Texte intégral
(Entretien avec les radios françaises à Charm el-Cheikh le 23 novembre 2004) :
Q - Monsieur le Ministre, avant cette conférence, la France voulait faire passer un certain nombre de messages. Est-ce que vous avez le sentiment que vous avez fait passer les messages que vous souhaitiez ?
R - Depuis le début de cette tragédie irakienne et quelles qu'aient été nos positions, chacun s'en souvient, au début, contre cette guerre, nous pensions qu'il fallait aider le peuple irakien à sortir de cette spirale de violence et que cette guerre finisse. Comment en sort-on ? Uniquement par un processus politique et démocratique et c'est cela qui est en cause ici à Charm el-Cheikh. Et c'est ce à quoi nous travaillons.
Oui, nous avons fait passer des messages et oui, nous avons été entendus. D'abord il y a quelques mois dans la résolution 1546 qui s'inscrit dans le cadre des Nations unies et du droit international et qui fixe également l'horizon du retrait des troupes étrangères d'Irak. Oui, nous avons été entendus pour préparer cette conférence de Charm el-Cheikh parce que nous avons demandé qu'il y ait, aussitôt après, une réunion des forces irakiennes qui doivent s'approprier le processus politique, qui doivent accepter d'entrer dans le débat démocratique plutôt que d'utiliser la violence. Et puis, oui, nous avons été entendus en indiquant que nous étions prêts à participer à la reconstruction politique et économique de l'Irak. Et voilà pourquoi nous avons accepté l'annulation partielle de la dette irakienne pour aider ce pays à se reconstruire.
Q - Vous souhaitiez tout de même une date butoir pour le retrait des forces, ce qui ne sera pas inscrit dans la déclaration finale...
R - Dans la déclaration à laquelle nous travaillons aujourd'hui, il y a une référence à la résolution des Nations unies. C'est cette fameuse résolution 1546 qui fixe, elle, le rendez-vous de décembre 2005 pour que soit posée la question du retrait ou du maintien des troupes étrangères qui sont en Irak actuellement. Donc nous avons obtenu cette référence. Je pense simplement que pour toutes les communautés, toutes les forces irakiennes, l'horizon de ce retrait est important, même s'il n'est pas encore certain, parce que c'est l'horizon de la pleine souveraineté pour les Irakiens du moment où ils seront réellement et totalement maîtres de leur destin.
Q - Peut-être un mot sur la mise en selle du Quartet et de sa Feuille de route ?
R - Cette région du Proche et du Moyen-Orient est troublée par deux très graves crises en ce moment. La plus récente est la crise irakienne et nous nous efforçons d'en sortir par la négociation, par le dialogue politique. Et puis la plus ancienne, la plus centrale, reste le conflit entre Israël et la Palestine. Oui, il me semble qu'aujourd'hui il y a la possibilité d'écrire de nouvelles pages avec une nouvelle Autorité palestinienne qui va se mettre en place et il faut des élections que nous devons aider à organiser. Il y a l''engagement du Premier ministre israélien de se retirer d'un premier territoire, celui de Gaza, la détermination américaine après l'élection du président Bush et puis notre propre détermination à nous, Européens, parce que nous sommes, les vingt-cinq pays européens, unanimes pour apporter notre contribution et avoir une parole commune dans ce conflit.
Comment et où peut-on agir dans ce qu'on appelle ce Quartet, c'est-à-dire cette réunion des Nations unies, de l'Union européenne, de la Russie et des Etats-unis ? Et sur quoi doit-on travailler ? Sur cette fameuse Feuille de route qui fixe le seul objectif possible, celui de deux Etats vivant côte à côte en se respectant l'un l'autre et dans la paix. L'Etat d'Israël avec une sécurité garantie et nous, Français, nous ne voulons pas transiger, nous ne transigerons jamais, sur la sécurité d'Israël et un Etat palestinien viable et indépendant.
