Interview de M. François Chérèque, secrétaire général de la CFDT à RTL le 2 mars 2004, sur la réforme de l'assurance chômage des intermittents du spectacle, notamment la proposition d'un "contre protocole d'accord" en discussion avec le ministre de la culture et la pétition contre la "guerre à l'intelligence du gouvernement Raffarin".

Prononcé le

Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Jean-Michel Aphatie - Bonjour François Chérèque. Les intermittents du spectacle ne désarment pas. Leurs représentants seront reçus ce matin par Jean-Jacques Aillagon au ministère de la Culture pour évoquer avec lui un " contre-protocole d'accord " concernant leur régime d'assurance chômage... Ce contre-protocole, par hypothèse pour eux, viendrait en remplacement du nouveau régime d'indemnisation qui est entré en vigueur au début de cette année... Un régime d'indemnisations négocié au sein de l'Unedic le 27 juin dernier par la CFDT - que vous présidez François Chérèque - la CGC, la CFTC... et côté employeurs, le Medef... Est-il temps, est-il utile de chercher à sortir de la crise avec les intermittents François Chérèque, sur la base - par exemple - de ce contre-protocole ?
François Chérèque - Ce contre-protocole, on l'a lu, on l'a étudié bien évidemment à la CFDT. Il ramène le système des intermittents à la situation antérieure.
Ce n'est donc pas une réponse pour vous ?
Non parce que la réponse pour nous c'est inévitablement donner une réponse concrète et maintenir un système spécifique pour les intermittents dans notre système d'assurance chômage. Donc je crois qu'il faut de nouveau expliquer ce qu'est le système d'assurance chômage. Dans notre pays, on a un système solidaire entre les salariés du privé qui cotisent et entre les employeurs, les entreprises. Et dans ce système-là, il y a une situation particulière, qui est celle des intermittents du spectacle. Pour une raison historique, et je crois une participation à la politique culturelle de notre pays, ces intermittents ont un système beaucoup plus favorable que les autres salariés. En gros, ils travaillent en durée deux fois moins pour avoir une durée d'indemnisations deux fois plus longue. On ne critique pas cette démarche, et la CFDT a voulu la maintenir. C'est-à-dire maintenir un système particulier, parce que c'est notre honneur en tant que syndicalistes de continuer à participer à la politique culturelle. Cependant, on comprend bien et on le voit bien, l'Unedic a des difficultés financières, parce qu'elle est malade du chômage, tout simplement, qu'on est dans un système où il y a beaucoup plus de salariés indemnisés, puisque beaucoup plus de chômage, et beaucoup moins de cotisants puisqu'il y a moins de salariés qui travaillent. Donc on a une difficulté dans la solidarité. Il faut donc se sortir de ce problème-là. On ne peut pas aller plus loin, l'Unedic a pratiquement une année de retard en termes de financement. C'est-à-dire qu'on a un vrai déficit.
Et c'était pour sortir de ce problème que vous avez négocié un nouveau régime. Et visiblement, ce nouveau régime, les intermittents n'en veulent pas. Alors la situation est bloquée.
On a négocié un nouveau régime. On est dans un système quand même où pour 1 euro de cotisation, les intermittents touchent 8 euros de prestation. Donc les 7 euros suivants, c'est la solidarité uniquement des salariés du privé. Je dois insister sur ce sujet-là.
Alors maintenant, on nous pose, et Mme Jaoui l'autre soir nous pose le problème de " la politique culturelle dans notre pays ". Il est quand même fantastique que dans un pays comme le nôtre, ce soit la caisse d'assurance chômage qui finance la politique culturelle ! Je crois qu'on est quelquefois - excusez-moi l'expression - " un peu en plein délire ! " Est-ce que c'est à la caisse chômage, de financer la politique culturelle? Si on doit aller plus loin maintenant la CFDT aujourd'hui, par ma voix, fait une proposition très claire : nous proposons pour sortir de ce problème-là de créer une caisse complémentaire. Si on doit aller plus loin dans le financement de la politique culturelle et des intermittents, on fait une caisse complémentaire, et on finance cette caisse complémentaire par le milieu professionnel, d'une part, c'est-à-dire les utilisateurs des intermittents : les producteurs, les sociétés de production audiovisuelles, qui utilisent beaucoup les intermittents, mais aussi les collectivités locales. Et quand j'entends le député-maire UMP de Versailles, Étienne Pinte, qui dit qu'il ne pourra plus financer sa politique culturelle, là il aura l'occasion de la financer par cette caisse. Et l'État, ainsi, pourra aider les intermittents. Mais je crois que la solidarité entre salariés du privé ne peut pas aller plus loin, et que s'il doit y avoir un financement supplémentaire de la politique culturelle - parce que c'est ça le débat - il doit revenir à la solidarité nationale, et à ce moment-là, à la collectivité : collectivité locale, État, de financer cette caisse complémentaire.
