Déclaration de Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés, sur les indicateurs de santé publique, notamment sur la prévention des suicides, la toxicomanie, le dépistage des cancers et l'éducation pour la santé, Paris le 3 octobre 2000.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Présentation du "Baromètre santé" publié par le Comité français d'éducation pour la santé (CFES) à Paris le 3 octobre 2000

Texte intégral

Mesdames,
Messieurs,
Je tiens à remercier le CFES, la CNAM et la MILDT pour la réalisation de cet important travail.
Le baromètre santé existe maintenant depuis près de 10 ans et il devient un outil majeur de la décision pour la politique de santé.
Je suis convaincue que l'opinion, les attitudes et les comportements de nos concitoyens sont des éléments indispensables pour appréhender l'évolution de la société, les besoins de santé publique et faire évoluer notre système de soins, de prévention et d'éducation pour la santé.
En matière de santé publique, l'opinion n'est pas un simple indicateur ; c'est aussi une composante majeure qui influe effectivement sur la santé de chacun et les comportements qui agissent sur les déterminents.
Les résultats annuels sont donc particulièrement précieux pour ceux qui ont la responsabilité des politiques de santé.
Quels enseignements tirer de l'édition 2000 de ce baromètre santé ?
Je ne souhaite pas revenir ici sur l'ensemble des résultats ; ils ont été présentés en début de matinée par François BAUDIER pour la CNAM et Bernadette ROUSSILLE du CFES, et ils ont été ensuite spécifiés par catégorie de population : la santé des femmes, celle des hommes, des jeunes et des personnes âgées.
Je voudrais d'abord souligner la richesse des résultats que - progressivement, patiemment - ce baromètre permet d'obtenir et d'enrichir méthodiquement ; il prend en compte des aspects de plus en plus nombreux des déterminants de santé en particulier chez les jeunes : pratiques addictives, violences, vie sexuelle, attitudes vis-à-vis du dépistage, hygiène de vie.
J'aimerais concentrer mes propos sur 4 domaines spécifiques qui me paraissent au cur des préoccupations de nos concitoyens et recouvrent les miennes :
Tout d'abord : la prévention du suicide
Dans ce domaine, qui relève de la souffrance psychique, nous devons avoir un engagement fort et réaffirmé en permanence.
6 % des personnes interrogées ont pensé au suicide durant l'année 1999,
les adolescentes de 15 à 19 ans sont les plus concernées (11.8 %) ; parmi elles, seules 40 % en ont parlé à quelqu'un ;
chez les personnes âgées, ce sont aussi les femmes qui sont les plus nombreuses à déclarer être passées à l'acte ;
enfin, près d'un suicidant sur six n'en a jamais parlé à personne.
Il nous faut briser ce mur du silence.
Les chiffres résument bien l'ampleur de ce grave problème de santé publique et me conforte dans ma conviction : la prévention du suicide doit être et rester une de nos priorités de santé publique. Depuis trois ans de nombreuses actions ont déjà été mises en place :
élaboration par l'ANAES de recommandations professionnelles sur la prise en charge hospitalière des adolescents,
audit dans les hôpitaux pour évaluer la qualité de cette prise en charge,
soutien des associations et des professionnels engagés dans ces actions,
mise en place dans 12 régions de programmes régionaux de santé spécifiquement centrés sur le suicide.
J'ai souhaité donner un nouvel élan à cette politique.
Avec les associations et les professionnels, il s'agit - au-delà de la prévention du suicide d'apporter des réponses satisfaisantes à la souffrance psychique, notamment des jeunes, à leur malaise, à leur insatisfaction rentrée.
Il s'agit également de mieux prendre en charge et accompagner les suicidants et leurs familles, en premier lieu pour éviter les récidives et ensuite pour offrir un véritable soutien à ces situations de détresse et développer une réelle prise en charge de la santé psychique.
Pour cela, nous avons décidé :
1) De donner une plus forte cohérence au dispositif d'accueil et d'écoute des jeunes.
Dès cette année, nous allons renforcer dans un cadre commun l'ensemble du dispositif pour lui permettre d'être mieux articulé avec les autres dispositifs de prévention en santé, en particulier les programmes régionaux de prévention et de soins (PRAPS), les réseaux d'écoute et d'accompagnement des parents et favoriser un réel travail de partenariat, au niveau local, avec l'école, les parents, l'ASE, la ville, la protection judiciaire de la jeunesse, la police et la gendarmerie jeunesse et sport. En 2001, nous consacrerons 3,1MF afin de favoriser un partenariat actif entre les classes-relais (destinées aux enfants en voie de déscolarisation) et le dispositif de prise en charge pédopsychiatrique.
