Interview de M. Dominique Galouzeau de Villepin, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales, à Europe 1 le 1er avril 2005, sur les arguments en faveur du "oui" au référendum sur le traité constitutionnel européen.

Prononcé le 1er avril 2005

Média : Europe 1

Texte intégral

QUESTION : L'homme qui a une double expérience à l'Intérieur et aux Affaires étrangères. D. de VILLEPIN, bonjour, bienvenue à Europe 1. Le monde est déjà bouleversé : la douloureuse agonie du Pape s'achève, peut-être. Jean-Paul II vit ses derniers moments. Je pense que l'on peut dire que personne aujourd'hui ne peut cacher son émotion.
Dominique GALOUZEAU de VILLEPIN : Oui, beaucoup d'émotion, beaucoup de respect, pour l'homme de paix, pour l'homme de foi qu'il est. Beaucoup d'admiration aussi pour le grand Européen, parce que je n'oublie pas qu'il a joué un rôle déterminant dans la chute des murs en Europe, il a contribué à faire de notre Europe une terre de liberté, une terre réunifiée, et à quelques mois de grandes échéances pour notre pays, il a su rassembler les Européens autour de cet objectif, de cet idéal de liberté.
QUESTION : Et son si long pontificat, on peut le dire, et vous pouvez le dire, a marqué le siècle et peut-être aussi changé et l'Europe et le monde.
Dominique GALOUZEAU de VILLEPIN : Oui et changé l'église. Il y a là le poids d'un homme, le poids d'une conviction, le poids d'un engagement à la fois spirituel mais aussi physique. Il y a une marque, une marque forte d'une personnalité.
QUESTION : Croyants ou pas, nous avons tous une dette, et on le dit ce matin, à l'égard de Jean-Paul II.
Dominique GALOUZEAU de VILLEPIN : C'est vrai.
QUESTION : Tous les dirigeants sont, étaient, sur le front, en première ligne, pour l'Europe : messieurs RAFFARIN, SARKOZY, HOLLANDE, BAYROU... Il ne manquait que vous, en tout cas pour le moment. Les partisans du "non", D. de VILLEPIN, sont confiants. Est-ce qu'un "non", venu des profondeurs du pays, peut aujourd'hui gagner, comme un bras d'honneur aux dirigeants du moment ?
Dominique GALOUZEAU de VILLEPIN : Dans toute démocratie et dans tout rendez-vous démocratique, bien sûr les deux sont possibles, le "oui" comme le "non". C'est bien pour cela que nous devons tous, en conscience, faire ce choix et J. CHIRAC a choisi le référendum et c'est un honneur pour la démocratie française. Nous avons, nous, Français, à nous interroger chacun, et on sait à quel point partout en Europe, on nous regarde. C'est un grand débat, parce que c'est une aventure sans précédant que celle de l'Europe : 25 pays démocratiques qui se rassemblent pour créer une démocratie européenne et se doter d'une Constitution. Ne l'oublions pas, une Constitution, c'est deux choses : c'est bien sûr une règle commune d'organisation - nous passerons de 15 à 25, j'ai été à la table du Conseil européen et je sais à quel point...
QUESTION : Combien c'est difficile à 15, alors à 25 !
Dominique GALOUZEAU de VILLEPIN : Et à 25, nous avons besoin de cette règle commune, de cette règle d'organisation, et puis une Constitution, ce sont aussi des valeurs communes. Ne l'oublions pas, les valeurs que porte cette Constitution sont très largement des valeurs d'inspiration française. Que l'on parle du modèle social, que l'on parle du modèle culturel - de l'exception culturelle -, que l'on parle des services publics, que l'on parle du citoyen, il s'agit bien du citoyen issu de la Révolution de 1789. C'est un motif de fierté pour les Français.
QUESTION : Vous dites que le "non" n'est pas impossible, c'est-à-dire qu'il faut être prêt, aujourd'hui, à vivre une crise et est-ce que vous, vous l'êtes, prêt ?
Dominique GALOUZEAU de VILLEPIN : Nous devons d'abord être prêts à une grande explication. Je pense que nous sommes dans un temps de questions. A deux mois d'une échéance, les Français se posent des questions et contrairement à ce que l'on croit, le combat c'est beaucoup moins celui qui se déroule entre les tenants du "oui" et les tenants du "non". C'est un combat et un questionnement qui se passent en chacun de nous. Nous nous posons tous des questions et nous avons raison, et parmi ces questions, je voudrais vous donner mon expérience de ministre des Affaires Etrangères.
