Texte intégral
(Entretien avec des radios françaises à l'issue de la conférence ministérielle sur l'Irak, à Charm el-Cheikh le 23 novembre 2004) :
Q - Monsieur le Ministre, la conférence est terminée. Etes-vous satisfait de la façon dont a été repris un certain nombre de points que vous avez soulevé ?
R - La France a voulu participer à cette conférence parce qu'elle est une étape importante dans le processus de paix. Nous restons vigilants, tout n'est pas gagné pour la stabilité et la paix en Irak. Ici, à Charm el-Cheikh, tout le monde était là, tous les pays de la région, tous les pays riverains de l'Irak, la Syrie, la Turquie, la Jordanie, l'Iran, l'Egypte qui nous accueille, et encore d'autres pays qui ont des responsabilités dans ce conflit, comme les Etats-Unis, et d'autres qui sont soucieux que l'on sorte de cette guerre, de cette tragédie. Tous ces pays étaient là, ensemble, approuvant le même texte et choisissant de dire : "on ne sortira pas de cette guerre, de cette tragédie par les armes, on en sortira par la politique et par la démocratie". Oui, de ce point de vue là, la réunion de Charm el-Cheikh est une étape importante qui prépare une autre étape importante qui sera, en quelque sorte, un moment de vérité, celui des élections du 30 janvier prochain.
Q - Vous êtes très optimiste par rapport à la conférence intergouvernementale irakienne, comment pouvez-vous être aussi optimiste ?
R - Je ne suis pas optimiste, je suis volontariste et déterminé pour dire que l'une des conditions, si vous m'avez bien entendu, pour réussir le moment de vérité que sont les élections du 30 janvier prochain, c'est que toutes les forces politiques irakiennes participent à ce processus démocratique. Je n'en suis pas encore sûr. Voilà pourquoi nous avons demandé, depuis le début, d'adosser à cette conférence des gouvernements, ici à Charm el-Cheikh, une conférence inter-irakienne, pour réunir en Irak toutes les forces politiques irakiennes, toutes les communautés, celles qui sont déjà dans l'action politique et celles qui pourront y entrer en renonçant à la violence. C'est une des conditions pour la crédibilité des élections du 30 janvier prochain.
Q - Pouvez-vous envisager une intervention de l'armée française en Irak ?
R - Nous n'enverrons pas, ni maintenant ni plus tard, de soldats en Irak. Pour autant, nous voulons participer à la reconstruction, parce que c'est aussi notre intérêt. La stabilité ou l'instabilité du Moyen-Orient, c'est notre propre stabilité. Nous voulons aider ce pays et ce peuple à sortir de cette guerre et de cette tragédie, nous voulons aider à la reconstruction politique et économique de l'Irak. Et donc, un moyen est de participer, avec tous les autres pays, nous l'avons fait d'une manière ambitieuse et exigeante, par étapes, en annulant une grande partie de la dette de ce pays qui l'empêche de se reconstruire.
Q - Et quand vous entendez dire que la France est un peu spectatrice...
R - Je l'ai entendu dire une seule fois, et cela n'a pas été répété, parce que la preuve est faite, depuis le début de cette tragédie, que nous ne sommes pas des spectateurs, que nous sommes acteurs, acteurs de la paix, voilà pourquoi nous n'avons pas approuvé cette guerre, acteurs aujourd'hui de la reconstruction politique et économique, à travers un processus démocratique sur lequel maintenant tout le monde est d'accord. Et s'il y a une leçon à tirer de cette conférence de Charm el-Cheikh, où tout le monde se retrouvait pour la première fois, c'est que tous ces pays, quel qu'ait été leur passé par rapport à cette tragédie, tous ces pays ont approuvé aujourd'hui la seule alternative à la guerre et aux armes, qui est le processus démocratique dans lequel nous nous sommes engagés et qui reste, encore une fois, fragile et difficile.
Q - La page de la guerre est-elle tournée ?
