiers des imams ne parle pas français donc vous êtes en train de régler le problème. Vous aviez aussi jugé inacceptable que 75% des imams soient étrangers, qu'est-ce qu'on peut faire là dessus ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN : Alors c'est bien pour cela que la formation des imams sur notre sol, la capacité que nous avons çà répondre à nos propres besoins, est tout à fait essentielle. Ce qu'il faut faire quand un certain nombre de fédérations sont obligées de recourir à des imams étrangers parce qu'elles n'en disposent- pas sur notre sol - nous voyons par exemple un cruel manque d'imams, d'aumôniers dans les prisons - eh bien c'est faire en sorte que ceux qui viennent dans notre pays puissent connaître nos pratiques, connaître notre langue, connaître notre culture. Donc c'est un apprentissage qui est indispensable, en privilégiant une fois de plus la formation chez nous d'imams français, des imams français parlant notre langue. C'est le choix que nous vouons faire, ça demande bien sûr plusieurs années de travail.
BRUCE TOUSSAINT : Dominique De VILLEPIN il y a 2 drames dans l'actualité de ces 2 derniers jours, c'est d'abord le drame de Pau avec le suspect qui a été arrêté et qui serait passé aux aveux ce matin
VALERIE ASTRUC : Vous confirmez d'ailleurs qu'il est passé aux aveux ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN : Les enquêteurs et la justice ont cette responsabilité, il ne m'appartient de me prononcer sur cela.
BRUCE TOUSSAINT : Et puis il y a donc cet individu qui a poussé un homme sous une rame de métro. Ce sont deux donc déséquilibrés qui se baladent dans la nature. Que peut faire la police ? Qu'est ce que vous pouvez faire contre ce type de drame ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN : Alors nous, la police et l'ensemble des forces de sécurité, notre tâche c'est d'arrêter les suspects et vous savez que dans le cadre de l'affaire de Pau, ça a été une affaire difficile. Nous avons donc du faire plus de 1300 tests ADN pour pouvoir confondre, identifier. Et les policiers ont d'ailleurs arrêté au péril de leur vie ce suspect. Donc c'est un travail difficile, c'est un travail, exigeant. Et je veux rendre hommage bien sûr à l'ensemble de nos forces de sécurité, rendre hommage aux familles des victimes et au drame terrible qui les a frappé. Ainsi qu'au personnel de l'hôpital de Pau. Mais notre responsabilité à nous, c'est l'interpellation. Arrêter les suspects. Pour ce qui est de la prise en charge de ces malades, c'est la responsabilité du domaine médical. Nous savons tous qu'il y a un grand problème de la psychiatrie en France. Et c'est un problème qui doit nous mobiliser. Je sais que Philippe DOUSTE BLAZY veut faire des propositions dans ce domaine. C'est toute la filière psychiatrique qu'il faut rétablir. Nous voyons y compris dans les actions violentes qui sont menées dans certains quartiers, souvent des très jeunes qui souffrent de problèmes psychologiques et psychiatriques. Ce sont des questions qui méritent d'être traitées en tant que telles parce qu'elles sont responsables d'une partie significative de la violence dans notre pays.
BRUCE TOUSSAINT : Merci Dominique De VILEPIN. Juste un dernier mot, vous avez annoncé que vous alliez sans doute briguer un mandat prochainement. Vous avez décidé lequel ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN : Vous savez c'est un travail délicat.
BRUCE TOUSSAINT : Il y en a un qui vous plait plus qu'un autre ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN : Il faut réfléchir.
VALERIE ASTRUC : Plutôt une mairie, plutôt une circonscription législative ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN : Nous verrons.
BRUCE TOUSSAINT : Ah vous nous le direz pas ce matin ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN : Je ne ferme la porte à rien.
BRUCE TOUSSAINT : Merci d'avoir été en tous cas notre invité aujourd'hui.
(Source http://www.interieur.gouv.fr, le 3 février 2005)