Interview de M. Gérard Aschieri, secrétaire général de la FSU, dans "Tribunes socialistes" du 15 mars 2005, sur la loi Fillon, notamment les réformes financières et la formation en alternance des enseignants, les programmes scolaires et la revalorisation de la filière professionnelle.

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Média : Tribunes socialistes

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Tribunes socialistes : La loi Fillon, à l'évidence, manque d'ambition. L'éducation nationale n'aurait-elle pas besoin aujourd'hui d'une grande loi d'orientation et de programmation pluriannuelle apportant une garantie de moyens humains et financiers ?
Gérard Aschieri : Oui, bien sûr. Nous revendiquons et nous approuvons l'idée d'une grande loi d'orientation et de programmation qui fixerait des objectifs et prévoirait des moyens. Evidemment, cela implique que l'on négocie des priorités pour définir comment répartir les moyens supplémentaires.
Q - Dans ce cas, est-ce que les enseignants seraient prêts à s'engager sur une évolution de la répartition des moyens et sur une politique de réformes concertées ?
R - Je ne suis pas sûr que parler de réformes concertées soit l'expression qui convienne. Je dirais les choses autrement. L'éducation nationale, en tout état de cause, réformes ou pas réformes, a besoin de moyens supplémentaires. Je ne voudrais pas, pour être précis, que l'attribution de moyens soit subordonnée à l'engagement dans une réforme. En revanche, il me semble nécessaire de débattre des priorités pour l'utilisation de ces moyens et de concevoir ces moyens dans la perspective d'une transformation de l'école et des pratiques. Sur ce point, il ne faudrait pas réveiller des malentendus qui ont marqué l'histoire récente des relations entre le syndicalisme enseignant et le Parti socialiste. Je pense à la période de la réélection de F. Mitterrand. Le donnant-donnant proposé alors avait été une source de conflit aigu d'où nous ne sommes finalement sortis que grâce à la loi Jospin de 1989.
Q - Donc, pour vous, la priorité des priorités, ce sont les moyens
R - Je ne dis pas les choses ainsi. Ce que je dis, c'est qu'il ne faut pas subordonner l'attribution de moyens à un engagement à réformer. Des moyens supplémentaires créeront une situation nouvelle qui permettra de faire évoluer les pratiques de manière consensuelle. Je suis convaincu, en effet, qu'il y a une aspiration des personnels à faire évoluer l'école et que c'est en accompagnant cette aspiration qu'on peut la concrétiser.
Q - La FSU, en tant qu'organisation syndicale, serait prête à s'engager dans une stratégie de partenariat pour des réformes ?
R - Le mot de partenariat évoque une sorte de cogestion : est-ce bien ce qui serait recherché ? Nous sommes prêts, quant à nous, à négocier des priorités ainsi que des évolutions du système éducatif, à condition que le politique ne nous dise pas : voici ma réforme, maintenant discutons sur quelques points marginaux, mais que le politique intègre dans son projet les aspirations et les demandes des enseignants que nous représentons.
Q - L'une de ces priorités pourrait être de mener une politique ciblée consistant à concentrer les moyens sur les établissements qui connaissent les difficultés les plus grandes. Qu'en pensez-vous ?
R - Nous sommes tout à fait d'accord avec cette idée et c'est même l'une de nos revendications. Nous pensons, en effet, que les inégalités sont l'un des éléments qui tirent le système éducatif vers le bas. J'apporterais simplement une nuance : il ne s'agit pas de redéployer l'existant, il s'agit de concentrer des moyens supplémentaires, en se fixant des objectifs, tels que la diminution de la taille des classes, le développement de l'encadrement éducatif, la réduction du temps de présence des enseignants devant les élèves pour leur permettre, entre autres, de travailler en équipe. Je pense même qu'on pourrait utiliser ces établissements comme moteur d'une transformation non imposée des pratiques enseignantes. D'ailleurs, dans ces établissements, beaucoup de collègues ont déjà fait évoluer leurs pratiques et ont besoin d'être accompagnés.
Q - Vous acceptez donc l'idée d'expérimentations
R - Pour que les expérimentations fonctionnent, il faut qu'il y ait un cadre et une évaluation. Sans ces précautions, le risque, c'est, précisément dans les établissements difficiles, la non-prise de risques et, à la longue, le découragement.
Q - Comment réagissez-vous à l'idée de rémunérer plus fortement les enseignants de ces établissements afin d'intéresser non seulement des jeunes, comme aujourd'hui, mais des personnels expérimentés ?
R - Je pense que la rémunération n'est pas la bonne solution. Non pas que je sois opposé à ce que ces enseignants soient mieux rémunérés. Mais cela fait une bonne dizaine d'années que l'on souhaite assurer dans les établissements difficiles la présence et la pérennité de personnels expérimentés. Et on n'y arrive pas. Les techniques utilisées jusqu'à présent (incitations financières, bonus pour les promotions, etc.) ont montré leurs limites. Nous pensons que la voie à suivre serait de recréer dans ces établissements des conditions de travail qui seraient analogues à celles qui existent ailleurs : avoir des classes moins chargées, alléger les horaires pour les élèves, favoriser le travail en équipe. Réduire le temps de travail dans ces établissements permettrait aussi de favoriser la formation de leurs enseignants. Evidemment, cela a un coût, et on en revient à la question des moyens.
Q - Que pensez-vous de l'idée de faciliter la transition entre la fin du primaire et le début du collège ?
