Déclaration de M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication, sur les prix litteraires en tant qu'outils de promotion des oeuvres littéraires, Paris le 7 décembre 2004.

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Circonstance : Réception en l'honneur des 100 ans du Prix Femina, Paris le 7 décembre 2004

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
Chers amis,
Je suis très heureux de vous accueillir rue de Valois. Le Ministère de la Culture et de la Communication est celui de tous les livres, de toutes celles et de tous ceux qui les aiment et qui les font et j'ai souhaité que cette soirée, pour célébrer un anniversaire, une fête, un centenaire, soit d'abord une rencontre amicale.
Je vous propose de la dédier d'emblée à un ami trop tôt disparu, le 15 novembre dernier :Yves Berger. Il nous manque ce soir et je tiens à rendre hommage à l'auteur, à l'éditeur, à l'ami de la langue française et, tout particulièrement, au lauréat du Prix Femina 1962, qui était venu couronner son roman Le Sud cette année là. Je vous demande d'observer quelques instants de silence en sa mémoire.
Sous le signe du Femina, nous sommes réunis, afin de fêter ses cent ans. Mais au-delà, je souhaite en votre compagnie fêter le livre et tous ceux qui le servent. Objet oecuménique, symbole de rencontres, de partage et de passage, le livre rassemble, fédère, suscite la communion des coeurs et des esprits.
Auteurs, éditeurs, diffuseurs, libraires, critiques, jurés, lecteurs vous formez le "monde des lettres" , "le milieu littéraire" ou mieux encore "la grande famille du livre".
Ces expressions sont-elles appropriées, pour caractériser un monde peuplé souvent de solitaires, d'individualités et de personnalités fortes, où le " je " est bien souvent la règle ? La communauté de l'écrit existe bel et bien, c'est un ciel magnifique où brillent les talents, non pas en étoiles isolées, mais en constellations.
Un ciel qui vit au rythme des saisons. Le printemps fécond succède à la solitude glacée de l'hiver, propice à la lecture et à l'écriture. Le couple auteur éditeur, baigné parfois de la moiteur de l'orage, prépare tout l'été la rentrée, pour " la " saison des prix. littéraires. En automne, les livres et leurs auteurs sont jetés en pleine lumière, comme une moisson de feuilles qui aspirent à persister.
Et l'écrivain se trouve tout à coup courtisé, entend son titre murmuré, voit son nom publié, son éditeur tourbillonne. Les Prix littéraires, indispensables guides entre les livres et leurs lecteurs, entrent en action. De grandes compagnies concurrentes, très organisées, aux savantes hiérarchies internes, pèsent les mérites, se disputent les faveurs et s'arrachent les talents.
Les Goncourt, la plus ancienne et la plus révérée, savourent leur gibier chez Drouant ; les Renaudot, font table voisine. Les Interalliés, dégustent chez Lasserre le produit de leur chasse. Les Médicis sont adeptes de la chasse subtile. L'Académie française, engage aussi le roman, mais selon les règles cynégétiques les plus ancrées. Et quel tableau de chasse, en 2004 !
Laurent Gaudé pour Le Soleil des scorta ; Irène Nemirovsky pour Suite française ; Marie Nimier pour La Reine du silence ; Florian Zeller pour La Fascination du pire ; Bernard du Boucheron pour Court serpent. Variété des auteurs, des thèmes, des maisons : ce cru illustre la vigueur de l'édition française.
J'ai volontairement omis de ce palmarès le Femina dont nous fêtons ce soir le centenaire. Celles que l'on appelait autrefois les " amazones bleues " ont, vous le savez, distingué cette année Jean-Paul Dubois pour une Une Vie française.
Le Prix Femina fut décerné pour la première fois en 1904 par un jury de femmes dont les noms sont encore dans toutes les mémoires. Tantôt épouses, Madame Daudet, Madame Catulle-Mendès et Madame Félix-Faure-Gouyau, et le plus souvent très indépendantes, Juliette Adam, Séverine, Miriam Harry, elles sont vingt, rassemblées sous l'égide d'Anna de Noailles.
Aujourd'hui vous êtes douze, Mesdames, et dans cent ans vos noms brilleront des mêmes feux, grâce à cet esprit Femina, fait d'élégance et de détermination, de grâce et de volonté, de finesse et de force, de raffinement et de courage. Cet esprit traverse, de livre en livre, toute l'histoire d'un prix qui épouse l'histoire du siècle.
