Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF, à France-Inter le 14 mars 2000, sur la victoire du Parti populaire espagnol aux élections législatives, le rôle du centre dans l'opposition et la préparations des échéances électorales de 2002.

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Média : France Inter

Texte intégral

François Bayrou : Je ne suis pas d'accord avec l'idée que c'est la revendication principale.
Pierre-Luc Séguillon : Attendez, Lionel Jospin est enfermé dans cette question close, vous le critiquez, quelle réponse donnez-vous ? Il a répondu "j'accorde un milliard, ça fait 500.000 emplois, 5.000 emplois" pardon, en plus.
François Bayrou : Non, malheureusement non, parce que dans l'Education nationale il y a deux gestions, - c'est assez technique -, il y a les postes et l'argent des...
Olivier Mazerolle : attendez, là vraiment il faut qu'on avance, mais faut-il plus d'enseignants qu'il n'y en a à l'heure actuelle ? Faut-il plus d'enseignants pour ceux qui en ont plus besoin et l'on peut organiser les choses de manière que devant des classes plus homogènes, les moyens soient mieux distribués. Ce qui se passe aujourd'hui c'est qu'on est dans un désordre absolu et dans d'ailleurs, dans un désordre absolu de la gestion.
Olivier Mazerolle : Bon nous allons marquer une pause pour les informations de 19 heures, il est un peu plus de 19 heures, puis on va parler de la droite.
François Bayrou : Si vous voulez.
Olivier Mazerolle : Retour à la politique avec une question de Pierre-Luc Séguillon.
Pierre-Luc Séguillon : Dans la première partie de cette émission, vous avez été très critique à l'encontre de Lionel Jospin, à l'encontre de ce que vous considérez comme l'échec de sa politique et vous disiez que vous ne pensiez pas qu'un remaniement pouvait avoir une vertu salvatrice. Alors question : est-ce que vous avez le sentiment que Lionel Jospin ne peut plus se remettre de cet échec dans les deux ans qui vont venir, d'ici à la présidentielle, et si on suit votre hypothèse et s'il est condamné à l'immobilisme, est-ce que l'opposition peut attendre sans sourciller les échéances normales?
François Bayrou : Deux questions en une. Est ce que je considère que Lionel Jospin est d'ores et déjà condamné, ce serait ridicule de le dire, ce serait vraiment d'une assurance ridicule, donc je ne le dirai pas, je ne sais pas, je pense qu'il a vraiment accumulé les mauvais points ces derniers temps. Je pense que l'opinion le mesure et s'en rend compte, il y a aussi des facteurs presque dus au calendrier, qui ont joué, peut-être les élections partielles de dimanche dernier ont-elles joué un rôle dans ce changement de climat
Pierre-Luc Séguillon : Vous le dites en souriant, en pensant aux Pyrénées-Atlantiques !
François Bayrou : oui, voilà, en pensant aux Pyrénées-Atlantiques - dans ce changement de climat. Mais non, je n'ai aucune assurance que les choses soient jouées, ce sont des certitudes absurdes. Deuxièmement, est-ce qu'on peut rester sans rien faire ? Evidemment non. Je veux dire que la reconstruction du climat de confiance, la reconstruction patiente du lien entre l'opposition et les Français, elle n'est pas faite, elle est à faire, elle est à notre charge, c'est notre responsabilité, c'est à nous de faire la preuve. Les Français, à juste titre, se sentent vaccinés, ils ont l'impression que les alternances n'ont pas toujours porté les fruits qu'ils attendaient et ils n'ont pas l'impression, pour l'instant majoritairement, que l'opposition, la droite comme on dit, soit en situation demain matin de reprendre les choses et de les porter où ils souhaiteraient qu'elles soient portées.
Olivier Mazerolle : Ce climat de confiance peut-il revenir avec, par exemple, ce qu'on a vu durant les trois dernières semaines à l'UDF. Monsieur Douste-Blazy dit qu'il faut faire un grand parti social et libéral, alors vous, vous contrez ça et puis on entend dire que c'est Chirac qui est derrière cette opération, d'autres disent que l'UDF c'est bien gentil, mais depuis qu'on a fait 9 % aux Européennes, on n'a rien fait de plus pour prouver qu'on est vraiment un grand parti de rassemblement.