QUESTION : D'ex.
Dominique GALOUZEAU de VILLEPIN : D'ex ministre des Affaires Etrangères - je parle de l'expérience. Eh bien c'est vrai, le monde a besoin de l'Europe et a besoin d'une France très engagée dans l'Europe. Prenez l'exemple du droit, de la paix et de la justice. Nous avons soutenu l'idée d'une Cour pénale internationale, les Américains ont marqué leur réticence. Prenez l'exemple de la santé, nous nous sommes battus et nous nous battons pour régler les grands problèmes d'épidémiologie, le sida par exemple... nous battre pour défendre l'idée d'un clonage qui ne soit pas un clonage...
QUESTION : D'accord, mais vous êtes ministre de l'Intérieur, avec cette Constitution pour l'Europe à 25...
Dominique GALOUZEAU de VILLEPIN : Elle est essentielle.
QUESTION : ... est-ce qu'honnêtement, c'est plus de sécurité ?
Dominique GALOUZEAU de VILLEPIN : Mais évidemment. J'en viens à cette expérience d'aujourd'hui, de ministre de l'Intérieur. Qu'il s'agisse du terrorisme, le terroriste il ignore les frontières. Nous avons besoin de nous mettre tous ensemble pour échanger nos informations, coordonner nos réseaux de renseignements, coordonner nos réponses.
QUESTION : Mieux que ce que vous pouvez faire aujourd'hui ?
Dominique GALOUZEAU de VILLEPIN : Mais bien sûr, c'est essentiel. L'Europe nous apporte un plus, un plus à 25, un plus quand nous sommes capables de réunir les pays les plus engagés, c'est ce que nous faisons dans le cadre du G5, c'est vrai, contre l'immigration irrégulière. Face à l'immigration irrégulière, nous le voyons, les pays européens agissent aujourd'hui trop souvent en ordre dispersé. Grâce à la Constitution nous aurons les outils pour répondre.
QUESTION : En ce moment, le chômage augmente. Est-ce que ce n'est pas un handicap pour le référendum et qu'est-ce qui garantit que l'Europe à 25, D. de VILLEPIN, c'est plus du gouvernement économique et plus d'emplois ?
Dominique GALOUZEAU de VILLEPIN : C'est plus de règles, plus de valeurs et donc plus de protection pour nos compatriotes. Et sur la question de l'emploi, l'on voit bien que nous sommes aujourd'hui devant des grands ensembles économiques, un milliard trois cent millions de Chinois, plus d'un milliard d'Indiens, trois cent millions d'Américains, soixante millions de Français. Est-ce que nous ne sommes pas plus forts dans un ensemble de quatre cent cinquante millions d'Européens, avec une fois de plus une Constitution qui s'appuie sur un modèle social, qui est sans précédant. Nous sommes plus forts et si nous disons "non", eh bien nous serons rendus à la réalité du monde, qui elle est grands vents d'une mondialisation, trop souvent mal maîtrisée, les grands vents d'un ultra libéralisme face auquel nous sommes parfois démunis. Donc, nous sommes plus forts à 25.
QUESTION : Je vous écoute et je me dis, dans votre esprit, en continuant, le XXIème siècle devrait être alors un siècle de l'Europe.
Dominique GALOUZEAU de VILLEPIN : Mais le XXIème siècle sera un siècle européen et c'est pour cela que la France doit être en tête de cette Europe. Nous l'avons conduite. Nous l'avons conduite depuis les origines, nous l'avons pensée, nous devons, à l'heure de ce grand rendez-vous, parce que ne l'oublions pas, ce rendez-vous c'est quoi, c'est le passage d'une Europe technique, d'une Europe économique à une Europe politique. Nous allons prendre notre destin en mains, nous allons nous affirmer sur la scène internationale avec nos valeurs. La France, dans ce domaine, a une responsabilité
majeure.
QUESTION : Je pense que vous avez regardé hier N. SARKOZY sur France 2...
Dominique GALOUZEAU de VILLEPIN : Tout à fait, avec beaucoup d'intérêt.