Q - Pour revenir à l'Irak, la France a beaucoup insisté sur la notion d'inclusivité. L'appel au gouvernement irakien à convoquer une conférence intérieure irakienne figure dans le projet de déclaration finale, est-ce que vous sentez que le gouvernement de M. Allaoui est déterminé à convoquer cette conférence ?
R - Le gouvernement de M. Allaoui a participé à la préparation de cette conférence de Charm el-Cheikh et, comme nous le souhaitions, il y a cette idée de bon sens qu'au-delà de l'inclusivité de la coopération de tous les pays de la région - et tous les pays de la région sont là, la Syrie, l'Iran, l'Egypte, la Jordanie et d'autres encore sans parler des pays plus lointains comme les pays européens, les Etats-Unis ou la Russie - il y a cette nécessité d'inclure, dans le processus politique, toutes les forces irakiennes. Donc M. Allaoui a accepté cette idée, encore une fois, parce qu'elle est juste. Comment réussir des élections au mois de janvier en Irak, comment aller vers une nouvelle Constitution en Irak s'il y a encore de la violence partout et si les forces politiques n'entrent pas dans ce processus ? Donc nous avons proposé cette idée depuis le début et je suis heureux qu'elle figure dans le projet de conclusion.
Q - Sur le déplacement du président de la République à Tripoli, quel est le sens de cette visite ?
R - Depuis quelques années, le colonel Kadhafi a entrepris une politique d'ouverture de son pays. D'ailleurs, j'ai moi-même fait une visite, il y a quelques semaines, à Tripoli, pour préparer celle du chef de l'Etat et les gestes qui concrétisent cette politique d'ouverture de la Libye et son insertion dans l'ensemble du processus de stabilité de cette région ont été faits. Donc le sens de la visite de Jacques Chirac, c'est d'encourager cette politique d'ouverture. Et probablement aussi, le moment viendra où la Libye va retrouver sa place dans ce qu'on appelle le processus de Barcelone, c'est-à-dire le dialogue entre Européens et Méditerranéens de l'autre rive.
Je vous remercie.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 novembre 2004)
(Entretien avec France 2 et TV5 à Charm el-Cheikh le 23 novembre 2004) :
Q -Vous aviez demandé deux choses qui ne sont pas clairement dans le communiqué final : que toutes les forces irakiennes renoncent à la violence et qu'une date pour le retrait des troupes de la coalition soit fixée. Est-ce que cela veut dire, pour autant, que vous n'êtes pas satisfait du résultat de cette conférence ?
R - Nous avions, non pas posé nos conditions, mais dit un certain nombre de conditions pour réussir cette conférence, c'est-à-dire pour qu'elle soit utile au processus politique et démocratique en Irak. D'abord, nous souhaitions que tout le monde soit présent et tout le monde est là, tous les pays de la région, tous les grands pays du monde sont là pour accompagner la reconstruction politique et économique de l'Irak. Deuxièmement, nous souhaitions qu'après cette conférence, juste après, il y ait une réunion à l'intérieur de l'Irak pour que toutes les forces politiques, celles qui sont déjà dans la politique irakienne et puis celles qui voudraient s'y mettre, en renonçant à la violence, puissent se retrouver. Cette idée là se retrouve dans le communiqué auquel nous avons travaillé à Charm el-Cheikh. Et puis enfin, je pense, je continue à penser qu'il faut que l'horizon du retrait des troupes étrangères soit fixé, que les Irakiens sachent à peu près à quel moment ils vont retrouver la pleine et totale souveraineté, la maîtrise de leur propre destin. Et cette indication, qui reprend la résolution 1546 des Nations unies, se trouve dans les propositions de conclusions de Charm el-Cheikh.
Q - Donc vous avez le sentiment que la France a été entendue. Et que répondez-vous à ceux qui disent que vous êtes finalement juste venu apporter votre caution à la politique américaine ?
