Déclaration et conférence de presse de M. Michel Barnier, ministre des affaires étrangères, sur l'aide internationale apportée à Haiti pour sa reconstruction, à Cayenne le 18 mars 2005.

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Circonstance : Conférence ministérielle sur l'aide à la reconstruction en Haïti, à Cayenne (Guyane) le 18 mars 2005

Texte intégral

(Déclaration de Michel Barnier, à Cayenne le 18 mars 2005)
Chers Amis, si vous le voulez bien, je voudrais vous proposer de débuter nos travaux. Mes premiers mots seront, Monsieur le Premier Ministre, Messieurs les Ministres, Chers Collègues, Mesdames et Messieurs les Secrétaires d'Etat et Ambassadeurs, Mesdames et Messieurs, pour vous dire mes remerciements très sincères pour avoir accepté de venir ici, à Cayenne, pour participer à cette réunion particulière et originale, d'en avoir compris l'esprit et d'avoir, avec tous vos collaborateurs, contribué, très efficacement à la bonne préparation de nos travaux.
Dix pays sont autour de cette table, dix pays que je veux saluer et d'abord vous-même, Monsieur le Premier Ministre Latortue avec plusieurs membres de votre gouvernement, la République dominicaine, le Mexique, l'Espagne, les Etats-Unis, le Chili, le Canada, le Brésil, l'Argentine et bien sûr, la France. Avec nous, autour de la même table, puisque nous devons travailler en mutualisant nos efforts, beaucoup de partenaires sans lesquels nous ne pourrons pas réussir et au premier rang desquels, je salue M. Valdès, les Nations unies - j'ai eu l'occasion de discuter avec Kofi Annan de cette initiative que nous avons prise et nous sommes très sensibles à votre présence - et également l'Organisation des Etats américains, CARICOM, la Banque inter-américaine de développement, la Banque mondiale et la Commission européenne.
Voilà tous ceux qui ont à coeur d'accompagner Haïti dans cette phase difficile dont nous allons dire quelques mots, les uns et les autres.
Pourquoi en Guyane ? Pourquoi Cayenne ? Je le dis, en saluant et en les remerciant de leur présence mon collègue et ami Léon Bertrand qui est ici et qui est le ministre français du Tourisme et qui est aussi, chacun le sait, un élu de cette région, mais, aussi les parlementaires de Guyane qui sont ici, Mme Taubira, le sénateur Othily, le Conseil général et la population de Guyane. La Guyane, c'est un endroit particulier, elle est au coeur de ce grand continent d'Amérique du Sud, elle est toute proche d'Haïti, tellement proche que 40.000 Haïtiens y sont venus dans la période la plus difficile et ont trouvé un accueil et une vie ici. Elle est aussi une région française et, comme vous toutes, comme vous tous, la France est préoccupée et soucieuse d'accompagner Haïti. Nous avons eu cette idée, je me souviens, en parlant avec mes collègues, MM. Moratinos et Pettigrew, et d'autres. Ce n'est pas une conférence mais une réunion de travail opérationnelle. Nous avions imaginé accueillir cette conférence en France mais, très franchement, plutôt que de vous proposer de vous retrouver sous les dorures du quai d'Orsay, j'ai trouvé que c'était beaucoup plus important et symbolique d'être ici, près d'Haïti, dans cette région de Guyane que je remercie beaucoup de nous accueillir, de manière un peu inhabituelle pour une conférence intergouvernementale. Je trouve que c'est bien ainsi que nous soyons tout près de vous et de votre population d'Haïti, Monsieur le Premier Ministre.
Je remercie tous ceux qui nous ont aidés à l'organiser : régions, département - le président Karam est derrière moi, il est le président actif de cette région et je l'en remercie ainsi que tous ses collaborateurs -, Monsieur le Préfet, et l'ensemble des services du ministère français des Affaires étrangères qui ont contribué, d'une manière ou d'une autre, à cet accueil. C'est aussi l'occasion pour nous de saluer l'ensemble de la population de Guyane et de lui dire, en ce qui nous concerne, à la fois comme ministre français des Affaires étrangères, mais aussi comme ancien commissaire européen, l'attention que nous continuerons de porter à cette région française, ultra-périphérique, comme l'une des priorités de l'action régionale de l'Union européenne.
En introduisant nos travaux, je voudrais vous dire dans quel esprit et comment nous allons travailler tout au long de cette journée.