C'est votre proposition ce matin sur RTL François Chérèque ?
Et on est prêt à aider à la structuration de cette caisse.
Que les employeurs et que les collectivités locales cotisent davantage pour la politique des intermittents ?
On ne peut pas demander uniquement aux salariés du privé de financer la politique culturelle de notre pays ! Il y a un détournement de débat. Ce n'est plus le débat de la caisse d'assurance chômage, c'est le débat de la politique culturelle.
Vous évoquiez Étienne Pinte, maire de Versailles. Il y avait aussi la maire d'Avignon, Marie-Josée Roig, la semaine dernière, qui ont écrit à Jean-Pierre Raffarin, et qui ont dit ceci : " nous constatons que l'accord est dénoncé par la quasi-totalité des coordinations et des syndicats professionnels. Engagez-vous personnellement Monsieur Raffarin ". Cela veut dire que votre accord, au fond, a de moins en moins de soutiens, même parmi les élus UMP. On commence à critiquer l'accord que vous avez négocié.
Mais vous savez, on a quand même un vrai problème... On nous parle " d'accord majoritaire, d'accord minoritaire ", mais qui représente-t-elle cette coordination ? Il y a des personnes qui se sont autodésignées " représentants des intermittents ". On ne parle plus des autres organisations syndicales. Pourquoi les autres organisations syndicales ne s'expriment pas ? Parce qu'elles ne sont pas d'accord avec ces coordinations !
La CGT est d'accord avec ces coordinations.
Oui mais quand même, la CGT n'a pas signé d'accord des intermittents du spectacle depuis trente ans ! Donc ce régime qu'on défend, ils ne l'ont jamais accepté. Je crois qu'il faut déjà remettre les choses une nouvelle fois à leur place là-dessus ! Mais il faut quand même remettre le système à sa place : les financeurs ce sont les salariés du privé, solidairement. Donc c'est quand même ceux qui financent, c'est-à-dire tous les salariés ensemble, qui doivent avoir leur mot à dire. C'est pour ça que ce sont les confédérations qui négocient.
Vous avez l'air un peu excédé ce matin par ce dossier.
Eh bien je crois que je suis un peu en colère, parce qu'au bout d'un moment on est en train de détourner le problème ! Si on veut dans notre pays une vraie politique culturelle, défendre la spécificité culturelle que défend la CFDT, ce n'est pas à la caisse du chômage de financer ! On est quand même en plein anachronisme ! C'est à l'État et aux politiques publiques de financer la politique culturelle, et pas à la caisse d'assurance chômage !
Vous l'avez dit, ça a sûrement été compris. À partir de ce combat des intermittents, il y a une pétition contre la guerre à l'Intelligence que mènerait le gouvernement, qui a été lancée. Elle réunit des chercheurs, des enseignants. Est-ce que vous pourriez signer cette pétition François Chérèque ?
Certaines causes défendues par ces personnes sont soutenues par la CFDT. Je pense en particulier à la Recherche. Cela fait maintenant plus de deux ans qu'on reproche au gouvernement sa politique sur la recherche, qui au passage investit sur la recherche pour l'emploi de demain. C'est le sujet de demain. Mais opposer, comment dirais-je... On a été gêné quand le premier ministre est arrivé au gouvernement, et qu'il a parlé de " la France d'en bas ". On a trouvé que c'était un petit peu dédaigneux. Là, qu'on nous reparle maintenant de la France de " l'intelligence ", quand on ne s'adresse qu'aux intelligences, bien souvent on laisse beaucoup de personnes au bord de la route ! Et ce sont ces personnes qui sont au bord de la route dont nous parlons à la CFDT, et dont il faut s'occuper. En particulier de tous ceux qui sont au chômage. Parce qu'ils n'ont pas eu de formation. Et que parce qu'ils n'ont pas eu de formation, ils n'ont pas accès au savoir, et bien souvent pas accès au travail. Donc, voilà, travaillons pour ces personnes-là, et mobilisons-nous pour qu'il y ait une vraie politique de l'emploi dans notre pays.
Donc vous ne pourriez pas signer cette pétition ?
Non, parce que l'addition des revendications n'a jamais fait de solutions pour les salariés !
(Source http://www.cfdt.fr, le 2 mars 2004)