2) Nous voulons également mieux former les adultes. A ma demande, l'ANAES organisera dans quelques jours une conférence de consensus sur " la crise suicidaire : mieux repérer et prendre en charge " ; les recommandations de cette conférence serviront de base à la formation de l'ensemble des personnes qui interviennent dans les dispositifs d'accueil.
3) Pour mieux connaître les circonstances des suicides et limiter l'accès aux moyens létaux nous allons mettre en place des études épidémiologiques sur les suicides par les armes à feu, les modalités d'utilisation des médicaments dans les tentatives de suicide et des projets "d'autopsies psychologiques", pour analyser avec minutie les mécanismes et le déroulement de l'acte lui-même.
4) Nous voulons également améliorer la prise en charge, en particulier à l'hôpital en généralisant les audits sur la prise en charge des suicidants et en renforçant les structures hospitalières qui prennent en charge les jeunes en difficulté. Dans un délai de trois ans, des unités de lits d'hospitalisation complète en psychiatrie infanto-juvénile seront mises en place dans les 17 départements qui en sont actuellement dépourvus.
Les crédits affectés à ces actions de prévention, de recherche et de formation passeront de 0,85 MF en 2000 à 5,7 MF l'année prochaine (six fois plus) et nous pérenniserons et renforcerons les actions mises en place au niveau des hôpitaux (1 à 7 MF par région).
Au-delà de la France, tous les pays de l'Europe, en particulier du Nord de l'Europe, sont concernés par ce grave problème de santé publique. La France au cours de sa présidence a décidé de poursuivre la mobilisation initiée par la Finlande sur ce thème. C'est pourquoi, il y a quelques jours à Nantes, dans le cadre d'un colloque européen sur la prévention du suicide, j'ai pu m'assurer que la détermination de mes homologues européens était aussi forte que la mienne. Nous somme convaincus que la mutualisation de nos expériences et les échanges de bonnes pratiques est de nature à faire progresser dans tous nos pays.
Ensuite la considération des pratiques addictives
En ce qui concerne le tabac, les chiffres restent accablants ; le baromètre santé nous confirme qu'un adulte sur trois déclare fumer, qu'un jeune sur quatre fume et qu'il y a maintenant autant de jeunes filles concernées, voire un peu plus que de jeunes garçons.
Au-delà des chiffres, je rappellerai juste les résultats d'une étude récente, abondamment commentée par la presse qui conclut, qu'en France, compte tenu des progrès réalisés dans la lutte contre les maladies infectieuses, c'est dorénavant l'alcoolisme et le tabagisme qui risquent d'entraver la progression de l 'espérance de vie.
Le constat n'est pas réjouissant. Mais dans le baromètre nous confirme également que trois fumeurs sur quatre ont déjà essayé au moins une fois dans leur vie d'arrêter de fumer et au moment de l'enquête, la majorité des fumeurs - 58 % - déclarent avoir envie de s'arrêter. C'est une donnée positive et importante. Notre rôle est donc de nous appuyer sur cette tendance forte et d'augmenter notre soutien pour les aider au sevrage et pour qu'ils réussissent.
C'est l'objet des différentes mesures prises depuis deux ans en particulier de la mise en vente libre des substituts nicotiniques, de la disponibilité gratuite des substituts nicotiniques aux personnes en situation de précarité et du renforcement des structures de prises en charge médico-sociales et intra-hospitalières. Cette année, près de 100 MF de mesures nouvelles permettront le renforcement de ces structures.
Les problèmes liés à l'alcoolisme sont tout aussi inquiétants.
13 % des hommes et 4,1 % des femmes auraient un risque de dépendances,
la consommation devient plus importante chez les femmes,
enfin le baromètre nous confirme la fréquence des ivresses aiguës chez les jeunes.
Concernant les drogues illicites, l'usage d'ecstasy et de drogues de synthèses - même s'ils ne concernent que peu de personnes - reste préoccupant.
C'est à partir de ces données que nous avons lancé cette année une importante campagne d'information auprès des professionnels et du grand public. Cette campagne - mise en place par la MILDT - se veut différente ; elle donne un ton nouveau et marque la volonté d'aborder les questions de consommation et de dépendance avec bon sens, réalisme. Son objectif est de rendre manifeste, concret et le plus objectif possible les dangers de chaque produit - alcool, tabac, drogues illicites, médicaments et surtout d'améliorer la connaissances des comportements qui induisent des dépendances.
