Texte intégral
Alain Juppé a parlé - comme toujours, avec rigueur et précision. Ce n'était certes un secret pour personne, mais voici que les choses sont dites : Alain Juppé quitte la présidence de l'Union pour un mouvement populaire, et s'éloigne de la vie politique.
Mon premier geste est de lui tirer mon chapeau et de lui dire merci. Nous manquerions en effet à l'amitié, à la fidélité, nous manquerions surtout à l'honnêteté intellectuelle en ne saluant pas aujourd'hui celui qui a tenu le gouvernail de l'UMP pendant deux ans, et par-dessus tout, consacré sa vie à l'intérêt général. Je crois qu'Alain Juppé, qui, d'une manière ou d'une autre, continuera de servir la France, nous laisse un message à méditer.
Il demeure pour nous un exemple et une source d'inspiration. Il y aurait une forme particulière d'ingratitude et de lâcheté, en ce moment particulier, à se détourner de lui, de son héritage et des leçons de son expérience - qui peuvent continuer d'éclairer notre avenir : sens de l'Etat, défense de l'intérêt général, conscience aiguë des réformes nécessaires, détermination sans faille, refus de céder devant les intimidations corporatistes.
Assurément, certains se feront un "devoir" de rappeler les circonstances de ce départ ; mais tout le monde s'accorde pour considérer qu'elles n'entachent en rien l'intégrité de l'homme.
Revenons donc à l'essentiel :
D'abord le "sens de l'Etat". Cette ferme volonté de toujours faire prévaloir l'intérêt général sur les intérêts particuliers - personne ne songera à nier qu'elle habite Alain Juppé au point d'en constituer comme l'armature et le code moral. Ne jamais oublier ce principe, telle est sans doute la première consigne d'Alain Juppé à ses successeurs : lui l'a constamment appliqué, d'instinct.
On le lui a d'ailleurs suffisamment reproché ! On lui tint ainsi grief de ne pas "servir" la prétendue "clientèle de la droite" ! Mais c'est précisément là son message : la politique n'est pas la séduction d'une clientèle, mais le service de la France. Agir n'est pas flatter. Tel était l'esprit qui animait la Convention, lorsqu'elle vota, le 23 germinal de l'an III, cette belle déclaration : "Le véritable ami du peuple est celui qui lui adresse courageusement des vérités dures ; c'est lui que le peuple doit chérir, honorer, et préférer dans les élections." Propos inactuels ? Je ne le crois pas. Les Français sont adultes. La vérité leur est due.
Céder aux sirènes de la facilité, faire preuve de timidité, ne pas oser affirmer clairement quelques évidences, c'est faire dégénérer la démocratie en démagogie. C'est corrompre le meilleur des régimes, et préparer l'avènement du plus mauvais. C'est pourquoi, conscients de ce danger, nous tenons bon le cap des réformes.
De ces "vérités dures" et de ce courage, Alain Juppé n'a jamais manqué. A-t-il eu raison trop tôt, dans une société surprise par une telle franchise ? A-t-il manqué de souplesse ? Il serait trop facile d'en juger maintenant. Une chose est sûre : il avait vu juste. Qui, en effet, oserait dire que la réforme des retraites n'était pas légitime ? Que l'augmentation de la durée de cotisation des fonctionnaires n'était pas exigée par la pure et simple équité ? Qui oserait dire que cette réforme n'était pas nécessaire pour sauver notre régime de répartition, nécessaire pour permettre à nos enfants de profiter du système de solidarité dont nous bénéficions ? Alain Juppé l'avait conçue et voulue. C'est chose faite.
Qui oserait affirmer que nos dépenses de santé peuvent continuer de croître deux fois plus vite que nos richesses, sans que nous fassions l'effort d'une réforme ? Il ne s'agit d'ailleurs pas tant de "faire des sacrifices", que de réfléchir rationnellement aux moyens de mieux organiser notre système. Qui oserait affirmer qu'une amélioration de la productivité de notre Etat n'est pas nécessaire ? Et qu'elle n'est pas la meilleure garantie d'un renforcement des missions essentielles que sont l'éducation, la santé et la sécurité ?