François Bayrou : Ecoutez, c'est très simple, je ne participe à aucune polémique d'aucune sorte, je n'y mettrai pas le plus petit doigt, le plus petit ongle du plus petit doigt. Je pense que notre devoir c'est d'agir et de faire et j'agirai et je ferai. Mais je le dis simplement et en une phrase : s'il y avait des entreprises qui voulaient refaire de l'UDF ce qu'elle était autrefois, c'est-à-dire des clans les uns contre les autres, je ne l'accepterais pas.
Pierre-Luc Séguillon : Alos question de fond : est-ce que la division ou le clivage entre démocratie libérale, une famille qui se revendique un libéralisme intense, et votre formation l'UDF, le clivage a-t-il encore, aujourd'hui, une raison d'être ? Je parle du fond, je ne parle pas des querelles de personnes ?
François Bayrou : Je pense que le message de l'UDF ne peut pas se résumer au message d'un libéralisme intense comme vous dites...
Pierre-Luc Séguillon : Est ce que le libéralisme intense a une raison d'être dans ce pays ?
François Bayrou : Je pense que l'UDF par nature et en disant libéralisme intense, on choisit exprès des mots qui...
Pierre-Luc Séguillon : je cherchais un qualificatif parce que vous êtes aussi des libéraux !
François Bayrou : qui ne sont pas péjoratifs. Je pense que précisément notre message, c'est de proposer pour la société un autre horizon, une autre démarche que celle-là. Alors naturellement, dans la démarche qui est la nôtre, il y a de la liberté et il en faut. Mais il y a aussi de la diffusion de la responsabilité, c'est indispensable. Et il y a aussi cette cohésion républicaine et nationale, sociale, dont nous parlons. Le message qui est le nôtre est fait pour que tous les membres de la société que nous formons ensemble puissent avancer du même pas et non pas pour que les gouffres se creusent ou que les différences se creusent. C'est fait pour rassembler et mettre du lien entre les gens, plutôt qu'au contraire faire la loi de la jungle...
Patrick Jarreau : Mais alors pour répondre précisément à la question. Quand Philippe Douste-Blazy, président du groupe UDF de l'Assemblée Nationale, dit nous pourrions nous retrouver, libéraux et UDF dans la même formation sociale et libérale, il se trompe ?
François Bayrou : Si c'est sur les mêmes convictions, si c'est avec un message clair qui est ce message central que j'essayais de définir à l'instant, c'est oui ! Si c'est sur nos convictions et même s'il faut naturellement prendre garde à ouvrir la porte en faisant... Cela c'est oui ! Mais si c'est pour faire de l'UDF un ventre mou qu'elle a cessé d'être, alors je ne défendrai pas cette idée.
Patrick Jarreau : L'UDF n'est plus un ventre mou dites-vous, mais ce qu'un certain nombre de gens se disent c'est au fond, depuis les élections européennes de juin, vous avez fait une belle campagne, obtenu un résultat satisfaisant. Où est passée l'UDF, que fait-elle, que propose t-elle, que dit-elle, quel message adresse-t-elle aux Français, quel projet prépare-t-elle ?
François Bayrou : Et bien l'UDF, comme les autres, essaie de construire son projet - et il y a d'ailleurs autour de moi quelques-uns et quelques-unes de ceux qui le font -, elle essaie de se préparer aux échéances qui viennent. Il y a de moment pour se battre, être sur le devant de la scène et il y a des moments où l'on se prépare à des combats. Il y a des combats qui viennent, vous le savez, ils sont au nombre de trois, les municipales, les législatives et après, une fois les législatives passées, il y a les présidentielles. Ce qui est un calendrier absurde...
Olivier Mazerolle : Vous avez renoncé au changement de calendrier ?
François Bayrou : Non, je ne renonce pas aux idées de bon sens, simplement je n'ai pas l'impression que mon analyse ou mon idée soit reprise, donc...
