Texte intégral
Permettez-moi, tout d'abord, M. l'Ambassadeur de vous remercier de nous accueillir ici, à la Maison du Danemark, pour cette table ronde sur la flexisécurité , organisée conjointement par nos services,
Je suis convaincu que la qualité des intervenants venus du Danemark, la diversité des participants et le format volontairement restreint de cette rencontre ont permis des échanges féconds.
C'est du moins l'impression que je retire après avoir écouté la synthèse que vient de faire M. Claude- Emmanuel Triomphe.
La composition de l'assemblée, réunie ce matin, ressemble à celle de la délégation que j'avais conduite en novembre dernier à Copenhague où j'avais souhaité me rendre avec des partenaires sociaux et des journalistes.
S'y ajoutent, fort opportunément, des représentants du Parlement, intéressés par notre débat soit parce qu'ils sont membres du groupe d'amitié franco-danois, soit parce qu'ils sont également allés sur place étudier le système danois, comme le président Méhaignerie, dans le cadre de la mission d'information sur le marché de l'emploi au Danemark, qu'il a effectuée pour l'Assemblée Nationale.
Le monde change et nos sociétés évoluent parfois plus vite que nos systèmes juridiques. Les modes d'organisation du travail se transforment plus rapidement que les règles de droit dans lesquelles ils s'inscrivent.
Dans ce contexte, l'expérience des autres ne peut être qu'une source d'inspiration utile. D'ailleurs l'un des grands mérites de la Stratégie européenne de l'emploi, et plus généralement de la méthode ouverte de coordination, est d'avoir mis en évidence l'intérêt des comparaisons européennes. Celles-ci ont d'ailleurs nourri nos réflexions dans le cadre de l'élaboration du Plan de Cohésion Sociale.
Le rapport de la task-force pour l'emploi fin 2003 insistait sur la nécessité d'allier, sur le marché du travail, flexibilité et sécurité, ceci aussi bien dans l'intérêt des travailleurs que dans celui des employeurs
Promouvoir la formation tout au long de la vie, améliorer l'accompagnement social des restructurations, encourager la mobilité tout en sécurisant les parcours professionnels, tels sont quelques-uns des défis qu'il nous faut relever.
Défis qui se posent avec d'autant plus d'acuité au moment où le débat sur la dimension sociale de la construction européenne prend, au fur et à mesure que se rapproche la ratification du traité constitutionnel, un relief plus important.
Comment répondre à cette exigence ?
La réponse passe, me semble-t-il, avant tout par un renforcement de la compétitivité, de la croissance et de l'emploi en Europe, car la meilleure sécurité pour les actifs, c'est de s'inscrire dans une dynamique de création d'activité et de richesses. Sur le marché du travail, la meilleure sécurité réside dans la capacité des entreprises à se développer, à conquérir de nouveaux marchés et à offrir aux salariés des perspectives valorisantes et mobilisantes. Ceci suppose en retour que les salariés soient armés pour ces nouveaux défis, mobiles et prêts à se remettre en question. Dans une économie qui bouge et se renouvelle sans cesse, l'immobilisme est mortifère.
Ces principes - valoriser l'innovation, mettre l'accent sur la qualité de la ressource humaine, encourager la mobilité professionnelle, nous nous efforçons, au sein du pôle de cohésion sociale, d'en faire les lignes directrices de notre action.
J'en veux pour preuve l'instauration en France, en mai 2004, d'un droit individuel à la formation cumulable sur six ans et mis en uvre à l'initiative du salarié avec l'accord de l'employeur.
Ce droit facilite l'adaptation au changement. Il contribue aussi à la sécurité du travail puisqu'il s'apparente à une sorte d'assurance pour le salarié contre les aléas de la vie professionnelle.
La réforme du licenciement économique introduite par la loi du 18 janvier 2005 participe également de ce souci d'accompagner sans drames ni ruptures les transitions et les évolutions professionnelles. Cette loi permet désormais une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, un traitement négocié " à froid " des restructurations à travers des accords de méthode. Elle prévoit aussi un dispositif de reclassement personnalisé pour les salariés des entreprises de moins de 1000 salariés qui permettra au salarié de bénéficier d'actions d'accompagnement, de formations, de validation des acquis.