R - La situation que vit l'Irak aujourd'hui est une situation de chaos, de guerre, de tragédie, d'instabilité, mais la page se tourne. Ce que je comprends, c'est que tous les pays qui sont ici, et c'est encore une fois le grand résultat de Charm el-Cheikh, tous les pays qui sont ici, quelle qu'ait été leur responsabilité dans cette tragédie, quel qu'ait été le désaccord, comme celui de la France, avec cette guerre, tous ces pays s'engagent aujourd'hui à tourner cette page et à faciliter et à accompagner un processus démocratique et politique.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 novembre 2004)
(Entretien avec France 2, à Charm el-Cheikh le 23 novembre 2004) :
Q - Est-ce que vous avez le sentiment que la France est revenue enfin dans le jeu irakien, c'est ce que vous souhaitiez ?
R - Nous sommes acteurs de cette paix que nous souhaitons de toutes nos forces depuis le début. Nous ne voulions pas cette guerre au départ. Elle a eu lieu. Aujourd'hui, ne regardons pas derrière nous. Nous voulons regarder vers l'avenir et sortir de cette guerre, de cette tragédie, de cette spirale de la violence qui frappe les femmes, les enfants, les hommes en Irak tous les jours, et qui nous touche aussi, puisqu'il y a des enlèvements tous les jours, et je ne veux pas oublier Georges Malbrunot et Christian Chesnot aussi longtemps qu'ils ne seront pas effectivement libres. Donc, nous voulons être acteurs de cette paix. Voilà pourquoi aux Nations unies avec la résolution 1546, comme dans la discussion sur la dette irakienne et aujourd'hui à Charm el-Cheikh, nous avons voulu être utiles et volontaires, étape par étape, pour aller sur le chemin de la paix et la démocratie en Irak.
Q - Et parfois très exigeants ?
R - Oui, nous sommes restés très exigeants au point d'obtenir, comme nous le souhaitions, deux dimensions dans cette déclaration de Charm el-Cheikh : que l'engagement soit pris de réunir toutes les forces irakiennes qui choisissent non pas la violence, mais la démocratie, et cela, c'est le moment de vérité des élections qui nous dira si cela a marché, au 30 janvier prochain. Il faut que toutes les forces irakiennes qui le veulent acceptent de s'engager dans ce processus. La deuxième condition qui figure dans cette déclaration, c'est l'horizon à l'aune duquel les Irakiens seront maîtres de leur destin et le moment auquel les troupes étrangères se retireront, en décembre 2005.
Q - Mais, dans les discussions que vous avez eues tout au long de la conférence, vous avez fait preuve de bonne volonté, vous le répétez, est-ce que vous avez senti qu'il y avait une bonne volonté américaine pour, à son tour, faire pression sur le gouvernement irakien et mettre en application finalement ce qui n'est pas contraignant ? Comment avez-vous perçu l'état d'esprit américain aujourd'hui ?
R - Je pense que les Américains veulent sortir de cette situation. Ils sont revenus dans le jeu des Nations unies il y a quelques mois. Voilà pourquoi nous avons approuvé avec eux, et avec tous les autres, cette résolution 1546. Nous sommes ici présents. Colin Powell était là avec tous les pays de la région, et notamment tous les pays qui ont condamné cette guerre. Donc, cela prouve qu'il y a un nouvel état d'esprit aux Etats-Unis et la volonté de sortir, non pas par les armes - il y a encore trop de violence, trop d'opérations militaires - mais par la démocratie et par les élections, de cette tragédie.
Q - En même temps, une des premières choses que Colin Powell a dit cette après midi, c'est qu'il se félicite de la reprise par la force et par les armes de Falloujah, de Samara, c'était une référence très explicite à l'action militaire des Etats-Unis. Est-ce que vous pensez que les Etats-Unis vont à tout prix porter sur ce processus politique et aller vers moins de violence ?
R - Ce sont les Américains et les autres forces qui occupent et qui sont en Irak qui sont responsables de ce qui se passe en termes de sécurité dans ce pays. Ce que je peux dire, c'est que pour réussir ce dont nous sommes convenus aujourd'hui, c'est-à-dire le processus politique, les élections le 30 janvier, pour réussir cela, on ne le fera pas par les armes et les opérations militaires, on le fera par la démocratie en mettant dans un processus de dialogue toutes les forces irakiennes.