Une année s'est écoulée depuis la démission du président Aristide, dans quelques mois, normalement en décembre 2005, les Haïtiens choisiront démocratiquement un nouveau président qui prendra ses fonctions dans un peu moins d'un an, le 7 février 2006. Nous sommes donc dans cette période de transition, à mi-parcours, et vous allez, Monsieur le Premier Ministre Latortue et Monsieur Valdès, l'un et l'autre, au nom d'Haïti et au nom des Nations unies très engagées dans cette phase de stabilisation, faire le bilan de cette année écoulée et surtout, nous dire, de votre point de vue, ce qui reste à faire.
Au-delà de ce bilan, notre objectif, avec cette réunion, est de mesurer précisément la tâche qui reste à accomplir dans le peu de temps avant les élections et de trouver ensemble les moyens pour réaliser concrètement ce dont le peuple haïtien a besoin.
Peut-être, puisque l'on parle du bilan, faut-il rappeler quel était l'état et la situation d'Haïti il y a une année et pourquoi l'ensemble de la communauté internationale, dans le cadre des Nations unies, s'est saisie de cette situation : une administration publique largement détruite, comme l'appareil judiciaire ; un pouvoir législatif qui avait disparu à défaut d'élections ; beaucoup d'insécurité avec des bandes armées ; et enfin, de très grandes difficultés économiques et donc beaucoup d'angoisse et d'inquiétude pour la population haïtienne, et en particulier pour les jeunes.
Un an après, que peut-on constater objectivement, impartialement : une situation sécuritaire en légère amélioration, mais avec beaucoup de rechutes ; un processus de désarmement qui n'a pas véritablement commencé ; la MINUSTAH commence à jouer, effectivement, un rôle de stabilisation et, depuis maintenant trois mois au moins, agit en bonne coordination avec le gouvernement haïtien et sa police ; une administration publique qui a toujours beaucoup de difficulté à se reconstruire mais qui donne des signes positifs dans un meilleur contrôle de la dépense publique - je le dis en me tournant vers le ministre des Finances d'Haïti qui est à nos côtés - ; un processus politique qui est entré dans une phase active de préparation pour l'échéance électorale et nous avons eu souvent l'occasion de dire, ici comme dans d'autres régions en crise, que la seule sortie possible, c'est la démocratie, ce sont les élections, c'est un processus démocratique avec la publication il y a un mois du décret qui fixe maintenant le calendrier électoral.
Quant à la population, puisque c'est d'abord à elle que nous pensons, aux hommes, aux femmes, aux jeunes d'Haïti, elle est partagée entre l'espoir, l'attentisme et beaucoup de scepticisme. Ses conditions de vie n'ont pas connu de grandes améliorations, elle constate toujours un écart entre l'annonce de la reprise de l'aide internationale il y a un an et le décaissement effectif des crédits. Il y a eu les aides d'urgence, c'est vrai, au mois de mars 2004 après les troubles politiques, en mai après les inondations dans l'est du pays, au mois de septembre après le cyclone "Jeanne", ce sont des aides d'urgence qui ont été perçues comme concrète mais comme toute aide d'urgence, elles sont limitées dans le temps. Cet écart constaté est donc réel et il est toujours difficile de relancer une machine qui a été arrêtée. Les procédures sont lourdes, il faut d'abord s'assurer de la fiabilité des nouveaux circuits mis en place. Les bailleurs de fonds ont trop souvent l'impression de déverser de l'aide sans mesurer sa véritable efficacité. Ils cherchent à s'entourer de garanties, l'expérience du passé nous a instruits de l'exigence de bien coordonner notre coopération et nos aides.
Voilà pourquoi l'élaboration préalable d'un cadre global, un cadre de coopération intérimaire a exigé beaucoup de mois.
Aujourd'hui, mes chers collègues, l'aide commence à arriver, elle commence à être visible, les travaux de proximité ou des projets plus ambitieux se mettent en place, la perception de notre action est en train de se modifier mais tout cela reste encore très diffus. Voilà dans quel contexte nous nous trouvons et voilà pourquoi nous avons souhaité rassembler l'ensemble de nos contributions concrètes, accélérer l'instruction des dossiers, leur maturation et faire savoir aux Haïtiens que tout le travail préalable qui a été accompli depuis un an est aujourd'hui en train de se concrétiser. Il s'agit de transformer la perception diffuse d'un début d'action internationale en prise de conscience collective, de créer un choc positif. Il ne s'agit plus d'annoncer des chiffres, encore moins de faire des discours, mais de dire précisément dans quel quartier, dans quel hôpital, dans quelle école, dans quelle zone rurale, les choses vont être améliorées concrètement, dans quel délai et sous quelle forme. Il s'agit d'améliorer ensemble, la perception, la communication sur l'effort que nous faisons à condition que l'effort soit concret et réel sur le terrain.