Olivier Mazerolle : alors pour les municipales, vous préparez l'union. Par exemple à Paris, vous pensez que Monsieur Borloo pourrait se présenter au nom de l'UDF alors que le RPR dit, quand même Paris, c'est plutôt de notre côté que du côté de l'UDF, c'est un arrangement qui préfigure une bonne entente au sein de l'opposition ?
François Bayrou : Notre démarche est unitaire parce que ce sont des élections au scrutin majoritaire et de surcroît des élections au scrutin majoritaire où l'on peut se maintenir au deuxième tour, ce qui est relativement compliqué. Notre démarche est unitaire, mais naturellement une démarche unitaire, c'est une démarche d'ensemble. Est-ce qu'on a un candidat qui peut l'emporter, est-ce que ce candidat, comment dirais je, donne à chacun sa place, est ce qu'on est d'accord sur toutes les villes de la même importance ou d'importance proche ? Je ne demande pas mieux que d'avoir une démarche unitaire générale et c'est le sens de ce que nous disons.
Olivier Mazerolle : Alors regardez, à Paris, on voit plutôt peut-être se préfigurer une idée d'une liste qui pourrait être dirigée par un RPR comme Philippe Séguin, par exemple, ou d'autres et puis à Lyon, vous avez un UDF qui est Monsieur Christian Philipp qui est adjoint de Raymond Barre, qui dit "je suis prêt à conduire une liste en faisant équipe avec un RPR" pour manifester justement l'union.
François Bayrou : A Lyon, les candidats seront choisis avec dépôt de candidature avant le 30 mars et choix avant le 30 avril, donc vous n'avez pas longtemps à attendre pour que les différentes personnalités de Lyon trouvent un soutien auprès de...
Olivier Mazerolle : cela ne vous enchante pas Monsieur Philip !
François Bayrou : Christian Philip est quelqu'un de bien, Michel Mercier est quelqu'un de bien et tout autre candidat qui pourrait se manifester dans nos rangs, je dis à l'avance que c'est quelqu'un de bien...
Patrick Jarreau : Et Charles Millon ?
François Bayrou : Charles Millon a fait des choix politiques que nous n'avons pas approuvés et qui ne sont pas les nôtres.
Pierre-Luc Séguillon : Je reviens en arrière sur démocratie libérale et l'UDF. Il y a aussi un autre aspect tactique qui est parfois soulevé à l'intérieur de l'opposition, il y a le RPR dont souvent les autres composantes ont souffert du côté un peu impérialiste, je ne me trompe pas ! Et certains disent, comme Philippe Douste-Blazy, si l'on veut résister à cette caractéristique un peu hégémonique du RPR, il faut s'unir, il faut constituer une force qui puisse se faire entendre, d'où la nécessité de, dans toutes ces tractations, municipales, législatives voire présidentielles, on va y venir, que la voix que l'on veut faire entendre soit soutenue par une base plus large.
François Bayrou : Faire entendre quoi ?
Pierre-Luc Séguillon : La voix sociale et libérale.
François Bayrou : La question est très simple. Quiconque admet ce message central, qui est le nôtre, a sa place parmi nous. Quiconque, au contraire, considère que ça n'est pas ce message central qu'il faut, il est légitime qu'il défende ses propres idées. Et donc...
Pierre-Luc Séguillon : Oui j'entends bien ce que vous dites mais...
François Bayrou : Et donc, attendez... Je prends un exemple simple. Vous étiez en train d'expliquer à l'instant qu'aux Européennes nous avions fait un très bon score, enfin score convenable, enfin quelque chose que vous trouviez bien pour nous ! Une bonne campagne disiez-vous et des résultats intéressants. Pourquoi avons-nous pu faire cela ? Nous avons pu faire cela parce que nous étions déterminés et compacts autour d'une volonté commune. C'est dans la volonté que prime le succès, c'est la force du message qui prime le succès, alors tous ceux qui sont d'accord avec notre
message, même avec des nuances, ils ont leur place parmi nous, d'où qu'ils viennent. On parle beaucoup de la droite, un jour il y aura du centre gauche ou de la gauche modérée qui viendra chez nous.
Patrick Jarreau : Donc vous invitez les députés de démocratie libérale à adhérer individuellement à l'UDF en fait !
