Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF, dans "Le Figaro" du 27 septembre 2000, sur les résultats du référendum sur le quinquennat et le taux d'abstention, sur le calendrier des élections présidentielles et législatives et sur la situation au sein de l'UDF.

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Referendum sur le quinquennat adopté par défaut, taux d'abstention record, bulletins blancs et nuls en forte hausse, affaire Méry-DSK : pour François Bayrou, le pays vit dans un "climat pourri" et traverse une "crise politique profonde". "Les Français savent bien que la France n'est pas gouvernée comme elle mériterait de l'être", estime le président de l'UDF, qui milite plus que jamais pour une modification du calendrier électoral de 2002.
Abstention, affaire Méry. Comment jugez-vous le climat au lendemain du référendum ?
Arrêtons les faux-semblants : c'est une crise politique profonde. Rien n'était plus étrange et plus triste, dimanche soir, que de voir les responsables se féliciter et tenir des propos anodins sur ce qui venait de se passer. Mais faire semblant ne suffira pas. Quand, malgré les mots d'ordre du président de la République et du premier ministre de cohabitation, alliés, et de leurs deux partis respectifs, sur la même ligne, avec tous leurs moyens et toute leur influence, 71% des Français refusent consciemment d'aller voter, c'est une crise majeure, et qui aura des conséquences de long terme.
Plus explicite encore, parmi ceux qui sont allés voter, 17%, presque un sur cinq, sont allés déposés un bulletin blanc ou nul ! Quelle protestation, quel témoignage de défiance ! Cette crise politique profonde ne se satisfera pas de cataplasmes sur une jambe de bois. C'est la vague du renouvellement qui a commencé de se former. On peut faire semblant de l'ignorer, mais on ne l'arrêtera pas.
En étant favorable au quinquennat tout en critiquant la démarche du référendum, l'UDF n'a-t-elle pas contribué à brouiller l'esprit des électeurs ?
L'UDF a dit exactement ce que pensaient les Français : oui au quinquennat, non à ce referendum qui prenait la réforme de notre démocratie par le petit bout de la lorgnette, prétendait contre toute évidence que cela ne changerait rien !
A question simple (cinq ou sept ans) ne suffisait-il pas d'apporter une réponse simple (oui ou non) ?
Pourquoi s'obstine-t-on à prendre les Français pour des enfants, incapables de comprendre leur démocratie ? C'est justement ce simplisme que les Français, parfaitement lucides, ont refusé d'avaler.
Jacques Chirac et Lionel Jospin sortent-ils affaiblis de ce référendum ?
Le résultat de dimanche donne le vrai jugement des Français sur la cohabitation. On confond tout le temps la popularité bienveillante et factice avec l'adhésion profonde d'un peuple. Dans les sondages, la cohabitation et ses acteurs sont peut-être sympathiques. Mais elle n'entraîne pas les Français, et comment pourrait-elle le faire dans ce climat pourri ? Les Français savent bien que la France n'est pas gouvernée comme elle mériterait de l'être, et ils le disent.
Vous avez été le premier à dénoncer le "calendrier dingo" plaçant les prochaines législatives avant la présidentielle. L'idée d'une inversion est maintenant défendue, de Jean-Pierre Chevènement et Charles Pasqua. Une solution est-elle en vue ?
Qui ne voit que dans ce calendrier prévu pour 2002 réside la négation même de nos institutions? Dans la Constitution, comme elle est, l'Assemblée peut gouverner sans le président, mais le président ne peut rien sans l'Assemblée. Si l'Assemblée est élue avant le président, tout est tranché. Alors, quel est le sens de son élection ? En faire l'aimable appendice ou l'aimable contrepoids d'un pouvoir réel qui est ailleurs ? Est-il utile, dès lors, de l'élire au suffrage universel? Tout cela, c'est la fin programmée de la Vè République. Ce n'est pas une affaire d'opportunité, c'est une affaire civique. L'UDF déposera une proposition de loi en ce sens. Mais c'est au sens civique de tous les responsables qu'il faut faire appel.
La perspective de votre candidature à la présidentielle ne rend-elle pas suspecte votre position sur l'ordre des élections ?
Que signifie votre question ? Que, dans certains milieux, on croit qu'on peut se servir du calendrier électoral pour ficeler ce débat et l'empêcher d'avoir lieu ? C'est d'une naïveté confondante. Le débat aura lieu de toute façon, parce que personne n'arrêtera la vague du renouvellement.
Ne serait-il pas plus clair d'officialiser dès maintenant votre candidature ?
Chaque chose en son temps. J'ai une certitude : les Français n'accepterons pas, quoi qu'on fasse, de se laisser enfermer dans un choix forcé, celui du binôme de la cohabitation. Pour le reste, l'UDF tiendra son congrès en décembre. Ce sera le dernier avant les grands rendez-vous de 2002. Il devra donc nécessairement donner des orientations.
A la veille des législatives, les parlementaires de votre parti ne vont-ils pas faire pression en faveur de l'union de la droite ? Quant à Philippe Douste-Blazy, président du groupe UDF à l'Assemblée, ne fera-t-il pas tout pour vous empêcher de vous présenter, éventuellement en provoquant une primaire devant les adhérents de l'UDF ?
Il y aura, je le sais, multiplication d'obstacles, tous délicieusement subtils et variés, mais au bout du compte dérisoires face à la volonté de changement qui va se lever. Que tout soit bien clair : chez nous c'est la démocratie, mais l'UDF ne se laissera pas manipuler de l'extérieur, directement ou par personnes interposées. Et ses adhérents n'accepteront pas des manoeuvres destinées à l'affaiblir de l'intérieur, après avoir échoué à l'affaiblir de l'extérieur.
A partir du moment où Jacques Chirac parle d'une Constitution européenne, de décentralisation, de démocratie sociale, quel espace reste-t-il pour une candidature centriste?
"Words, words". La politique, ce ne sont pas des mots. Tant mieux si l'on se précipite pour copier nos idées avec les mots d'hier. C'est déjà un succès. Mais le véritable enjeu, c'est notre vision de demain. Aux questions d'aujourd'hui, les réponses d'hier seront de peu de poids. Qui gouvernera notre avenir ? Le jeu aveugle des puissances mondiales et des marchés, ou la volonté des peuples ? Si nous voulons faire entendre la voix de notre peuple, où est la construction d'une Europe nouvelle, démocratique, où les décisions sont prises non pas dans le secret des chancelleries, mais à partir du débat et du vote des citoyens ?
Sur ce point, on ne peut pas dire que la Présidence française fasse des étincelles. On est, au contraire, totalement dans l'impasse. Sur quelles valeurs construire l'avenir de notre société ? Va-t-on continuer avec comme seul horizon cette glorification indécente de l'argent qui méprise tout ce qui tient au civisme, à la responsabilité, à l'effort altruiste ? Comment mettre au premier plan une conception volontaire du rapport de l'homme avec la nature, avec son cadre de vie ?
Tout cela, ce ne sont pas des mots, c'est une vision. Et on peut essayer évidemment de copier tous les mots. Mais, on l'a vu dimanche, quand on fait semblant, on est peu convaincant.
Propos recueillis par Guillaume Tabard

(Source http://www.udf.org, le 27 septembre 2000)