R - Oui, la France a été entendue et il ne s'agit pas d'apporter une caution à qui que ce soit. Il s'agit, par l'unité internationale, par l'unité des Irakiens, par la politique, par la démocratie, par le dialogue, et sûrement pas par les armes ou par des soldats supplémentaires, de sortir de cette tragédie, avec les Américains, puisqu'ils sont là, avec les Russes, avec les pays de la région, avec les Nations unies. Nous sommes tous là. Donc il ne s'agit pas d'apporter une caution à qui que ce soit. Il s'agit d'aider le peuple irakien à retrouver la paix et la stabilité. Voilà pourquoi nous sommes là. La France ne cherche pas à s'opposer, elle cherche à être utile, à être utile à la paix et à la stabilité de cette région.
Q - Monsieur le Ministre, une conférence dont le communiqué final est connu à l'avance, une discussion qui n'est pas une discussion, est-ce que c'est vraiment utile ce genre de rencontre ? A quoi sert ce genre de rencontre ?
R - Le fait que les ministres soient là et que les travaux aient été préparés, c'est comme cela que les choses se passent d'habitude. Simplement, il arrive quelques fois que l'on ne se mette pas d'accord à l'avance. Là, il y a eu un bon travail préparatoire et les points que la France avait soumis, avec d'autres, la Russie par exemple était d'accord avec nous, ont été retenus. Chacun a fait un pas l'un vers l'autre. A quoi cela sert ? Au fait que chacun s'exprimant, nous avons tous quelques minutes pour dire notre sentiment devant les autres, chacun prend des engagements de faire ce qu'il écrit. Je trouve très important, politiquement important, que tous les pays qui peuvent coopérer pour faire sortir l'Irak de cette tragédie soient présents, tous les pays de la région sont là, tous les grands pays du monde sont là, les Nations unies, le Secrétaire général Kofi Annan est là, nous sommes tous là pour dire la même chose, pour nous accorder sur le même texte. C'est une chance, non pas une certitude mais une chance : peut-être le processus irakien va-t-il aller désormais vers la paix et la stabilité.
Q - Est-ce que vous croyez à la date du 30 janvier ? C'est très proche finalement. Est-ce que la France, d'ailleurs, envisage de faire quelque chose de très concret pour ces élections, d'envoyer des observateurs, d'être présente d'une manière ou d'une autre en Irak à ce moment là ?
R - Oui, je crois que la date du 30 janvier est nécessaire. Elle est difficile à tenir, comme tout est difficile en Irak, mais elle est nécessaire et je crois qu'il est possible de la tenir. Oui, nous sommes prêts, avec d'autres, non pas en tant que Français seuls, mais en tant qu'Européens, à participer à la bonne organisation de ces élections.
Q - Y compris en étant présent en Irak à ce moment là ?
R - Mais nous sommes déjà présents en Irak. Nous avons un ambassadeur à Bagdad.
Q - Sur les otages, est-ce qu'on y voit un peu plus clair ? Est-ce qu'on a des contacts même indirects ? Est-ce que la France a vérifié le témoignage de cet otage égyptien qui dit avoir été détenu dans la même maison que les Français ?
R - Depuis que Christian Chesnot et Georges Malbrunot ont été enlevés avec Mohamed Al Joundi, qui heureusement vient d'être découvert et libéré, nous avons beaucoup de contacts indirects. Nous recevons beaucoup d'informations et nous procédons chaque fois de la même manière, ce que nous ferons avec le témoignage du chauffeur de camion égyptien, en écoutant tout le monde, en l'écoutant lui-même et en vérifiant les choses. Pour le reste, je vous remercie de comprendre que nous continuons à travailler, parce que c'est la condition de la sécurité de Christian Chesnot et Georges Malbrunot, dans la discrétion, avec de la patience et beaucoup de ténacité, croyez-moi.
Je vous remercie.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 novembre 2004)