QUESTION : Voilà, il a parlé d'économie, de l'Europe - ardent défenseur et avocat du "oui" - des institutions de 2007. Il affirme que rien n'interdit à l'UMP de présenter un candidat contre le Président sortant devenu simple candidat. Votre avis ?
Dominique GALOUZEAU de VILLEPIN : J'ai écouté avec beaucoup d'intérêt les propositions présentées par N. Sarkozy.
QUESTION : J'en suis sûr.
Dominique GALOUZEAU de VILLEPIN : Je crois qu'il ne faut pas se poser toutes les questions en même temps. Il y a un débat aujourd'hui qui préoccupe les Français : l'emploi, le pouvoir d'achat, l'Europe. Ce sont des questions qui nous engagent au quotidien.
QUESTION : N'empêche que vous êtes tous, que vous le vouliez ou pas, avec la perspective, après le référendum, d'autre chose, pour les uns comme pour les autres, y compris vous (sic).
Dominique GALOUZEAU de VILLEPIN : Eh bien je crois que pour 2007, c'est un petit peu comme pour les 24 Heures du Mans : il ne s'agit pas de se mettre en position de départ trop tôt, sans quoi le moteur risque de crier. Donc je crois qu'il faut prendre patience, ce sont des questions qui se poseront le moment venu. Est-ce qu'il y aura un candidat, deux candidats, trois candidats pour la majorité ? Je vous le dis très franchement, J.-P. ELKABBACH, ce n'est pas la préoccupation des Français.
QUESTION : D'accord, mais vous pensez que l'on peut avoir des primaires à droite, dans votre camp, et en quoi c'est choquant ?
Dominique GALOUZEAU de VILLEPIN : Ce n'est pas l'esprit des institutions de la Vème République et ce n'est pas la pratique dans la famille politique qui est la mienne. Pourquoi ? Je suis gaulliste, je suis dans une famille politique qui a posé comme règle...
QUESTION : Lui aussi.
Dominique GALOUZEAU de VILLEPIN : ... comme règle première le rassemblement. Je crois qu'il faut se rassembler, se rassembler sur l'essentiel, et aujourd'hui, l'essentiel, pour moi, c'est une fois de plus répondre aux préoccupations des Français.
QUESTION : Est-ce une manière, comme le disait tout à l'heure C. Barbier, de décourager, éventuellement, J. Chirac de se présenter le moment venu ?
Dominique GALOUZEAU de VILLEPIN : Ecoutez, je ne veux pas faire de procès d'intention à N. SARKOZY. Chacun réagit avec son tempérament, chacun réagit avec son expérience. Mais l'expérience qui est la mienne c'est qu'il y a un temps pour chaque chose et qu'il convient aujourd'hui de se concentrer sur les préoccupations des Français.
QUESTION : Aujourd'hui, le grand parti de la majorité est engagé dans la campagne européenne. Mais est-ce que l'UMP c'est le parti du président Sarkozy ou le parti du président de la République, aujourd'hui, pour les Français ?
Dominique GALOUZEAU de VILLEPIN : J.-P. ELKABBACH, querelle de théologie. L'UMP, c'est le grand parti de la majorité...
QUESTION : Mais on fait de la politique aussi avec de la théologie, vous l'avez vu avec Jean-Paul II.
Dominique GALOUZEAU de VILLEPIN : Eh bien la politique, c'est quoi ? La politique c'est quoi - et je vous le dis comme ministre, membre et solidaire d'un Gouvernement - la politique c'est quoi ? C'est aujourd'hui d'appuyer l'effort d'un Gouvernement dans une période difficile. J'accepte bien volontiers, et je sollicite toutes les propositions qui peuvent venir de l'UMP, parce qu'elles m'encouragent à agir. Dans le domaine de l'immigration irrégulière, je viens de recevoir un certain nombre de parlementaires de l'UMP pour préciser les propositions que je serai amené à faire au président de la République et au Premier ministre. Je vais rencontrer, comme je l'ai fait, il y a quelques semaines, à nouveau, N. Sarkozy, pour préciser nos propositions. Je crois que c'est véritablement la bataille, aujourd'hui, qu'il faut mener, une bataille très concrète, très précise et qui n'est pas une bataille qui doit être nourrie par des arrières pensées.
