Tribune de Mme Catherine Vautrin, secrétaire d'Etat aux personnes âgées, dans "Le Figaro" du 28 février 2005, sur les défis posés par l'allongement de l'espérance de vie intitulé "La révolution de la longévité, un défi éthique, social et politique".

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La France compte aujourd'hui plus de 12 millions de personnes de plus de 60 ans, dont 800000 sont en perte d'autonomie. Elles seront 17 millions en 2020, dont 4 millions d'octogénaires et plusieurs dizaines de milliers de centenaires. Dès 2010, les plus de 60 ans seront plus nombreux que les moins de 20 ans.
L'allongement de l'espérance de vie est, au-delà des seules réalités démographiques, un enjeu majeur pour notre temps. Il faut que nos concitoyens se convainquent que c'est à une aventure sans précédent que nous convie le vieillissement tendanciel de la population, un phénomène qui fait assurément l'objet d'une prise de conscience croissante : j'en veux pour preuve les ouvrages et études sur cette question qui me parviennent presque chaque jour au Secrétariat d'Etat.
Le nombre des seniors dans notre pays, la nécessité de mieux valoriser leur rôle économique, social et culturel dans un objectif de coexistence harmonieuse entre les âges et de renforcement de la cohésion sociale, la prise en charge qualitative des personnes âgées dépendantes dans leur intérêt propre mais aussi dans celui de leur famille et de la société tout entière, constituent autant de défis auxquels les pouvoirs publics et la société civile doivent apporter les plus justes réponses. Il en va de la force et de la capacité de renouvellement de notre pacte social.
Conscient de ces formidables enjeux, le Gouvernement a engagé depuis deux ans et demi une politique volontariste en direction des personnes âgées sous l'autorité du Président de la République et du Premier Ministre, et à l'initiative de mon prédécesseur Hubert Falco.
En dégageant 410 millions d'euros supplémentaires pour l'allocation personnalisée d'autonomie en 2003, le Gouvernement a pérennisé cette avancée sociale incontestable dont le financement n'avait cependant pas été assuré par ses créateurs.
Au-delà de cette mesure d'urgence, il a inscrit son action dans la durée par une série de réformes et de programmes garantissant un meilleur accompagnement de nos aînés.
Après le drame de la canicule, Jean-Pierre Raffarin présentait le 6 novembre 2003 le plan Vieillissement Solidarité 2004-2007, qui permettra de créer 10 000 places nouvelles en établissement. Il est possible que nous devions en créer encore davantage. Pour anticiper l'évolution de la demande sur le long terme, j'ai demandé au Commissariat au Plan une évaluation des besoins dans ce domaine.
La journée de Solidarité, dont les recettes alimenteront la Caisse Nationale de Solidarité pour l'Autonomie instituée par la loi du 30 juin 2004 en faveur des personnes âgées dépendantes et des handicapés, dégagera 2,1 milliards d'euros en 2005. Cette ressource représente en volume environ le 1/5ème des crédits de l'Etat et de ses différents partenaires dédiés à la politique des personnes âgées.
Le Plan Urgences Gériatrie 2004-2008, doté de 489 millions d'euros, permettra la création de 15 000 lits médicalisés, la mise en place de 160 équipes mobiles gériatriques et le développement de l'hospitalisation à domicile. Le Plan Alzheimer (88 millions d'euros), présenté en septembre 2004, vise à mieux accompagner les personnes atteintes de maladies neurodégénératives (135 000 nouveaux cas chaque année) via, notamment, le développement des "consultations mémoire", l'adaptation des établissements et le renforcement de leur encadrement médical pour faire face aux besoins, ou encore la formation des professionnels et des "aidants" familiaux et des bénévoles.
Enfin, depuis près de deux ans, le programme "Bien Vieillir" organise des actions de prévention en direction des seniors par la promotion d'une alimentation saine et de l'activité physique et sportive.
C'est dire à quel point le Gouvernement a pris en compte les besoins concrets et massifs découlant des évolutions démographiques à l'oeuvre dans notre pays.
Une nouvelle dynamique a été enclenchée, et les moyens d'une politique gérontologique à la pleine mesure de ces besoins sont aujourd'hui mobilisés. Jamais un Gouvernement n'avait autant fait pour les personnes âgées.