Nous sommes donc entre ministres, entre responsables, et notre objectif est naturellement un objectif politique au sens le plus noble de ce terme. Il faut convaincre ! Nous voulons convaincre les Haïtiens, non pas par des mots, mais par des actes, qu'ils ont un avenir, que cet avenir est dans leurs mains, qu'il leur appartient, et que nous sommes déterminés à les aider en respectant leur identité, la souveraineté d'Haïti, la différence et les institutions qui sont dans ce pays. Nous sommes déterminés à agir à leurs côtés, comme des partenaires, dans la durée, pour construire ce nouvel avenir. Il passe par la possibilité pour des milliers, pour des centaines de milliers de chômeurs que compte Haïti, de retrouver un emploi, car c'est par le développement économique, en même temps que par la réduction des injustices et par la démocratie que Haïti trouvera son nouvel avenir.
Chers amis, le document final que nous adopterons à l'issue de nos travaux sera, pour cette raison, d'un format inhabituel. Il ne s'agira pas d'une déclaration générale, mais d'une liste structurée de projets que les uns et les autres autour de cette table, et peut-être d'autres, nous voulons, nous nous engageons à mettre en uvre dans le courant de cette année cruciale pour Haïti et dont nous pensons qu'ils répondent aux préoccupations de la population dans sa vie quotidienne. Notre objectif pourra paraître modeste. Il sera en tout cas encadré et il est pour tous essentiel. Nous avons voulu que nos travaux soient marqués par le souci du pragmatisme que nos délégations soient peu nombreuses, que nous évitions les effets d'annonce - il y en a beaucoup eu - et que nous nous attachions à des actes opérationnels et concrets. Je crois que la communauté internationale, que nous sommes nombreux à représenter aujourd'hui, n'a pas le droit à l'échec. Ce serait trop grave pour le peuple d'Haïti, trop grave pour nous tous, ce serait un signal d'impuissance. Et c'est parce que nous partageons cette exigence et cette ambition, que nous nous sommes retrouvés aujourd'hui à Cayenne.
Avant de donner la parole au Premier ministre d'Haïti, M. Latortue, puis à M. Valdès, je voudrais vous dire quelques mots de l'ordre du jour qui vous a été proposé.
Après ces deux interventions qui viendront, nous aurons une première cession d'examen, des projets que, les uns et les autres, nous entendons développer dans le domaine des infrastructures et de la relance économique. Au nom de l'Union européenne, nos travaux seront introduits par la présentation des programmes que celle-ci veut développer dans ces domaines en particulier. Ce sera la première table ronde.
A l'occasion du déjeuner de travail qui suivra, avec les chefs de délégation et autour de la même table, nous allons aborder, comme c'est normal puisque les choses vont ensemble, les programmes liés au volet politique de notre action et je remercie notre collègue, le ministre canadien, de bien vouloir lui-même animer cette table ronde au cours du déjeuner de travail sur l'aspect politique et la stabilité. Chacun pourra dire son sentiment.
Et puis, la troisième table ronde, avant de terminer nos travaux, portera sur les accès aux services de bases et peut-être que la délégation des Etats-Unis pourrait introduire ce volet, par la présentation de ses propres projets
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 mars 2005)
(Point de presse de Michel Barnier, à Cayenne le 18 mars 2005)
Nous sommes réunis ce matin autour du Premier ministre Latortue et de quatre de ses ministres aux côtés du peuple haïtien. Je suis heureux de vous accueillir pour cette réunion de presse. Au-delà de ce que nous vous dirons, la déclaration politique finale de notre réunion, qui a fait l'objet d'un accord unanime de tous ceux qui sont autour de nous, présente une liste de 380 projets, étudiés dans le détail et sur lesquels nous nous engageons, les uns et les autres, pour leur réalisation effective, sous l'autorité et dans le cadre des responsabilités du gouvernement d'Haïti.