Ces recettes, le Danemark les a expérimentées sur une bien plus grande échelle et avec une incontestable réussite, au point de susciter en France une certaine envie.
Vu d'ici, il est évidemment tentant d'aller chercher les clés de ce " miracle danois : comment passer d'un taux de chômage de 12% en 1994 à 6% aujourd'hui ? Comment concevoir et faire fonctionner un système alliant une faible protection contre le licenciement et un accompagnement très poussé du demandeur d'emploi.
Vos échanges le montrent une fois de plus : ce miracle n'est pas le fruit du hasard ou d'une quelconque spécificité nordique. Il marque avant tout un équilibre, un " triangle d'or " entre une grande flexibilité du marché de l'emploi, un niveau élevé de protection en cas de chômage, particulièrement pour les bas salaires, et une politique efficace d'activation des sans-emploi.
Dans ce système, chacun trouve son compte : les entreprises qui, grâce à la fluidité du marché, peuvent constamment s'adapter ; les salariés qui ne vivent pas le chômage comme une catastrophe, mais disposent d'outils leur assurant de ne pas être exclus du marché du travail et l'Etat et les systèmes collectifs.
Pour dire les choses autrement, la réussite danoise s'explique par :
- un équilibre entre les droits et les devoirs du chômeur,
- une large acceptation par la population de ces contraintes,
- une responsabilité partagée entre l'Etat et les municipalités.
Bien sûr, ceci ne doit pas masquer les faiblesses ou difficultés que les intervenants de ce matin ont évoqué sans complaisance. Je pense par exemple à l'insertion professionnelle des immigrés, des seniors, et plus généralement des personnes les plus éloignées du marché du travail.
J'en retire des éléments de réflexion pour notre propre débat national :
- sur l'équilibre entre les droits et les engagements du chômeur avec un accompagnement et des " sanctions " graduellement mises en uvre,
- sur la priorité à donner au reclassement et à la formation tout au long de la vie,
- sur le rôle des communes et, plus largement, des acteurs territoriaux,
- sur la nécessité d'une régulation par les partenaires sociaux eux-mêmes pour autant que ceux-ci en acceptent la responsabilité,
- sur l'importance d'un partage des rôles harmonieux entre un législateur qui fixe les principes fondamentaux, et les partenaires sociaux, qui déterminent les règles applicables dans les branches et dans les entreprises.
Je voudrais, pour conclure, aborder un sujet qui me parait emblématique de cet équilibre à trouver entre régulation individuelle et régulation collective, entre respect de l'autonomie des acteurs et nécessaire protection des salariés, c'est celui de la révision de la directive sur l'aménagement du temps de travail.
Tout en posant des règles communes protectrices pour les salariés européens, la directive de 1993 ouvre la possibilité d'y déroger, soit par accord collectif, soit par accord individuel.
Tout l'enjeu du débat qui se déroule aujourd'hui autour de ce texte, c'est de resserrer progressivement le champ de ces dérogations pour les faire disparaître.
Pour moi, il y a dans la possibilité de déroger dans un cadre purement individuel à la durée du travail une contradiction avec le double objectif de sécurité et de flexibilité qui sous-tend la directive et qui a guidé jusqu'ici les avancées de l'Europe en matière sociale. Le maintien de ces dérogations individuelles non seulement priveraient la directive d'effet utile, la videraient de son sens. Mais en outre, leur acceptation serait dangereuse pour la crédibilité même de l'Europe et sa capacité à démontrer qu'elle est véritablement capable d'apporter une plus-value sociale.
En revanche, il faut encourager systématiquement les partenaires sociaux à produire des solutions adaptées, évolutives, des solutions équilibrées, acceptées, comprise, qui prennent en compte les besoins des entreprises et des travailleurs.