Le champ reste cependant ouvert pour aller encore plus loin.
Plusieurs leviers d'action sont à privilégier.
Je pense tout d'abord à l'indispensable développement de la filière gériatrique universitaire, complément nécessaire au décloisonnement, que Philippe Douste-Blazy et moi-même appelons de nos voeux, entre le secteur sanitaire et le secteur médico-social. Sait-on que notre pays compte actuellement moins de 40 professeurs de gériatrie et que plusieurs CHU en sont donc dépourvus ? Avec Philippe Douste-Blazy, je souhaite encourager de nouvelles vocations hospitalo-universitaires en doublant d'ici à 2010 le nombre des professeurs de gériatrie et en dirigeant sur cette discipline encore insuffisamment valorisée des postes de praticiens hospitaliers non pourvus dans d'autres spécialités.
De même, il est indispensable de promouvoir dans toute leur diversité les métiers du secteur gérontologique, notamment auprès des jeunes qu'il convient d'encourager à choisir cette orientation où les besoins sont immenses et où les vocations ne manquent pas.
Cet objectif sera pris en compte dans le plan de services aux personnes âgées que nous allons prochainement présenter avec Philippe Douste-Blazy, et dont une des lignes de force sera le renforcement et la professionnalisation du secteur de l'aide aux personnes âgées dépendantes, avec à la clef l'essor de nouveaux métiers tournés sur la qualité de vie des personnes âgées.
Cette qualité de vie est, avec la valorisation du rôle social des seniors, le fil rouge de mon action. Une gériatrie d'excellence, le développement des services aux particuliers âgés, qu'ils soient hébergés en institution ou qu'ils vivent à domicile, la poursuite de la modernisation des établissements (pour lesquels j'ai obtenu des crédits nouveaux au titre de l'aide aux investissements immobiliers et de la rénovation du bâti), constituent les chevilles ouvrières de cette approche qualitative.
Mais la qualité de vie de la personne âgée passe aussi, c'est ma conviction, par la reconnaissance de sa place et de son utilité dans la société. Je souhaite que s'instaure dans les esprits de nos contemporains une autre vision de l'avancée en âge et des personnes vieillissantes, loin de la mode du "jeunisme" et du déni trop fréquent des capacités d'innovation et d'engagement de nos aînés, qui sont au contraire si nombreux à mener à bien des projets de vie et à s'impliquer en première ligne dans la vie sociale de notre pays. Dans "vieux", il y a "vie". La retraite n'est pas l'inaction. Avancer en âge n'interdit pas, tant s'en faut, de se projeter dans l'avenir.
Les personnes âgées transmettent savoir et expérience, donnent la mesure du temps et la dimension du passé mais aussi la conscience de l'avenir. Le lien entre les générations est un des fondements de la vie en société, et nous devons donc le promouvoir sans relâche.
Des initiatives, soutenues par le Secrétariat d'Etat aux Personnes Agées, existent par exemple dans le domaine de l'habitat intergénérationnel, où des personnes âgées accueillent des étudiants en échange de menus services. Certaines maisons de retraite fonctionnent en symbiose avec des crèches et autres haltes-garderies. L'initiation aux nouvelles technologies et à internet mettent en contact jeunes et moins jeunes. Le soutien scolaire fait de même, qui est si souvent assuré par des retraités. Les champs d'application possibles de l'intergénération sont légion, et il faut multiplier les démarches dans ce domaine. Pensons aussi à la réhabilitation des quartiers de nos villes, où la mixité des âges doit être le complément nécessaire de la mixité sociale, notamment par l'ouverture de nouvelles structures d'accueil pour personnes âgées au sein des quartiers et non à l'écart.
Favoriser le "bien vieillir", faire adhérer une société dont la population vieillit - mais qui peine à l'accepter - à cette donne démographique et sociétale nouvelle, mettre en évidence toute la richesse de la vieillesse, enfin, faire comprendre que l'accompagnement et la mise en évidence du rôle des personnes âgées profite non seulement à ces dernières mais aussi à leur entourage et à la société dans son ensemble : telles sont les ambitions premières qui guident mon action, au service d'une valeur éminemment moderne qui est la place de nos aînés dans le destin commun de notre pays.

(Source http://www.personnes-agees.gouv.fr, le 2 mai 2005)