Soyons clairs : Alain Juppé a toujours voulu que nous prenions les moyens de nos rêves, que nous construisions notre Idéal de Fraternité dans l'épaisseur du réel, non dans les nuages et les discours. Il a conjugué la rigueur et la vision. De cette alliance, nous continuerons d'avoir besoin. Ce faisant, il a toujours su voir où la France devait porter ses efforts pour continuer d'être une grande nation.
Je crois en particulier que ses convictions européennes doivent demeurer les nôtres : l'Europe - fondée sur des réalités, des intérêts communs - est le levier de notre puissance dans le monde du XXIe siècle. Sans masse critique européenne, nous perdrions les moyens d'affronter la concurrence économique, de relever les défis diplomatiques, de combattre la menace terroriste.
Nous devons à cette conviction profonde l'adoption de l'euro par la France, qu'Alain Juppé a courageusement préparée lorsqu'il était Premier ministre. A l'époque, les efforts exigés renforçaient le clan du renoncement ; mais à présent, tout le monde se félicite de l'existence de cette monnaie, qui nous protège des dévaluations compétitives et des fluctuations internes qui empoisonnaient la vie économique européenne. La conscience de l'intérêt général a tenu bon contre les mauvais prophètes.
A l'heure où certains, y compris à l'UMP, se débattent dans le doute et la perplexité, nous devons suivre plus que jamais, derrière le président de la République, cette voie authentiquement gaulliste : agir pour la construction européenne pour mieux y affirmer les intérêts de la France.
En "gaulliste d'aujourd'hui", nous avons conscience que pour défendre notre modèle social en Europe, et permettre à la France de rayonner dans le monde, nous devons commencer par illustrer nos capacités réformatrices. A cette condition nous redonnerons à notre pays, qui n'en a jamais perdu l'ambition, les moyens d'inventer l'avenir.
Enfin - et je crois que nous touchons là vraiment l'essentiel - notre action peut trouver chez Alain Juppé une valeur qui prime toutes les autres : l'amour de la République. Cela signifie l'attachement profond, presque viscéral, pour l'égalité des chances, la promotion individuelle par l'effort et le mérite. On a parfois souri du "premier de la classe", du "bon élève". A tort, car la République existe précisément pour que les Français puissent être fiers d'eux-mêmes, pour qu'ils n'aient pas à souffrir de leur naissance ou regretter leur manque d'héritage.
La République s'est tout entière rêvée, conçue et finalement construite contre le régime des castes, des héritages, des positions acquises, contre le régime des discriminations de naissance, de religions, de race, de modes de vie. Or, ce régime tend, si l'on n'y prend garde, à se reconstituer spontanément. Car les rapports de forces et l'inertie sont de nature, quand la justice et la mobilité sociale sont de volonté. Dès lors, il faut veiller à ce que nos institutions scolaires, notre marché du travail maintiennent bien vives les valeurs d'égalité et de liberté, qui sont consubstantielles à la république. Alain Juppé, qui n'est pas un "héritier", a transmis à l'UMP cette passion pour l'égalité des chances, qui doit continuer de guider nos choix contre toutes les discriminations.
Allergique - presque physiquement - à toute facilité, à toute démagogie, aux manifestations insincères de la flatterie, Alain Juppé n'a jamais voulu se faire aimer pour de mauvaises raisons. Et je crois qu'on peut lui compter comme un mérite - et comme une vertu rare en politique - d'avoir risqué de se faire mal aimer pour des raisons qui l'honorent. Celui qui dit la vérité n'est jamais bien accueilli par les partisans du sommeil et les doctrinaires du "fil de l'eau". Les "trotte-menu de la décadence" ont toujours crié haro sur les trop longues enjambées de ceux qui remontent le courant.
Forts de ces valeurs, je souhaite que nous nous montrions tous, à l'UMP, à la hauteur du président qui s'en va. Militant exemplaire, il a toujours voulu l'unité du parti, qui est l0a condition de la victoire. Il l'a assurée, maintenue, en permettant un dialogue constant entre toutes les sensibilités. Il nous laisse les clés. Nous avons la responsabilité d'en faire bon usage
(source http://www.u-m-p.org, le 16 juillet 2004)