Interview de M. Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO à BFM le 29 avril 2005, sur le lundi de Pentecôte comme journée de solidarité, les consign es de vote des différents syndicats sur le référendum et le renforcement des contrôles des chômeurs.

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Média : BFM

Texte intégral

Q- Cette année encore, des défilés en ordre dispersés pour les syndicats, le 1er mai. Les motifs de grogne ne manquent pas cette année, mais leur interprétation est souvent différente. Vous serez à Toulouse, dimanche, pour déposer une gerbe en mémoire à J. Jaurès ?
R- Oui, il y a un meeting avec les militants FO sur Toulouse.
Q- Regrettez-vous cette nouvelle division des défilés cette année ?
R- Le 1er mai, c'est une journée internationale de solidarité. C'est aussi le jour où les syndicats rappellent les revendications. C'est assez classique en même temps. Il y a des 1er mai unitaire quand on est en période de grève. Ceci étant, les organisations vont chacune rappeler leurs revendications, c'est habituel, d'une certaine manière.
Q- Il y a pourtant un motif qui vous rassemble tous, et on est à deux semaines de l'échéance : c'est le fameux lundi de Pentecôte. J.-P. Raffarin persiste et signe, il dit qu'il faut travailler, qu'il y a une loi qui s'applique.
R- Le Premier ministre persiste dans l'erreur. Cela fait quand même un bout de temps, depuis le moment où le Gouvernement a annoncé cette mesure, que nous avons condamné la mesure. Il y a une loi, la loi doit s'appliquer, mais en même temps, ce n'est pas parce qu'une loi existe qu'on ne peut pas demander qu'elle soit révisée. Ce que les salariés n'acceptent pas, c'est d'être quasiment les seuls à payer. Donc, ce n'est pas de la solidarité nationale, c'est du travail obligatoire. C'est la troisième fois, en deux ans, que l'on augmente la durée du travail : avec les retraites, c'est 7 heures de travail en plus, gratuit, avec également les 35 heures. Donc, à partir de là, le vrai problème, c'est celui de la dépendance, il est réel ; c'est une bonne question mais la réponse apportée est mauvaise. A partir de là, les gens ne veulent pas travailler. C'est la réalité des choses, ce que le Premier ministre ne veut pas prendre en considération.
Q- Comment répondre à cette solidarité nationale ? Au départ, c'est vrai, il y a un motif qui est plutôt saint, plutôt généreux, qui est de venir en aide aux personnes âgées, aux personnes dépendantes après la terrible canicule qui avait fait 15.000 morts. Où est cette solidarité
alors ?
R- La solidarité, c'est ce que l'on dit depuis le début au Gouvernement. Je rappelle d'ailleurs que c'était la seule réponse du Gouvernement au drame de l'été 2003. C'est la seule réponse qu'il a été capable de trouver. Si l'on veut traiter de manière solidaire les questions de dépendance des personnes âgées et handicapées, c'est dans le cadre de la sécurité sociale que cela se traite, avec les financements appropriés, y compris au plan fiscal. C'est comme cela que cela doit se traiter, c'est ça la vraie solidarité. D'ailleurs, je rappelle que même le ministre en charge de la Santé, monsieur Douste-Blazy, a expliqué que cette journée ne serait pas suffisante. A partir de là, cela montre bien que ça ne marche pas, que le choix fait par le Gouvernement est un mauvais choix. Personne n'est dupe : quand vous augmentez de 7 heures la durée du travail, ils essayent aussi par ce biais-là d'augmenter - ce qui est un objectif permanent du côté des pouvoirs publics et du patronat - la durée du travail.
Q- Bon, ça ne marche pas, mais en Allemagne, ils ont quand même une journée comme ça depuis dix ans, qui a l'air pour l'instant, de bien marcher, qui n'est pas remise en cause...
R- Ca a grogné aussi en Allemagne. Mais les Allemands, ce sont les Allemands. En tous les cas, ce que je sais, c'est que du côté des salariés, dans notre pays, depuis un an - pourquoi on en parle plus maintenant, parce qu'on est à quinze jours, tout simplement -, que cela ne passe pas. Je note d'ailleurs - j'ai vu cela hier - que même des agences de voyage considèrent qu'elles ont pas mal de séjours retenus à l'occasion du week-end de Pentecôte.
Q- On vous le confirme...
R- A partir de là, ça ne marche pas. Quand cela ne marche pas, ou on s'entête et on persiste dans l'erreur, ce que fait le Gouvernement, ou on tient compte de l'opinion émise. Il n'en tient visiblement pas compte. Cela veut dire que le 16 mai, oui, il y aura vraisemblablement peu de personnes qui seront au travail.
Q- Il y a la division concernant le référendum ; là, on est à un mois pile de l'échéance. Vous n'avez pas donné de consigne de vote particulière. A la CGC non plus, même si J.-L. Cazettes, à titre personnel, se prononce pour le "non". A la CGT, on a vu tous les tiraillements qu'il y avait avec B. Thibault et ses cadres. La CFDT se distingue : F. Chérèque dit que ce sera "oui". Est-ce que vous interprétez différemment ce référendum finalement ?