C'est possible, plusieurs pays peuvent en témoigner. Le Danemark est de ceux-là.
(Source http://www.travail.gouv.fr, le 24 février 2005)
Je suis convaincu que la qualité des intervenants venus du Danemark, la diversité des participants et le format volontairement restreint de cette rencontre ont permis des échanges féconds.
C'est du moins l'impression que je retire après avoir écouté la synthèse que vient de faire M. Claude- Emmanuel Triomphe.
La composition de l'assemblée, réunie ce matin, ressemble à celle de la délégation que j'avais conduite en novembre dernier à Copenhague où j'avais souhaité me rendre avec des partenaires sociaux et des journalistes.
S'y ajoutent, fort opportunément, des représentants du Parlement, intéressés par notre débat soit parce qu'ils sont membres du groupe d'amitié franco-danois, soit parce qu'ils sont également allés sur place étudier le système danois, comme le président Méhaignerie, dans le cadre de la mission d'information sur le marché de l'emploi au Danemark, qu'il a effectuée pour l'Assemblée Nationale.
Le monde change et nos sociétés évoluent parfois plus vite que nos systèmes juridiques. Les modes d'organisation du travail se transforment plus rapidement que les règles de droit dans lesquelles ils s'inscrivent.
Dans ce contexte, l'expérience des autres ne peut être qu'une source d'inspiration utile. D'ailleurs l'un des grands mérites de la Stratégie européenne de l'emploi, et plus généralement de la méthode ouverte de coordination, est d'avoir mis en évidence l'intérêt des comparaisons européennes. Celles-ci ont d'ailleurs nourri nos réflexions dans le cadre de l'élaboration du Plan de Cohésion Sociale.
Le rapport de la task-force pour l'emploi fin 2003 insistait sur la nécessité d'allier, sur le marché du travail, flexibilité et sécurité, ceci aussi bien dans l'intérêt des travailleurs que dans celui des employeurs
Promouvoir la formation tout au long de la vie, améliorer l'accompagnement social des restructurations, encourager la mobilité tout en sécurisant les parcours professionnels, tels sont quelques-uns des défis qu'il nous faut relever.
Défis qui se posent avec d'autant plus d'acuité au moment où le débat sur la dimension sociale de la construction européenne prend, au fur et à mesure que se rapproche la ratification du traité constitutionnel, un relief plus important.
Comment répondre à cette exigence ?
La réponse passe, me semble-t-il, avant tout par un renforcement de la compétitivité, de la croissance et de l'emploi en Europe, car la meilleure sécurité pour les actifs, c'est de s'inscrire dans une dynamique de création d'activité et de richesses. Sur le marché du travail, la meilleure sécurité réside dans la capacité des entreprises à se développer, à conquérir de nouveaux marchés et à offrir aux salariés des perspectives valorisantes et mobilisantes. Ceci suppose en retour que les salariés soient armés pour ces nouveaux défis, mobiles et prêts à se remettre en question. Dans une économie qui bouge et se renouvelle sans cesse, l'immobilisme est mortifère.
Ces principes - valoriser l'innovation, mettre l'accent sur la qualité de la ressource humaine, encourager la mobilité professionnelle, nous nous efforçons, au sein du pôle de cohésion sociale, d'en faire les lignes directrices de notre action.
J'en veux pour preuve l'instauration en France, en mai 2004, d'un droit individuel à la formation cumulable sur six ans et mis en uvre à l'initiative du salarié avec l'accord de l'employeur.
Ce droit facilite l'adaptation au changement. Il contribue aussi à la sécurité du travail puisqu'il s'apparente à une sorte d'assurance pour le salarié contre les aléas de la vie professionnelle.
La réforme du licenciement économique introduite par la loi du 18 janvier 2005 participe également de ce souci d'accompagner sans drames ni ruptures les transitions et les évolutions professionnelles. Cette loi permet désormais une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, un traitement négocié " à froid " des restructurations à travers des accords de méthode. Elle prévoit aussi un dispositif de reclassement personnalisé pour les salariés des entreprises de moins de 1000 salariés qui permettra au salarié de bénéficier d'actions d'accompagnement, de formations, de validation des acquis.