François Bayrou : Je trouve que, individuellement ou en groupes pour ceux qui les souhaitent, c'est bien. N'est-ce pas... La seule chose contre laquelle je sois en réserve ou en réticence, c'est que l'on supprime la volonté et le message pour le remplacer par quelque chose de vague et de mou que je ne trouve pas bon pour la société française d'aujourd'hui.
Olivier Mazerolle : Et quand vous participez à une réunion au cours de laquelle on vous voit avec Alain Madelin et Michèle Alliot-Marie...
François Bayrou : Ça c'est l'union.
Olivier Mazerolle : Oui c'est l'union. Vous n'avez pas le sentiment de participer à un film déjà projeté, il y a quelques années, et qui n'avait pas donné les meilleurs résultats ?
François Bayrou : Il se trouve que j'ai eu l'occasion de participer aux deux épisodes. Celui-là et l'épisode précédent.
Olivier Mazerolle : Oui, vous parlez de...
François Bayrou : Le moins que je puisse vous en dire, c'est que le climat n'était pas le même. Ce n'est pas très facile de faire l'union sans avoir l'impression de faire un remake, comme vous dites. Parce qu'en effet, ces images-là, on les a beaucoup vues. Et c'est même pourquoi nous n'avons pas multiplié les occasions d'apparitions publiques, pour ne pas donner l'impression qu'on recommençait toujours la même antienne. Et pourtant, les électeurs qui nous font confiance, les électeurs de l'opposition, ils ont besoin de cette assurance-là et je dis une chose, le climat d'aujourd'hui n'est pas le climat d'hier. En tout cas dans les relations entre les personnes. Le lien de confiance qu'il y a aujourd'hui, malheureusement, n'existait pas hier.
Olivier Mazerolle : Même avec Alain Madelin ? Parce que vous vous en êtes dit avec Alain Madelin!
François Bayrou : Non, mais vous voyez comme vous confondez les choses. Alain Madelin et moi, il se trouve que nous n'avons pas exactement, comme vous savez, les mêmes approches. Mais il se trouve aussi que nous avons toujours conservé entre nous, un climat disons de camaraderie, où nous avons
toujours discuté, y compris dans des discussions privées, en nous étripant, parce que quelquefois on a la passion et le feu des choses...
Olivier Mazerolle : Oh même publiques parce que dites donc...
François Bayrou : Je n'ai pas, je n'ai jamais eu avec Alain Madelin de mauvaises relations personnelles, jamais. Et avec Michèle Alliot-Marie comme vous le savez, j'ai des relations amicales et anciennes. Nous sommes élus du même département et nous appartenons à la même équipe. Et bien je trouve que ce climat-là est un bon climat. Alors je sais que c'est difficile à faire croire et qu'il va falloir du temps pour le garantir, pour que les Français de nouveau y adhèrent, il faut y aller pas à pas et prudemment et non pas leur faire prendre, comment dirais-je, des affirmations pour la réalité. C'est la réalité désormais qu'il faut que nous montrions. Nous avons entre nous des relations de confiance, ça ne veut pas dire que tout soit réglé mais je vous le dis...
Pierre-Luc Séguillon : Est ce que de ce point de vue-là vous approuvez le travail transversal d'un club du style de celui constitué par Rafarin, Barnier, Barraux, Perben , je dis transversal parce qu'il...
François Bayrou : Je ne suis pas sûr que ceux qui nous écoutent soient tout à fait...
Pierre-Luc Séguillon : C'est-à-dire quatre anciens ministres appartenant à Démocratie libérale, au RPR et à l'UDF.
François Bayrou : J'approuve tout travail constructif.
Pierre-Luc Séguillon : Quand je vous dis ça, pour être très clair, vous avez raison, vis-à-vis de ceux qui nous écoutent, un club transversal dont on dit qu'il travaille en étroite liaison avec Jacques Chirac.
François Bayrou : Ecoutez, pourquoi Jacques Chirac n'aurait-il pas des gens qui le soutiennent, ceux que vous avez cités, d'autres...
Pierre-Luc Séguillon : Vous-même ?