Q - Mais l'utilisation de la force était encore mentionnée aujourd'hui ?
R - Nous pensons que nous ne sortirons pas de cette tragédie par les armes, par les soldats, par les opérations militaires, mais par un processus politique. Voilà pourquoi nous avons été là et pourquoi nous avons travaillé à cette résolution.
Q - M. Zebari a expliqué aussi que son pays n'avait pas donné d'accord pour la réunion inter-irakienne que vous avez appelée de vos voeux. Il l'a dit de façon assez décontractée, donc semblant penser qu'il n'y avait rien de contraignant dans le communiqué final, qu'est ce que vous en pensez ?
R - Je ne sais pas ce qu'a pu dire M. Zebari après cette réunion. Ce que j'ai pu constater, pour être autour de la table avec tous les autres participants, c'est qu'il a approuvé les conclusions et le communiqué de cette conférence qui précise clairement qu'avant le 30 janvier, comme nous le demandions nous-mêmes, les Russes et d'autres pays, il y aura une réunion en Irak avec toutes les forces irakiennes qui renoncent à la violence, celles qui ont déjà renoncé à la violence, pour participer à la réussite du processus politique.
Q - Comment allez-vous faire pour être vigilant, pour que cette réunion se tienne effectivement, parce que, pour l'instant, ce n'est pas gagné ?
R - Les élections, le 30 janvier, seront à la fois difficiles et possibles mais il n'y a pas d'autre issue, ni pour les Irakiens, ni pour le gouvernement intérimaire, ni pour les Etats-Unis que de favoriser la réussite de ce moment de vérité, cette première étape que sont les élections puis les autres étapes, sinon ce pays, et tous ceux qui y sont engagés, seront condamnés à la violence. Donc, je pense qu'il n'y a pas d'autre issue et que ces pays vont être conduits à favoriser ce processus politique.
Q - Est ce que la France est satisfaite de participer à cette unité et à ce consensus qui se dégagent aujourd'hui ?
R - On ne sortira de cette tragédie que par l'unité du peuple irakien, sa participation aux élections et par l'unité de la communauté internationale. Et aujourd'hui, c'est la première fois que tous les pays, quels qu'ils soient et où qu'ils soient, ceux qui ont condamné cette guerre comme nous-mêmes, ceux qui l'ont conduite, tous ces pays ont été ensemble pour dire que ce n'est pas en poursuivant ce conflit et cette tragédie que l'on fera sortir l'Irak de l'instabilité, mais par la politique et par la démocratie. Donc suis-je satisfait ? Je ne serai satisfait que lorsque les élections auront été réussies, démocratiquement, que les troupes étrangères se seront retirées de l'Irak et que cette région retrouvera la stabilité, comme d'ailleurs la région voisine, celle des Israéliens et des Palestiniens. Donc, il n'y a pas d'autosatisfaction, il y a beaucoup de vigilance, beaucoup de détermination, mais nous sommes heureux que cette unité internationale ait été consolidée aujourd'hui à Charm el-Cheikh.
Q - Mais il n'y a pas de déception ?
R - Il y a de la vigilance. Un homme politique, je crois, doit être volontariste et déterminé. J'espère que tout ce qui a été écrit sera suffisant. Je n'en suis pas encore sûr, voilà pourquoi je dis que les élections du 30 janvier seront possibles mais difficiles.
Q - Cela ne vous inquiète pas que ce ne soit pas contraignant ?
R - La contrainte, elle est dans la résolution 1546 des Nations unies, c'est cela le texte cadre, celui qui nous oblige et qui oblige tous les protagonistes et c'est dans ce cadre là que nous nous sommes retrouvés à Charm el-Cheikh.
Merci.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 novembre 2004)
(Entretien avec Europe 1, à Charm el-Cheikh le 23 novembre 2004) :
Q - La France vient-elle ou non de rentrer dans le rang ? On rejoint sur place le ministre des Affaires étrangères, Michel Barnier : franchement, peut-on dire que la voix de la France a été entendue à Charm el-Cheikh ?