R - C'est une bonne idée. La question est de savoir comment. S'il s'agit de créer un ensemble nouveau à partir de la dernière classe du primaire et la première classe du collège avec des personnels spécifiques, la réponse est non. S'il s'agit de donner plus de cohérence aux programmes respectifs de l'école et du collège, de faciliter la connaissance réciproque, y compris grâce à des échanges d'enseignants volontaires, c'est souhaitable. Il y a un vrai problème de passage d'un univers à l'autre. Mais il ne faudrait ni secondariser la fin du primaire ni primariser le début du collège. Je me méfie, par exemple, lorsque j'entends parler de bivalence.
Q - Parlons-en justement. Pourquoi êtes-vous méfiant ? Cela existe déjà : histoire-géographie, physique-chimie
R - Vous savez très bien que, lorsqu'on parle de bivalence, ce n'est pas de cela qu'il s'agit. Quand on parle de bivalence aujourd'hui, on pense, par exemple, à faire enseigner par le même professeur les mathématiques et la physique.
Q - Et pourquoi, cela ne serait pas possible ?
R - Il faut savoir que cela a existé et que si on y a renoncé, c'est parce que cela ne marchait pas bien. Pour la bonne raison que c'était très difficile pour les enseignants d'avoir le même niveau de qualification dans l'ensemble des matières. Mais alors, me direz-vous, pourquoi l'histoire-géographie ou les lettres classiques (français-latin) ne sont pas perçues comme des bivalences ? Cela tient tout simplement à l'histoire des disciplines et aux formations universitaires. Le problème est d'avoir des enseignants qualifiés qui maîtrisent les disciplines qu'ils enseignent. Et les bivalences hétéroclites ne permettent pas d'atteindre cette qualification. C'est la raison pour laquelle les enseignants sont très attachés à leur discipline.
Q - Est-ce que la formation professionnelle ne permettrait pas de résoudre partiellement le problème ?
R - Dans certains cas, peut-être. En réalité, si l'on voulait avoir des enseignants bivalents efficaces, il faudrait augmenter sensiblement la période initiale de formation universitaire. Est-ce que cela en vaudrait la peine ?
Q - Que pensez-vous de l'idée d'une formation professionnelle en alternance des enseignants de collège étalée sur deux ans ?
R - Pourquoi penser seulement aux enseignants des collèges ? Aujourd'hui, l'échec scolaire, c'est dans le primaire qu'il se cristallise. Globalement, il faut améliorer la formation des maîtres. Cette amélioration peut passer par un allongement de la formation professionnelle. Un an, c'est trop court. Mais il ne faudrait pas que cet allongement du temps de formation retarde la titularisation. Notre schéma, ce serait plutôt de proposer une année de stage et une année de service allégé pour faciliter l'adaptation au premier emploi et permettre un aller-retour entre le terrain et la formation. Le risque du concept d'alternance, qui transparaît dans le projet Fillon, c'est la séparation entre la théorie et la pratique. A nos yeux, l'un des enjeux de la formation des maîtres, c'est le lien entre la théorie et la pratique, avec notamment le recours à la recherche en éducation pour faire ce lien. Il faut que les enseignants soient capables de penser les évolutions de leurs pratiques.
Q - Est-ce que la filière professionnelle devrait devenir un axe majeur de la politique éducative ? Que pensez-vous de l'idée d'avoir des lycées de métiers ?
R - Je ne pense pas qu'il faille concevoir l'initiation aux métiers comme la manière de revaloriser la voie professionnelle. On peut sans doute concevoir cette initiation comme faisant partie de la formation générale de tous les jeunes, quelle que soit la filière à laquelle ils se destinent. Par ailleurs, il ne faut pas perdre de vue qu'il faut augmenter le nombre de bacheliers et le nombre d'étudiants. Autrement dit, la filière professionnelle devrait avoir une double finalité : débouchés sur des métiers (filières courtes), mais aussi permettre des études plus longues pour ceux qui le souhaiteraient. Il faut donc avoir des passerelles entre les voies technologiques et les cursus plus généraux.
Q - L'idée d'avoir des lycées de métiers ne vous emballe pas
R - Nous sommes réticents à la tentation de systématiser ce concept. Dans certains métiers (l'hôtellerie, par exemple), cela a un sens. Dans d'autres cas, il n'est pas évident que cela vaille le coup.
Q - L'idée consistant à mettre fin à la séparation entre Universités, Grandes Ecoles et Centres de recherches vous paraît-elle judicieuse ?
R - C'est une affaire délicate. Il faut sans doute favoriser la mise en réseaux de ces différents lieux d'enseignement. Ce que nous voulons surtout éviter, c'est de déboucher sur un système où il y aurait des pôles d'excellence et des universités du tout venant. Il faut surtout se poser la question de l'architecture générale et essayer de répondre à la question de savoir comment favoriser la réussite des étudiants, notamment ceux du premier cycle universitaire. Je veux ajouter ceci : il me paraît indispensable de raisonner en termes de pré-recrutement. Dans quelques années, on va avoir une tension entre les débouchés dans le privé et ceux dans le public. Le pré-recrutement permettrait d'avoir des étudiants rémunérés qui s'engageraient, comme c'était le cas autrefois, à travailler un certain nombre d'années dans l'éducation nationale. C'est une voie qui faciliterait, en outre, l'accès à l'emploi d'étudiants de milieux modestes.
(Source http://www.deputessocialistes.fr, le 1er avril 2005)