Il m'est venu, en feuilletant le petit ouvrage que nous avons édité à cette occasion, pour évoquer cette histoire, ces mots de Gustave Lanson, contemporains de la création du prix : " en littérature, comme en art, on ne peut perdre de vue les oeuvres, infiniment et indéfiniment réceptives et dont jamais personne ne peut affirmer avoir épuisé le contenu ni fixé la formule. C'est dire que la littérature n'est pas objet de savoir : elle est exercice, goût, plaisir. On ne la sait pas, on ne l'apprend pas : on la pratique, on la cultive, on l'aime ".
J'ajoute, Mesdames, que, tout comme la littérature que nous aimons, vous avez du caractère. Il ne saurait y avoir, pour vous, d'écriture, d'univers romanesque spécifiquement "féminins". Ce qui vous importe, c'est de découvrir, de révéler, de combattre pour un beau roman, de quelque horizon qu'il vienne, de quelque pays, de quelque continent qu'il surgisse - grâce, notamment, à la création récente du Femina étranger.
Vous êtes, Mesdames, à l'écoute du monde contemporain, tout en veillant à ne pas succomber aux modes et aux faux semblants. Vous apportez un rayonnement particulier à notre culture. Vous illustrez la défense du livre et de la lecture, la vitalité de l'écrit, dans la société des écrans et des images qui est désormais la nôtre.
Grâce à vous tous, les livres existent, indépendamment, et d'abord pour leurs lecteurs. Les livres comptent dans nos vies. Il n'y a pas d'un côté la littérature et de l'autre la vie. Il y a la littérature et la vie, ensemble, pour le meilleur. Car vos créations mènent leurs propres existences, au cur des nôtres, où elles demeurent, bien au-delà des saisons et des feuilles mortes. Plus que toutes les images éphémères qui rythment notre quotidien, le livre reste. La littérature est bien un art du temps. Et cette affirmation de Mallarmé, dans Le Livre, instrument spirituel, me paraît prendre tout son sens aujourd'hui :
" que tout, au monde, existe pour aboutir à un livre ".
Et le moment est venu d'un hommage tout à fait particulier, à l'occasion de ce centenaire.
Lorsque j'ai tenu à associer le ministère de la culture et de la communication à la célébration du centenaire du Femina, et que vous m'avez annoncé votre intention de décerner un prix spécial du centenaire, j'ai souhaité le doter.
Et je suis très heureux de pouvoir vous annoncer que le jury du prix Femina, présidé, comme vous le savez, par Claire Gallois, qui prendra la parole dans un instant, a décerné ce prix spécial du centenaire à Simon Leys.
" Ne croyez que ceux qui doutent ", disait Lu Xun [Lou Hsün], sans doute le plus grand écrivain chinois du XXe siècle. Avec Simon Leys, qui est aussi, sous le nom de Pierre Ryckmans, l'un des plus savants sinologues de notre temps, nous avons douté, non pas de la Chine, mais d'une image mythique de la " Révolution culturelle ".
Et Simon Leys nous a montré combien la littérature nous permet de percevoir quelle part de notre héritage relève de l'humanité universelle
Au-delà de la Chine, le talent littéraire protéiforme de Simon Leys porte haut les qualités, au sens le plus noble du terme, de l'interprète-traducteur qu'il veut être entre les langues, les cultures, les civilisations.
Ce grand homme de lettres, membre de l'Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique, où il a succédé à Georges Simenon, ne finit jamais de nous étonner, en jouant avec les formes littéraires, avec les mots, avec l'histoire, ses grands hommes et ses mythes, qu'il n'hésite pas à revisiter pour le plus grand bonheur de ses lecteurs.
Mais nous ne sommes pas surpris, même si nous regrettons son absence, que ce marin, qui a traduit en 1990 le chef-d'oeuvre de Richard Henry Dana, Deux années sur le gaillard d'avant et qui est l'auteur d'une remarquable anthologie de La Mer dans la littérature française, parue chez Plon, l'an dernier, n'ait pas pu être des nôtres ce soir. Car il habite aux antipodes et n'a pas voulu, ou pas pu, une fois de plus, faire le tour du monde.
Mais c'est avec plaisir que je lui cède la parole, par la voix de son éditeur, Jean-Claude Simoën, à qui j'ai l'honneur de remettre ce prix.
Je vous remercie.
(Source http://www.culture.gouv.fr, le 8 décembre 2004)