Texte intégral
Dans Le Figaro, Maurice Druon s'élevait contre "le déménagement du Quai d'Orsay", et son élégante diatribe mérite une réponse. En effet, elle relève pour partie du malentendu.
Monsieur l'Académicien, une fois n'est pas coutume, vous fûtes mal renseigné : l'État n'a aucune intention d'abandonner le Quai d'Orsay. Le Palais des Affaires étrangères, dont vous rappelez justement qu'il fut construit il y a 150 ans pour recevoir dignement les hôtes de la France, conservera cette fonction, qu'il remplit admirablement.
Comme vous, je jugerais absurde et triste de livrer à la spéculation qui sévit aujourd'hui dans Paris ces murs qui abritèrent un siècle et demi d'histoire de France, avec ses drames et ses gloires. Il ne s'agit pas seulement de conserver à la nation une pièce ancienne et magnifique de son patrimoine, que les Journées du même nom donnent à tous la possibilité de visiter. Il s'agit de la France et de l'image qu'elle offre aux dirigeants qu'elle accueille, et qu'il n'est pas question pour la diplomatie française d'accueillir ailleurs qu'au Quai d'Orsay.
Pour tout dire, je désire même ouvrir davantage qu'aujourd'hui ce lieu spécial aux grandes conférences internationales, pour que le Salon de l'Horloge résonne toujours des échos de l'histoire à faire. Je suis d'accord avec vous : quand on a le Quai d'Orsay, on ne le quitte pas, pas plus que l'on ne songe à envoyer l'Académie française tenir conclave au Futuroscope.
Là s'arrête le malentendu. Car pour le reste, c'est bien vrai : je souhaite que les services de mon ministère puissent enfin bénéficier de conditions de travail modernes et décentes, en un lieu unique, ce qui implique de faire quitter à ceux qui s'y trouvent l'enceinte du Quai d'Orsay. C'est que, voyez-vous, Cher Maurice Druon, il n'y a pas que les lambris qui comptent : l'administration centrale de la diplomatie française est aujourd'hui éparpillée sur onze sites, son énergie s'égare dans les multiples tracas de la capitale.
Derrière le Quai et ses salons prestigieux, il y a des agents qui travaillent entassés, privés parfois de facilités essentielles. Trouvez-vous normal que le siège d'un ministère comme le mien ne compte aucune - j'écris bien aucune - salle de conférence adaptée à la traduction ? Je pourrais vous inviter à faire le tour d'un Quai d'Orsay que vous ne connaissez pas, avec ses bureaux surpeuplés, ses archives comprimées, son informatisation difficile, ses couloirs encombrés. Au-delà du respect dû aux serviteurs de l'État - et l'on ne s'engage pas dans la carrière pour pantoufler, on y reste -, mon devoir de ministre est d'améliorer l'efficacité de notre activité diplomatique, plus cruciale que jamais à l'heure de la mondialisation. La diplomatie n'est pas un musée.
Cette décision prise, reste à trouver un site qui puisse offrir en un seul lieu et pour tous les agents du ministère ces conditions d'efficacité et de modernité. Ce choix-là n'est pas fait. Plusieurs hypothèses sont à l'étude de manière publique et transparente, vous en avez d'ailleurs mentionné certaines, non sans ironiser - l'île Seguin, Issy-les-Moulineaux, Saint-Vincent-de Paul et la ZAC rive-gauche. Votre ironie m'échappe : beaucoup de gens ont choisi de vivre et de travailler près de ces sites, nombre de grandes entreprises y ont implanté leur siège. Quel est donc le périmètre "noble" dont un grand ministère ne saurait s'écarter sans déchoir ? Ce préjugé ne me paraît guère républicain. Laissez-moi vous dire qu'en tout cas, il ne m'embarrasse pas. Les services du ministère des Affaires étrangères iront s'établir sur le site le mieux adapté à leurs priorités de fonctionnement, dans le respect de l'opinion de leurs agents et des deniers du contribuable. Car, cela va de soi, cette opération n'entraînera aucun coût net pour le budget de l'État.
Je n'ose espérer, Monsieur l'Académicien, avoir apaisé certaines de vos inquiétudes. Certes, la modernité d'un site ne garantit nullement la modernité des idées qui s'y préparent. Pour autant, toute activité ne mérite-t-elle pas un minimum de moyens et de confort ? L'écrivain le plus talentueux n'a-t-il pas besoin d'un crayon bien taillé et d'un lieu calme et serein où se sentir inspiré ?