Cette campagne est un succès - le livret " Drogues : savoir plus, risquer moins " - plus de 450000 exemplaires vendues - est un véritable succès de kiosque ; cela confirme bien l'importance de l'attente dans ce domaine.
Je voudrais rappeler parmi les autres mesures prises cette année, la réorganisation du dispositif de prise en charge des dépendances aux substances psychoactives (tabac, alcool, drogues illicites) à l'hôpital qui s'accompagnent de près de 65 MF de mesures nouvelles et la mise en place, comme nous l'avions annoncé, d'un diplôme d'études spécialisées en addictologie.
J'en viens à la prévention précoce des cancers pour le dépistage des cancers
Le cancer est une des préoccupations majeures de notre société et nos concitoyens, à travers le Baromètre, montrent qu'ils ressentent cette inquiétude.
Le dispositif français dans ce domaine n'est pas suffisamment organisé. La Cour des Comptes l'a récemment souligné.
C'est pourquoi, en février dernier j'ai annoncé un programme national établi sur 5 ans élaboré en concertation avec les acteurs de la lutte contre le cancer. L'un des axes de ce programme est le dépistage généralisé des cancers du sein, du col de l'utérus et colorectal. En juillet, la circulaire précisant les modalités du dépistage du cancer du sein a été publiée, celle sur le cancer colorectal le sera dans les semaines qui viennent. Les discussions tarifaires sont en cours. Ces programmes vont donc pourvoir se généraliser progressivement. Mais au-delà de l'aspect technique, la participation, l'acceptation de ces examens de dépistage par les personnes concernées sont essentielles. Sur ce thème, la mobilisation - en particulier des femmes - est particulièrement forte et l'on doit se réjouir de certains de ces résultats livrés par le baromètre santé :
87 % des femmes de plus de 50 ans ont eu une mammographie,
71,6 % ont eu cette mammographie au cours des trois dernières années, comme le préconisent les recommandations,
dans 59 % des cas, sur incitation de leur médecin mais dans 21 % des cas à leur demande, ce qui montre l'importance de l'information.
De même pour le col de l'utérus, 85 % des femmes interrogées de 18 à 75 ans déclarent s'être fait prescrire un frottis du col de l'utérus,
Mais on ne peut s'en contenter :
sur l'ensemble des femmes de plus de 20 ans, 8,5 % n'ont jamais bénéficié de frottis,
les recommandations en terme de fréquence ne sont pas toujours respectées.
Les programmes que nous mettons en place permettront d'améliorer ces résultats et de garantir l'égalité d'accès à toutes les personnes. Nous avons également une obligation de qualité et je tiens à saluer dans ce domaine l'engagement des professionnels (les médecins généralistes, les radiologues les gynéco-obstétriciens et les gastro-entérologues).
Pour terminer, j'aimerais commenter les résultats sur les comportements sexuels.
Vous connaissez l'engagement de Martine AUBRY et moi-même dans ce domaine.
Demain, nous présenterons en Conseil des ministres le projet de loi sur adaptant l'accès à l'IVG et à la contraception à la société d'aujourd'hui. Par ailleurs, comme le Premier Ministre s'y était engagé, une proposition d'initiative parlementaire sur la contraception d'urgence sera discuté à l'Assemblée Nationale, dès jeudi prochain.
Là encore les chiffres du baromètre santé nous confortent dans notre détermination : près de 13 % des femmes de 15 à 25 ans ont eu recours à la pilule du lendemain, le plus souvent prescrite par leur médecin généraliste.
17,7 % des femmes déclarent avoir déjà fait une IVG - 5 ,5 % des jeunes femmes de 15 à 19 ans ayant déjà eu des rapports sexuels.
Ces chiffres montrent l'importance des textes qui vont être discutés cette semaine ; ils soulignent aussi la nécessité des mesures nouvelles qui vont les accompagner :
permettre la vente libre du Norlevo, avec un accès facilité aux mineurs,
possibilité de garder le secret pour l'accès des mineurs à tous les contraceptifs hormonaux,
allongement du délai légal de recours à l'IVG de 10 à 12 semaines de grossesse,
aménagement de l'obligation d'autorisation parentale pour les mineurs ayant recours à l'IVG ; en cas de difficultés majeures pour obtenir cette autorisation, il y aura présence d'un adulte réfèrent qui accompagne la mineure pendant toute sa démarche..
