Texte intégral
Mesdames et Messieurs,
La question de l'emploi des seniors sera au cur de notre débat économique et social pour les mois à venir. C'est d'ailleurs un défi que nous partageons avec nombre de pays en Europe et en dehors de l'Europe, et le G8 des ministres de l'emploi qui s'est tenu à Londres sous présidence britannique la semaine dernière en a fait l'un des thèmes de ses travaux.
Même si " le vieillissement de la population n'est pas une malédiction sociale " comme le rappellent à juste titre les premiers mots du rapport annuel de l'IGAS, les évolutions démographiques à venir sont potentiellement lourdes de conséquences. Nous devons nous y préparer. Nous devons relever, ensemble, ce défi.
C'est donc tout naturellement et avec le plus grand plaisir que j'ai accepté de clôturer vos travaux d'aujourd'hui.
Ce colloque revêt à mes yeux une double importance.
D'abord, au moment où s'engage une importante négociation sur le sujet, je suis persuadé que le débat d'idées et la confrontation d'expériences sont autant de manières d'alimenter nos réflexions, à tous (politiques, partenaires sociaux, entrepreneurs, salariés), pour que nous soyons à même d'apporter les réponses les plus adaptées. Vos débats d'aujourd'hui en constituent d'ailleurs la preuve évidente.
Ensuite, j'y vois l'occasion d'insister sur l'engagement actif du Gouvernement en faveur de l'emploi des seniors. Comme l'a souligné Odile Quintin tout à l'heure, c'est une nécessité dans le cadre de la stratégie européenne de l'emploi et la Commission européenne nous invite dans le dernier rapport conjoint sur l'emploi à définir une stratégie globale détaillée en la matière, Certes beaucoup reste à faire, mais nous ne partons pas de zéro, loin s'en faut. J'y reviendrai.
Si vous le voulez bien, je passerai brièvement sur le constat. Il a été établi et affiné par de nombreux rapports. Je pense ici notamment aux rapports du Conseil d'orientation des retraites, du Conseil économique et social, de l'IGAS, de l'OCDE, aux analyses de l'INSEE. J'observe d'ailleurs que l'OCDE a reconnu que la France était très en avance quant au diagnostic porté sur le très faible taux d'emploi des seniors.
Ce diagnostic est, je crois, non seulement bien établi, mais aussi désormais largement partagé.
Les politiques menées en France depuis les années 1970 ont pesé sur notre taux d'emploi, et notamment sur le taux d'emploi des seniors et ceux-ci ont été trop longtemps dans notre pays la variable d'ajustement des restructurations.
Nous nous distinguons en effet de nos voisins européens par un taux d'emploi des plus de 55 ans significativement plus bas : il était en 2003 de 37 % chez nous contre près de 42 % en moyenne chez nos partenaires. Nous sommes encore bien loin de l'objectif de 50 % fixé en 2001 au sommet de Stockholm pour l'horizon 2010.
Nous nous sommes toutefois fixés des objectifs intermédiaires ambitieux d'ici 2008, dans le cadre du Plan national d'action pour l'emploi 2003 : nous avons ainsi prévu de relever de 5 points le taux d'emploi des plus de 55 ans et de faire reculer d'un an et demi l'âge moyen de cessation d'activité en 5 ans (pour le porter à 59 ans).
Pour ce faire, le gouvernement s'est engagé depuis maintenant plus de deux ans dans une politique volontariste de réformes visant à améliorer le maintien et le retour à l'emploi des personnes de plus de 50 ans.
Cette politique a pris plusieurs formes.
D'une part, nous avons considérablement resserré les conditions d'accès aux préretraites publiques et privées. J'ai donnerai un exemple : en 1993, le nombre de bénéficiaires de conventions ASFNE était de 60.000, il n'est plus aujourd'hui que de l'ordre de 7.000. Et si ce mouvement s'est esquissé dès avant la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites, cette loi a accentué très nettement cette orientation. Elle a ainsi prévu, je vous le rappelle, la suppression des préretraites progressives, le recentrage du dispositif CATS sur la pénibilité et la taxation des préretraites d'entreprises qui bénéficiaient d'un traitement social très favorable.
Nous avons également souhaité favoriser le maintien en activité des salariés âgés. La loi du 21 août 2003 offre à cet égard de nouveaux outils. Je pense à la création d'une surcote, à la réforme des conditions de mise à la retraite d'office, à la refonte de la retraite progressive ou encore à l'assouplissement des conditions du cumul entre emploi et retraite.