QUESTION : Vous n'en avez aucune ?
Dominique GALOUZEAU de VILLEPIN : Aucune.
QUESTION : C'est-à-dire que vous êtes clair, vous allez là où vous allez, vous aussi, en pensant...
Dominique GALOUZEAU de VILLEPIN : Parce qu'il y a un combat à mener aujourd'hui pour la France.
QUESTION : Oui, en soutenant le Gouvernement dans lequel vous êtes.
Dominique GALOUZEAU de VILLEPIN : Mais tout à fait. Mais on ne peut rien faire aujourd'hui sans solidarité, les Français le savent bien, à l'heure où ils s'interrogent pour l'Europe. Nous sommes plus forts si nous sommes unis, c'est vrai en France, c'est vrai en Europe.
QUESTION : Est-ce que vous, vous êtes flatté ou agacé quand vous voyez la presse souligner avec beaucoup de force, tantôt votre impatience ou vos offensives, tantôt votre jovialité nouvelle avec les élus et les gens, comme encore hier dans le RER ?
Dominique GALOUZEAU de VILLEPIN : Mais, la jovialité, c'est tout simplement le plaisir partagé de travailler avec les élus au quotidien pour essayer d'apporter des réponses. Vous savez, le seul vrai grand bonheur de la politique, c'est de faire des choses pour ceux que l'on aime, pour nos compatriotes. Ça c'est le devoir de la politique.
QUESTION : Mais vous êtes tous dans le même cas. D. de VILLEPIN, tôt ou tard, après le référendum, il n'est pas inélégant d'envisager le départ de Matignon du "Père Courage", J.-P. RAFFARIN. L'hypothèse, elle est probable, la date est incertaine. Comment on se prépare - vous n'allez pas me dire non - pour cette dure fonction de Premier ministre ?
Dominique GALOUZEAU de VILLEPIN : Mais on se prépare pour remplir d'abord sa mission, c'est la première exigence. Une fois de plus, poursuivre plusieurs lièvres à la fois, se détourner de l'objectif et de la mission qui m'a été confiée par le Premier ministre et par le président de la République, je trouve cela déplacé. Il s'agit donc de faire face, de faire face, d'appuyer dans mon secteur, et croyez bien que le nombre de sujets dans mon secteur, puisque, au cur du ministère de l'Intérieur, il y a le pacte républicain, il y a la lutte contre le terrorisme...
QUESTION : D'accord, mais quand on vous écoute, ceux qui vous écoutent disent : si ça lui arrivait, si le président de la République le décidait, est-ce qu'il est prêt, d'emblée et sans peur, à y aller ?
Dominique GALOUZEAU de VILLEPIN : Je l'ai souvent dit, J.-P. Elkabbach, j'ai toujours accepté les missions que me confiait le président de la République...
QUESTION : Autrement dit, vous êtes prêt.
Dominique GALOUZEAU de VILLEPIN : Mais je suis membre d'une équipe, avec un Premier ministre qui mène un combat difficile et courageux. Nous n'avons pas d'énergie à gaspiller dans des combats qui aujourd'hui sont des combats d'arrière-garde, qui n'intéressent pas les Français. Menons véritablement cette
bataille à leur service.
QUESTION : Alors, je sais que vous nous quittez rapidement, là, ce matin, pour " le petit déjeuner du vendredi ". On avait entendu des éclats de voix, des éclats de mots, ça va mieux avec monsieur Raffarin ?
Dominique GALOUZEAU de VILLEPIN : Ça va toujours bien, ça va toujours d'autant mieux que chaque fois que j'éprouve le besoin de dire quelque chose au Premier ministre, il m'écoute, et que chaque fois que le Premier ministre fixe un cap, eh bien c'est ensemble, tous ensemble, dans le cadre du Gouvernement, que nous poursuivons...
QUESTION : Qui sait faire ou qui savait faire les premiers gestes de réconciliation, quand vous êtes fâché ?
Dominique GALOUZEAU de VILLEPIN : Vous savez, c'est toujours à un ministre d'être soucieux d'avancer et de répondre aux exigences de sa mission, donc bien évidemment, un bon ministre c'est certainement une grande ambition mais certainement aussi beaucoup d'humilité.
Jean-Pierre ELKABBACH : Bonne journée, à bientôt.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 5 avril 2005)