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 février 2005)
Monsieur l'Académicien, une fois n'est pas coutume, vous fûtes mal renseigné : l'État n'a aucune intention d'abandonner le Quai d'Orsay. Le Palais des Affaires étrangères, dont vous rappelez justement qu'il fut construit il y a 150 ans pour recevoir dignement les hôtes de la France, conservera cette fonction, qu'il remplit admirablement.
Comme vous, je jugerais absurde et triste de livrer à la spéculation qui sévit aujourd'hui dans Paris ces murs qui abritèrent un siècle et demi d'histoire de France, avec ses drames et ses gloires. Il ne s'agit pas seulement de conserver à la nation une pièce ancienne et magnifique de son patrimoine, que les Journées du même nom donnent à tous la possibilité de visiter. Il s'agit de la France et de l'image qu'elle offre aux dirigeants qu'elle accueille, et qu'il n'est pas question pour la diplomatie française d'accueillir ailleurs qu'au Quai d'Orsay.
Pour tout dire, je désire même ouvrir davantage qu'aujourd'hui ce lieu spécial aux grandes conférences internationales, pour que le Salon de l'Horloge résonne toujours des échos de l'histoire à faire. Je suis d'accord avec vous : quand on a le Quai d'Orsay, on ne le quitte pas, pas plus que l'on ne songe à envoyer l'Académie française tenir conclave au Futuroscope.
Là s'arrête le malentendu. Car pour le reste, c'est bien vrai : je souhaite que les services de mon ministère puissent enfin bénéficier de conditions de travail modernes et décentes, en un lieu unique, ce qui implique de faire quitter à ceux qui s'y trouvent l'enceinte du Quai d'Orsay. C'est que, voyez-vous, Cher Maurice Druon, il n'y a pas que les lambris qui comptent : l'administration centrale de la diplomatie française est aujourd'hui éparpillée sur onze sites, son énergie s'égare dans les multiples tracas de la capitale.
Derrière le Quai et ses salons prestigieux, il y a des agents qui travaillent entassés, privés parfois de facilités essentielles. Trouvez-vous normal que le siège d'un ministère comme le mien ne compte aucune - j'écris bien aucune - salle de conférence adaptée à la traduction ? Je pourrais vous inviter à faire le tour d'un Quai d'Orsay que vous ne connaissez pas, avec ses bureaux surpeuplés, ses archives comprimées, son informatisation difficile, ses couloirs encombrés. Au-delà du respect dû aux serviteurs de l'État - et l'on ne s'engage pas dans la carrière pour pantoufler, on y reste -, mon devoir de ministre est d'améliorer l'efficacité de notre activité diplomatique, plus cruciale que jamais à l'heure de la mondialisation. La diplomatie n'est pas un musée.
Cette décision prise, reste à trouver un site qui puisse offrir en un seul lieu et pour tous les agents du ministère ces conditions d'efficacité et de modernité. Ce choix-là n'est pas fait. Plusieurs hypothèses sont à l'étude de manière publique et transparente, vous en avez d'ailleurs mentionné certaines, non sans ironiser - l'île Seguin, Issy-les-Moulineaux, Saint-Vincent-de Paul et la ZAC rive-gauche. Votre ironie m'échappe : beaucoup de gens ont choisi de vivre et de travailler près de ces sites, nombre de grandes entreprises y ont implanté leur siège. Quel est donc le périmètre "noble" dont un grand ministère ne saurait s'écarter sans déchoir ? Ce préjugé ne me paraît guère républicain. Laissez-moi vous dire qu'en tout cas, il ne m'embarrasse pas. Les services du ministère des Affaires étrangères iront s'établir sur le site le mieux adapté à leurs priorités de fonctionnement, dans le respect de l'opinion de leurs agents et des deniers du contribuable. Car, cela va de soi, cette opération n'entraînera aucun coût net pour le budget de l'État.
Je n'ose espérer, Monsieur l'Académicien, avoir apaisé certaines de vos inquiétudes. Certes, la modernité d'un site ne garantit nullement la modernité des idées qui s'y préparent. Pour autant, toute activité ne mérite-t-elle pas un minimum de moyens et de confort ? L'écrivain le plus talentueux n'a-t-il pas besoin d'un crayon bien taillé et d'un lieu calme et serein où se sentir inspiré ?
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 février 2005)