Ce maintien dans l'emploi est aussi encouragé par un accès renforcé à la formation professionnelle. En cela, la loi du 4 mai 2004 qui a transcrit l'important accord interprofessionnel de décembre 2003 marque une étape importante. Ce n'est en effet que si les salariés sont formés tout au long de la vie qu'ils seront réellement armés pour la seconde partie de leur vie professionnelle. Vous connaissez les nouvelles dispositions de la loi : bilan de compétences obligatoire après 20 ans de carrière, priorité d'accès à la VAE après 45 ans, mise en place des périodes de professionnalisation
Parallèlement, l'Etat a réorienté ses propres outils pour appuyer le développement de la formation en faveur des salariés âgés : rénovation des instruments de la politique contractuelle, refonte du dispositif d'appui conseil.
Le maintien en activité des personnes de plus de 50 ans suppose aussi l'adaptation de leurs conditions de travail.
L'amélioration des conditions de travail, l'organisation du travail et la qualité de vie au travail pour tous les âges sont des éléments qui contribuent à favoriser le maintien dans l'emploi des salariés dans leur seconde partie de carrière.
Dans ce cadre, j'ai présenté le plan de santé au travail 2005-2009 le 17 février 2005 qui prévoit notamment la création d'une agence publique de la santé au travail, le renforcement de l'efficacité du contrôle du respect de la réglementation, par une présence accrue des services de l'Etat sur le terrain et des efforts de formations à leur intention, et la promotion de la culture de prévention en entreprise (par le biais notamment de contrats d'objectifs conclus avec les services de santé au travail).
Mais, au-delà du maintien dans l'emploi, nous avons aussi voulu favoriser le retour à l'emploi des plus de 50 ans en dynamisant le marché du travail.
C'est ainsi que la loi du 21 août 2003 a réformé la contribution Delalande pour limiter son effet désincitatif au recrutement de salariés en seconde partie de carrière.
C'est ainsi que les contrats aidés vont être mobilisés pour aider les seniors les plus éloignés de l'emploi à retrouver une activité, dans le secteur marchand, mais aussi dans le secteur non marchand.
Ainsi, les contrats d'avenir pourront être mobilisés dans des conditions particulièrement favorables pour les personnes de plus de 50 ans : ils pourront pour ce public être étendus de 2 à 5 ans.
Ce sont aussi les acteurs et les partenaires du service public de l'emploi qui se mobilisent autour de cet objectif.
C'est en particulier le cas de l'AFPA qui s'est engagée ces dernières années dans une démarche de prise en compte de la spécificité des personnes de plus de 50 ans dans les actions de formation qu'elle mène en direction des personnes rencontrant des difficultés d'insertion. L'action de l'AFPA en matière de gestion des âges est clairement affichée dans le 3e contrat de progrès 2004-2008 signé avec l'Etat.
De même, l'ANACT, dans le cadre de son 3e contrat de progrès 2004-2008, a fait de son action en faveur de la gestion des âges tout au long de la vie l'une de ses priorités et travaille à la création d'un observatoire de la gestion des âges.
Enfin les organismes d'assurance chômage se mobilisent en faveur du retour à l'emploi des personnes de plus de 50 ans. Une aide dégressive à l'employeur est ainsi versée par l'UNEDIC pour l'embauche de toute personne âgée de 50 ans et plus inscrite depuis plus de 3 mois à l'ANPE.
Si je tenais ici à insister sur les réformes déjà entreprises, ce n'est pas pour me livrer à un plaidoyer pro domo.
Mais il m'est apparu important de rappeler que les réformes entreprises offrent d'ores et déjà de premiers outils. Il nous appartient à tous de nous en saisir.
Je sais aussi que ces réformes, dont les effets ne se feront sentir qu'à moyen terme, méritent d'être consolidées et amplifiées.
De fait, nous avons encore beaucoup de chemin à parcourir. J'en veux pour preuve plusieurs signes.
D'abord, la prise de conscience des enjeux liés à l'emploi des seniors ne progresse que lentement. Les entreprises et les branches commencent seulement à être sensibilisées -et encore de manière très inégale-, et sont encore à la recherche de nouvelles modalités d'action.