Par ailleurs, pour accompagner ce dispositif, nous allons reprendre cet automne la campagne télé visuelle en faveur de la contraception, campagne que nous avons lancée en janvier dernier. De plus, le Gouvernement a décidé de poursuivre chaque année une campagne d'information et de communication sur la contraception.
Conclusion : Vers une meilleure éducation pour la santé
Les chiffres fournis par le Baromètre santé me renforcent dans ma conviction : nous devons mettre en place en France une véritable culture d'éducation pour la santé.
Jusqu'à présent, le champ de la santé, en France, n'a pas intégré la démarche éducative.
Et pourtant, l'éducation appliquée à la santé permet à chacun de protéger et de promouvoir sa santé, c'est à dire :
d'acquérir dès son plus jeune âge les aptitudes indispensables à la vie,
de s'approprier les informations en matière de santé,
d'utiliser de manière optimale les services de santé,
et de s'impliquer dans les choix relatifs à sa propre santé et à celle de la collectivité.
C'est pour cela qu'avec Jack LANG, j'ai l'intention de mettre en place une véritable politique d 'éducation pour la santé en renforçant, en particulier, la formation des enseignants pour qu'ils puissent, dès le plus jeune âge, participer à cette formation.
A travers les données d'opinion fournies par le Baromètre santé, nous voyons bien que les déterminants des comportements sont très complexes ; la connaissance des risques, évidemment indispensable, se révèle tout à fait insuffisante pour changer des habitudes de vie bien ancrées.
C'est tout à fait évident en ce qui concerne les pratiques addictives : les adolescents, par exemple, doivent bien sûr être informés des risques qu'ils prennent en adoptant tel ou tel comportement mais ce serait un leurre de croire que cette seule information leur permettra de résister à la pression de leurs pairs, au désir de tester leurs limites, de transgresser des interdits fixés par les adultes ou simplement de céder au plaisir immédiat.
Une enquête récente de l'INSERM l'a confirmé : nous parvenons mal à réduire les inégalités de santé en France. Or si l'on se contente de mettre à la disposition du public des informations ou de délivrer des messages, on ne fait qu'accroître les inégalités de santé.
En effet les personnes qui sont le mieux à même d'utiliser les informations transmises sont celles qui ont déjà les comportements les plus proches des conseils formulés. Vous pouvez expliquer à toute la population que les risques de cancer augmentent avec la consommation d'alcool ou qu'il est recommandé pour les femmes de pratiquer régulièrement une mammographie de dépistage : ceux qui profiteront le mieux de votre message sont ceux dont les comportements sont déjà proches de vos conseils et qui ont l'habitude de fréquenter les services de santé.
Les Etats Généraux de la Santé ont révélé des attentes importantes de la part de tous nos concitoyens en matière d'information, d'éducation et de prévention. Le projet de loi sur la modernisation du système de santé que je prépare, introduira pour les malades et les usagers du système de santé des droits nouveaux ; le droit à l'éducation en matière de santé y figure. La création d'un Institut national spécifiquement chargé de développer l'éducation pour la santé rendra ce droit effectif et vivant.
Le Ministère de l'Education nationale a mis en place vingt heures annuelles d'éducation pour la santé pour les collégiens. Jack Lang a d'ailleurs insisté, vendredi dernier, sur l'importance qu'il accordait à cette mesure et nous sommes en train de renforcer notre coopération interministérielle dans ce domaine. Des comités d'éducation à la santé et à la citoyenneté ont été créés dans de très nombreux établissements ; nous agissons pour qu'il y en ait encore davantage.
Dans le prolongement des décisions prises par le Premier Ministre lors du dernier Conseil national de la jeunesse, j'ai décidé de renforcer le soutien de l'Etat au Fil santé jeunes en lui permettant de développer un site internet interactif et de nouveaux services téléphoniques.
Dans quelques semaines, je présenterai un programme national d'éducation pour la santé. Ce programme s'emploiera à développer sur plusieurs années la recherche, la formation et des actions spécifiques dans les domaines du tabac, de l'alcool, de la violence, des habitudes nutritionnelles Les moyens nécessaires seront dégagés.
Notre système de santé ne pourra faire l'économie d'une telle révolution. Car c'en est une ! Trop longtemps limitée à une approche strictement biomédicale, il doit résolument se tourner vers une approche plus humaniste, seule à même de réduire les inégalités devant la santé, exigence d'une véritable démocratie. L'éducation pour la santé, j'en suis persuadée, y contribuera fortement.
(source http://www.sante.gouv.fr, le 30 octobre 2000)