R- Nous, nous ne donnons pas de consigne de vote, parce que c'est une tradition à Force ouvrière : quand le citoyen est interpellé et non pas le salarié, il n'y a pas de consigne. Pour autant, nous avons des analyses sur le projet de traité, nous avons même fait un journal particulier, expliquant nos analyses. Et nous sommes critiques, notamment sur tout ce qui concerne le Pacte de stabilité et de croissance, ne serait-ce que pour une seule raison. Je dirais que c'est une raison de démocratie : il n'y a aucune raison pour qu'il y n'ait qu'une seule politique économique possible. Comme le nom l'indique, "politique économique", c'est une question de choix. Maintenant, il appartiendra aux salariés - nous, syndicat, nous ne nous adressons qu'aux salariés -, en tant que citoyen de se positionner le 29 mai.
Q- Est-ce que ce référendum sera présent dans les défilés de dimanche ?
R- Il sera peut-être présent dans différents endroits, ce n'est pas exclu. Mais je rappelle que le 1er mai, contrairement à ce que l'on dit souvent, ce n'est pas la fête du travail. La fête du travail, c'est le 1er mai sous Pétain - c'était Pétain qui avait transformé le 1er mai en fête du travail. Le 1er mai, c'est une journée de revendication dans tous les pays, au niveau international. C'est l'occasion de rappeler quelles sont les priorités. Et dans les priorités d'aujourd'hui, il y a le dossier d'actualité qui est celui du lundi de Pentecôte, mais il y a aussi le dossier des salaires, avec une volonté, dans le public comme dans le privé, de mettre la pression sur les questions salariales. Dans les négociations qui doivent encore s'ouvrir avec la fonction publique dans les semaines à venir, une fois de plus, le Gouvernement ne respecte pas ses engagements.
Q- Il y a un autre dossier, qui est celui du contrôle des chômeurs. Le Gouvernement veut renforcer ce contrôle des chômeurs. Et vous, vous dites que l'on culpabilise les demandeurs d'emploi ?
R- Bien sûr. Quand il y a 2,5 millions chômeurs - c'est le nombre officiel ; on va avoir les chiffres du chômage ce matin -, mais on sait bien que quand on regarde entre les gens qui sont au chômage, en situation d'extrême précarité, cela fait entre 6 et 7 millions de personnes. Comment voulez-vous culpabiliser 6 à 7 millions de personnes en disant "c'est de votre faute si vous ne trouvez pas de travail" ?!
Q- Oui, mais comment faire pour que le renforcement des contrôles ne pénalisent pas ceux qui recherchent vraiment un emploi ?
R- Les contrôles, il y en a. Les motifs de sanction existent, c'est l'administration qui doit les prendre. Le problème de fond sur le chômage, c'est qu'il faudrait peut-être que l'on crée des emplois ! C'est bien gentil de dire "on va contrôler, sanctionner, etc.", mais si on ne crée pas d'emplois ? Le problème de fond sur cette question-là, c'est uels sont les emplois par la politique économique, par la politique industrielle, que le Gouvernement est amené à créer ? A partir de là, c'est comme ça que l'on diminuera le chômage, ce n'est pas en culpabilisant les chômeurs et en leur tapant dessus. C'est pour cela que nous avons expliqué que si le Gouvernement voulait accroître les sanctions sur les chômeurs, transférer les sanctions des pouvoirs publics vers les Assedic, ça, c'est un point de rupture, c'est clair ! Nous l'avons dit, ce n'est pas nouveau, mais nous l'avons rappelé. Ce que l'on craint, dans les mois à venir, c'est que vu l'augmentation du chômage, pour essayer de s'en sortir, parce que le Gouvernement a du mal choisir une autre politique économique que celle qu'il mène depuis quelques mois, on sanctionne les chômeurs. Et ça, ce sera un point de rupture, c'est évident.
Q- Que faudrait-il faire ? Installer une procédure contradictoire ?
R- Oui, mais qui est responsable de quoi dans le domaine du chômage ? Ce sont bien les pouvoirs publics, à travers les Directions départementales du travail et de l'emploi qui sont amenés, de par le code du travail, à pouvoir exercer des sanctions. Qu'il y ait une procédure contradictoire, oui. Cela veut dire que quand l'administration envisage de sanctionner un chômeur, que ce chômeur puisse être accompagné par quelqu'un pour voir, si, effectivement, c'est justifié ou pas. Ça, ça existe. Là, ce que l'on sent, c'est une volonté d'en rajouter sur les sanctions. Je ne veux pas que l'on arrive, comme je l'ai vu sur une dépêche AFP en Allemagne, où, dans un Land, un ministre allemand propose que l'on mette des bracelets électroniques aux chômeurs pour s'assurer qu'ils cherchent bien du travail. Ce type de société, nous n'en voulons pas !
Q- Tiens, à l'instant : le chômage progresse de 0,3 % au mois de mars, avec un taux à 10,2 %. On gagne 0,1 point. Un commentaire à chaud ?
R- C'est bien la preuve que le chômage n'est pas de la responsabilité des chômeurs. Quand le chômage augmente à nouveau de 0,1, on passe maintenant à 10,2, on est au-dessus de 10 depuis le mois d'octobre. Le Premier ministre s'était engagé à le baisser de 10 %, résultat des courses : la chômage est passé au-dessus de 10 %. Cela montre bien qu'il faut une politique économique qui soit plus dynamique, qu'il faut soutenir la consommation, que le moteur principal de l'économie française, c'est celui de la consommation. Et on le voit notamment dans un dossier comme Carrefour, où les salariés se battent en ce moment pour obtenir une augmentation de salaire, qui, entre nous, est plus que légitime, à la fois pour une raison de niveau de vie, mais c'est aussi une question de dignité, avec les sommes que va percevoir monsieur Bernard. Donc, il faut effectivement soutenir la consommation.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 29 avril 2005)