J'observe en particulier que la tentation de la cessation anticipée d'activité demeure prégnante tant pour les entreprises que pour les salariés. Je le vis d'ailleurs tous les jours dans l'exercice de mes fonctions ministérielles
Nous devons rompre avec ces " mauvaises habitudes " : le recours massif aux mesures d'âge dans les années 1980 et 1990 a nourri un consensus social autour d'une gestion de l'emploi par les âges et la cessation anticipée d'activité. C'est cette représentation collective qu'il nous faut combattre.
Ensuite, notre tâche est rendue plus ardue par le maintien d'un taux de chômage élevé. Dire qu'il faut relever le taux d'emploi des seniors quand le taux de chômage global atteint 10 % exige un travail de pédagogie. C'est d'ailleurs ce que faisait remarquer avec force mon collègue allemand il y a quelques jours au G8.
Pourtant, l'expérience montre que la pratique généralisée de la cessation anticipée d'activité n'a pas permis dans notre pays de favoriser l'emploi des autres catégories et notamment des jeunes. Et les expériences étrangères soulignent a contrario que les pays qui ont réussi à relever le taux d'emploi des salariés âgés sont aussi ceux qui ont réussi à faire baisser le chômage. Je pense ici à la Finlande, aux Pays-Bas ou au Royaume Uni.
A cet égard, je crois justement possible de tirer quelques enseignements des expériences étrangères. Il n'y a pas de modèle unique de réussite. Mais on peut, me semble-t-il, identifier quelques facteurs de succès en observant les pays ayant réussi à relever sensiblement le taux d'emploi des seniors dans les années récentes.
Sans m'attarder sur l'expérience de pays qui misent sur une plus grande flexibilité du marché du travail ou sur le report de l'âge légal de la retraite, les expériences étrangères mettent en évidence l'efficacité des politiques globales de gestion des âges au travail : c'est en mettant l'accent sur l'évolution des mentalités,et la lutte contre les discriminations, c'est en mobilisant activement les services de l'emploi, c'est en traitant simultanément d'amélioration des conditions de travail, d'accès à la formation, d'assouplissement des organisations du travail, c'est en donnant la priorité à une politique active de l'emploi pour l'ensemble des classes d'âge que l'on progresse pour l'emploi des seniors.
J'ai en définitive la conviction que ce sont les conditions d'emploi des salariés avant 50 ans qui favoriseront leur maintien ou leur retour dans l'emploi en fin de carrière. Il nous faut donc agir de manière coordonnée sur une multiplicité de leviers.
Je mesure donc pleinement l'ampleur de la tâche qui nous reste à accomplir.
Voilà pourquoi, avec Jean-Louis Borloo, nous avons décidé, dès notre entrée en fonctions, d'inscrire la question des seniors en tête de nos préoccupations. Et, pour cela, nous avons retenu une méthode : celle du dialogue social. Les échanges que j'ai pu avoir à Londres avec des représentants de partenaires sociaux démontrent la pertinence de cette méthode.
Conformément aux principes posés par la loi du 4 mai 2004, nous avons consulté les partenaires sociaux pour voir avec eux s'ils souhaitaient engager une négociation interprofessionnelle sur ce sujet. Je me félicite qu'ils aient répondu à l'invitation du Gouvernement, faisant en cela la preuve de leur sens des responsabilités.
La première réunion entre partenaires sociaux s'est tenue la semaine passée. Bien sûr, il ne m'appartient pas à ce stade de me prononcer sur cette négociation dont j'attends beaucoup. Mais il me semble d'ores et déjà que le sens de leur démarche est très positif. Je souhaite qu'ils puissent conclure un accord dans le courant de l'année 2005.
L'Etat prendra aussi, de son côté et sans préjuger du résultat des négociations, ses responsabilités.
Le Premier ministre a ainsi annoncé, dans le cadre du " contrat France 2005 ", la mise en uvre d'un plan d'action concerté d'ici l'été. Jean-Louis Borloo et moi-même en auront la responsabilité.
D'ores et déjà, et conformément aux préconisations de l'IGAS, j'ai mis en place un groupe de travail inter-directions au sein du pôle de cohésion sociale. Et je compte l'élargir à l'ensemble des administrations et organismes concernés pour l'inscrire dans une nécessaire démarche interministérielle. Ce groupe de travail aura pour mission d'identifier et d'expertiser l'ensemble des leviers d'action des pouvoirs publics.