R - Oui, nous avons été entendus sur les deux points qui nous paraissent les plus importants pour réussir les prochaines étapes du processus politique, puisque tout le monde sait que l'on ne sortira pas de la tragédie irakienne, de cette guerre, par les armes, mais que l'on en sortira par un processus politique et démocratique, à condition d'y intégrer tous ceux qui, en Irak, doivent y participer, et notamment tous ceux qui doivent ou qui veulent renoncer à la violence pour participer à ce processus politique. Il faut avoir aussi l'horizon de la souveraineté de l'Irak, c'est-à-dire le moment, comme horizon, où les troupes étrangères se retireront.
Ce sont les deux conditions que nous avons exposées, non pas comme des conditions de la France mais comme les conditions pour réussir ce processus politique ; et nous les retrouvons dans les conclusions de la Conférence de Charm el-Cheikh.
Q - Vous semble-t-il, franchement, que les Américains l'ont accepté, on n'a pas vraiment le calendrier précis de retrait des troupes américaines que nous souhaitions ; si l'on comprend bien, on a renoncé à une partie de la dette irakienne, à hauteur de 80 %, nous ne voulions pas aller au-delà de 50 %. N'y a-t-il pas là plus de renoncement que de victoire ?
R - Il ne s'agit pas de renoncement ou de victoire, il s'agit de trouver les moyens de réussir une sortie de cette tragédie et de créer de la stabilité dans cette région car l'instabilité actuelle, c'est notre propre instabilité. Donc chacun fait des efforts.
Les Américains savent bien que, dans la résolution des Nations unies, qui a été approuvée à l'unanimité, donc par eux-mêmes, la date et l'horizon de décembre 2005 sont le moment où l'on devra décider du retrait des troupes étrangères. Nous avons effectivement fait un effort important, exigeant pour la dette irakienne, en allant, par tranches progressives, jusqu'à 80 % de l'annulation de cette dette. Mais tout le monde a fait cet effort parce que nous voulons participer, nous l'avons dit depuis des mois, à la reconstruction politique et économique de l'Irak. Il ne s'agit pas de victoire ou de renoncement, il s'agit d'arrêter cette guerre, d'arrêter cette violence et nous l'arrêterons par un effort collectif de la communauté internationale.
Q - Lorsque le numéro deux du Département américain, le ministère américain des Affaires étrangères, Richard Lee Armitage dit hier, que la France a peur que nous réussissions, vous lui dites "non" ?
R - Ces propos ne m'intéressent pas vraiment parce que, dans la tragédie actuelle de la guerre en Irak, avec cette violence, avec nos deux otages auxquels nous pensons quotidiennement, Christian Chesnot et Georges Malbrunot, avec ces attentats, ces opérations armées, je pense que tout le monde a mieux à faire, et d'abord les dirigeants américains, que d'entretenir des polémiques de cette nature.
Q - Donc, nous tournons la page ?
R - Nous regardons devant nous, chacun sait les positions que nous avons adoptées, chacun se souvient pour quelles raisons nous nous sommes opposés à cette guerre mais aujourd'hui, nous regardons devant nous, avec tous les pays de la région qui sont tous, au moment où je vous parle, à Charm el-Cheikh, l'Egypte, tous les pays voisins de l'Irak, la Turquie, l'Iran, la Syrie, la Jordanie, tous les pays voisins de l'Irak, ici avec nous, et les Américains, les Russes, les Chinois, les Japonais, tous les Européens. Et si nous sommes là, tous ensemble, ce n'est pas pour rien, c'est pour dire que cette guerre doit cesser, qu'elle va cesser si chacun fait un effort. La première étape, ce sont les élections qui sont prévues pour le mois de janvier et qui sont, de mon point de vue, des élections possibles et difficiles à la fois, possibles si chacun fait un effort et difficiles parce que, dans la situation actuelle de violence, les conditions ne sont pas encore réunies pour la sérénité et la crédibilité de telles élections. Mais elles sont encore possibles et c'est la première étape qu'il faut réussir.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 novembre 2004)