Ces recettes, le Danemark les a expérimentées sur une bien plus grande échelle et avec une incontestable réussite, au point de susciter en France une certaine envie.
Vu d'ici, il est évidemment tentant d'aller chercher les clés de ce " miracle danois : comment passer d'un taux de chômage de 12% en 1994 à 6% aujourd'hui ? Comment concevoir et faire fonctionner un système alliant une faible protection contre le licenciement et un accompagnement très poussé du demandeur d'emploi.
Vos échanges le montrent une fois de plus : ce miracle n'est pas le fruit du hasard ou d'une quelconque spécificité nordique. Il marque avant tout un équilibre, un " triangle d'or " entre une grande flexibilité du marché de l'emploi, un niveau élevé de protection en cas de chômage, particulièrement pour les bas salaires, et une politique efficace d'activation des sans-emploi.
Dans ce système, chacun trouve son compte : les entreprises qui, grâce à la fluidité du marché, peuvent constamment s'adapter ; les salariés qui ne vivent pas le chômage comme une catastrophe, mais disposent d'outils leur assurant de ne pas être exclus du marché du travail et l'Etat et les systèmes collectifs.
Pour dire les choses autrement, la réussite danoise s'explique par :
- un équilibre entre les droits et les devoirs du chômeur,
- une large acceptation par la population de ces contraintes,
- une responsabilité partagée entre l'Etat et les municipalités.
Bien sûr, ceci ne doit pas masquer les faiblesses ou difficultés que les intervenants de ce matin ont évoqué sans complaisance. Je pense par exemple à l'insertion professionnelle des immigrés, des seniors, et plus généralement des personnes les plus éloignées du marché du travail.
J'en retire des éléments de réflexion pour notre propre débat national :
- sur l'équilibre entre les droits et les engagements du chômeur avec un accompagnement et des " sanctions " graduellement mises en uvre,
- sur la priorité à donner au reclassement et à la formation tout au long de la vie,
- sur le rôle des communes et, plus largement, des acteurs territoriaux,
- sur la nécessité d'une régulation par les partenaires sociaux eux-mêmes pour autant que ceux-ci en acceptent la responsabilité,
- sur l'importance d'un partage des rôles harmonieux entre un législateur qui fixe les principes fondamentaux, et les partenaires sociaux, qui déterminent les règles applicables dans les branches et dans les entreprises.
Je voudrais, pour conclure, aborder un sujet qui me parait emblématique de cet équilibre à trouver entre régulation individuelle et régulation collective, entre respect de l'autonomie des acteurs et nécessaire protection des salariés, c'est celui de la révision de la directive sur l'aménagement du temps de travail.
Tout en posant des règles communes protectrices pour les salariés européens, la directive de 1993 ouvre la possibilité d'y déroger, soit par accord collectif, soit par accord individuel.
Tout l'enjeu du débat qui se déroule aujourd'hui autour de ce texte, c'est de resserrer progressivement le champ de ces dérogations pour les faire disparaître.
Pour moi, il y a dans la possibilité de déroger dans un cadre purement individuel à la durée du travail une contradiction avec le double objectif de sécurité et de flexibilité qui sous-tend la directive et qui a guidé jusqu'ici les avancées de l'Europe en matière sociale. Le maintien de ces dérogations individuelles non seulement priveraient la directive d'effet utile, la videraient de son sens. Mais en outre, leur acceptation serait dangereuse pour la crédibilité même de l'Europe et sa capacité à démontrer qu'elle est véritablement capable d'apporter une plus-value sociale.
En revanche, il faut encourager systématiquement les partenaires sociaux à produire des solutions adaptées, évolutives, des solutions équilibrées, acceptées, comprise, qui prennent en compte les besoins des entreprises et des travailleurs.
C'est possible, plusieurs pays peuvent en témoigner. Le Danemark est de ceux-là.
(Source http://www.travail.gouv.fr, le 24 février 2005)