Interview de M. Jean-Louis Debré, président de l'Assemblée nationale, à RTL le 1er avril 2005, sur la stratégie politique de M. Nicolas Sarkozy notamment ses critiques contre le président de la République, M. Jacques Chirac.

Prononcé le 1er avril 2005

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

QUESTION : Bonjour Jean-Louis DEBRÉ. Nous intervenons à ce moment particulier où le monde entier attend des nouvelles du Vatican, et elles sont plutôt très mauvaises, sans doute cela affecte notre état d'esprit, et le vôtre Jean-Louis DEBRÉ ?
Jean-Louis DEBRÉ (Réponse) : Oui. D'abord j'ai hésité à venir ce matin, parce que je pensais que, peut-être, ce n'était pas ma place, ce n'est pas la place de faire de la politique en ce moment. Et puis je suis venu, mais je voulais dire que toutes mes pensées vont vers le Pape. Que l'on soit croyant ou non, il n'en reste pas moins que cet homme aura marqué toute une période de notre Histoire. Il a joué un rôle fondamental dans les relations Est- Ouest et il a, à bien des égards, montré ce qu'était un homme libre et courageux.
QUESTION : Donc, c'est avec cette émotion particulière que nous allons parler - parce que la vie continue - de la politique française, de l'intervention de Nicolas SARKOZY hier soir sur France 2 à "100 minutes pour convaincre". Alain DUHAMEL le disait, il a parlé de tout, il a eu réponse à tout. Et quand on le regardait, on avait l'impression qu'on ne voyait pas le président de l'UMP, mais quelqu'un qui était en train de commencer à présenter aux Français un programme pour une candidature à l'Elysée. Partagez-vous ce sentiment Jean-Louis DEBRÉ ?
Jean-Louis DEBRÉ (Réponse) : Moi, je l'ai trouvé bon sur la forme. Il a beaucoup de talent.
QUESTION : Cela ne vous a pas surpris ?
Jean-Louis DEBRÉ (Réponse) : Il a beaucoup de talent. J'ai trouvé tout à fait légitime qu'il défende ses idées. J'ai trouvé rien de nouveau. Rien de nouveau.
QUESTION : C'est vrai ? Vous n'avez rien appris ?
Jean-Louis DEBRÉ (Réponse) : Rien de nouveau. D'abord je suis un tout petit peu énervé quand il dit, ou quand certains hommes politiques disent "qu'ils sont libres". Je n'avais pas l'impression avant qu'ils étaient enchaînés...
QUESTION : Il est libre par rapport à Jacques CHIRAC.
Jean-Louis DEBRÉ (Réponse) : Attendez, attendez, il est libre, il a dit qu'il était libre. Nous sommes tous libres.
QUESTION : Vous aussi.
Jean-Louis DEBRÉ (Réponse) : Moi j'ai toujours été libre, mais je n'ai jamais eu comme slogan : je suis un homme libre. Je suis comme je suis, avec mes fidélités, avec mes entendu à l'égard du président de la République, il n'y a rien de nouveau, rien de nouveau. Cela fait trois ans que Nicolas SARKOZY - et c'est son droit - critique, conteste la politique du Gouvernement, auquel il appartenait, critique le Président de la République, et je me dis : mais attendez, n'y a-t-il pas un peu une contradiction ? Voilà le chef du parti majoritaire, qui soutient un Gouvernement dont il critique la politique. Tout cela me semble un petit peu confus ! Mais peu importe ! Peu importe, peu importe. Parce que, j'ai été - permettez-moi de vous le dire - à la fois déçu, et rassuré. Déçu, par cette émission, car le grand problème qui nous préoccupe aujourd'hui c'est le référendum sur l'Europe, c'est d'essayer de convaincre les Français que, pour la France, il faut voter "oui". Et finalement, sur 120 minutes d'émission, sauf le passage avec A. Duhamel...
QUESTION : Quel talent diplomatique, Jean-Louis DEBRÉ !
Jean-Louis DEBRÉ (Réponse) : Non, je suis un homme libre moi aussi. Je dis ce que j'ai envie de dire. Sauf le passage avec Alain DUHAMEL, on n'a pas parlé de l'Europe, j'avais le sentiment que l'on était en campagne présidentielle. Or je crois qu'on a tort d'ouvrir trop tôt la campagne présidentielle. Et puis j'ai été rassuré, par la faiblesse des arguments du camp du "non".
QUESTION : Ah ! c'est autre chose. D'un mot alors, parce qu'on va revenir sur Nicolas SARKOZY, d'un mot la faiblesse des arguments du "non".
Jean-Louis DEBRÉ (Réponse) : Non attendez je n'ai pas envie de revenir sur Nicolas SARKOZY. J'ai dit ce que j'avais à dire.
QUESTION : Mais moi j'ai quelques questions à vous poser si cela ne vous ennuie pas ?