François Bayrou : que vous évoquiez à l'instant. Mais je trouve ça légitime et normal. Jacques Chirac est Président de la République, il aspire à se représenter, il est naturel et légitime que ceux qui se reconnaissent en lui le soutiennent et l'aident. Tout ce qui est constructif est bon.
Patrick Jarreau: Oui, mais Monsieur Bayrou vous savez bien qu'un certain nombre de parlementaires, les vôtres, vous en serez j'imagine, vont recevoir Jacques Chirac au Sénat mardi prochain, disent qu'il faut être clair vu le calendrier, les élections législatives d'abord, la présidentielle ensuite, pour la droite il n'y a pas 36 solutions, elle doit être derrière Jacques Chirac à la présidentielle pour pouvoir gagner avant les législatives.
François Bayrou : Il se trouve que c'est le point sur lequel je revendique ma liberté.
Patrick Jarreau : Qui s'exerce comment ?
François Bayrou : Je vais vous expliquer pourquoi cette liberté est nécessaire. Je revendique ma liberté parce qu'on a choisi un calendrier, à mes yeux absurde, vous le rappeliez, dans lequel l'élection législative est organisée avant l'élection présidentielle. Et donc, au soir de l'élection législative, il y aura un paysage différent. J'ai souvent dit, je le répète devant vous, que l'on est aujourd'hui dans une confrontation Jospin / Chirac. L'un des deux aura disparu au soir de l'élection législative, il ne pourra pas se présenter à l'élection présidentielle...
Patrick Jarreau : Celui qui aura perdu, enfin celui dont le camp aura perdu.
François Bayrou : Celui qui aura été à la tête d'un camp qui aura perdu. Je dis que le paysage sera nécessairement différent.
Olivier Mazerolle : Attendez, alors si c'est la gauche qui l'emporte donc la droite présentera un autre candidat que Jacques Chirac, mais sans espoirs de succès. Donc vous êtes prêt à aller, vous, au combat comme ça, en vous disant de toute façon c'est perdu ?
François Bayrou : Attendez, je distingue si vous le voulez bien mon cas personnel sur lequel chaque interview renouvelle la question et la remet sur la table.
Olivier Mazerolle : Mais pour le candidat de droite, ça ne va pas être existant quand même de mener un mois de campagne en se disant que c'est perdu !
François Bayrou : Oui, mais je sais bien qu'il y a des gens qui rêvent qu'il n'y ait pas de candidat du tout mais, malheureusement, ce n'est pas comme ça les élections ! L'élection présidentielle, normalement, devrait être la clé de voûte des institutions. Elle devrait être le lieu où se dessine le destin de la France. C'est comme ça que la Constitution de la Vème République a été écrite, comme ça que le Général de Gaulle l'a pensée. On est en train de faire le contraire. C'est dingo.
Olivier Mazerolle : C'est dingo !
François Bayrou : Voilà. On est en train de mettre en acte II, secondaire, ce qu'on devrait mettre en acte I, primordial.
Olivier Mazerolle : Pour reprendre votre formule, est-ce que ce ne sera pas dingo de la part d'un homme politique de droite de se lancer dans la présidentielle après une défaite aux législatives ?
François Bayrou : Ce sera risqué, ce sera une aventure, ce sera une uvre de conviction mais...
Olivier Mazerolle : et si c'est la droite qui gagne les législatives, comment pourriez vous éviter que Jacques Chirac, sous la bannière de qui les législatives auront été gagnées, soit le candidat évident ?
François Bayrou : Ecoutez, tout cela appartient à un autre temps. Tout cela appartient au temps d'après les élections législatives, et au nom de la famille politique à laquelle j'appartiens et dont j'ai la responsabilité, je conserverai ma liberté de choix sur cette affaire.
Pierre-Luc Séguillon : Mais vous êtes d'accord que ça appartient, peut-être, à un autre temps mais tout cela se prépare et l'on est à deux ans de l'échéance. Donc, vous avez le choix entre deux stratégies, ou bien effectivement
vous renoncez à faire entendre la voix de l'UDF à travers votre personne. Quand on regarde les sondages, ils ne sont pas très bons, le dernier vous donne 4, la même chose que Madame Voynet...