Nous avons donc beaucoup travaillé depuis le début de cette rencontre. Avant de vous dire quelques mots de manière plus détaillée, je voudrais remercier très chaleureusement les Guyanais, les autorités de cette région, de ce département qui nous ont donné une preuve nouvelle de leur tradition d'hospitalité, mon collègue Léon Bertrand, avec lequel j'avais imaginé de tenir cette conférence, les parlementaires dont plusieurs sont ici, le président de la région M. Karam, le préfet et toutes les équipes qui ont facilité l'accueil et l'organisation de cette conférence.
Il y avait pour nous, plusieurs raisons de choisir Cayenne, de manière exceptionnelle, en hommage à la tradition d'hospitalité de cette région où 40.000 Haïtiens sont venus vivre et nous avons une pensée particulière pour eux, comme pour tous les Haïtiens qui ont dû s'expatrier. Cette région européenne et française se trouve au cur de l'Amérique du Sud et très proche de vous Monsieur le Premier Ministre.
Voilà la raison pour laquelle nous nous sommes retrouvés ici, plutôt que sous les lambris et les dorures du ministère des Affaires étrangères à Paris ou dans un autre lieu officiel. Nous voulions donner à notre rencontre une dimension plus proche, plus humaine et de travail.
Pourquoi cette initiative ? Nous sommes ici dix pays représentés la plupart au niveau de leur ministre des Affaires étrangères, avec encore, naturellement, les Nations unies, qui sont le cadre dans lequel nous travaillons - je salue très amicalement Juan Gabriel Valdès qui est le représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies pour Haïti -, plusieurs organisations internationales ou communautaires, je pense à la Commission européenne, à la Banque mondiale, à la Banque inter-américaine de développement, la CARICOM, l'Organisation des Etats américains, qui accompagnent, qui suivent, qui sont présents sur le terrain.
Nous sommes tous attachés au sort et au destin d'Haïti. Nous avons tous été mobilisés ou concernés par les troubles, les drames, les injustices, après tant et tant d'années de privation de liberté. Par l'envoi de soldats, immédiatement, lorsqu'il a fallu rétablir la paix, puis par l'envoi d'autres soldats qui ont pris le relais, à travers la MINUSTAH, nous participons, les uns ou les autres, à la stabilisation de ce pays.
Mais, nous ne sortirons pas de cette crise seulement par des soldats et par de la stabilisation, on en sortira par la démocratie et par le progrès économique, social et humain. C'est de cela dont nous avons parlé. Bien sûr, nous avons parlé du processus démocratique et politique, bien sûr, nous avons parlé de la stabilité, de la sécurité, mais nous avons beaucoup parlé de projets concrets qui peuvent apporter une amélioration dans la vie quotidienne des Haïtiens.
Voilà comment, au travers de ce tableau de bord, de 380 projets, plus ou moins importants mais tous utiles, nous avons décidé de confirmer nos engagements dans 3 défis principaux :
- les infrastructures, routes, électricité et eau ;
- les services de base, la santé et l'éducation ;
- et la bonne gouvernance.
Voilà ce qui constitue cet agenda pour Haïti, qui est décrit dans le tableau de bord dont vous avez le détail, à travers ces 380 projets. Ne me faites pas dire ce que je ne dis pas : ces 380 projets, nous nous engageons à les réaliser avec le gouvernement d'Haïti - pour chacun d'entre eux, vous avez le pilote ou le co-pilote derrière -, mais cela ne veut pas dire que tous seront réalisés comme par un coup de baguette magique, dans les 6 ou 7 mois qui viennent. Néanmoins, nous allons mettre toutes nos énergies, toutes nos compétences et de l'argent, 750 millions d'euros, au service de ces projets que nous allons suivre ensemble. A la demande et selon la suggestion de notre collègue et ami, Pierre Pettigrew, qui est ici, nous nous retrouverons dans quelques mois, au Canada, dans la même formation, pour faire le suivi de ces projets.
C'est une action concrète, aux côtés des Haïtiens, en respectant ce pays, ses institutions qui renaissent, la démocratie qui y est espérée. Nous nous inscrivons donc dans une démarche de partenaires et en mutualisant nos efforts.
Voilà la philosophie de cette réunion à laquelle je remercie très sincèrement tous mes collègues et tous les organismes internationaux que j'ai cités d'avoir contribué. Nous avons bien et beaucoup travaillé et nous l'avons fait dans un esprit amical. Je crois que c'est ce que vous avez ressenti, Monsieur le Premier Ministre, comme nous tous
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr,le 22 mars 2005)