C'est sur la base de ces travaux que pourraient être proposées, d'ici la fin du premier semestre, des perspectives pour l'action. Ces propositions devront naturellement faire l'objet d'une concertation avec l'ensemble des partenaires sociaux afin d'articuler les actions qui relèvent de la responsabilité de l'Etat et celles qui sont du champ du dialogue social. C'est sur ce fondement que sera présenté le plan d'action concerté.
La démarche de l'Etat et celle des partenaires sociaux ont ainsi bien vocation à converger et se compléter afin d'assurer une mobilisation générale en faveur d'une remontée substantielle du taux d'emploi des seniors.
Soyons clairs. Je souhaite que les leviers d'action qui seront examinés dans ce cadre le soient sans tabou. Ces leviers sont, je l'ai dit, multiples. Les récents rapports de l'IGAS et de l'OCDE l'ont bien montré. Leurs propositions ne manqueront pas de nourrir notre réflexion.
Je considère en effet que les pistes que nous avons à explorer doivent l'être tout à la fois de manière large et de manière exhaustive. Nous ne pouvons nous limiter à une approche strictement centrée sur les seniors. Cela reviendrait en définitive à déplacer les difficultés d'une classe d'âge vers une autre. Je crois au contraire qu'il nous faut aborder les différentes problématiques de manière transversale concernant tous les âges.
J'invoquerai trois exemples à mes yeux emblématiques.
Le premier concerne la gestion des temps de travail. Depuis trop longtemps, nous sommes prisonniers d'une vision trop restrictive du temps de travail géré à l'échelle de la semaine, au mieux de l'année. Je crois pour ma part qu'il va falloir réfléchir à une gestion du temps de travail tout au long de la vie active. Le compte épargne temps, qui vous le savez est actuellement en cours de réforme, offre de premières opportunités. Mais, pour prendre en compte l'allongement de la vie active, il faut sans doute réfléchir à des systèmes permettant une meilleure gestion des carrières et, partant, des fins de carrières. Sur ce point, je constate d'ailleurs que les pays qui ont le taux d'emploi des seniors le plus élevé sont aussi ceux où le temps partiel est le plus répandu.
Deuxième exemple : les conditions de travail. J'ai déjà évoqué le Plan santé travail. L'amélioration des conditions de travail constitue sans nul doute l'une des réponses au maintien dans l'emploi des salariés âgés. La négociation sur la pénibilité est engagée. Elle est à mes yeux fondamentale. Il nous faut prioritairement prévenir toute usure prématurée au travail. Nous voyons aujourd'hui des jeunes gens, par exemple dans l'industrie agro-alimentaire, atteints, à moins de trente ans, de graves troubles musculo-squelettiques, particulièrement handicapants. Cela n'est pas acceptable.
Troisième exemple : le développement de nouvelles formes d'activité. On observe aujourd'hui le développement de nouvelles formes d'activité, qui échappent au cadre salarial traditionnel. Les entreprises y trouvent souvent plus de flexibilité, mais cela correspond aussi à une aspiration de certains actifs à plus de souplesse dans leur activité professionnelle. Je pense en particulier au portage salarial auquel ont principalement recours des salariés de plus de 50 ans. Faut-il encourager le développement de ces nouvelles formes d'activité comme moyen d'une meilleure gestion des âges ? Je crois que la question est ouverte. J'ai d'ailleurs mis en place récemment un groupe de travail sur ce sujet.
Vous le voyez, beaucoup a déjà été fait. Mais beaucoup reste à faire. Dans tous les pays confrontés au vieillissement démographique, il s'agit de procéder à une véritable " révolution culturelle ", c'est dire l'ampleur de la tâche. Voilà pourquoi nous engagerons d'ici la fin de l'année une grande campagne nationale d'information et de sensibilisation pour montrer que les seniors sont une richesse pour l'emploi et l'économie. Il faut mettre à bas les préjugés et valoriser l'expérience. Nous devons faire en sorte de bâtir un nouveau consensus social.
Vos travaux d'aujourd'hui participent pleinement de cette démarche. Vos débats ont ainsi été l'occasion d'examiner dans le détail les différents leviers d'actions, mais aussi de rappeler l'importance des défis à venir.
Voilà pourquoi je souhaitais vous remercier pour votre implication, avec bien entendu une mention toute particulière pour l'IGAS et Mme Bonnet-Galzy pour avoir organisé ce colloque.
Je vous remercie.
(Source http://www.travail.gouv.fr, le 17 mars 2005)