François Bayrou : Ecoutez, attendez...Un mot sur les sondages, non vraiment, un mot sur les sondages. Ils testent des noms qui ne sont pas candidats pour une élection dont on ne connaît pas le contexte et qui n'ont jamais dit ce qu'ils ont à dire aux Français au moment d'une élection majeure comme celle-là. Tout sondage, et donc vous savez qu'il y avait un temps où Jacques Chirac était autour de 10 dans les sondages des élections présidentielles, vous vous souvenez de ce temps-là, où tous les journalistes écrivaient qu'il était cuit, il était mort. Les sondages n'ont pas de sens en dehors de l'échéance elle-même. Cela dit on peut naturellement s'en servir et c'est à ça qu'ils servent, enfin c'est généralement leur emploi. C'est quelque chose dont on essaie de se servir.
Pierre-Luc Séguillon : Bon alors ma question c'était ou bien vous choisissez une stratégie qui est effectivement pas la vôtre, qui est de renoncer en disant il faut tout faire pour que dans une situation qui reste quand même difficile parce que même s'il y a un remaniement, même si il y a les difficultés de Jospin, les choses ne sont quand même pas excellente pour le Président de la République actuel pour sa réélection, on fait tout pour qu'il soit réélu c'est à dire on reprend la phrase de Juppé, il ne faut rien faire qui puisse le gêner, ou bien on se dit comme vous venez de le dire, de toute manière ça
va être dingo donc on peut se payer le luxe de faire exploser la baraque au risque de l'échec !
François Bayrou : Non ce qui est dingo c'est le calendrier qu'on a choisi. Pour le reste il faut avoir...
Olivier Mazerolle : qui "on" d'ailleurs ?
François Bayrou : Et j'ai avec le Président de la République des rapports positifs, constructifs et de ma part respectueux...
Pierre-Luc Séguillon : Vous pourriez être Ministre des affaires étrangères.
François Bayrou : Non !
Pierre-Luc Séguillon : Je parle du langage.
François Bayrou : J'ai des rapports de cet ordre. Je n'ai jamais eu de conflits personnels avec le Président de la République, et pourquoi en aurai-je ? Il est Président de la République et je le respecte en tant que tel, il appartient à mon camp. Cela dit, au bénéfice de cela, totalement aliéner sa liberté de langage, sa liberté tout court, la liberté de sa famille, son projet, son envie de proposer un chemin nouveau à la France, pour ma part je ne le ferai pas. Je sais qu'on m'y invite assidûment.
Pierre-Luc Séguillon : Qui, quand ? L'Elysée ? Philippe Douste-Blazy ?
François Bayrou : Je sais que des efforts nombreux sont faits pour que cette famille fasse comme elle a trop souvent fait par le passé, c'est-à-dire qu'elle renonce à exister, qu'elle renonce à proposer un chemin nouveau. Il y a beaucoup de gens qui travaillent à cela. Je le dis à l'avance, autant je suis un partenaire positif et constructif de l'entente de l'opposition et de son union, autant je ne laisserai jamais aliéner notre liberté parce que c'est une liberté dont la France a besoin. Figurez-vous que, en Espagne, c'est le seul pays où notre famille politique l'emporte. Quel était le slogan que José Maria Aznar a choisi ? Ce slogan était "l'avenir est au centre", alors pour moi, ma conception du centre, elle est centrale et non pas centriste, elle est large. Elle va loin au centre droit, et un jour loin au centre gauche. C'est un message fédérateur pour le pays qui essaie de rassembler en un seul projet deux attentes majeures, une attente, vous l'avez dit, d'efficacité et de liberté, et une attente de cohésion sociale. Ce message-là c'est le nôtre et c'est de celui-là dont la France a besoin et c'est pourquoi il est de notre devoir de le porter.
Olivier Mazerolle : Merci Monsieur Bayrou, c'était votre Grand Jury, bonne soirée à tous !
François Bayrou est interrogé par: Olivier Mazerolle (RTL), Pierre-Luc Séguillon (LCI) et Patrice Jarreau
(le Monde)
(Source http://www.udf.org, le 10 mai 2000).