Jean-Louis DEBRÉ (Réponse) : Non mais le temps n'est pas à la polémique, ni aux critiques. Je viens de dire qu'il n'y avait rien de nouveau. Mais ce qui m'a frappé, c'est que, tout aujourd'hui, et je m'adresse aux gaullistes, tout, nous incite à voter oui à cette réforme de la Constitution. Voilà dix ans que les gaullistes demandent une Europe politique, que l'Europe se substitue à Bruxelles. Dix ans que les gaullistes et tous les Français disent : on en a assez que ce soit Bruxelles qui gère tout, qui réglemente tout ! Enfin, on va avoir par "la subsidiarité", par un certain nombre de règles sur lesquelles je ne reviens pas ce matin, la possibilité d'exister. C'est le triomphe de l'Europe des nations. C'est ce que nous demandons.
QUESTION : Donc, Jean-Louis DEBRÉ, sur RTL vous appelez à voter "oui", on a bien compris. On va revenir d'un mot si vous le voulez bien sur Nicolas SARKOZY.
Jean-Louis DEBRÉ (Réponse) : Mais ça vous obsède ?
QUESTION : Non, cela ne "m'obsède" pas, cela m'intéresse. Et sans doute, c'était un peu le pacte que nous avions conclu, que nous parlerions - aussi - de Nicolas SARKOZY. Vous en êtes d'accord ?
Jean-Louis DEBRÉ (Réponse) : Mais j'en ai parlé !
QUESTION : Eh bien on va peut-être continuer un peu si vous en êtes d'accord ?
Jean-Louis DEBRÉ (Réponse) : Oui, mais le temps passe.
QUESTION : Le temps passe, hélas !
Jean-Louis DEBRÉ (Réponse) : Parlons de l'Europe.
QUESTION : Nous en perdons un peu tous les deux. Peut-être, jamais autant que ce matin Jean-Louis DEBRÉ, vous n'avez exprimé votre distance et vos critiques vis-à-vis de Nicolas SARKOZY.
Jean-Louis DEBRÉ (Réponse) : Non.
QUESTION : Je vais juste préciser si vous voulez bien mon état d'esprit : c'est-à-dire, que sans doute, chaque téléspectateur a vu un Nicolas SARKOZY, en forme, affûté, avec beaucoup de propositions, et vous, vous dites : je suis déçu.
Jean-Louis DEBRÉ (Réponse) : Non, non.
QUESTION : N'est-ce pas la marque, là, d'une distance de plus en plus importante avec lui ?
Jean-Louis DEBRÉ (Réponse) : Moi j'ai une distance à l'égard de tout le monde.
QUESTION : Non, non. Mais ne tournez pas autour du pot.
Jean-Louis DEBRÉ (Réponse) : Le problème n'est pas là. Je vous ai dit qu'il était bon sur la forme, et je vous ai dit qu'il n'y avait rien de nouveau, dans la mesure où - et c'est son droit - il s'inscrit dans une perspective, qui est une perspective de candidat à la présidence de la République. Il ne le dit pas, mais il fait tout pour accréditer l'idée. Et pour accréditer cette idée, il oublie la période dans laquelle il a été au Gouvernement, il formule des propositions et, systématiquement, il critique le chef de l'Etat. C'est sa responsabilité. C'est sa façon de faire de la politique.
QUESTION : Est-ce un vrai problème politique pour la majorité ?
Jean-Louis DEBRÉ (Réponse) : C'est "un vrai problème politique" je n'ai cessé de le dire, et je ne l'ai pas dit aujourd'hui, je le dis depuis des mois et des mois : quand dans un régime, qui est un régime majoritaire, le chef du parti majoritaire ne cesse de critiquer le Gouvernement et le Président, qu'il doit soutenir, il y a là un vrai problème ! J'avais à l'époque parlé de "crise de régime", tout le monde avait trouvé que c'était absurde. Je dis, non. La logique, plus on va s'approcher - il y a encore deux ans- vers l'élection présidentielle, plus on va voir le fossé entre le parti majoritaire et le chef du parti majoritaire qui ne soutient pas le Gouvernement, et le Gouvernement qui devrait être soutenu par ce parti majoritaire.
QUESTION : Et personne n'a de réponse pour régler cette crise, c'est-à-dire que l'on va la vivre pendant deux ans Jean-Louis DEBRÉ. C'est cela.
Jean-Louis DEBRÉ (Réponse) : "Personne n'a de réponse" sauf faire appel aux uns et aux autres au sens de leurs responsabilités.
QUESTION : Jean-Louis DEBRÉ, le premier déçu du "sarkozisme"...
Jean-Louis DEBRÉ (Réponse) : Non pas déçu !
QUESTION : ... était l'invité de RTL ce matin.
Jean-Louis DEBRÉ (Réponse) : Vous voulez toujours avoir le dernier mot.
QUESTION : Et je crois que je l'aurai ce matin Jean-Louis DEBRÉ.
Jean-Louis DEBRÉ (Réponse) : Et mon dernier mot, c'est pour penser au Pape.
Jean-Michel APHATIE : Allez... bonne journée.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 5 avril 2005)